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Pierre-Henry Frangne. Culture, patrimoine et médiation. Cours. Pierre-Henry Frangne est professeur en philosophie de l'art à l'université de Rennes 2 Haute Bretagne (UFR Arts, Lettres et Communication). Il a notamment fait paraître La Négation à l'œuvre. La philosophie symboliste de l'art (1860-1905), coll. Aesthetica, Presses Universitaires de Rennes, 2005 ; Alpinisme et photographie (1860-1940), (avec M. Jullien et P. Poncet), L'Amateur, 2006 ; les éditions critiques de deux utopies baroques : Charles Sorel, La Description de l'île de Portraiture (1659), L'Insulaire, 2006 ; et Francis Godwin, L'Homme dans la Lune (1638), L'Insulaire, 2007. © Pierre-Henry Frangne. Mis en ligne le 16 novembre 2010. Culture, patrimoine et médiationL'identité individuelle et collective entre arts, mémoire et histoire« Alors qu'entendre par identité de la France ? […] En somme un résidu, un amalgame, des additions, des mélanges. Un processus, un combat contre soi-même, destiné à se perpétuer. S'il s'interrompait, tout s'écroulerait. » Fernand Braudel[1] « Penser, penser qu'il est un Moi, voilà ce qui fait la racine de la nature de l'homme. En tant qu'Esprit l'homme n'est pas un immédiat mais essentiellement un être qui retourne à soi. […] Il est donc ce qu'il se fait par son activité. Le sujet, la véritable réalité, est seulement ce qui rentré en soi. » GWF Hegel[2] « Car la culture n'est pas un divertissement : elle est ce qui exige de l'esprit et la plus forte contention ; elle est le sérieux et la noblesse de l'esprit. » Gaëtan Picon[3] Introduction Mon étude se donne simplement pour tâche de procurer les outils notionnels et conceptuels les plus importants qui permettent de comprendre philosophiquement les rapports entre la notion d'identité, la notion de patrimoine, la notion de culture et celle de médiation culturelle dans les aspects et dans les enjeux les plus cruciaux de notre culture contemporaine. L'hypothèse de départ que je voudrais développer (et qui d'ailleurs ouvre plus de questions qu'elle ne donne de réponses) est la suivante. L'idée et la pratique du patrimoine telles qu'elles se sont développées en Europe depuis le début du XIXe siècle ont permis de constituer une identité individuelle et collective fondée paradoxalement sur un processus de désidentification. Cela veut dire que le patrimoine artistique, culturel et historique permet à la personne et à la société tout ensemble de passer d'une identité à une autre : d'une identité ou d'une proximité immédiate avec soi (une identité spontanée, non consciente et non critique) à une seconde identité enrichie d'un passage par la distance, l'altérité et la déchirure que les notions de patrimoine et de culture supposent et approfondissent. Cette seconde identité, médiate ou « devenue » en quelque sorte, repose ainsi sur un difficile processus de réappropriation de ce moi initial qui s'est posé puis qui s'est mis à distance pour se perdre afin de se retrouver à la fin à un niveau supérieur de lucidité et de liberté. Ce mouvement de réappropriation s'effectue principalement par l'instruction et l'enseignement d'une part, puis d'autre part, en France et à partir des années 1980, par ce que la politique culturelle inaugurée par André Malraux a appelé la médiation culturelle. Afin de montrer ce processus d'apprentissage du patrimoine et de la culture, il faut partir de l'idée que, dans notre culture contemporaine, les deux notions d'identité et de patrimoine sont l'objet d'usages très variés et très imbriqués. Sortir de cette imbrication qui produit une confusion d'autant plus dommageable pour la pensée que les notions de patrimoine et d'identité — dangereuses en cela même — véhiculent avec elles de nombreux présupposés idéologiques, telle est la finalité des pages qui suivent. Ces pages expliqueront les deux conceptions du patrimoine et de la culture que la société française dÔaujourd'hui tente de faire co-exister : a) la conception d'un patrimoine et d'une culture envisagés comme objet d'un enseignement et d'une recherche historiques (culture-enseignement) ; b) la conception d'un patrimoine et d'une culture envisagés comme objet de médiation culturelle et de mémoire visant à les faire aimer et à les faire comprendre de façon vivante (culture-existence) en dehors des lieux traditionnels de l'instruction (école et université). I - Définitions du patrimoine Si l'on commence par la notion de patrimoine, on doit constater cinq sens inventés progressivement par l'histoire occidentale et qui montrent un élargissement progressif. a) Le patrimoine est d'abord l'ensemble des biens ou des charges d'héritage qui descendent, suivant les lois, des pères et qui sont légués et transmis aux descendants. On a là le sens propre, juridique et romain du terme de patrimoine dont parle Émile Littré dans son dictionnaire. b) Le patrimoine est aussi l'ensemble culturel très vaste qui enveloppe les sciences, les langues, les mythes, les institutions humaines ; ensemble qui constitue comme une sorte de trésor de l'humanité depuis les débuts de son histoire immémoriale. c) Le patrimoine est aussi naturel. En ce sens, il s'étend volontiers à la terre entière depuis surtout que l'humanité connaît sa finitude et sa fragilité ainsi que la nécessité de la protéger contre la surexploitation, la surpopulation, la pollution, etc. d) Dans son sens figuré, le patrimoine devient la totalité des données biologiques qui font l'identité d'une espèce vivante (et spécialement de l'espèce humaine) derrière la variété des différences individuelles. e) Enfin, le patrimoine, dans sa signification la plus répandue et dans l'usage que nous en faisons quand nous nous tournons vers les arts et vers leur histoire, désigne l'ensemble des œuvres d'art, des espaces ou des constructions rurales ou urbaines qui constituent le bien commun d'un État ou d'une Nation. Ce bien commun exige sa protection et sa conservation sous l'égide d'un ministère (celui de la Culture) qui organise une direction du patrimoine dont l'office est de le conserver, de le transmettre, de l'étudier, de le faire connaître en en ménageant l'accès. Cet accès est aussi bien matériel ou physique (on le visite) qu'intellectuel (on le comprend). Ce patrimoine, tout au moins en France, ne se vend pas ; il ne se donne pas ; il est gardé pour être transmis manifestant par là des significations qui permettent de le considérer comme au-dessus des simples choses ou des marchandises[4]. Ces dernières sont toujours aliénables et échangeables au sein d'un marché. À l'inverse, le patrimoine est inaliénable et semble ainsi s'émanciper du prix des choses, de la relativité et de la variabilité de leur valeur. La raison en est que ce patrimoine est considéré comme un trésor où gisent l'identité et l'histoire d'un pays. Identité et histoire sont ici reliées dans le patrimoine puisque c'est le mouvement souvent difficile de sa constitution et de sa transmission qui fait le propre d'une famille, d'un pays, d'une culture. Si l'on ressaisit ces cinq définitions du patrimoine, on voit bien qu'elles impliquent toujours la question de l'identité selon deux axes indissociables que l'on ne peut séparer que par la pensée : un axe horizontal et un axe vertical. L'axe horizontal est l'axe du temps ou de l'histoire, de ce qui se transmet, de ce qui ne change pas, de ce qui se conserve ou perdure dans le changement, la variation et la novation mêmes. L'axe vertical est l'axe selon lequel ce qui ne change pas est, non seulement ce qui garantit la permanence d'une chose, mais aussi son appartenance à un groupe ou à une communauté qui lui permet paradoxalement d'être unique et pourtant semblable aux autres choses du même groupe. Ce double axe nous met face au paradoxe de l'identité qui apparaîtra dans le mouvement même de définition de l'identité. II - Définitions de I'identité L'identité concerne évidemment tout à la fois les choses et les hommes. 1) L'identité de la chose (identité en un sens logique) s'entend elle-même en deux sens. Elle est ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est. L'identité d'une chose est son unité et sa permanence dans le temps et dans l'espace : ce qui fait qu'elle est égale à elle-même. L'identité d'une chose est la relation que cette chose a avec elle-même tout au long de son existence et qui constitue ce qu'en philosophie on appelle sa mêmeté, le fait qu'elle soit idem comme l'on dit en latin. C'est cette identité (et surtout les conditions qui font qu'elles est appréhendable) que cherche par exemple Descartes quand il parle du morceau de cire : Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient tout d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli, sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son […]. Mais voici que, cependant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évapore, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle encore après ce changement ? Il faut avouer qu'elle demeure et personne ne le peut nier[5]. Mais l'identité de la chose est aussi l'ensemble des propriétés qu'elle partage avec les autres choses d'une même sorte, d'une même classe ou d'une même espèce. À cet égard, l'identité est considérée comme le fond sur lequel des différences peuvent se multiplier. Les choses sont différentes, mais elles se regroupent sous diverses sortes qui permettent de leur attribuer un nom c'est-à-dire une identité partagée. L'identité est donc bien tirée en deux sens opposés que l'on ne peut séparer quand on pense l'identité d'une chose : son propre ou sa particularité (sens 1) ; son appartenance à une espèce ou à une sorte (sens 2) qui implique une certaine identité collective c'est-à-dire des traits communs entre des choses différentes qui ne sont pas strictement identiques au sens 1. 