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Pierre-Henry Frangne. Picturalité et musicalité chez Mark Rothko.

Pierre-Henry Frangne est professeur en philosophie de l'art à l'université de Rennes 2 Haute Bretagne (UFR Arts, Lettres et Communication). Il a notamment fait paraître La Négation à l'œuvre. La philosophie symboliste de l'art (1860-1905), coll. Aesthetica, Presses Universitaires de Rennes, 2005 ; Alpinisme et photographie (1860-1940), (avec M. Jullien et P. Poncet), L'Amateur, 2006 ; les éditions critiques de deux utopies baroques : Charles Sorel, La Description de l'île de Portraiture (1659), L'Insulaire, 2006 ; et Francis Godwin, L'Homme dans la Lune (1638), L'Insulaire, 2007 ; Mallarmé, de la lettre au Livre, Éditions Le Mot et le Reste, Marseille, 2010.

© Pierre-Henry Frangne.

Mis en ligne le 14 décembre 2010.

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Picturalité et musicalité chez Mark Rothko

« Je hais tous les historiens d'art, les experts, les critiques, et je m'en méfie. C'est une bande de parasites qui mangent sur le dos de l'art. Leur travail n'est pas seulement inutile, il est aussi trompeur. Ils ne peuvent rien dire qui soit digne d'être écouté sur l'art et les artistes, à part des anecdotes personnelles – qui sont parfois, je vous l'accorde, intéressantes. […] Une peinture n'a pas besoin que quelqu'un explique ce dont elle parle. Si elle a une quelconque valeur, elle parle d'elle-même, et un critique qui tente d'ajouter à cette déclaration-là est présomptueux[1]. » « [Il faut] savoir que classer c'est embaumer. L'identité réelle est incompatible avec les écoles et les catégories, à moins d'une mutilation[2]. » « Si vous avez l'esprit philosophique vous découvrirez que l'on peut parler d'à peu près toutes les peintures en termes philosophiques[3]. »

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Aborder Rothko est donc toujours avoir en tête ces avertissements. Aborder Rothko, c'est, aussi et dangereusement, passer outre à ces déclarations qui sont d'autant plus péremptoires que les pensées interprétatives, critiques ou théoriques y sont considérées comme vaines, présomptueuses et même violentes eu égard à l'objet sur lequel elles portent. Aborder Rothko ne peut donc se faire que contre Rothko lui-même, selon une contradiction qui ne saurait être dépassée mais seulement déployée.

Le surplomb dont Rothko a toujours souffert est pourtant le seul point de départ de l'analyste. S'il veut être lucide, l'analyste se doit d'analyser d'abord ce surplomb même en lequel son analyse consiste. Cette analyse de l'analyse peut se faire en deux remarques.

1) Si l'art est la vie de la pensée sous une forme visuelle et plastique, si la peinture est une pensée-image ou une image-pensée et non une pensée mise en images ou encore moins une pensée illustrée par des images, alors la pensée philosophique, critique ou théorique de l'art est bien la mort de cette vie, la mort par fixation, immobilisation et séparation analytique de son devenir et de son développement propres. Penser l'art de Rothko, c'est donc transformer son œuvre en un cadavre embaumé et prêt à être disséqué selon les propres dires de l'artiste, reprenant lui-même cette logique que Hegel avait explicitée dans les années 1820 et qui l'amenait à dire que « l'art est pour nous quelque chose de révolu ». L'art est quelque chose de révolu ou de passé parce qu'il suscite « outre le plaisir immédiat, l'exercice de notre jugement : nous soumettons à lÔexamen de notre pensée le contenu de l'œuvre d'art et ses moyens d'exposition, en évaluant leur mutuelle adéquation ou inadéquation. C'est pourquoi la science de l'art est bien plus encore un besoin de notre époque qu'elle ne l'était aux temps où l'art pour lui-même procurait déjà en tant que tel une pleine satisfaction. L'art nous invite à présent à l'examiner par la pensée, et non pas pour susciter un renouveau artistique, mais pour connaître scientifiquement ce qu'est l'art. »

