Yves Fravalo, étude sur le poème « Envoûtement à la Renardière »  de Char

RETOUR : Études

Yves Fravalo enseigne la littérature à l'université permanente de Nantes.

Une lecture du poème de René Char « Envoûtement à la Renardière ».

Référence : René Char, Seuls demeurent, dans Fureur et mystère, Poésie/Gallimard

Mis en ligne le 24 juillet 2020.

© : Yves Fravalo.

Char René Char, Fureur et mystère, Poésie/Gallimard.


Une sorte de bonheur
À propos d'un poème de René Char
« Envoûtement à la Renardière »

« Et cela provoque une sorte de bonheur, comme une prairie irriguée un soir d'été, voisine de hauts acacias odorants. »

De quoi parle ici le poète ? De la venue des mots au moment où commence à s'écrire un poème, quand, après le tout premier mot, qui déjà donne à « voir », — « car le mot, non seulement désigne, mais représente » —, il en arrive un second,

« semblable à un très lointain orchestre, de préférence de chambre. Les musiques que j'aime y retentissent, mais pas fort du tout, en sourdine. Et cela provoque une sorte de bonheur comme une prairie irriguée un soir d'été, voisine de hauts acacias odorants. »[1]

Ainsi que dans le voisinage de « hauts acacias odorants »

Musique, fraîcheur humide et verte, senteurs du soir : le sentiment de bonheur est « enfant de la matière », comme le plaisir qui le fonde et avec lequel sans doute il se confond. Et pour dire quelque chose du bonheur poétique, il faudrait convoquer, on le voit, toutes les formes possibles et mêlées du sentir. Et la confidence se poursuit :

« C'est alors que l'ouïe intervient, mais en même temps qu'elle écoute, elle lâche le son et revient très vite au solfège : ce sont les mots qui l'intéressent et ceux-ci passent un second examen. Et très rapidement la phrase se construit et signifie pour nous et pour les autres, même s'ils se trompent ».

Voir, d'abord, et écouter, puis signifier : le sens passe par les sens. Les vrais poètes ont toujours su d'instinct, avant même la proclamation de Rimbaud, que la poésie était « langue de la sensation ».

Pourquoi le cheminement de la lecture serait-il différent de celui de l'écriture ?

Ce qui retient le lecteur de poèmes qui feuillette un recueil, c'est la montée, soudain, d'abord inexpliquée, en lui, d'un plaisir éveillé par les mots et dont se fait sentir, le plus souvent, le besoin d'une sorte de vérification - un besoin dont seul le mot désir permettrait d'approcher la nature et dirait le nom vrai ; d'où ce retour au poème qu'on appelle relecture, jusqu'à cette inscription parfois en soi des mots qu'on peut se réciter ; maîtrise alors des sources d'un bonheur qu'on garde à sa disposition et qu'on retrouve à volonté.

« Les mots sont des sources vivantes… »

confiait le poète à France Huser, au seuil du développement dont viennent d'être cités quelques extraits.

Mais retenons ici seulement cette idée, ce rappel, que la rencontre d'un poème — si la lecture n'est pas sans analogie avec ce qu'a été l'écriture —, implique d'abord une écoute et un voir, porteurs d'un plaisir qui peut jouer antérieurement à la saisie d'un sens.

Commenter un poème, dès lors, ce sera sans doute essayer de comprendre les raisons de ce plaisir qu'on ne peut atteindre qu'à travers l'épaisseur du sensible : écoute, vision, l'une et l'autre élargies bien souvent par le jeu des synesthésies.

Ouverture musicale

Le propre de René Char est sans doute de parvenir à faire jouer avec une force particulière ce plaisir dès les premiers mots du poème, chaque fois notamment, au sein de Seuls demeurent, que l'incipit est le lieu d'un appel autant que d'un rappel, le lieu d'une parole adressée :

« Je t'aimais. J'aimais ton visage de source… » 

 « Eaux de vertes foudres, qui sonnent l'extase du visage aimé… » 

 « Ô nuit, je n'ai rapporté de ta félicité que l'apparence parfumée d'ellipses d'oiseaux insaisissables. »

« Sorgue qui t'avances derrière un rideau de papillons qui pétillent […] quand pourrai-je m'éveiller et me sentir heureux au rythme modelé de ton seigle irréprochable ? »

« Enfants qui cribliez d'olives le soleil enfoncé dans le bois de la mer, enfants ô frondes de froment… »

 

Ainsi, dans le poème que nous allons lire :

« Vous qui m'avez connu, grenade dissidente… »

 

Envoûtement à la Renardière

Vous qui m'avez connu, grenade dissidente, point du jour déployant le plaisir comme exemple, votre visage — tel est-il, qu'il soit toujours —, si libre qu'à son contact le cerne infini de l'air se plissait, s'entrouvrant à ma rencontre, me vêtait des beaux quartiers de votre imagination. Je demeurais là, entièrement inconnu de moi-même, dans votre moulin à soleil, exultant à la succession des richesses d'un cœur qui avait rompu son étau. Sur notre plaisir s'allongeait l'influente douceur de la grande roue consumable du mouvement, au terme de ses classes.