2) L'identité est aussi celle de l'homme, où l'on retrouve l'ambivalence de l'identité que nous venons de constater. On peut dire alors que l'identité de l'homme est un cas particulier de l'identité de la chose : d'une part, l'identité de l'homme est ce qui fait l'unité, la permanence et la singularité d'un être qui change, bouge, vieillit, se meut comme les choses ; d'autre part, l'identité de l'homme est ce qui fait de cet homme un homme, c'est-à-dire ce qui fait que toutes les différences individuelles entre les hommes (leur singularité) se posent sur le fond d'une espèce commune. Cette espèce commune, on l'appelle l'humanité : l'humanité qu'il y a en chacun d'eux et en chacun d'entre nous. On voit donc bien que la question de l'identité nous tire ici encore en deux sens inverses : celui d'une singularité extrême (ce qui est moi) et celui d'une universalité (ce que je partage avec tous les autres hommes). Mais la question de l'identité de l'homme est différente de celle de l'identité de la chose car l'homme possède la conscience, la créativité de lui-même (la liberté) et la socialité. Cela signifie qu'il possède la capacité de conserver par la mémoire les moments de sa vie passée, l'aptitude à anticiper sur les moments futurs qu'il entend vivre et créer. Cela veut dire aussi qu'il détient le pouvoir de penser les groupes ou les communautés à laquelle il appartient : famille, lignée, ethnie, peuple, nation, Église, etc. Contrairement à la chose, l'homme possède la capacité de s'assimiler aux autres et à lui-même, de s'assembler et de se dissocier ; de se dissocier des autres mais aussi de se dissocier d'avec lui-même par la conscience qu'il a de lui-même. En ce sens, un homme se caractérise par l'aptitude à ne jamais être identique à lui-même, à l'idée qu'il se fait de lui-même, car il y a toujours pour lui un écart entre lui et le monde, entre lui et lui-même[6]. Avoir conscience de soi, c'est se séparer du monde, des communautés auxquelles on appartient, de soi-même, de son passé ; mais c'est aussi avoir cette aptitude à relier ce qui est autre que moi avec moi. La grande différence entre l'identité de la chose et celle de l'homme, c'est que l'identité de l'homme n'est plus sa mêmeté (identité stable, monolithique qui ne peut se dire que par la tautologie) ; elle est ce que l'on appelle son ipséité, c'est-à-dire non ce qu'est l'homme dans une coïncidence immobile avec lui, mais ce qu'il est en rapport avec ce qui n'est pas lui et qu'il intègre pourtant à l'intérieur lui-même : les autres, les communautés, les moments passés font qu'un homme est lui-même à condition qu'il diffère aussi de lui à chaque instant et qu'il fasse de cette différence le lieu et le moyen contradictoires de sa propre possession de soi[7]. Ce que Sartre par exemple traduit en disant souvent que la conscience ne coïncide jamais avec elle-même ; « qu'elle est ce qu'elle n'est pas et qu'elle n'est pas ce qu'elle est. » Parce qu'elle n'est pas un moi-même entièrement sédimenté mais un soi-même en mouvement, notre identité est donc toujours en déséquilibre, en récapitulation, en construction : n'étant jamais acquise, elle est toujours un travail et un problème. On peut tirer de cette dernière proposition quatre conséquences quant aux rapports de l'identité et du patrimoine. III - Crise d'identité et patrimoine 1) L'identité pour l'homme existe donc toujours pour lui sur le mode de la crise. Si nous nous posons la question de l'identité personnelle ou collective, c'est justement parce qu'elle est toujours problématique, risquée, jamais assurée d'elle-même. Le moi humain individuel ou collectif doit pouvoir surmonter perpétuellement cette crise en quoi il consiste parce qu'il ne peut pas complètement s'identifier et parce que le mouvement d'identification est aussi, dans le même temps, un mouvement de désidentification. Une crise personnelle ou psychologique telle que nous la connaissons tous, une crise philosophique comme celle que décrit Descartes dans ses deux premières méditations métaphysiques, une crise artistique comme celle de tant d'artistes (Gauguin, Mallarmé, Proust, etc.), une crise politique (une guerre mondiale), une crise financière, toutes ces crises sont toujours l'ébranlement d'une identité individuelle ou collective par lequel l'unité, la cohérence, l'harmonie interne viennent à manquer et produisent l'inquiétude ou même l'angoisse. On pourrait le montrer sur plusieurs exemples. Premier exemple de crise : celle que Friedrich Schiller, à la fin du XVIIIe siècle, diagnostique comme étant la crise de la culture moderne, crise consistant en la scission que cette culture opère entre les facultés de l'esprit humain : entre les facultés sensibles et imaginatives (perception et imagination) d'une part et les facultés intellectuelles de l'autre (entendement ou raison). Or, ces facultés intellectuelles redoublent la division puisqu'elles envisagent le monde du point de vue de la division même des concepts et du démontage analytique ou scientifique de la réalité physique. C'est donc cette division redoublée (division entre la sensibilité et l'entendement puis division comme l'opération propre de l'entendement) qui produit la crise c'est-à-dire la perte de toute unité et qui permet à Schiller de dire : L'époque est éclairée […]. D'où vient donc que nous soyons encore et toujours des barbares ?[8] Notre époque est encore celle de barbares parce qu'elle est celle du développement de la science et de la technique, lesquelles ne peuvent s'emparer du monde que parce qu'elles le considèrent que sous l'aspect de l'analyse c'est-à-dire de la division. Faire la science du monde et fabriquer des machines n'est possible que par un esprit qui divise et recompose, qui mesure et assemble des parties, des éléments ou des rouages. Notre époque est donc « chimique » parce qu'elle soumet tout ce qui existe à un examen et à une analyse décomposant le réel. La crise de l'homme moderne consiste donc en sa propre division entre l'homme sensible ou imaginatif et l'homme pensant intellectuellement. Le primat de la pensée intellectuelle aggrave cette division parce qu'elle est une pensée profondément divisante. Il faut que l'entendement, pour s'approprier l'objet qui lui est fourni par son sens interne, commence par le détruire. De même que le chimiste, le philosophe ne découvre l'alliage que par l'analyse, et il ne parvient à l'œuvre de la libre nature qu'en la soumettant à la torture de la technique. Pour saisir l'apparence fugitive, il est obligé de la jeter dans les chaînes de la règle, de déchirer son beau corps pour le réduire en concepts et de retenir son vivant esprit en l'enfermant dans une indigente ossature de mots[9] Cette scission interne de l'homme et cette division de l'entendement, sa faculté la plus développée, sont relayées selon Schiller par une autre scission interne à l'État et à la société. En effet, notre société est fragmentée en des individus spécialisés dans des tâches qui ne demandent le développement que de certaines de leurs facultés ou dispositions[10]. Au contraire de la cité grecque qui était un bel organisme bien lié, notre société n'est plus « qu'un grossier et vulgaire mécanisme », qu'une horloge bien huilée certes, mais sans véritable vie ni véritable force (ibid., p. 123). La division sociale du travail aggrave cet ordre mécanique toujours artificiel et précaire. La division, la scission et l'opposition de forces antagonistes ne font de la société moderne qu'un assemblage sans vraie unité ni véritable force. La crise révolutionnaire de 1789 est la preuve éclatante de ce vice de fonctionnement : la contradiction apparaît au grand jour et la Terreur qui suit la Révolution finit de révéler les impasses sociales et politiques dans lesquelles se place la culture des Lumières. Le diagnostic de Schiller étant posé, celui-ci cherche un remède à la division de l'homme, de la société et de l'État modernes. Le rapport juridique que les hommes entretiennent est insuffisant à faire de la société une parfaite unité, car le droit est à la société ce qu'un assemblage de parties est à la machine : les individus, comme les pièces d'un rouage, demeurent extérieurs les uns aux autres. Le droit ne saurait donc être un fondement exclusif de l'État. Il faut un autre fondement plus sûr qui possède l'aptitude à réconcilier la face sensible et la face intellectuelle de l'homme. La voie à suivre est de considérer d'abord le problème esthétique ; car c'est par la beauté que l'on s'achemine à la liberté[11] Ce fondement est donc pour Schiller l'art. Pourquoi ? Parce que l'art est justement cette activité des facultés imaginatives et des facultés intellectuelles toutes les deux réunies et égalisées. Ces facultés liées l'une à l'autre donnent naissance à des œuvres qui sont indissolublement des objets concrets et des pensées d'un haut degré de complexité. Les œuvres d'art médiatisent donc le sensible et l'intelligible ; elles donnent à sentir, à ressentir et à penser sans que le spectateur, le lecteur ou l'auditeur ne puissent faire le départ entre ces opérations qui se fondent les unes dans les autres. Objet spiritualisé, esprit objectivé, l'œuvre d'art réalise la beauté comme cette union sereine et équilibrée entre la pensée et la matière (ibid., p. 331). Comme intermédiaire entre le sensible et l'idée abstraite, la beauté est entièrement réconciliatrice. Réconciliatrice de l'homme (de ses facultés), réconciliatrice des hommes dans la mesure où le plaisir que