2) En conséquence, cette violence théorique que Hegel repère au moment de la naissance de l'esthétique, Rothko avait le sentiment de se l'infliger à lui-même parce qu'il savait qu'il était un artiste de l'époque de l'esthétique et de la mort de l'art. Dans la mesure où sa peinture est toute nourrie de lectures, de réflexions et de pensées au sujet d'elle-même et de toute la tradition picturale de l'Occident dont elle se pense comme le réceptacle et la continuation, dans la mesure où elle se développe au sein d'une profonde réflexivité, la mort théorique de la peinture n'est pas une mort qui viendrait seulement de l'extérieur comme son meurtre perpétré par la philosophie et l'esthétique. Cette mort lui viendrait aussi de l'intérieur comme une négation interne qui la fait exister dans un doute profond sur elle-même, sur sa nature, ses opérations, ses missions et sur sa valeur. « De nos jours, dit Rothko dans La Réalité de l'artiste, nous n'avons plus une voix, mais des douzaines qui formulent leurs exigences. Il n'y a plus une vérité ni une autorité unique : il existe pléthore de prétendus maîtres prêts à usurper la place. Et tous regorgent d'histoires, de statistiques, de preuves, de démonstrations, de faits et de citations. Ils commencent par plaider et exhorter, puis, pour finir, ils recourent à l'intimidation avec force menaces et imprécations morales. Et chacun de tirer l'artiste à hue et à dia, lui expliquant ce qu'il doit faire s'il veut remplir sa panse et sauver son âme[4]. » Le philosophe qui s'intéresse à Rothko refait donc, dans une certaine mesure, ce que Rothko a fait lui-même dans un art doublement philosophique, d'une part parce que réfléchissant sur lui-même sans être jamais sûr de lui, d'autre part parce que visant par des moyens proprement picturaux des vérités philosophiques profondes sur l'existence. « Nous référant à des éléments subjectifs, lorsque nous voulons exprimer de manière concrète une image de l'intensité du sentiment, nous parlons de profondeur de sentiment ou de pénétration à l'intérieur de la connaissance ou de révélation, ce qui a le sens d'un dévoilement, ce qui équivaut à la révélation d'une profondeur dans la compréhension directe, ou au dévoilement de ce qui était obscur. Je dis que tout cela ce sont des manières d'exprimer notre dépendance à l'égard des sensations des choses secrètes ou plus éloignées dans le but d'établir une relation réelle. Par conséquent, en ce qui concerne ce désir pour le frontal, pour le dévoilé, pour la surface investiguée, je dirai que mes tableaux ont de l'espace. C'est-à-dire, dans l'effort d'expression pour rendre clair l'obscur, ou métaphysiquement, pour rendre proche l'éloigné, afin de les amener dans l'ordre de ma compréhension humaine et intime. […] Voici les désirs, les peurs et les aspirations d'un esprit animé[5]. »

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Dans le sens de cette quête métaphysique et artistique d'un dévoilement ou d'une révélation jamais assurées de soi, le philosophe qui s'intéresse à Rothko cherche la grandeur et la force de son œuvre puisque, comme le dit encore une fois Hegel, « la grandeur et la force ne se mesurent vraiment qu'à la grandeur et à la force de l'opposition depuis laquelle l'esprit se ramène à l'unité de lui-même […] car la puissance ne consiste pas en autre chose que dans la capacité à se maintenir dans le négatif de soi-même[6]. » C'est sans aucun doute cette capacité à se maintenir dans le négatif de soi-même qui manqua à l'individu Rothko quand, le 25 février 1970, il se suicida dans son atelier. Mais c'est cette puissance que ces tableaux conservent encore aujourd'hui. Pour la faire voir, il faut commencer par le plus extérieur et par le plus mortifère : par quelques indications biographiques d'abord, par quelques indications sur le mouvement auquel Rothko appartenait tout en en refusant le mot d'expressionnisme abstrait qui sert à le désigner : « Pouvez-vous définir l'expressionnisme abstrait ? », demande l'auditeur d'une conférence de 1958. Rothko répond : « Je n'en ai jamais lu une seule définition et aujourd'hui encore je ne sais pas ce que cela veut dire. On m'a qualifié de peintre de l'action painting. Je ne le comprends pas et je ne pense pas que mon travail ait quelque chose à voir avec l'expressionnisme, abstrait ou autre. Je suis un anti-expressionniste[7]. »

