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Pierre Campion : étude du livre de Max Picard Le Monde du silence.

Mise en ligne le 26 septembre 2022.

© : Pierre Campion.

Picard Max Picard, Le Monde du silence, [1948, Die Welt des Schweigens, Eugen Rentsch Verlag ; 1954, Le Monde du silence, Presses Universitaires de France], réédition aux éditions de La Baconnière, avant-propos de Carlo Ossola, préface de Gabriel Marcel, notice et notes de Jean-Luc Egger, 2019.


Max Picard ou l'énigme du silence

Sur l'énigme d'un certain silence, périlleuse et pour ainsi dire vidée d'avance de ce qui n'est pas absolument elle-même, Max Picard (1888-1965) publie en 1948 Die Welt des Schweigens (Le Monde du silence, trad. française, PUF, 1954, rééd. La Baconnière, 279 pages, 2019).

Dans les premières pages de ce livre, l'auteur a jeté toutes ses forces et dévoilé tout son jeu.

Nous lecteur : nous en tenir pour l'instant à cette Introduction, résister à toute échappatoire du côté de ce qu'on a lu ou de noms qui viendraient à l'esprit — d'ailleurs ils ne viennent pas à l'esprit. Tenir pour certain que, de notre part, tout soi-disant secours extérieur trahirait ce qui se doit au projet de l'auteur.

Au premier moment du livre

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On lit la brève Introduction du livre (p. 21-22), même pas une page et demie. Tout de suite, en même temps que le silence, surgit un répondant au silence, qui va déterminer le champ complet d'une énigme :

Assurément, le silence commence là où s'arrête la parole. Mais il ne commence pas parce que la parole s'arrête. Il se manifeste alors seulement.

[…]

Le silence fait partie de la structure fondamentale de l'homme.

Le lecteur ne doit [pas] cependant être amené par ce livre à une « vision du monde à partir du silence » ; il ne dot pas être amené non plus à faire peu de cas de la parole. L'homme est homme par la parole premièrement, et non par le silence. La parole a la suprématie sur le silence.

Mais la parole s'abîme dès qu'elle a perdu tout rapport avec le silence. C'est pourquoi il importe que le monde du silence, aujourd'hui recouvert, soit à nouveau rendu manifeste — non pour le silence mais pour la parole.

Voilà, de manière abrupte, le programme du livre qui s'annonce : une enquête sur « le monde du silence », conduite au moyen d'une dialectique permanente à deux termes (le silence et la parole), d'une dialectique critique du monde réel contemporain destinée à rendre au silence, et par là à la parole, leurs pleines dimension et valeur.

Ce moment du livre a valeur stratégique. Il se porte à une hauteur de vues dans la densité et dans la fermeté d'un style, c'est-à-dire dans l'économie de quelques alinéas à phrases puissantes. Ainsi, au premier mot, face à ce silence-monde, la parole en tant que le propre de l'homme se fait immédiatement écriture, en imposant un vis-à-vis au silence : après chaque aphorisme et avant chacun, le silence. Voilà ce qui nous frappe dans cette page.

 

Heureusement, dans la présente édition, deux notes de Jean-Luc Egger viennent éclairer ces déclarations.

L'une nous informe que « l'expression allemande Weltanschauung des Schweigens placée entre guillemets » par Picard, n'est pas la citation de quelque auteur en référence ou à l'appui de l'Introduction mais une précaution stratégique. Elle veut, écrit Egger, « prévenir une mésentente de la visée de l'ouvrage » qui surviendrait « par la proximité et le possible glissement de Welt, « le monde », à Weltanschauung, « la vision du monde ». Bref, Picard écarte la notion « générale et vague » de Weltanschauung, comme impropre à décrire le monde du silence qu'il envisage.

L'autre note rappelle en effet les deux termes de l'allemand pour désigner le silence. Stille marque le silence des choses qui ne parlent pas, le calme et la tranquillité qu'elles tirent de leur absence de parole et, peut-être bien aussi le fait qu'elles nous en imposent, à nous qui parlons : « La présence de Schweigen, aussi bien dans le titre que dans la suite du propos, n'est pas un fait secondaire ; elle manifeste l'orientation prise par la pensée de Picard, où le silence apparaît à la fois antérieur, opposé, mais aussi connaturel à la parole. »

C'est l'avantage, le génie et la beauté des langues comme l'allemand et le grec dont la morphologie peut substantiver les infinitifs et les participes des verbes à tous leurs temps, c'est-à-dire leur faire porter de manière adéquate la charge de l'agir humain et de ses modalités : ainsi dans la locution « le silence », das Schweigen, qui signifie « se taire », « être silencieux », c'est-à-dire « ne pas parler ». Ne pas parler, par opposition à la parole humaine, tel est le trait essentiel de ce silence-là.