l'on a devant une œuvre n'est pas purement privé ou intime puisqu'il se communique à autrui et se partage avec lui. Comme le pensait Emmanuel Kant dans la Critique de la faculté de juger (1790), le plaisir esthétique contient une exigence d'universalité et de communicabilité qui, loin de séparer les hommes, les accorde au contraire en fondant leur communauté (ibid., p. 369). Cette communauté n'est permise ni par le seul sentiment, ni par la seule raison, mais par leur réunion ou leur égalité dans une œuvre d'art et dans l'expérience que l'on en a. Pour dépasser la crise de l'homme moderne selon Schiller, l'État doit se faire esthétique en assurant l'éducation artistique de l'homme et du citoyen. Par cette éducation, l'homme et le citoyen se verront formés et instruits pour qu'advienne une culture de l'unité où les oppositions se trouvent définitivement résolues. La beauté seule procure le bonheur à tous les hommes, et tout être oublie ses limites dès qu'il subit son charme. Aucun privilège, aucune dictature ne sont tolérées pour autant que le goût règne et que l'apparence belle accroît son empire […]. Loin des arcanes de la science, le goût amène la connaissance au grand jour du sens commun et il transforme ce qui est l'apanage des écoles en un bien commun à toute la société[12] b) Deuxième exemple. On pourrait aussi montrer avec Valéry une autre conscience de crise et de vacillement d'une identité collective incertaine ou problématique. En 1917, c'est-à-dire vers la fin de la première guerre mondiale, Valéry analyse ce qu'il appelle « une crise de l'esprit » : De quoi est fait ce désordre de notre Europe mentale ? De la libre coexistence dans tous les esprits cultivés des idées les plus dissemblables, des principes de vie et de connaissance les plus opposés. C'est là ce qui caractérise une époque moderne […]. Chaque cerveau d'un certain rang était un carrefour pour toutes les races de l'opinion ; tout penseur, une exposition universelle de pensées. Il y avait des œuvres de l'esprit dont la richesse en contrastes et en impulsions contradictoires faisait penser aux effets d'éclairage insensé des capitales de ce temps-là : les yeux brûlent et s'ennuient… Combien de matériaux, combien de travaux, de calculs, de siècles spoliés, combien de vies hétérogènes additionnées a-t-il fallu pour que ce carnaval fût possible et fût intronisé comme forme de la suprême sagesse et triomphe de l'humanité ?[13] Cette description fait de l'homme moderne ce que Valéry appelle un « Hamlet intellectuel » qui oscille entre l'ordre et le désordre, « ces deux dangers qui ne cessent de menacer le monde ». Cet Hamlet « songe à l'ennui de recommencer le passé, à la folie de vouloir innover toujours[14]. » Cela signifie que pour Valéry, l'esprit de l'Europe est désormais un esprit déchiré et aliéné c'est-à-dire autre que lui-même, un esprit qui extravague et qui dans cette extravagance ne sait plus qui il est. d) Troisième exemple enfin. On pourrait montrer que la perte de tout repère est le mode privilégié d'une prise de conscience de soi, cela sur l'exemple du philosophe allemand Walter Benjamin qui, en pleine seconde guerre mondiale, faisait la description de l'histoire des hommes sous la forme d'une gigantesque catastrophe : celle de notre culture qui a perdu tout lien avec la tradition et qui fait de son passé rien de plus qu'un amas d'événements encombrants, inutiles et étrangers ; un tas monstrueux d'archives devenues indéchiffrables et qui la menacent[15]. Notre culture n'est qu'une tempête, qui produit désolation et mort. Ce qu'elle a construit, institué et édifié n'est plus qu'un champ de ruines et non le mouvement progressif vers plus de rationalité et plus de liberté comme le pensaient les hommes du XVIII et du XIXe siècles. L'accumulation de la culture, la survalorisation du passé et du patrimoine jointe à la survalorisation du nouveau sont une déchirure et une perte. C'est devant une célèbre aquarelle (L'Angelus novus de 1910 de Paul Klee) que Benjamin comprend la crise de l'histoire occidentale qui atteint son acmé au milieu des années quarante : Il existe un tableau de Klee, écrit Walter Benjamin, qui s'intitule « Angelus novus ». Il représente un ange qui semble sur le point de s'éloigner de quelque chose qu'il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C'est à cela que doit ressembler l'Ange de l'Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d'événements, il ne voit, lui, qu'une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui sÔest prise dans ses ailes, si violemment que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l'avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s'élève jusqu'au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès[16]. Nous avons donc ici trois exemples spectaculaires de cette pensée extrêmement vive de ce que le sociologue Georg Simmel a appelé « la tragédie de la culture[17] ». Au sein de cette tragédie, c'est bien la conscience de soi de l'homme occidental qui vacille et qui fait de ce vacillement même le principe douloureux d'un moi culturel et historique déchiré faisant l'expérience du doute et du désespoir. Penser l'identité d'un moi individuel ou commun ne peut donc se faire que, d'une part sur le fond dangereux de la saisie d'une dysharmonie, d'autre part à l'occasion d'une disruption qui implique une prise de conscience, en comprenant bien le sens actif du verbe « prendre » (prendre conscience est une action au sein d'une situation de rupture ; avoir conscience est l'état continu de l'esprit humain). 2) La question du patrimoine culturel ou historique peut ainsi nous apparaître comme celle d'une identification qui est en même temps une désidentification. Cette « identité-désidentité » si l'on peut dire, cette identité qui n'existe que dans sa difficile recherche c'est-à-dire dans son absence effectivement réalisée, est née des violences de la Révolution, de la crise de 1789 où les hommes ont compris qu'ils faisaient leur propre histoire. Pour la faire cependant, il fallait détruire l'ordre ancien (l'Ancien Régime), mais la destruction de l'ordre ancien avec ses réalisations, ses expressions et ses justifications (religieuses notamment) risquait de faire sombrer le monde nouveau dans un chaos inintelligible et invivable où, ni la culture de la France ni la culture de l'Humanité ne seraient plus identifiables. Dès 1793, l'idée d'un bien commun et inaliénable est ainsi sortie du vandalisme révolutionnaire qui détruisait les statues, les églises, les cloîtres, les bibliothèques[18]. Tragiquement et négativement, le vandalisme pose la question de l'identité et de l'histoire ; et il libère la nécessité de la protection comme le montre le rapport sur la bibliothèque présenté à la Convention nationale, le 22 Germinal de l'An II (1794) par l'abbé Grégoire : […] À Paris, à Marseille et ailleurs, on proposait de brûler les bibliothèques : la théologie, disait-on, parce que c'est du fanatisme ; la jurisprudence, des chicanes ; l'histoire, des mensonges ; la philosophie, des rêves ; les sciences, on n'en a pas besoin. […] Dans le même temps, sous le masque du patriotisme, les contre-révolutionnaires détruisaient les monuments. […] Le moment d'élaguer viendra ; mais il faut savoir ce que nous avons avant de savoir ce que nous garderons. Les bibliothèques et les musées, formés avec choix, sont en quelques sortes les ateliers de l'esprit humain. Que de gens qui étaient tourmentés par l'inquiétude indécise du génie ont connu leur vocation à la lecture d'un bon livre, à l'aspect d'un ouvrage bien exécuté ! C'est devant un tableau de Raphaël que le Corrège se connut peintre ; […] C'est en lisant les Méditations de Descartes que Malebranche connut sa vocation. Que d'hommes, faute de livres, ont consumé un temps précieux pour trouver la solution de problèmes qui étaient résolus, pour inventer des machines qui étaient décrites ![19] Devant ces inquiétudes et ces constats, naissent alors plusieurs questions. La non-conservation et la non-protection de ce patrimoine multiple ne sont-elles pas une perte de mémoire, de racines, de modèles, de transmission, d'identité, perte qui empêche la conscience et la connaissance de soi ? Inversement, la conservation et la protection du patrimoine artistique, architectural (et, plus tard, urbanistique, rural ou paysager, écologique) n'entravent-elles pas l'inventivité, la créativité, la liberté, l'innovation qui font l'histoire des hommes et des sociétés ? Quatremère de Quincy, l'un des premiers historiens français du patrimoine, dit vers 1815 que « depuis qu'on a fait des musées pour créer des chefs-d'œuvre, il ne s'est plus fait de chefs-d'œuvre pour remplir les musées[20] ». Comment trouver un équilibre entre ces deux écueils également fatals : la volonté de tout conserver au point d'en être étouffé et paralysé ; la volonté de ne rien conserver au prix d'une liberté créatrice sauvage qui ne se comprend pas elle-même parce qu'elle oublie tout au fur et à mesure de sa course ou de sa fuite en avant ? Ces trois questions montrent la nécessité de penser l'identité d'un homme ou d'une communauté d'hommes à partir, à la fois, de ce qui ne change pas (ce qui est permanent) dans l'espace et le temps, et ce qui change, ce qui naît : un individu, une personne, un citoyen, l'humanité et la communauté humaine à tous ses échelons. 