Mark Rothko, Markus Rothkowitch, est un peintre américain d'origine russe né dans une famille juive en 1903 à Dvinsk (Lettonie). Il émigre à Portland en 1913, étudie à Yale à partir de 1922. Il apprend la peinture à New York à partir de 1924-25 et commence sa carrière au début des années trente. Ses premières expositions datent de 1933-1934. Il obtient la nationalité américaine en 1938 et américanise son nom en 1940. C'est au début des années 50 que Rothko commence à être connu et qu'il rencontre Ad Reinhardt, Robert Motherwell, Barnett Newman, Clyfford Still. La célébrité et les commandes publiques viennent avec la fin des années 50 et les années 60. Les peintures murales pour le restaurant des Quatre Saisons du Seagram Building lui sont commandées en 1958 et il est sélectionné pour être l'un des trois artistes américains représentant les États-Unis à la XXIXe biennale de Venise. Une rétrospective, qui lui est consacrée au MOM, se déroule de janvier à mars 1961 et se poursuit en Europe jusqu'en janvier 1963. La chapelle Rothko de Houston lui est commandée en 1965. Il se suicide en 1970 confirmant et accomplissant par là une vie et une œuvre inquiètes, déployées toutes les deux sous le signe de Saturne et de la mélancolie. Cette vie et cette œuvre sont explicitement engagées non dans des soucis sociaux et politiques mais dans des questions existentielles et métaphysiques sur le sens de ce que Rothko appelle le drame humain. Ce drame humain, il le vivait dans la douleur parce qu'il « se sentait destiné à peindre des temples et [qu'il] devait découvrir que ses tableaux étaient traités comme des marchandises[8] ». La contradiction si difficile à assumer n'était donc pas seulement celle de l'art et de la pensée de l'art qui contredit et essouffle l'art. Elle était aussi celle de l'art comme visée sensible de l'absolu au sein même de la relativité prosaïque et triviale des choses ordinaires d'une société de consommation et marchandisation généralisée.

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Mark Rothko est un peintre abstrait et appartient à ce que Clement Greenberg a appelé l'expressionnisme abstrait en reprenant une formule d'Alfred Barr écrite en 1929 mais attribuée à Kandinsky. C'est en 1948 que la manière que nous connaissons, que nous admirons et que nous aimons se fixe (en abandonnant une peinture figurative marquée par le surréalisme et par la référence mythologique) et qu'une école se crée véritablement avec Motherwell, Still et David Hare. L'expressionnisme abstrait se déploie selon deux directions, celle d'une peinture à la gestualité véhémente et même violente (Pollock, De Kooning) qui sera appelée l'Action painting et celle d'une peinture de grandes plages colorées où la configuration des choses d'une part et la trace gestuelle du peintre d'autre part tendent à s'effacer derrière les vibrations plus anonymes d'un espace plan, purement visuel et optique au sein duquel l'aspect haptique ou manuel est résorbé dans ce que Greenberg a appelé un color-field, un champ coloré. Ce champ coloré possède plusieurs effets.

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1) Le premier effet est de celui de la frontalité qui fait dire à Rothko « mes tableaux sont bien des façades[9]. » Cet effet de façade est pratiquement un effet de muralité à cause de la conjonction de l'abstraction et du grand format. Cet effet de frontalité repose aussi sur celui de la planéité du tableau se donnant à voir dans une absence de profondeur au sens perspectiviste du terme. La profondeur du tableau n'est qu'une profondeur de surface : non une profondeur apparente ou illusionniste, mais la profondeur d'une simple surface plane qui apparaît et qui est voulue comme telle.

2) Le second effet est celui de coupure du tableau par rapport à l'espace environnant mais d'une coupure qui n'est pas celle de la classique peinture de chevalet parce que cette dernière se sépare de l'espace comme un objet (un objet de luxe, dit Greenberg) alors que le tableau comme champ coloré se coupe de l'espace environnant comme un autre espace, un espace autre, qui possède son intégrité, son unité propre, sa propre densité et sa présence[10]. L'espace du tableau comme champ coloré se pose ainsi sur le mode d'une trouée ou d'une ouverture au cœur même du visible et non sur le mode de la construction ou de l'agencement d'une fiction comme monde imaginaire ainsi que le font la peinture classique et même la peinture moderne du cubisme par exemple. À cet égard, le tableau n'a pas de cadre, parce qu'il « s'auto-affirme » comme le dit Rothko et qu'il n'a pas besoin d'être défendu contre les autres objets du monde ordinaire et contre le mur sur lequel il est accroché et auquel il ne saurait servir de décoration : « Comme mes tableaux sont grands, colorés et sans cadre, et comme les murs des musées sont habituellement immenses et redoutables, le danger existe que les tableaux se relient aux murs à la manière de zones décoratives. Ce serait une déformation de leur signification, puisque les tableaux sont intimes et intenses, et sont à l'opposé de ce qui est décoratif ; et qu'ils ont été peints à l'échelle de la vie normale plutôt qu'à une échelle institutionnelle. J'ai pu à l'occasion surmonter ce problème en prenant le parti de rendre l'exposition dense plutôt qu'austère. En saturant la pièce par cette sensation de travail, les murs sont vaincus et le caractère poignant de chaque œuvre singulière devient plus visible pour moi[11]. »