C'est, entre autres, l'apport de l'édition de la Baconnière et son utilité immédiate pour qui se laisse surprendre et frapper par le caractère altier et souverain du style de Max Picard.

 

En 1948, après les fracas de ses destructions infligées et subies, l'Allemagne n'en est plus à sa récente Weltanschauung impériale ni à aucune Weltanschauung. Plus de système en forme ni de parole tonitruante…

Dès cette Introduction et quand vont venir les chapitres du livre, chacun de quelques pages et en nombre indéterminé, la parole est celle de l'aphorisme, brève et solide, mais non autoritaire — ou plutôt tirant son autorité du silence.

Deuxième pas dans le livre

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Dans le premier de ces chapitres, il suffira d'abord à l'auteur de procurer une sorte de première vue sur le silence, appelée « L'aspect du silence ». Envisageant le monde du silence au gré d'une décision qu'autorise son Introduction, l'écrivain de ce monde en assure une première approche, en se portant lui-même au point de vue unique, nécessairement imaginaire, qui convienne au monde du silence, pour énoncer, entre autres aphorismes, ceux-ci :

Le silence n'est rien de négatif, il n'est pas le simple fait de ne pas parler, il est quelque chose de positif, il est par soi-même un monde.

[…]

Quand le silence est là, il semble qu'il n'y ait jamais rien eu d'autre, qu'il n'y ait toujours eu que lui.

Là où est le silence, l'homme est regardé par le silence ; il regarde l'homme plus que l'homme ne regarde le silence. L'homme ne scrute pas le silence, mais le silence scrute l'homme.

[…]

Le silence a tout en soi, il n'attend rien ; il est toujours entièrement là et remplit toujours l'espace où il apparaît.

[…]

Le silence est aujourd'hui l'unique phénomène qui est « sans utilité ». Il n'a pas de place dans le monde l'utile contemporain ; il n'est rien que , il semble n'avoir pas d'autre fin, on ne peut l'exploiter. (p. 23-24)

Tel est l'être du silence : consistant et omniprésent, sujet attentif à l'homme et présent à lui, comme puissance ironique. Pratique humaine, spécifique, au regard du silence « le se taire » et « le parler »  mettent l'homme en jeu, en cause et aux prises avec lui-même.

Dans cette séquence d'aphorismes ordonnée en trois mouvements I, II, III, qui forment en tout trois pages, seul paraît un nom, celui d'Hölderlin, lequel, à la fois, introduit le thème de la poésie et celui d'une dimension de sacré intime à l'homme lui-même. Cette référence permet cette affirmation :

Ici, dans le silence, se trouve la nature sauvage sacrée, car la nature sauvage sacrée et l'édification divine font un.

Phénoménologie du silence, si l'on veut, puisque cette évocation demande l'absolutisation d'une conscience qui se mette en prise avec l'absolu du silence et produise une parole absolue, dans la poétique qui convienne, celle justement de cet aphorisme et de tous les autres.

Il ne reste plus au lecteur, guidé par ces principes, qu'à lire la totalité de ces courts chapitres qui vont parcourir, non numérotés et selon divers points de vue, le monde du silence…

Les chapitres, tels qu'ils se présentent un par un

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Personne ne peut s'immiscer dans le travail réel d'un livre et aucun grand livre, de fait, ne s'écrit selon un trajet linéaire, la plume à la main et de improviso, et pas plus que les autres ce livre Le Monde du silence. Il y a là un effort de pensée dont bien des moments demeurent cachés ou au moins énigmatiques, même à l'auteur.