3) Troisième conséquence de l'idée selon laquelle l'identité humaine est un travail parce qu'elle est un problème : l'identité humaine est nécessairement communautaire ou collective. Le moi est un soi parce qu'il revendique toujours son appartenance à l'un des moi(s) collectifs qui s'imbriquent les uns dans les autres (lignée, famille, pays, ensemble de pays, État, ensemble d'États, culture et même ensemble de cultures c'est-à-dire civilisation) et qui peuvent réclamer chacun à leur niveau leur droit à la reconnaissance de leur identité. La question de l'identité de l'individu et celle de l'identité d'une communauté est le problème d'une double revendication : celle d'une singularité, d'un particularisme, qui relève de ce que l'on pourrait appeler un repli identitaire ; celle au contraire d'un universalisme qui faisait dire à Montaigne « J'estime tous les hommes mes compatriotes, et j'embrasse un Polonais comme un Français, postposant cette liaison nationale à l'universelle et commune[21]. » L'identité est ainsi selon Montaigne excessivement variable et pourtant fixe puisqu'elle possède celle, commune à tous, de l'humanité. L'identité prend des formes toujours autres et est pourtant toujours la même. L'identité humaine est donc toujours culturelle, et c'est au plan de la culture que se forge le souci patrimonial. 4) Quatrième conséquence enfin. Ces questions tournent volontiers autour du problème de savoir si l'identité (ce que l'on est, ce qui nous est propre) et le patrimoine (ce que l'on a et qui est hérité, transmis des pères, des autres et du passé) doivent être conçus sous la forme purement conservatoire et conservatrice d'un mouvement de repli sur soi d'une communauté centrée sur elle-même ou si, au contraire, l'identité et le patrimoine doivent contenir une dimension d'altérité, voire d'altération, d'ouverture vers ce qui est autre ou ce qui est nouveau. Le patrimoine est-il un instrument frileux d'identification conçu comme adéquation ou pure égalité avec soi-même ou au contraire est-il un outil paradoxal de décentrement ? Pour le dire autrement et de façon imagée, l'identité articulée sur le souci du patrimoine est-elle une identité narcissique ou au contraire une identité ulysséenne ? Par identité narcissique, j'entends ce rapport à soi qui serait mortifère parce qu'il serait seulement fondé sur l'unique souci de soi et sur l'unique volonté d'identification, c'est-à-dire de repérage de ce qui nous est propre. Selon la philosophie grecque (celle de Plotin notamment), l'identification narcissique est illusoire parce qu'elle est un enfermement dans un espace intérieur sans extérieur et sans altérité. Narcisse, en effet, projette son image sur la surface de l'eau d'une fontaine et s'aime lui-même en croyant illusoirement aimer un autre. Par identification ulysséenne j'entends, par contre, ce rapport à soi qui serait vivant et même vivifiant parce qu'il serait fondé sur le voyage, c'est-à-dire sur le mouvement à la surface de la mer et non sur la fixité de l'image dans laquelle Narcisse se noie d'avoir voulu s'y identifier au sens ici de s'y confondre. L'Odyssée, c'est le voyage d'Ulysse, l'anti-Narcisse ; c'est ce parcours dangereux par lequel il a engagé un rapport tumultueux à l'autre, à l'étranger, avec toute son étrangeté voire son hostilité. Au terme de ce voyage, Ulysse revient chez lui, dans sa patrie ; il recouvre son patrimoine, c'est-à-dire ses droits sur le royaume hérité de son père et qu'il lèguera à son fils, Télémaque. Il revient chez lui, c'est-à-dire à lui. Mais ce moi n'est plus une simple et stérile coïncidence avec lui-même. Ce moi est le terme d'un parcours où il est le même certes, mais enrichi (c'est-à-dire différent aussi) de toute une expérience qui l'a rendu aussi autre : en devenant autre, il sait qui il est. Et ce savoir, il n'est pas seulement savoir de soi, car il est aussi savoir du monde, de ce monde qu'il a fallu traverser pour revenir en sa patrie. Cette odyssée est celle de la culture. IV – Le concept de culture Qu'appelle-t-on culture ? Comment notre culture pense-t-elle le concept de culture ? Elle distingue trois sens qui se mêlent et se réenveloppent au fur et à mesure de leur constitution. Cette constitution, notons-le, n'est pas seulement historique ou chronologique. Elle est essentiellement logique. Elle est l'analyse transhistorique des couches conceptuelles constitutives de l'idée, stratifiée, de culture. Trois significations ou trois moments de la culture donc : la culture en un sens ontologique, en un sens anthropologique, en un sens humaniste enfin. Ces trois sens peuvent être considérés comme les trois modalités de la réponse que la culture occidentale apporte à la question principale qu'elle se pose depuis les Grecs : qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qui fait sa singularité ? Qu'est-ce qui fait son universalité c'est-à-dire sa participation à l'humanité ? 1) Le premier sens, le plus large ou le plus enveloppant, de la culture est le sens ontologique qui constitue l'être (on, ontos) profond ou essentiel de l'homme. Or, ce qui constitue l'homme, c'est d'abord son arrachement par rapport à la nature, c'est le mouvement proprement négatif qui l'amène à rejeter la nature extérieure (le milieu) et la nature intérieure (les bases biologiques ou instinctives de son existence) afin de leur substituer un monde proprement humain. Ce monde humain est l'œuvre de l'homme, c'est-à-dire le miroir de sa liberté comme la mise en œuvre même de cette liberté. Parce que l'homme en est l'auteur ou le responsable, ce monde est l'institution (au sens fort du terme instaurer) d'un milieu anti-naturel, artificiel, technique. Il est aussi la condition d'une vie proprement humaine par laquelle l'homme, non seulement invente des objets, mais projette sur tous les aspects de l'univers une série infinie de représentations ou de symboles qui font que l'on ne peut pas dire qu'il se nourrit mais qu'il déguste, que l'on ne peut pas dire qu'il s'abrite mais qu'il habite, que l'on ne peut pas dire qu'il s'agrège avec ses congénères mais au contraire qu'il s'associe avec eux par l'intermédiaire du langage et surtout en son sein (on n'utilise pas le langage comme un outil parce qu'on est dans le langage : on parle parce qu'on est parlé). Depuis le mythe de Prométhée tel que Protagoras le raconte dans le dialogue de Platon qui porte son nom, jusqu'à la pensée de Sartre ou de l'ethnologie contemporaine en passant par l'anthropologie philosophique de Kant, l'homme est cet être exceptionnel ou monstrueux (une anomalie née dÔune bêtise, celle d'Épiméthée) qui mue sa faiblesse originaire en une force de conquête et de construction de ce que la nature ne lui octroie jamais aisément. Comme dit Kant dans la troisième proposition de l'Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique (1784) : La nature a voulu que l'homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l'agencement mécanique de son existence animale et qu'il ne participe à aucun autre bonheur ou à aucune autre perfection que ceux qu'il s'est créés lui-même, libre de l'instinct, par sa raison[22]. La culture, en un premier sens, est donc le résultat de ce combat mais elle est aussi le combat lui-même. Elle est le processus actif de production et d'intercalation d'un espace ou d'une distance entre l'homme et la nature (outils, milieu rural ou urbain), entre les hommes et les autres hommes (société, langage, institutions, religions, États politiques), entre l'homme et lui-même (conscience de soi, réflexivité, désirs et non besoins). La culture est ainsi proprement définie comme médiations entendues en un sens très large de négations qui scindent et relient à la fois l'homme à la nature et l'homme à lui-même. Et cette négation peut être interprétée en un sens éthique comme ce qui fait la dignité de l'homme ou, selon Pascal, sa « grandeur[23] » ; comme aussi ce qui fait sa fragilité et sa liberté existentielle selon Sartre par exemple. C'est évidemment sur ce premier sens de culture que se greffe l'idée d'un patrimoine de l'humanité comme l'ensemble de tout ce que l'homme a ajouté à la nature. 2) Le second sens de la culture est anthropologique, non pas au sens strictement philosophique que je viens de dire mais au sens contemporain d'une analyse des modes d'existence sociaux des groupes humains c'est-à-dire de ce que l'on appelle justement des cultures humaines. En ce sens, la culture se dit nécessairement au pluriel puisqu'elle est une puissance de diversification des manières infinies de faire des mondes : ce que nous appelons aussi des civilisations (et ce que les Allemands appellent au singulier Kultur). Les cultures sont des mondes. Comme mondes, elles supposent donc deux critères : celui de la clôture entre des frontières assurant à chacune son identité à soi et sa différence par rapport aux autres mondes ; celui aussi de son unité qui confère aux hommes lui appartenant, des propriétés, des coutumes, des traditions, des transmissions, des langages, des représentations communes. Les cultures s'identifient et se différencient ainsi selon les trois modalités suivantes : celle des usages pratiques et théoriques partagés ; celle des territoires géographiques et politiques ; celle des moments historiques de leur constitution et de leur développement. On peut dire en conséquence que la culture, en ce second sens, est une invention moderne : celle de l'époque, de la Renaissance jusqu'aux Lumières, qui découvre les cultures autres que celle de l'homme occidental ; celle qui renonce donc à appeler « barbare » (comme le faisaient les Grecs) l'homme d'une autre culture que la sienne en le rejetant dans une sorte d'animalité ou de brutalité primitive ; celle qui au contraire appelle « barbare » l'homme qui « croit à la barbarie » comme le dit Lévi-Strauss dans le sillage de Montaigne, en ne reconnaissant pas la différence des autres cultures[24]. Cette époque, la nôtre