3) Le troisième effet est un effet de sublime et de fascination par lequel le regard du spectateur est happé et ravi (aux deux sens du terme) par un spectacle qui l'enveloppe et le dépossède. « Je peins de très grands tableaux ; j'ai conscience que, historiquement, la fonction de peindre de grands tableaux est grandiloquente et pompeuse. La raison pour laquelle je les peins cependant – je pense que cela s'applique aussi à d'autres peintres que je connais –, c'est précisément parce que je veux être intime et humain. Peindre un petit tableau, c'est ce placer soi-même hors de sa propre expérience, c'est considérer une expérience à travers un stéréopticon, ou au moyen d'un verre réducteur. Quelle que soit la manière dont on peint un grand tableau, on est dedans. Ce n'est pas quelque chose que l'on décide[12]. » Devant la façade d'un grand tableau, le spectateur fait l'expérience d'un mouvement d'abandon de la maîtrise intellectuelle de lui-même et de sa vision. Comme il est dedans, vient à lui manquer la distance que le regard et la pensée analytique possèdent par rapport à leur objet et par rapport à eux-mêmes. L'expérience est sublime au sens kantien d'un sentiment de dessaisissement de soi devant ce qui est grand. Devant ce qui est grand, nous nous trouvons débordé et absorbé de toute part dans un mouvement d'autant plus attirant que ce qui est grand est brouillé et indéterminé. Et comme chez Kant, le sentiment de notre petitesse est l'occasion de la prise de conscience d'une faiblesse physique et perceptuelle d'une part mais aussi, d'autre part, elle est l'occasion d'une prise de conscience d'une grandeur morale qui gît au plus intime de nous-mêmes et qui nous confère une destination suprasensible. Chez Kant, comme l'on sait, cette destination suprasensible est celle de notre liberté par laquelle nous sommes au dessus des déterminations mécaniques et aveugles de la nature corporelle. Chez Rothko cette destination est aussi morale et concerne ce qu'il appelle son « engagement dans les idées », dans des idées qui ne sont ni celles de la géométrie dont les figures sont dans sa peinture diluées et disparaissantes, ni celles de l'histoire, du mythe ou de la religion dont le tableau ne porte pas trace, mais qui sont celles – fort indéterminées – d'un esprit substantiel essentiellement marqué par une créativité et par une expressivité à même le sensible et le matériau qui brouillent ou « indéterminent » les limites de la représentation.

Le sublime abstrait se référerait ainsi non seulement à celui de Kant, non seulement à celui de Burke qui concerne « le grand, le terrible et l'obscur », mais également à celui plus ancien encore du pseudo-Longin fait de grandeur, de noblesse, de majesté et de profondeur pour qualifier le discours qui ébranle d'un coup l'auditeur et l'amène sans emphase ou sans enflure à un dépassement ou une exaltation. Le « sublime abstrait », comme le nomme Robert Rosenblum en 1961, vise le mouvement d'élévation (sub) d'un regard oblique (limis, limus) par lequel il passe les limites ou le seuil (limen) qu'impose toute représentation[13] : le seuil qui sépare les objets représentés entre eux, le seuil qui sépare le spectateur du spectacle. « La progression du travail d'un peintre, comme il voyage dans le temps d'un point à un autre, ira vers la clarté : vers l'élimination de tous les obstacles entre le peintre l'idée et le spectateur. Comme exemples des tels obstacles, je donne parmi d'autre la mémoire, l'histoire et la géométrie qui sont des marécages de généralisation dont on pourrait sortir des idées (qui sont des fantômes) mais jamais aucune idée en soi. Accomplir cette clarté c'est, inévitablement, être compris[14]. » Dans le sens de cette catharsis visant la simplicité et la splendeur de ce que Léonard appelait une pictura lucida, Rothko aurait la capacité de récupérer selon Daniel Arasse[15] toute la tradition de la grande peinture depuis la Renaissance, tradition rhétorique de la grande peinture d'histoire (celle de l'ut pictura poesis) recherchant l'effet pathétique à partir d'une énergie qui est celle de l'émotion amenée à son plus haut degré d'intensité. C'est la raison pour laquelle Rothko, très curieusement et même très contradictoirement, pense sa peinture à partir du modèle théâtral qui contredit à la fois son effort d'abstraction et son effort de dissolution des limites : « Je pense à mes tableaux comme à des drames ; les formes dans les tableaux sont les interprètes. Ils sont nés de la nécessité d'avoir un groupe d'acteurs capables de jouer de manière dramatique sans embarras et d'interpréter des gestes sans honte. Ni l'action ni les acteurs ne peuvent être anticipés ou décrits par avance. Ils commencent comme une aventure inconnue dans un espace inconnu. C'est au moment de l'achèvement que dans un éclair de reconnaissance, on les voit posséder la quantité et la fonction que l'on visait. Les idées et les plans que l'on avait à l'esprit au commencement n'étaient que l'embrasure de la porte par laquelle on a quitté le monde dans lequel ils adviennent[16]. » Le drame aventureux et donc risqué de ce théâtre sans muthos, pour utiliser le mot d'Aristote, de ces tableaux sans les anticipations de l'esquisse, est toujours celui de la violence et de la mort qui trouvent leur expression dans les dangers et les tensions d'une créativité pensée comme « l'aptitude à produire des miracles quand on en a besoin. Les tableaux, continue Rothko en 1947, doivent être miraculeux : à l'instant où l'un est achevé, l'intimité entre la création et le créateur est finie. Ce dernier est un étranger. Le tableau doit être pour lui, comme pour quiconque en fait l'expérience plus tard, la résolution inattendue et sans précédent d'un besoin éternel familier[17]. »