À ce visage — personne ne l'aperçut jamais —, simplifier la beauté n'apparaissait pas comme une atroce économie. Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre.

Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir. Mais ai-je qualité pour m'imposer de vous survivre, moi qui dans ce Chant de Vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies ?

 

Au seuil du poème, comme une déchirure lumineuse où vient s'ouvrir une parenthèse heureuse et révolue, mais rejointe grâce à la parole qui l'évoque, et dont pourtant celui qui parle se dit, dans le dernier alinéa, définitivement séparé.

Si le mouvement d'ensemble du poème est un mouvement de retombée du passé au présent, ce poème tout entier naît d'un élan qui, du présent, reconduit vers le passé, ou plutôt vers une figure du passé, invoquée avec une force propre à restaurer une présence.

L'élan du « souffle porteur »

Tel est bien l'effet de l'attaque initiale : « Vous qui m'avez connu », vocatif, prolongé par la relative qui pose un lien et une dépendance éprouvée, on le verra, comme une faveur, vocatif relancé et déplacé par les substantifs apposés (« grenade », « point du jour ») qui, à travers la double l'image du fruit et de l'aurore, de l'écorce éclatée et de la pulpe lumineuse, puis de la venue rayonnante du jour, chante la loi de la beauté et du désir, de la naissance, de la lumière et du plaisir ; et d'emblée il y a la frappe d'un rythme (6 / 6 / 12) qui impose la sensation d'un emportement reçu comme un geste du monde soumis aux lois d'une harmonie dont se trouve inscrite dans les mots, à travers l'équilibre et l'extension régulière des volumes syllabiques, la scansion heureuse et triomphante.

Après cette première séquence, essentiellement nominale (la relative n'est qu'une extension du pronom, lui-même substitut du nom),

« Vous qui m'avez connu (6)

       grenade dissidente (6)

                        point du jour déployant le plaisir comme exemple » (12)

la période trouve un nouveau tremplin sur la base d'un glissement métonymique (« Vous » > « votre visage »), point d'appui resserré (quatre syllabes) pour un déploiement élargi, en deux phases parallèles après la césure de l'incise :

« Votre visage (4)

— tel est-il, qu'il soit toujours — (7)

si libre qu'à son contact (7) le cerne infini de l'air (7) se plissait (3) > (13)

s'entrouvrant à ma rencontre (7)

                        me vêtait des beaux quartiers (7) de votre imagination » (7) > (14)

L'appréhension du sens passe bien, on le voit, par l'épreuve de la sensation, elle-même régie par un rythme, construite sur des sons, soumise aux cassures d'une syntaxe où se défont certains liens d'évidence et où se nouent, selon les lois d'une affinité neuve, des noces inédites entre les mots et les images.

« La largeur d'un visage »

Le participe « s'entrouvrant » se rapporte-t-il à « visage » ou à « cerne », et de ces deux mots quel est le sujet du verbe « me vêtait » ? Des litiges de la syntaxe, les jeux de l'imagination tirent une légitimité imprévue et fertile. Le « vous » de la femme aimée tient tout entier dans un « visage », lui-même étendu aux dimensions d'un infini dont il sait régler la mesure (ouverture ou plissement).

« Comme le monde était beau lorsqu'il n'avait que la largeur d'un visage et, pour l'assister, l'escorte d'un chant d'oiseau. »[2]

Tout travaille à imposer la sensation d'une osmose entre l'être et le monde, et à rendre tangible le miracle d'une emprise et d'un don, d'un déploiement fondé sur une rétraction, d'un abandon à l'autre devenu foyer de libération.

La présence ici célébrée est donnée à sentir, comme elle fut éprouvée dans le temps de l'expérience passée, à travers la manifestation de ses pouvoirs sur le sujet lyrique. Pouvoirs dont les modalités pourraient se décliner ainsi à partir de ce que suggèrent des mots qui jouent à distance et selon les rapports litigieux et ouverts dont nous avons parlé : accueil (« votre visage […] s'entrouvrant à ma rencontre »), invitation et initiation à la jouissance (« déployant le plaisir comme exemple »), intégration au sein d'un espace transfiguré par l'avènement des forces du rêve fécondées par la femme et sans doute métamorphose du sujet lui-même, pris dans l'éclat qui l'environne (« me vêtait des beaux quartiers de votre imagination »).

Cet accueil, cette invitation, cette immersion, qui fondent comme la grâce d'une expérience exceptionnelle partagée (« notre plaisir ») sont l'occasion de la révélation pour soi d'une part ignorée de soi-même. «Je demeurais là, entièrement inconnu de moi-même », dit le poète : passivité heureuse et consentante du sujet fasciné, en proie à ce que l'on peut désigner comme relevant de l'extase ; il y a abandon à une puissance dont l'action se marque par l'ouverture, l'étreinte et l'enveloppement, (« s'entrouvrant » > « me vêtait de », « je demeurais là […] dans votre moulin à soleil »). Autant de notations qui font écho au premier mot du titre et viennent lui donner un contenu : « en- voû- tement » : en Vous ; être envoûté, c'est ici proprement être sous le pouvoir du « Vous ».