encore, est celle d'un mouvement de découverte de la diversification des modes d'être de l'humanité ; du décentrement de soi ou du doute envers soi-même que tout homme porte en lui ; et donc de la relativisation intégrale des valeurs et des usages qu'il doit opérer sur lui-même et sur les autres. La culture en ce sens est la prise de conscience de l'étranger et de l'étrangeté, lesquels ne sont pas seulement celui ou celle des autres cultures mais aussi celui ou celle de la nôtre propre. En découvrant par exemple de façon inquiète ou effrayée les cannibales des Amériques, l'homme occidental découvre à son tour et en retour son propre cannibalisme consistant à manger, à chaque messe, ordinairement et sans effroi, le corps du Christ. Comme le dit en conséquence Montaigne dans le chapitre 31 du premier livre des Essais : Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie[25]. Dans cette perspective, la culture ou les cultures constituent ce que Montaigne appelle « la merveilleuse distance[26] » qui existe entre les hommes. Cette distance exige d'eux des truchements (des interprètes) ou des intermédiaires, c'est-à-dire des médiateurs. Mais comme l'incompréhension entre les cultures engendre une incompréhension salutaire de chaque culture par rapport à elle-même, chaque culture qui porte en soi une part d'opacité ou d'étrangeté a besoin, à l'intérieur d'elle-même, des truchements et de médiateurs. En ce second sens, anthropologique, du concept de culture s'invente une seconde signification au terme de médiation. Celle-ci n'est pas seulement à entendre comme négation ou intercalation ; elle est différenciation par rapport aux autres et par rapport à soi-même. Par la médiation, je découvre un autre moi-même et, inversement, moi-même comme un autre. 3) S'introduit alors le troisième sens du terme de culture, le sens humaniste. J'appelle ce sens humaniste parce qu'il correspond à cette volonté, explicite chez les hommes de la Renaissance, de faire de la redécouverte de la tradition (pour eux grecque) le principe universel et vivant de la culture moderne et de la formation de l'individu des XVe et XVIe siècles. Ce sens est celui que l'on considère dans l'expression « un homme de culture » qui désigne celui qui a appris la culture (au sens 2) à laquelle il appartient et qui n'est qu'une des modalités de la culture (au sens 1) : celui qui possède donc l'aptitude de réenvelopper en lui-même et d'actualiser pour lui-même (au plan individuel) les couches les plus profondes (les plus universelles) de la culture. Or cette aptitude fonde un processus d'apprentissage par lequel tout homme s'empare de lui-même en s'emparant du monde qui lui a permis d'exister. La culture est ici ce que les Allemands nomment Bildung, l'opération de construction et d'institution d'un moi (d'où le beau mot d'instituteur) conçu comme un germe ou un organisme qui doit être tutoré. Comenius, au XVIIe, le dit explicitement : L'esprit de l'homme qui entre dans le monde est très bien comparé à une semence ou à noyau, où la figure de la plante… existe en puissance, comme on le voit quand le noyau mis en terre donne, d'une part, des racines, d'autre part, des pousses qui s'allongent en branches et en rameaux, se couvrent de feuilles et se parent de fleurs et de fruits. Il n'est donc pas nécessaire de rien apporter du dehors chez l'homme, mais seulement de faire pousser et se développer les qualités dont il contient le germe et de lui montrer quelle en est la nature[27]. Développé et élevé afin de se posséder lui-même et d'épanouir en lui l'unité de la culture, l'homme est à la fois récepteur passif et co-auteur actif de son éducation. Cette circularité repose sur le principe de la perfectibilité de tout homme capable de progrès dans l'usage de la raison comme de la liberté. Et ce progrès trouve sa paradoxale condition dans l'éducation qui fait de la contrainte et de l'hétéronomie le moteur de la liberté et de l'autonomie. Kant l'affirme clairement en affirmant de façon provocante : L'homme est un animal qui […] a besoin d'un maître[28]. La maîtrise s'entend évidemment en deux sens : au sens d'une domination (dominus) contraignante et qui réclame la soumission ; au sens d'un enseignement (magister) qui ne contraint et ne discipline que pour rendre droit, haut et fort l'arbre qu'est tout individu et qui pousserait sans cet enseignement, tout « rabougri, incliné et courbé », comme le dit Kant. La discipline (au double sens d'un contenu scientifique organisé et d'une obéissance imposée) est la contradiction qui est au cœur de la culture et de la liberté. Car elles doivent passer toutes deux par le moment de l'aliénation comme absence de liberté d'une part, et comme devenir autre d'autre part. L'enseignant ou l'instituteur est ainsi celui qui opère la transmutation de l'aliénation de soi en possession de soi. Comme tout médiateur, sa tâche est bien négative puisque ce qu'il vise, c'est ce moment où ayant transmis sa culture à l'homme se possédant lui-même, ce dernier n'aura plus besoin de lui parce qu'il saura ce que savait son maître et qu'il aura la capacité de créer et d'enseigner à son tour. Dit autrement et tragiquement : celui qui enseigne vise et voit, dans les progrès de son élève, sa propre mort comme condition de la transmission et de la création d'une culture neuve. À ce niveau de l'analyse de la culture, on voit apparaître un troisième sens au terme de médiation : intercalation ou intermédiaire d'abord, différenciation par rapport à l'autre et par rapport à soi ensuite, la médiation est aussi altération de l'autre et de soi : ce par quoi la culture se transmet et se transforme en construisant et en changeant l'homme de culture apte lui-même à transmettre, mais aussi à inventer quelque chose d'autre et quelqu'un d'autre. Si Wittgenstein a raison de dire : Qui enseigne aujourd'hui […] ne choisit pas pour son élève une nourriture à son goût, mais celle qui est capable de changer son goût[29], alors l'éducation est bien une remédiation, une médiation de médiation, une correction qui est aussi une invention et une transformation. À ce titre, toute culture est bien ce qu'elle était dès le départ à savoir un arrachement qui suppose un déchirement[30] : a) un arrachement de l'humanité par rapport à la nature, b) un arrachement d'une civilisation par rapport aux autres formes de civilisation, c) un arrachement de l'individu par rapport à lui-même enfin, c'est-à-dire aux formes purement héritées de la culture comme les croyances, les préjugés, les idéologies, les opinions, le patrimoine dans son sens seulement conservatoire. Il est un fait que c'est au début du XIXe siècle (chez les frères Schlegel, chez Novalis, chez Hegel) que se sont superposés ces trois sens du terme de culture. Car chez eux, la culture est la totalité universelle des œuvres de l'esprit et de la main de l'homme, totalité qui est en conséquence digne d'être conservée. Mais cette totalité n'est ni stable ni fixe : elle est un développement qui passe par des moments qui sont les différentes cultures des peuples (on parle alors de culture allemande, de culture grecque). La culture en ce sens est le principe unique qui s'est développé dans l'histoire et qui fait l'expression originale et puissante de ce peuple, ce que l'on appelait son « génie », ce que Hegel appelle Volksgeist[31], l'esprit d'un peuple, qui se montre dans toute ses productions : religion, institutions politiques, arts, sciences, mœurs, habileté technique, etc. La culture n'est plus « émancipation par rapport à la simple nature, mais expression d'une certaine nature[32] » inscrite dans une époque et un territoire, et qui n'est pas répétable. Mais cet esprit singulier, enraciné dans l'histoire d'un peuple lui-même enraciné dans un temps et un lieu, a la capacité de transcender sa configuration concrète et de se communiquer au-delà du temps et de l'espace. Cette capacité, il la doit non à la politique, au droit, à la morale, à la religion (car ces formes culturelles sont mortelles), mais à l'art. Dans le musée alors, se transmet la splendeur de l'esprit ou du génie qui l'a fait naître ; se montre le rayonnement d'un peuple. En lui, nous sommes alors invités à méditer sur lui et à nous l'approprier. Ce processus de l'appropriation individuelle des traces expressives des cultures singulières est la culture au sens de l'éducation de l'individu qui, par cette institution, sort de son individualité seulement particulière pour participer de l'universalité. C'est grâce à Madame de Staël, introductrice en France de la littérature allemande, que cette triple idée de la culture est passée chez nous et que s'y sont constituées progressivement les disciplines comme l'histoire de l'art, l'ethnologie, puis l'anthropologie et l'ensemble des sciences humaines. Ces disciplines travaillent toutes à construire une dialectique (un double mouvement réciproque et inverse) entre l'établissement ou la compréhension des distances qui séparent les diverses formes culturelles, et la monstration de ce qui les relie. Le musée à cet égard est un instrument où, de la même manière, se montrent dans l'organisation chronologique, une commune nature des œuvres mais aussi la pluralité de leurs styles, de leurs écoles, de leur moment historique à laquelle elles sont attachées. V - Identité et patrimoine entre mémoire et histoire 1) Le patrimoine entre identification et désidentificationIl découle de là l'idée selon laquelle le patrimoine méthodiquement conservé, rangé et explicité, dans un musée par exemple, est l'opérateur qui permet à l'individu de construire la conscience critique de son appartenance à l'humanité et à sa propre