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4) Le quatrième effet du color field est la réduction du tableau à la seule visibilité de sa couleur qui occupe tout l'espace ou plutôt qui crée un espace optique et haptique. Greenberg commentant l'expressionnisme abstrait fait remonter ce colorisme à Turner « qui, le premier, rompit de manière significative les conventions du clair et du sombre[18] » et au dernier Claude Monet des Nymphéas.

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Il pourrait aussi venir de Matisse que Rothko admirait et notamment de l'Atelier rouge de 1911 que possède le MOMA, où un champ plan rouge annihile la profondeur que les objets représentés suggèrent. Dans une toile de Rothko des années 50, le visible s'est totalement emparé de la toile, « sans rien laisser dans un second plan ou dans une moindre intensité »[19]. Les couleurs soutiennent leur propre forme sans que la forme ne vienne les structurer de l'extérieur. Elles coexistent sans rivalité et sans empiétement de manière à engendrer une vibration qui respire et qui donne à la toile une sorte d'ondulation sur elle-même et cette liberté d'auto-affirmation dont Rothko parlait plus haut. Alors, dans la densité vivante ou organique d'un visible seulement visible et amené à son plus haut degré de densité et de saturation, se produit une sorte de débordement qui absorbe le créateur qui « cède l'initiative » non aux mots comme le disait Mallarmé pour la poésie, mais à la couleur : « Action painting est antithétique à l'image même et à l'esprit de mon travail, dit Rothko en 1957. Et le travail (ou l'œuvre) doit être l'arbitre final[20]. »

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Le tableau n'est donc plus un objet relevant de l'art, de la poiesis ou de la production : il a acquis une présence et une vie propres qui absorbent le créateur et le spectateur dans sa visibilité pure et tellement saturée que celui qui donne à voir et celui qui voit, non pas disparaissent, mais s'abolissent au profit de cette visibilité existant par elle-même. En 1961, Rothko, alors qu'il travaille sur l'accrochage de ses œuvres, explique : « La lumière, qu'elle soit naturelle ou artificielle, ne doit pas être trop forte : les tableaux ont leur propre lumière intérieure […][21]. » C'est affirmer qu'ils sont cette « surface sans retrait, sans vide ni profondeur » (selon l'expression de Jean-Luc Marion) où le visible se réduit à sa seule visibilité et la peinture se réduit à sa seule picturalité. Avec le peintre Adolph Gottlieb, Rothko déclare en juin 1942 : « Nous sommes partisans d'une expression simple de la pensée complexe. Nous sommes pour la grande forme parce qu'elle a la force de ce qui est sans équivoque. Nous souhaitons réaffirmer la peinture plane. Nous sommes pour les formes plates parce qu'elles détruisent l'illusion et révèlent la vérité[22]. » Détruire l'illusion de la représentation où les objets visibles répartis sur des plans différents sont interprétés à partir de leurs ombres, de leurs aspects invisibles et des significations symboliques auxquelles ils renvoient parce qu'ils en sont séparés. Détruire l'illusion du portrait qui affronte l'apparence naturelle et singulière du visage au retrait et au secret de la pensée qui s'exprime. Révéler, dans et par la planéité du tableau, la vérité c'est-à-dire la même force expressive du drame humain qu'il y a dans les portraits et autoportraits de Rembrandt par exemple, mais amenée à une visibilité et une expressivité pures, sans choses ni aspects à voir, sans discours ou paroles à proférer, sans visage ou icône à montrer, par la seule planéité et seule picturalité colorée et lumineuse d'une façade sans figure ni face humaine. Il y a donc chez Rothko un silence qui met ses tableaux aussi loin que possible de la musique. Rothko est un peintre lessingien, d'après le Laocoon de 1766, un peintre moderne des « frontières » entre les arts qui délimitent leur spécificité à partir de la conscience accrue de la nature et du fonctionnement des signes ou des moyens d'expression que chacun des arts utilise. « Je ne crois pas que les arts puissent s'imiter entre eux[23]. » Comment penser alors la tension et même la contradiction d'une musicalité de la peinture de Rothko alors que le peintre ne parle jamais de la musique en dehors de son admiration pour Mozart auprès duquel l'esprit de Beethoven lui semble posséder « l'échelle d'une cour de ferme » ?