Renonçons à désespérer des documents que nous n'avons pas et n'aurons probablement jamais, abandonnons toute tentative d'histoire ou de généalogie de ce livre. Sur ce thème, demandons plutôt son avis à un écrivain qui s'y connaissait, même s'il parlait plutôt des sujets de roman. Demandons son expérience aux métaphores naturalistes de Gracq :

Un vrai sujet a une pente secrète ; si vous cherchez à le préciser, et même sur quelque détail secondaire, il ne vous laisse pas plus dans l'embarras qu'un relief vigoureux ne laisse dans le doute la goutte d'eau de pluie qui tombe sur lui et qui l'interroge sur la décision à prendre. Il tient en quelques lignes, il se laisse embrasser d'un coup d'œil, et il a réponse à tout.

Un vrai sujet ne laisse étranger à sa donnée aucun règne et aucun ordre, ni humain, ni terrestre. (Julien Gracq, En lisant en écrivant)

Tel était peut-être bien le sujet du Monde du silence : la formule compacte d'un univers, tout entier à comprendre selon la seule donnée de son silence, en tant qu'opposé à la parole.

On ne saurait dominer ce sujet,­ fût-ce par et dans le discours de pensée le plus rigoureux qui soit — cela justement parce que c'est un sujet­ au sens grammatical et ontologique, et non pas un objet. Cet univers-là, on ne saurait non plus le traverser ou le percer à jour par l'un de ces chemins rectilignes et résolus dont parle Descartes, ni non plus en faire le tour. Ces images-là seraient trompeuses, non pas parce que ce sont des métaphores mais parce qu'elles ne conviennent pas au sujet dont il est question : elles ne touchent pas juste.

Mais il y a une autre métaphore, que suggérait le premier chapitre du livre « L'aspect du silence », celle d'un certain abord : quel aspect peut revêtir ce monde du silence, globalement, au regard d'une conscience qui voudrait en prendre connaissance ?

La question qui se posait alors immédiatement était celle d'un styke et non celle d'une technique : du « monde du silence », l'aspect que prendra la conscience de ce silence ne sera pas celui d'une vision à décrire mais celui d'un silence exclusif de toute autre qualité. La réponse était déjà : cet aspect du silence, il faut l'envisager par le moyen d'une certaine parole, aphoristique, et non par le moyen d'un récit ni d'un discours de description[1].

Cette métaphore-là d'un monde évoqué selon son aspect comprend aussi une conscience qui n'hésiterait pas à envisager la forêt du silence, et même qui trouverait plaisir et sens à l'évoquer, confiante qu'elle serait dans la nature même du monde du silence et qu'il suffit de regarder ses paysages de n'importe quel point de vue pour le comprendre tout entier, et pour le parler, et pour l'écrire. À regarder pour ainsi dire naïvement « le monde du silence », on ne saurait errer.

L'aspect, les aspects, l'aspection

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L'aspect comme modalité grammaticale, entre autres en tant qu'il note l'action ou l'état duratif ou ponctuel exprimés par le verbe, est décrit dans la langue des linguistes[2]. Mais aussi il s'écrit en langue notariale : on dit d'une maison qu'elle est aspectée au midi. Dans la perspective et la langue de Picard, ce terme déterminera une obligation, celle de s'aspecter soi-même au silence, cela afin, réciproquement, d'aspecter le silence à ses propres dispositions : à son étonnement à l'égard de ce silence, à ses questions, à ses demandes.

Se poser donc soi-même en demandeur de sens. Aimer ce silence, sans autre condition que celle de se disposer à lui demander son sens et sa propre intentionnalité.

Et disposer son lecteur à cette même disposition.

Ici encore une sorte de phénoménologie pourrait trouver sa place, comme méthode ­— si l'on voulait bien transposer la formule canonique de la description phénoménologique en celle-ci : la compréhension du « monde du silence » est la conscience-du-monde-du-silence[3].

 

Ces aspects sont nombreux et même en nombre indéterminé et imprévisible : notamment l'auteur ne saurait prévoir ceux que son lecteur connaît déjà, qu'il pratique lui-même et préférera.

Le livre adoptera donc une espèce d'ordre non exhaustif : varié et néanmoins organisé, selon des parties non titrées et non numérotées.

D'abord, « Le phénomène originaire du silence », « La naissance de la parole à partir du silence », « Silence, parole et vérité », « Le silence dans la parole », « L'homme entre silence et parole ». Ce groupement implicite développe les aspects énoncés dès le premier abord du livre.