culture. Sans lui, l'homme oscillerait dangereusement entre l'acceptation aveugle d'une unité culturelle absolument surplombante et qui lui demeurerait résolument opaque ou incompréhensible, et le rejet purement négatif des formes culturelles soumises à une critique si vive qu'elles perdraient tout contenu ou toute consistance. La conservation du patrimoine trouve ici sa mission : d'une part, faire sortir par désidenfication et détotalisation l'individu de la torpeur de la tradition dont les formes qu'elle transmet ne sont pas pour lui un problème ; d'autre part, faire sortir par identification et totalisation l'individu d'une sorte de vigilance critique exacerbée où tout inversement est problématique parce que les formes artistiques ou culturelles, passées au crible de la pensée, montrent leur caractère conventionnel, artificiel, relatif et changeant. Dans cette seconde posture, l'individu fait souvent de la culture un jeu gratuit et mondain qui l'abandonne à un déchirement où plus aucune vérité sérieuse ne peut être entrevue. Cette posture est illustrée par Le Neveu de Rameau de Diderot tel qu'il a été commenté par le philosophe Hegel au début du XIXe siècle[33]. Le neveu de Rameau est l'homme de goût et de culture par excellence[34]. Comme tel, il possède le tact fin et fiable, mais d'une part il est incapable de créer, et d'autre part la douleur venant de cette incapacité l'amène à professer un immoralisme ironique, cynique et brillant. Le neveu de Rameau, c'est la pure culture comme conscience déchirée qui, consciente de son propre déchirement, l'exprime par une confusion ironique où tous les concepts sont retournés en leur contraire et sont ainsi pervertis. « La conscience déchirée est la conscience de la perversion, et proprement de la perversion absolue » dit Hegel[35]. Le goût et la culture sont non seulement la déchirure et la perversion de l'esprit ; ils sont aussi sa décadence et son inconsistance : l'absence de tout contenu de pensée le mène à son plus haut degré d'« extranéation » (Entfremdung, l'aliénation ou la perte de soi dans un monde étranger) se cachant et se manifestant derrière un « langage par conséquent scintillant d'esprit ». Dans ce langage bigarré qui extravague, l'esprit se scinde toujours plus et se nie pour un jeu presque délirant dont l'unité n'est là que pour mieux engendrer un complet éclatement et un rire qui volatilise tout ce qui prétend être ferme et assuré : « Rira bien qui rira le dernier[36]. » Le neveu de Rameau — lui qui, comme le dit Diderot, « entassait et brouillait ensemble trente airs italiens, français, tragiques, comiques, de toutes sortes de caractères, tantôt avec une voix de basse taille il descendait jusqu'aux enfers, tantôt s'égosillant et contrefaisant le fausset il déchirait le haut des airs, successivement furieux, radouci, impérieux, ricaneur[37] » — illustre bien cette posture excessivement critique d'une culture comme jeu mondain qui passe par le bavardage, la futilité et le faux-semblant du jeu social, la rêverie, l'insignifiance. Pour échapper à cette conception malheureuse de la culture, les médiations en lesquelles consiste toute culture ont ainsi besoin elles-mêmes des médiations des conservateurs, des historiens, des professeurs et des médiateurs culturels afin de mettre en relation les deux pôles théoriques suivants : a) le pôle d'une unité culturelle si étroite et si massive qu'elle devient un absolu insécable, sans distinctions et interdisant tout recul critique (la société traditionnelle où tous les éléments culturels – croyances, symboles, rites, etc. — se transmettent sans réflexion) ; b) le pôle d'une distance si grande (ou pour utiliser une expression de Lévi-Strauss d'un regard si éloigné) que la culture n'est plus qu'un plaisant ou agaçant jeu de formes inconsistantes vouant celui qui s'y adonne à un discours brillant certes, mais révélant le malheur irrémédiable d'une absence de sens c'est-à-dire d'une disruption continuelle de la culture (le neveu de Rameau). Ainsi, la conservation du patrimoine doit-elle s'intéresser au patrimoine ancien et au patrimoine contemporain en cours de constitution (c'est d'ailleurs ce que fait avec intelligence l'État français depuis les années soixante sous l'impulsion de Malraux). Ce double intérêt permet d'éviter deux écueils : a) d'abord, l'écueil d'un conservatisme intégral visant à transmettre le passé comme la norme du présent et de son intelligence. Ce conservatisme est un pur patrimonialisme qui considère la tradition comme la seule autorité ; b) ensuite, l'écueil inverse qui est celui d'une critique systématique qui montrerait le présent contemporain, sur le mode négatif de la contestation, comme uniquement et unilatéralement transgressif. Cet esprit de critique est bien souvent un pur intellectualisme transformant les œuvres en de purs jeux sans importance et le commentaire qu'on en fait en de purs jeux de mots ne délivrant aucune connaissance. Entre ces deux extrêmes se constitue un espace médian amenant l'individu à devenir l'instituteur de lui-même c'est-à-dire un homme de culture qui fait trois choses. Premièrement, il comprend que l'art est selon l'expression d'Hannah Arendt « la patrie non mortelle d'êtres mortels[38] » et qu'il doit échapper à l'éternité qui n'existe plus ainsi qu'à l'éphémérité des objets de pure consommation ou de mode. Deuxièmement, il admet que l'autre (l'autre culture ou l'autre époque) est constitutif de son identité individuelle ou communautaire, que l'identité ne saurait jamais être confondue, ni avec la pure insularité ni avec le pur héritage. Troisièmement, il accueille le passé qu'il se doit de connaître mais qu'il doit rendre vivant en le transformant au présent et par le présent. Il y a dans ces trois opérations des tensions voire des contradictions qui constituent ce qu'Arendt appelle « la crise de la culture » comme étant la « condition de l'homme moderne ». Cette crise de la culture est le fait que notre société est une société individualiste de la liberté, de la relativité et de la nouveauté sans que des normes indiscutables, absolues ou éternelles viennent organiser notre pensée et notre action. L'un des aspects de cette crise est la tension entre la désidentification que permet l'histoire et l'identification que produit la mémoire. Cette tension engendre l'opposition de deux conceptions du patrimoine qui, quoique opposées, doivent être tenues ensemble. 2) Culture-enseignement et culture-existenceTelle est la thèse des créateurs, au début des années soixante, de la politique culturelle à la française et principalement d'André Malraux et de Gaëtan Picon qui en matière d'art et d'art contemporain s'y connaissaient beaucoup. Que dit en effet Gaëtan Picon, directeur général des Arts et des Lettres, dans un magnifique discours prononcé à Béthune le 19 janvier 1960 ?[39] Qu'il existe deux cultures : la culture-existence et la culture-enseignement. La culture-enseignement est déductive et démonstrative, parce qu'elle expose un passé achevé et donc mort. Visant à l'élucidation, « elle a besoin du mort. Car sur le mort seul, on saisit le terme, qui donne son sens et sa totalité à la représentation ». La culture-enseignement est ainsi profondément historique dans la mesure où elle cherche à connaître et à transmettre une connaissance objective sans préoccupation pour les intérêts du moment présent. Par contre, la culture-existence qui est la mutation de l'héritage et la création d'une culture actuelle n'est pas historique mais mémorielle. La mémoire n'est pas la connaissance objective d'un passé qui nous détermine à être ce que nous sommes, car c'est l'histoire qui détermine les causes que nous n'avons pas choisies et dont nous sommes les effets involontaires. La mémoire en revanche est le choix de notre passé ; la sélection libre des événements et de leur interprétation à partir des enjeux, des intérêts et des préoccupations contemporains. Par la mémoire, nous nous faisons la cause de la cause dont nous sommes les effets. Nous projetons sur notre passé la lumière du présent ; et par cette lumière, nous le remodelons. La conservation et la connaissance du patrimoine ne sauraient donc relever de la seule instruction, dans la mesure où l'instruction est la connaissance du passé et qu'elle n'a plus affaire à des objets complètement vivants et présents. La conservation, la connaissance et la compréhension du patrimoine relève donc aussi de la médiation culturelle qui permet aux hommes de s'approprier les œuvres d'une façon qui ne soit pas celle de l'histoire enseignée à l'école ou à l'université. Le patrimoine est à la fois histoire et mémoire. SÔil n'était qu'histoire, il serait mort et objet d'études froides qui ne concernent plus le présent. S'il n'était que mémoire, il ne serait que reconstruction idéologique et pourvoyeur d'une identité seulement narcissique, mythifiée et mystifiante. La question que nous nous posons tous quand nous cherchons notre identité véritable dans le patrimoine artistique est : « Qu'est-ce qui est contemporain dans l'art du passé ? » Cette question doit s'entendre alors en deux sens. 1) Au sens de l'historien qui comprend : comment les hommes du passé saisissent-ils et voient-ils les œuvres qui leur étaient contemporaines et c'est à cette question que Michael Baxandall par exemple s'attellent dans L'Œil du Quattrocento[40] ou Daniel Arasse dans son livre sur Léonard de Vinci ou sur Vermeer[41]. 