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C'est que cette tentative pour penser les aspects musicaux de la peinture possède une longue tradition et ses lettres de noblesse. Cette tradition – dans laquelle toute l'œuvre de Rothko (dont on voit encore une fois qu'elle est complètement classique) s'immisce – remonte à Rousseau qui, le premier, fait de la musique l'art des arts à partir de sa vocation essentiellement expressive que l'on retrouvera sous des formes dégradées en peinture et en poésie. À l'opposé du matérialisme et de l'intellectualisme ramistes, Rousseau confère à la musique la fonction d'expression du sentiment intérieur, passionné, vivant et ineffable qui a besoin des liaisons, des accents, des inflexions ou de la continuité mélodique plutôt que de la distinction et de l'articulation harmoniques. La musique n'est pas une combinaison de sons ou un art combinatoire. Si tel était le cas elle ne serait pas un art mais une science. Contre les artifices conventionnels de l'harmonicisme, Rousseau montre que la musique est naturellement mélodique et qu'elle sort ainsi directement de l'expression des sentiments et de la voix : voix inarticulée comme celle du cri ou de la plainte d'abord, voix articulée comme celle des langues ensuite, qui possèdent cependant par leurs accents l'aptitude à communiquer l'énergie ardente de celui qui parle. Antirationaliste, Rousseau conclut en engendrant une esthétique du sentiment et de l'authenticité qui sera aussi celle de Rothko. Son énergétique présuppose un modèle éthique et spiritualiste contrastant avec le modèle seulement physique de Rameau : le sens est toujours moral et tient à la nature de l'homme comme être parlant, conscient de lui-même, de la voix intérieure qui lui donne la présence sentimentale de lui-même et d'autrui. La fonction expressive que Rousseau accorde à la musique, il va évidemment l'accorder à tous les arts. Ce faisant, il va hiérarchiser les rapports entre la musique et la peinture en montrant que la peinture est inférieure parce que son expressivité passe inévitablement par la représentation des états de fait et des choses de la nature. La musique « ne représentera pas directement les choses, mais elle excitera dans l'âme les mêmes sentiments qu'on éprouve en les voyant[24] ». Elle possède donc une expressivité directe, immédiate, puissante parce qu'elle tient à lÔhomme dont elle imite, sans l'obstacle de la figuration, la vie invisible et indicible de l'expression intérieure. La musique extériorise l'intimité sans passer par l'extériorité des choses et s'adresse à l'intimité de l'auditeur. Elle n'est pas tant un dialogue où chacun tient sa différence et sa distance ; elle est au contraire une fusion sympathique où ceux qui entrent en vibration comme les deux cordes de luth alors qu'on n'en touche qu'une seule, font l'expérience sensible, sans réflexion, d'une présence réciproque. Cette présence, elle est nécessairement au présent ; elle est la présence du présent qui est le lieu et le moment où je me sens moi-même (amour de soi), où je sens autrui (pitié), où je sens la nature (où j'écoute sa « douce voix » comme dans la promenade en montagne dans le plein air libéré des architectures urbaines dont les cloisons ou les artifices symbolisent et servent les divisions sociales, les querelles d'intérêt, la politesse, la ruse, etc.).

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Il y a chez Rousseau la conscience d'une séparation entre les arts jointe à l'idée d'une musicalisation des arts et de la peinture en particulier, non comme peinture figurative mais comme peinture expressive. Cette idée va rendre possible celle de la réunification des arts voire de leur synthèse. Cette réunification est un leitmotiv du romantisme allemand selon lequel, comme dit Novalis, « Lessing voyait trop net ». Cette réunification, opérée essentiellement par les peintres de paysage Philip Otto Runge et Caspar David Friedrich se fait au nom de trois principes[25] :
a) le principe naturel d'une musicalité vitale globale comparable à une fluidité universelle ;
b) le principe psychologique d'une musicalité de l'âme conçue comme nœud rythmique, mélodique et harmonique, où ce ne sont pas seulement les sentiments en leur pluralité qui s'expriment comme chez Rousseau, mais le sentiment lui-même (la Stimmung) comme l'étoffe mouvante, chatoyante et indéterminée de l'âme humaine ;
c) le principe métaphysique d'une musicalité de tout qui engendre un panthéisme s'égalant à un panmusicalisme que l'on retrouvera chez Schopenhauer et chez Wagner. Paysage où les limites s'estompent et la représentation s'irreprésente, arabesque où le mouvement à la fois circulaire et ouvert s'indétermine, couleur où la lumière se déploie ou se modalise sans perdre sa profonde unité et même sa parfaite simplicité, — tout cela transforme la peinture en un instrument suggestif ou évocatoire de manifestation de l'absolu, instrument dont la musicalité dévoile la musicalité générale et archétypique qui irrigue et fonde toute chose.