Ensuite, des pratiques humaines du silence et de la parole, qui évoquent des ordres divers de l'expérience humaine, comme, entre autres, « Le démoniaque dans le silence et dans la parole », « Parole et geste », « Les langues anciennes », « Amour et silence », « Visage humain et silence », « L'enfant, le vieillard et le silence », « Le paysan et le silence », « Poésie et silence »,  « Arts plastiques et silence », « La radio », « Le silence et la foi »…

À chaque chapitre, des commentaires, brefs, dans la même langue aphoristique, à la fois précise, incisive et allusive.

 

⇒ Arrêtons-nous sur le chapitre « Poésie et silence, exemples » (p. 161-171).

Dix pages d'occurrences à peine commentées, qui vont d'un poème de Novalis, au conte (un conte de Grimm) ; aux proverbes ; à la tragédie antique (« Ce monde sans utilité a besoin de l'arrière-plan du silence qui est lui-même la plus grande existence sans utilité ») ; aux présocratiques (« Les paroles ne se sentent pas encore chez elles dans le monde de la parole ; elles ne se sentent encore nulle part chez elles ») ; à Hérodote (« Les choses et les événements sont et leur présence est déjà récit. […] Ce n'est possible que là où la parole se porte comme pour la première fois vers la chose ou l'événement à qui elle convient et, pour ce motif, elle s'y attache si fermement que parole et chose font un ») ; à Shakespeare (« Les paroles et les scènes sont là, si fraîches qu'on dirait qu'elles viennent de jaillir dans le langage […] ») ; à Jean-Paul ; à Hölderlin ; à un poème de Goethe…

Le poème de Novalis est un chant lancinant dans lequel « les peuples à l'état de nature » répètent en refrain : « Où mon âme s'en est-elle donc allée ?/ Rentre à la maison, rentre à la maison[4], » Parmi les quelques commentaires de Picard :

Il y a une grande mélancolie dans ces chants des peuples à l'état de nature ; c'est la mélancolie de l'homme qui connaît une double angoisse : angoisse d'avoir été expulsé du silence par la parole et angoisse d'être jeté à nouveau dans le silence, de perdre à nouveau la parole. Entre ces deux angoisses infinies comme le silence et infinies comme la parole, s'étend, infinie, la mélancolie du chant.

On ne saurait mieux mettre en œuvre les thèmes que nous connaissons déjà — le jeu de la parole et du silence et le fait des deux silences, de nature opposée, cela dans une disposition lyrique qui tente de conjurer par le rythme obsessionnel d'une parole chantée une perte : entre le silence du monde originel et celui du silence dégradé et hostile dans lequel ces peuples ont été précipités. Le poème de Novalis est plus puissant que les discours désespérés de Rousseau, car ce n'est pas un discours.

⇒ Puis sur « Maladie, mort et silence » (p. 227-231) :

Autour de la maladie, il y a aujourd'hui, dans le monde du bruit, un silence que tous les discours justes et fallacieux des médecins ne peuvent expulser. Il semble que le silence, chassé de partout, soit allé se cacher chez les malades : il est chez eux comme en des catacombes.

Souvent, quand un malade gît silencieux, ce malade semble être seulement le lieu où le silence s'est établi ; la maladie est venue, le silence l'a suivie […]

Ici comme dans tous ces chapitres, on est frappé de voir que, à tous les règnes de la vie et des productions humaines, les deux concepts de Picard conviennent, comme aussi son écriture aphoristique :

Aujourd'hui, la mort n'est plus un monde à part, elle est seulement reste ultime de vie, vie usée ; même le silence ne lui appartient plus ; le silence n'est plus en elle qu'un prêt, qu'un prêt de pitié.

Mais soudain, la mort est de nouveau là, formant tout un monde ; la vie n'apparaît que comme le glacis de ce monde […]. Le silence, expulsé de la vie et de la mort, arrive par la rigidité que la terreur fait tomber sur l'homme.

(Permettons-nous une réflexion en marge. Le silence qui affecte la surdité devenue totale et qui n'est pas sans troubler gravement la parole du sourd est, lui, effrayant. Il n'est ni celui qui est connaturel à la parole ni celui du monde réel. C'est une expérience inhumaine. Le sourd a peur de son silence et il fait peur à ceux qui parlent et entendent. Cette figure, apparemment humaine où ne s'inscrit aucun signe visible d'infirmité mais qui ne comprend rien et répond à côté par une espèce d'aboiement, ne saurait recevoir des humains ni commisération ni même de pitié humaine.)