2) Mais un conservateur du patrimoine comme tout autre citoyen doit comprendre la question en un second sens, non historique mais mémoriel : qu'est-ce qu'il y a de contemporain ou d'actuel, pour nous et étant données nos préoccupations et nos conceptions artistiques d'aujourd'hui, dans les œuvres du passé ? Qu'est-ce qui dans le passé est mis « en question par le présent » ? Qu'est-ce qui dans le présent met en question le passé ? C'est à ces questions que se consacre Daniel Arasse par exemple dans un livre récemment publié sous le titre significatif d'Anachroniques[42]. Cette seconde manière de comprendre la question suppose trois éléments : a) le primat de la culture et de la création contemporaines comme le point de départ logique et chronologique d'une compréhension nécessairement rétrospective ; b) elle suppose aussi une participation et une communication vécue en sympathie avec cette culture contemporaine et non une simple connaissance livresque[43] ; c) elle suppose enfin le sens de l'inachèvement et de l'ouverture de la création contemporaine et de l'élucidation nécessairement précaire de ses significations. Car ses significations sont en voie d'émergence et ne sauraient en conséquence se clore dans un discours de part en part explicatif. Ces trois éléments constituent le socle fondant les missions de la médiation culturelle aujourd'hui dans les musées ou les centres d'art. Cet emmêlement précaire d'une conception mémorielle (médiation culturelle) et d'une conception historique du patrimoine (instruction scolaire) peut être pensé comme l'emmêlement de deux historicités que Maurice Merleau-Ponty (en dialoguant avec Malraux et Sartre) appelle dans « Le langage indirect et les voix du silence », « l'historicité de mort » et « l'historicité de vie. » : Le Musée rend les peintres aussi mystérieux pour nous que les pieuvres ou les langoustes. Ces œuvres qui sont nées dans la chaleur d'une vie, il les transforme en prodiges d'un autre monde, et le souffle qui les portait n'est plus, dans l'atmosphère pensive du Musée et sous ses glaces protectrices, qu'une faible palpitation à leur surface. Le musée tue la véhémence de la peinture comme la bibliothèque, disait Sartre, transforme en « messages » des écrits qui ont été d'abord les gestes d'un homme. Il est l'historicité de mort. Et il y a une historicité de vie, dont il n'offre que l'image déchue : celle qui habite le peintre au travail, quand il noue d'un seul geste la tradition qu'il reprend et la tradition qu'il fonde […][44]. Le patrimoine repose donc sur la nécessité de penser la culture à partir de ces deux historicités : celle de mort qui est objective ou objectivante et donc désidentifiante (les œuvres sont comme des pieuvres) ; celle de vie qui est au contraire identifiante, parce qu'elle permet de comprendre et non d'expliquer la présence vibrante des œuvres à nous et la présence des œuvres les unes aux autres. Cette synthèse contradictoire qui permet l'identité culturelle d'un individu et de la communauté politique à laquelle il appartient de façon concrète et critique, permet ainsi de comprendre le véritable sens du patrimoine qu'il y a vingt-cinq siècles Périclès exprimait à sa manière. Il disait : Ce que tu laisses derrière toi n'est pas ce qui est gravé sur les monuments de pierre, mais ce qui est tissé dans la vie des autres[45]. VI - Les principes de la médiation culturelle Afin d'actualiser cette dernière formule, je voudrais terminer en mettant au jour trois des principes esthétiques qui gouvernent notre conception du patrimoine artistique soumise à la nécessité de l'histoire ainsi qu'aux exigences de la mémoire. Ces trois principes esthétiques sont aussi ceux de la médiation culturelle qui doit se distinguer de l'instruction dispensée à l'école parce que la médiation culturelle obéit aux exigences de la culture-existence et non de la culture-enseignement. La médiation culturelle ouvre, dans l'espace de la formation de l'individu et du citoyen, un autre espace qui ne relève pas de l'instruction ni de l'enseignement et qui ne sombre pas non plus dans le seul divertissement gratuit. C'est dans cet autre espace que se place le médiateur culturel à cause du fait que l'art ne communique plus un contenu religieux ou politique d'un côté, qu'il n'est plus la transmission pure et simple d'une tradition (sauf la contradictoire tradition du nouveau) d'un autre côté, et qu'enfin, il est devenu une activité économique et sociale de première importance dans la formation et le mouvement de l'espace politique démocratique[46]. Or cet espace social et politique, parce qu'il est démocratique, est profondément ouvert, soumis aux volontés et aux subjectivités individuelles, et, en conséquence, il est tiraillé au fond de lui-même par l'idée que son unité est problématique, qu'elle est perpétuellement à faire et à refaire dans un présent vivant. Ce présent vivant oblige à renoncer à l'éternité du Bien, du Beau, du Vrai (telle que le pensaient les Grecs) mais il oblige aussi à s'enfuir de la fugacité des événements de l'histoire et des modes auxquels il est pourtant soumis. 1) Le premier principe est celui d'une esthétique de la valeur qui considère qu'il n'existe pas de propriétés objectives de la beauté mais des valeurs esthétiques que nous projetons sur les œuvres que nous admirons. Puisqu'en effet la conservation du patrimoine repose sur un engagement au sein d'une culture en train de se faire, elle présuppose bien des valeurs qu'elle entend choisir et promouvoir afin de justifier cet engagement. En 1960, Picon affirmait que la valeur principale était celle de la rupture engendrée par les avant-gardes pour ce qui concerne les arts visuels, le dodécaphonisme en ce qui concerne la musique, la littérature de Joyce ou de Faulkner en ce qui concerne le roman. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que la valeur principale que se donne la culture contemporaine est celle de la mutation qui suppose la rupture certes, mais aussi une certaine continuité des problématiques héritées de l'histoire des arts. À ce titre, le travail de Daniel Arasse me semble, ici et à nouveau, emblématique de cette valeur que nous accordons dans ce que l'on a appelé notre modernité et même notre post-modernité, aux métamorphoses des dispositifs et des thématiques de l'art depuis la Renaissance et sûrement depuis l'Antiquité : dispositifs de la représentation, de la figure de rhétorique, de l'imitation ou de l'image, de la mémoire ; thématiques de la mort, du désir, du temps, du mythe, etc. 2) Le second principe esthétique est celui de la présence qui était si important pour Malraux et pour Picon. Ce principe de présence suppose que seul le contact hic et nunc avec l'œuvre d'art elle-même (la présence de l'œuvre au présent et même la présence de l'œuvre du présent) est susceptible de provoquer le déclic, l'expérience vivante par laquelle le patrimoine ancien et contemporain sera vécu, senti, compris et approprié par le public. Le patrimoine doit être conservé, étudié et classé. Il doit aussi in fine être accessible au plus grand nombre qui doit en faire une expérience pas seulement intellectuelle mais aussi sensible ou affective. La médiation est justement ce qui garantit que l'expérience de l'art est vivante et affective. La médiation culturelle repose ainsi toujours sur le recours à une forme d'immédiateté qui est le contact direct avec l'œuvre devant soi. Toutes les médiations (discours, livres, photos, vidéos, dispositifs informatiques) ont ainsi comme fonction paradoxale de rendre possible l'immédiateté participante et engagée d'une expérience esthétique personnelle. 3) Enfin, un troisième présupposé me semble nécessaire pour compléter cette esthétique de la présence. C'est le présupposé d'une esthétique du goût, celle qui fut inventée par les philosophes des Lumières et dont il semble que nous ne puissions pas nous passer aujourd'hui encore[47]. Par esthétique du goût, j'entends cette idée selon laquelle c'est au creux même de expérience esthétique subjective et sentimentale que se forment les jugements esthétiques les plus sûrs ou les plus experts. On devient un expert en art quand on cultive en effet son goût en multipliant certes les connaissances sur les œuvres mais surtout en multipliant les expériences esthétiques elles-mêmes. C'est en les variant et en les comparant que l'on pourra saisir, grâce à la pratique de la mise en relation et du retour réflexif sur ses premières évaluations, les nuances et les différences les plus fines qui n'apparaissent pas aux yeux de celui qui n'a pas cultivé son goût. C'est en exerçant le goût lui-même que le goût acquerra de ce que l'on appelait au XVIIIe siècle le tact fin (Diderot) ou la délicatesse (Hume). Ce tact, il est celui du critique et de l'expert qui a su abandonner le sentimentalisme immédiat et facile devant les œuvres ainsi que l'intellectualisme ou le théoricisme savant qui recouvre les œuvres d'art d'idées abstraites et arbitraires. David Hume écrit : Quand le critique est dépourvu de délicatesse, il juge sans aucune distinction, et n'est affecté que par les qualités les plus grossières et les plus tangibles de l'objet : les traits fins passent inaperçus et échappent à sa considération. Là où la pratique ne lui vient pas aide, son verdict est accompagné de confusion et d'hésitation. Là où il n'a eu recours à aucune comparaison, les beautés les plus frivoles, qui ne sont telles qu'elles méritent plutôt le nom de défauts, sont l'objet de son admiration. Là où l'influence du préjugé l'emporte sur lui, tous ses sentiments naturels sont pervertis. Là où le bon sens fait défaut, il n'est pas qualifié pour discerner les beautés du dessein et du raisonnement qui sont les plus élevés et les plus parfaites […]. De là vient qu'on observe qu'un juge véritable en matière de beaux-arts est un caractère si rare, même