Dernier moment de la tradition de la musicalité picturale : le moment kandinskyen, celui de la revendication du spirituel dans l'art, spirituel pensé comme entièrement musical parce que complètement détaché des figures des objets concrets et extérieurs. La revendication de Kandinsky est celle de l'absolu, de la pureté et de l'intériorité : « Les créations de l'art, au sens le plus pur du mot, sont des êtres spirituels qui n'ont pas d'usage pratique et qui n'ont aucune valeur matérielle[26]. » Le tournant spirituel qu'analyse Kandinsky au début de Du spirituel dans l'art et auquel il dit lui-même appartenir, consiste, pour chacun des arts, à construire des formes non figuratives ou non mimétiques qui expriment un contenu intérieur ou spirituel par les moyens qui lui sont propres : pour la poésie (Maeterlink), par le mot qui « est un son intérieur » ; pour la musique, par des motifs purement sonores comme le leitmotiv wagnérien ou par la dissonance schönbergienne ; pour la peinture par des formes ou des couleurs (Picasso par la forme, Matisse par la couleur). Mais ces formes poétiques, musicales et picturales sont fondamentalement sans forme (askémon, pour parler comme Plotin) parce qu'elles expriment dans leur pureté ce que Kandinsky appelle une « nécessité intérieure » et spirituelle proprement irreprésentable. Or c'est cette irreprésentabilité qui confère à cette réalité intérieure une musicalité et qui donne à la musique une valeur paradigmatique que Kandinsky, lui le peintre, reconnaît : « Depuis des siècles, la musique est par excellence l'art qui exprime la vie spirituelle de l'artiste. Ses moyens ne lui servent jamais, en dehors de quelques cas exceptionnels où elle s'est égarée de son véritable esprit, à reproduire la nature, mais à donner une vie propre aux sons musicaux. Pour l'artiste créateur qui veut et qui doit exprimer son univers intérieur, l'imitation, même réussie, des choses de la nature ne peut être un but en soi. Et il envie l'aisance, la facilité avec lesquelles l'art le plus immatériel, la musique, y atteint. On comprend qu'il se tourne vers cet art et qu'il s'efforce, dans le sien, de découvrir des procédés similaires. De là, en peinture, l'actuelle recherche du rythme, de la construction abstraite, mathématique et aussi la valeur qu'on attribue à la répétition des tons colorés, au dynamisme de la couleur[27]. » Si chaque art vise la pureté de son médium (comme le dira aussi Greenberg dans son texte The newer Laocoon), la musique est l'art le plus pur parce qu'il est le plus intérieur. Étant le plus intérieur, il est l'art le plus détaché des relations avec ce qui n'est pas lui, il est donc le plus absolu (voir Schopenhauer) et le plus à même de diriger le désir cathartique, la via negativa comme l'on dit en théologie, qui sont ceux de l'expressionnisme abstrait fuyant tout naturalisme et tout formalisme parce que c'est toujours le contenu spirituel lui-même qui se dévoile à même le sensible. Dans le sillage de Kandinsky, la peinture se musicalise dès qu'elle renonce à la question du « comment peindre » (question qui est celle des moments de décadence, dit Kandinsky[28]) pour ne s'intéresser qu'à la question du « quoi peindre » c'est-à-dire à la question de l'expression et de la signification.

Abstraction des formes, vibrations de la couleur, expression spirituelle, tels sont donc les moyens et la fin qui permettent de faire du tableau de Rothko recueillant l'ensemble de la tradition que je viens d'évoquer, non pas une musique, mais une peinture silencieuse et musicale à la fois où la visibilité, la spatialité et la plasticité (par plasticité, il faut entendre le sens du mouvement[29]) possèdent la fonction artistique générale de dévoilement d'un contenu (ce que Rothko appelle « a subject matter »[30]). Cette fonction qui fait d'un tableau un design, c'est-à-dire un dessin et un dessein, c'est-à-dire encore un motif, un projet et une intention, la musique la met en œuvre plus aisément et sur un mode immédiatement temporel. Or ce contenu spirituel « desseigné » comme on pourrait dire en utilisant le vocabulaire d'André Félibien, n'est pas selon Rothko personnel ou idiosyncrasique ; et le peintre américain insiste souvent sur la vacuité d'un art comme simple expression narcissique de soi, parce qu'il est ennuyeux[31]. À la suite d'un platonisme sans transcendance, Rothko pense que ce contenu est éternel, impersonnel et « extratemporel » pour parler comme Proust et qu'il est le fond abyssal et sans fond que chaque tableau dans sa vibration et dans sa présence visuelle et temporelle doit rendre et de combler tout à la fois. Rothko disait ne pas être mystique contrairement à Ad Reinhardt dont les tableaux, disait-il, sont « intouchables ».