⇒ Et puis sur le chapitre « Amour et silence » (p. 103-106) :

Dans le silence, passé, présent et avenir sont ramassés en une même unité. Aussi les amants sont-ils enlevés au déroulement du temps. Rien ne s'est encore produit, tout peut advenir ; ce qui sera est déjà là, ce qui fut est là comme en un éternel présent. Le temps, pour les amants s'arrête. Le don de pressentiment et de clairvoyance  que possèdent les amants est en rapport avec le fait que, dans l'amour, passé, présent et avenir sont un.

Les phrases se pressent, toutes reprenant diversement la même chose, c'est-à-dire le même mystère immobile de l'amour. Glissant l'une vers l'autre, elles répondent à l'un des défis fondamentaux qui se proposent à l'écrire, de se déployer à la fois dans le temps de la diction et dans l'absence de temps de la pensée.

Celles-ci annoncent de loin et très allusivement un certain thème, celui de la mort :

Cette plénitude de silence en l'amour suffit jusqu‘au silence qui accompagne la mort. Amour et mort sont un. Toute pensée, toute action en l'amour s'étendent déjà, grâce au silence, jusqu'à la mort ; mais le miracle de l'amour est que là où pourrait être la mort, apparaît l'aimé.

De même aussi ces chapitres se répondent à travers le jeu des mêmes concepts, de diverses images et du mode aphoristique que ce jeu autorise.

⇒ Enfin, remontons au chapitre « Image et silence », qui vaut poétique en général, mais aussi pour le livre lui-même (p. 99-102) :

L'image est silencieuse et, dans son silence, elle dit quelque chose. Le silence est nettement présent dans l'image, mais, tout près de ce silence, il y a la parole. L'image est silence qui parle. L'image est comme une station sur le chemin qui mène du silence à la parole. L'image est à la frontière entre le silence et la parole ; en ces confins, silence et parole sont face à face, mais la tension est résolue par la beauté.

Cependant,

L'homme a aujourd'hui en face de soi trop de choses, aussi un trop grand nombre d'images se presse-t-il dans son âme ; il n'y a plus dans l'âme de quiétude silencieuse, mais seulement une inquiétude silencieuse. […} Le silence a été expulsé du monde d'aujourd'hui. […]

L'archipel

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Tout livre a nécessairement une obligation de développement. Ne voulant ni ne pouvant être celle d'un discours, la loi de développement du Monde du silence est celle d'une sorte de dérive entre des îlots dispersés sur les eaux d'une pensée, selon une carte dessinée au gré d'une volonté qui n'a pas à s'expliquer. De près ou de loin, on échange des signaux dans la même langue, on évoque une certaine obsession commune, c'est tout.

Pierre Campion



[1] André Breton, dans ses propres problématiques : « Non, Lautréamont, Rimbaud n'ont pas vu, n'ont pas joui a priori de ce qu'ils décrivaient, ce qui revient à dire qu'ils ne le décrivaient pas, ils se bornaient dans les coulisses sombres  de l'être à entendre parler indistinctement et, durant qu'ils écrivaient, sans mieux comprendre que nous la première fois que nous les lisons, de certains travaux accomplis et accomplissables. L'illumination vient ensuite. » (Point du jour, idées nrf, p. 185-186)

[2] Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil, 1972 : « Les indications d'aspect sont toujours intérieures au prédicat. Le prédicat comporte en effet, non seulement l'idée d'une certaine qualité ou d'une certaine action ("être bleu", "venir dîner"), mais l'idée d'un certain mode de manifestation dans le temps de cette action ou de cette qualité, l'indication de la façon dont elles remplissent la période concernée par l'énonciation : c'est là ce qu'on appelle l'aspect. »

[3] Husserl est nommé à un moment : « L'esprit humain ne perçoit pas seulement l'objet tel qu'il est devant lui ; son mouvement le porte au-delà (Husserl) », p. 79.

[4] Traduit par Augustin Dumont,  Les Belles Lettres, 2014.

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