durant les époques les plus policées : un sens fort, uni à un sentiment délicat, amélioré par la pratique, rendu parfait par la comparaison, et clarifié de tout préjugé, peut seul conférer à un critique ce caractère estimable. Et les verdicts réunis de tels hommes où qu'on puisse les trouver, constituent la véritable norme du goût et de la beauté[48] Le goût n'est pas, comme on pourrait le penser au premier abord un principe d'individuation, d'enfermement et d'exclusion. Il est aussi et surtout (comme le pensaient aussi Schiller ou Kant) un principe de participation à un espace public commun et démocratique : un instrument de communication au sens le plus fort du terme, au sens de construction d'une communauté de penser et de sentir, communauté certes diverse (ou même souvent divisée dans ses œuvres comme dans ses appréciations), mais tout de même unie dans le dialogue vivant et l'échange des points de vue qu'elle permet et surtout qu'elle suscite. Dans ce dialogue, ce sont bien l'identité, la culture et le patrimoine communs qui se construisent au sein de ce que Fernand Braudel appelait un processus aussi bien nécessaire que précaire. Ce processus est un infini retour à soi. Mais dans ce retour comparable à celui d'Ulysse en sa patrie (différent aussi car il est sans véritable terme), le moi conquiert une identité plus assurée, plus consciente, plus rationnelle et plus libre. Pierre-HenryFrangne Bibliographie Anthologie de textes, Les Politiques culturelles en France, La Documentation française, 2002. Daniel Arasse, Anachroniques, Gallimard, Paris, 2006. Daniel Arasse, L'Ambition de Vermeer, Adam Biro, Paris, 2001. Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, trad. franç., coll. Agora, Calmann-Lévy, Paris, 1983. Hannah Arendt, La Crise de la culture, trad. franç., Folio, Paris, 1972. Michael Baxandall, L'Œil du Quattrocento, trad. franç., Gallimard, Paris, 1985. André Chastel, « La notion de patrimoine », in Les Lieux de mémoire, (sous la dir. de Pierre Nora), Gallimard, Paris, 1997, tome 1, p. 1437 et suiv. Françoise Choay, L'Allégorie du patrimoine, Le Seuil, Paris, 1988. Jean Clair, La Crise de l'art contemporain, PUF, Paris, 1997. François Dagognet, Le Musée sans fin, Champ Vallon, Seyssel, 1993. Marc Fumaroli, L'État culturel. Essai sur une religion moderne, Le Livre de Poche, Paris, 1999. Eugenio Garin, L'Éducation de l'homme moderne (1400-1600), trad. franç., Le Livre de Poche, Paris, 1995. Pierre Guénancia, « L'identité », in Notions de philosophie, Gallimard, Paris, tome 2. Maurice Godelier, « Des choses que l'on donne, des choses que l'on vend et de celles qu'il ne faut ni vendre ni donner, mais garder pour les transmettre », in Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie, Albin Michel, Paris, 2007, pp. 65-88. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La Raison dans l'histoire, trad. franç., coll. 10/18, UGE, Paris, 1965. David Hume, De la norme du goût (1759), Essais esthétiques, trad. franç., Librairie Jean Vrin, Paris, 1974, tome 2. Denis Kambouchner, « La culture », in Notions de philosophie, op. cit., tome 3. Werner Jaeger, Paideia, Gallimard, Paris, 1964. Bernard Lamizet, La Médiation culturelle, L'harmattan, 1999. Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Editions Gonthier, Paris, 1961. Claude Lévi-Strauss, L'Identité, PUF, Paris, 1983. André Malraux, Le Musée imaginaire, Gallimard, Paris, 1965. Maurice Merleau-Ponty, « Le langage indirect et les voix du silence », in Signes, Gallimard, Paris, 1960 et coll. Quarto, 2010. Pierre Nora (sous la direction de) Science et conscience du patrimoine, Fayard, Paris, 1997. Aloïs Riegl, Le Culte moderne des monuments, son essence et sa genèse, trad. franç., les Éditions du Seuil, Paris, 1984. Friedrich Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1795), Aubier, Paris, 19 Georg Simmel, « Le concept et la tragédie de la culture » (1911), in La Tragédie de la culture et autres essais, trad. franç., Petite Bibliothèque Rivages, Paris, 1988, pp. 177-215. Philippe Urfalino, L'Invention de la politique culturelle, Le Livre de Poche, Paris, 2004. [1] L'Identité de la France, Arthaud-Flammarion, Paris, 1986, p. 17. [2] La Raison dans l'histoire, trad. franç., coll. 10/18, UGE, Paris, 1965, p. 78. [3] Discours de Béthune du 19 janvier 1960. [4] Voir la belle étude de l'anthropologue Maurice Godelier, « Des choses que l'on donne, des choses que l'on vend et de celles qu'il ne faut ni vendre ni donner, mais garder pour les transmettre », in Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie, Albin Michel, Paris, 2007, pp. 65-88. [5] René Descartes, Méditations métaphysiques, seconde méditation, in Œuvres philosophiques, édit. Ferdinand Alquié, Garnier, Paris, 1967, tome 2, p. 423 et 424. [6] Voir Pierre Guénancia, « L'identité », in Notions de philosophie, Gallimard, Paris, tome 2, p. 595. [7] Voir Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Les Éditions du Seuil, Paris, 1990, Préface, p. 11 et suiv. [8] Friedrich Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1795), trad. franç., Aubier, Paris, 1992, p. 145. [9] F. Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, pp. 85-86. [10] F. Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, p. 121. [11] F. Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, p. 91. [12] F. Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, p. 369. [13] Paul Valéry, La Crise de l'esprit, in Œuvres, biblio. de la Pléiade, Gallimard, tome 1, p. 992. [14] Ibid., p. 993. [15] Voir Giorgio Agamben, L'homme sans contenu, trad. C. Walter, Circé, 1996, p. 169 et suiv. [16] Walter Benjamin, Sur le concept d'histoire, in Œuvres, trad. franç., Folio, Paris, 2000, tome 3, p. 434. [17] Georg Simmel, « Le concept et la tragédie de la culture » (1911), in La Tragédie de la culture et autres essais, trad. franç., Petite Bibliothèque Rivages, Paris, 1988, pp. 177-215. [18] Voir André Chastel, « La notion de patrimoine », in Les Lieux de mémoire, (sous la dir. de Pierre Nora), Gallimard, Paris, 1997, tome 1, p. 1437 et suiv. [19] Abbé Grégoire, Rapport sur la bibliothèque présenté à la Convention nationale, le 22 Germinal de l'An II (1794), cité par François Dagognet, Le Musée sans fin, Champ Vallon, Seyssel, 1993, p. 109. [20] Quatremère de Quincy, Considérations morales sur la destination des ouvrages de l'art, in François Dagognet, op. cit., p. 125. Voir Françoise Choay, « À propos de culte et de monuments », préface à Le Culte moderne des monuments, son essence et sa genèse, d'Aloïs Riegl, trad. franç., les Éditions du Seuil, Paris, 1984, p. 15. [21] Michel de Montaigne, Essais, III, 10. [22] Emmanuel Kant, Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, trad. J.-M. Muglioni, Bordas, Paris, 1981, p. 14. [23] Blaise Pascal, Pensées, frag. 346 à 348 (classement Brunschvicg). [24] Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Editions Gonthier, Paris, 1961, p. 22. [25] Michel de Montaigne, Essais, Livre I, chap. 31 « Des Cannibales », PUF, tome 1, p. 210. [26] Ibid., p. 212. [27] Grande didactique, trad. J.-B. Piobetta, PUF, 1952, chap. V. Pour une traduction plus récente, voir celle de M. F. Bosquet, D. Sager et B. Jolibert chez Klincksieck, 1992, p. 60-61. [28] Emmanuel Kant, Idée d'une histoire…, op. cit., p. 17. [29] Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées, trad. G. Granel, Garnier-Flammarion, 2002, p. 72. [30] « La culture pure dit Hegel est absolu déchirement. » Voir Phénoménologie de l'esprit, trad. J. Hyppolite, Aubier, 1947, t. 2, pp. 50-84. [31] G W F Hegel, La Raison dans l'histoire, trad. franç., coll. 10/18, UGE, Paris, 1965, p. 80. [32] Denis Kambouchner, « La culture », in Notions de philosophie, op. cit., tome 3, p. 456. [33] G W F Hegel, Phénoménologie de l'esprit, trad. J. Hyppolite, Aubier, Paris, 1975, tome 2, p. 80. [34] Voir Giorgio Agamben, L'Homme sans contenu, Circé, 1996, p. 41 et suiv. [35] Phénoménologie
de l'esprit, trad. J. Hyppolite, Aubier, 1975, tome 2, p. 80. [36] Diderot, Le Neveu de Rameau, Folio, 1972, p. 131. [37] Diderot, Le Neveu de Rameau, op. cit., p. 106, cité par Hegel, op. cit., p. 80. [38] Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, trad. franç., coll. Agora, Calmann-Lévy, Paris, p. 223. [39] Gaëtan Picon, Discours du 19 janvier 1960, in Les Politiques culturelles en France, La Documentation française, 2002, pp. 189-194. [40] Michael Baxandall, L'Œil du Quattrocento, trad. franç., Gallimard, Paris, 1985. [41] Daniel Arasse, L'Ambition de Vermeer, Adam Biro, Paris, 2001. [42] Daniel Arasse, Anachroniques, Gallimard, Paris, 2006. [43] Gaëtan Picon écrit : « Ce que nous appelons culture est à l'enseignement un peu ce qu'est la vie politique à la connaissance historique. Il y a l'historien, et il y a ceux qui font l'histoire ; qui nous associent au mouvement qui fait l'histoire. » [44] Maurice Merleau-Ponty, « Le langage indirect et les voix du silence », 1952, dans Signes, Gallimard, 1960, coll. Folio essais, p. 101, coll. Quarto (2010), pp. 1490-1491. [45] Cité par
Henry David Thoreau, Walden, chap. 2. [46] Voir Bernard Lamizet, La Médiation culturelle, L'Harmattan, 1999, pp. 22-23. [47] Je pense ici à David Hume dans De la norme du goût (1759) et à Emmanuel Kant dans la Critique de la faculté de juger (1790). Et quoi qu'en pensent aujourd'hui des théoriciens de l'art comme Jean Clair. Cf. La Crise de l'art contemporain, PUF, Paris, 1997, chapitre VI, « La fin de l'utopie de l'art », p. 214 et suiv. [48] David Hume, De la norme du goût, in Essais esthétiques, trad. franç., Librairie Jean Vrin, Paris, 1974, tome 2, pp. 95-96. RETOURNER à la chronique de Pierre-Henry Frangne |