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Sans être mystique parce que trop matérielle, trop sensible, trop haptique, sa peinture immanentiste est spiritualiste et méditative parce qu'entièrement attachée à cette vocation auratique dont Walter Benjamin faisait le propre de l'œuvre d'art dans sa conception classique, religieuse ou onto-théologique. L'aura du tableau, « l'unique apparition d'un lointain, si proche qu'elle puisse être » comme dit Benjamin, n'est pas tant la présence de Dieu, ni celle d'un homme singulier qui s'exprime. Elle est celle du drame humain anonyme et intemporel, c'est-à-dire de sa condition tragique d'être mortel soumis à la destruction. Dans les peintures sombres de la fin, l'aura qui enveloppe le spectateur et le peintre afin de leur faire abandonner le statut de sujet est la présence de ce qui est absent, de la négation de la mort que tout homme porte en lui parce qu'elle est la condition paradoxale et même absurde de sa liberté, c'est-à-dire de sa créativité[32].

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Lecteur de Schopenhauer, de Kierkegaard et de Nietzsche, Rothko sait que la peinture et la musique s'échangent au niveau d'une conception tragique et spéculative d'un art comme religion de l'art qui ne possède pas de contenu spécial parce que ce contenu métaphysique traverse toutes les activités humaines. Ce n'est pas devant le visage humain que ce contenu se montre le mieux ou que l'épiphanie a lieu, parce que le visage humain renvoie toujours à l'unicité d'un sujet qui apparaît et qui s'exprime et qu'il faut alors en conséquence le « mutiler ». Expression pure et « qui en dit peu[33] », le tableau ne doit pas montrer la face de l'homme ou celle de Dieu, il doit devenir non une icône mais un templum, une simple façade, mais une façade, en tous ses points, intensément et absolument, poignante.

Pierre-Henry Frangne



[1] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), trad. Claude Bondy, modifiée, Flammarion, 2007, p. 208.

[2] Ibid., p. 194.

[3] Ibid., p. 199.

[4] Mark Rothko, La Réalité de l'artiste, trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Flammarion, 2004, p. 57.

[5] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., pp. 178-179.

[6] G.W.F. Hegel, Cours d'esthétique, trad. franç., Aubier, 1995, tome 1, pp. 238-239.

[7] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., pp. 199-200.

[8] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 217.

[9] Ibid., p. 197.

[10] Clement Greenberg, Art et Culture, trad. franç., Macula, 1988, « La peinture à l'américaine », p. 246.

[11] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., lettre du 25 septembre 1954, pp. 161-162.

[12] Ibid., lettre du 10 mai 1951, p. 130.

[13] Voir Baldine Saint Girons, Le Sublime de l'Antiquité à nos jours, Desjonquères, 2005.

[14] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 129.

[15] Daniel Arasse, « La solitude de Mark Rothko », in Anachroniques, Gallimard, 2006.

[16] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., pp. 108-109.

[17] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 109.

[18] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 241.

[19] Jean-Luc Marion, De surcroît, PUF, 2001, p. 87.

[20] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 194.

[21] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 224.

[22] Ibid, p. 75.

[23] Ibid., p. 176.

[24] Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues, chapitre 16.

[25] Voir le beau livre de Julie Ramos, Nostalgie de l'unité. Paysage et musique dans la peinture de P. O. Runge et C. D. Friedrich, coll. Aesthetica, Presses Universitaires de Rennes, 2008.

[26] Jean-Pierre Cometti, L'Art sans qualités, Farrago, 1999, p. 29.

[27] Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l'art, trad. franç., Deno‘l-Gonthier, 1969, pp. 75-76.

[28] Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l'art, op. cit., 46.

[29] Voir Mark Rothko, La Réalité de l'artiste, op. cit., p. 103.

[30] Mark Rothko, La Réalité de l'artiste, op. cit., p. 66 et p. 144.

[31] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 199.

[32] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 196.

[33] Mark Rothko, Écrits sur l'art (1934-1969), op. cit., p. 197.

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