Ève solaire

« Vous » / « grenade » / « point du jour » : le texte avance à travers une série de désignations analogiques qui disent un rapport où se trouve atteint un bonheur qui engage toute une façon d'être au monde, un état suggéré à travers des images qui renvoient à l'espace naturel et à sa splendeur : « grenade dissidente » ; « point du jour » ; « air » ; « soleil ». Envahissant tout l'espace du regard, le visage (« […] si libre qu'à son contact le cerne infini de l'air se plissait »), dans le déploiement rayonnant qui est le sien, réduit le champ même de l'azur comprimé sur ses bords, créant une zone où le bleu céruléen se fait plus intense (« cerne » qui « se plisse ») comme les franges d'un ciel de Provence sur la ligne des collines par les jours de beau temps. L'être évoqué se voit ici chargé de toute la symbolique de l'aube : naissance, force montante et lumineuse.

« À la seconde où tu m'apparus, mon cœur eut tout le ciel pour l'éclairer. Il fut midi à mon poème. »[3]

C'est à travers la logique de l'ardeur solaire dont l'autre semble être le principe et la source que se dit aussi l'emportement de l'étreinte amoureuse (« dans votre moulin à soleil »), comme la loi du « consumable » qui régit la dynamique du plaisir. S'il y a bien ici l'image d'une sorte de violence méridienne, on peut sans doute considérer qu'en surimpression, à travers le jeu des métaphores, se dessine quelque chose comme le cycle de la journée. « Point du jour » : apparition de l'aube ; « moulin à soleil » : embrasement violent du plein jour ; « influente douceur de la grande roue consumable du mouvement au terme de ses classes » : sérénité apaisée, volontiers rêvée comme celle du soir. Dessiné ainsi en pointillé à travers cette série de repères, le temps de la coprésence – rencontre éblouie et union amoureuse – apparaît comme couvrant une durée confondue au moins imaginairement avec la cellule de base du temps cosmique : façon de dire symboliquement un accord heureux avec le monde et l'inclusion d'une totalité temporelle dans les instants de la rencontre.

Le texte multiplie ainsi les signes de l'action d'une force reliée à un « Vous », désigné comme un être qui accueille et qui enveloppe, qui s'ouvre et qui enclôt, selon les modalités d'un rapport qui ne se comprend bien que s'il est rapporté au jeu de l'éros, c'est-à-dire du désir et du plaisir amoureux. « Je demeurais là […] dans votre moulin à soleil… » ; « exultant » ; « sur notre plaisir… ».

 

Les lois de la dissémination : le déploiement métaphorique et l'éclatement du signifiant

Tout ce réseau métaphorique, avec ses associations, ses dérives, le jeu des surimpressions qu'il suscite, fait-il autre chose que déployer les suggestions de l'image initiale (« grenade »), cellule matricielle du discours, qui inscrit la vision dans l'ordre de la nature, célébrant la femme comme lieu d'une ardeur explosive, comme pulpe délectable, promesse et source de lumière ?

Mais dire cela, c'est traduire le jeu des métaphores, des métaphores qu'il convient de prendre en compte d'abord en mesurant toute leur charge sensible :

 

« grenade dissidente » : fruit marqué par l'éclatement, l'entaille, la promesse d'une dissémination généreuse et fécondante, l'offrande d'une chair tendue vers le désir ;

 

« un cœur qui avait rompu son étau » : rupture libératrice sous l'action d'une force vitale décuplée, dont le signe serait une sorte de tachycardie folle ;

 

« votre moulin à soleil » / « grande roue consumable du mouvement » : d'une phrase à l'autre, continuité métaphorique adossée au motif du tournoiement, de l'étourdissement ébloui, du vertige.

 

Jeu des images, mais jeu aussi du signifiant qui trouve sa double origine dans le titre : « Renardière » (renarde)> « grenade » ; « envoûtement »> « vous », « votre visage ». Le pronom sur lequel s'appuie l'incipit « Vous » rapporte immédiatement, dans un jeu d'écho, l'idée du pouvoir d'envoûtement à cette deuxième personne du texte, et pose du même coup le premier maillon d'une chaîne…

On peut suivre à partir de là, en effet, une dissémination de la fricative V, qui tend à se multiplier dans l'énoncé, portée qu'elle est par des mots essentiels sur le plan thématique : « visage » / « votre » et « vous » / « s'entrouvrant » / « me vêtait » / « mouvement ». Sont pris dans la chaîne consonantique en v, le mot visage — le seul qui donne une forme d'incarnation à la figure féminine célébrée — puis des mots qui définissent certaines des modalités de l'action envoûtante : « s'entrouvrant » / « me vêtait » / « mouvement ». Au sein d'un chant poétique qui dessine l'image d'un univers envahi par le vous, cette dissémination peut apparaître comme la figure sensible d'un pouvoir rayonnant qui défait tout obstacle et toute opacité.

L'âme de la montagne et le mystère de la Renardière

Observons que rien n'est donné proprement à voir du visage de la femme ici célébrée ; une femme qui demeure sans nom et qui n'est désignée que dans son lien avec un lieu, « La Renardière », un lieu laissé lui-même à son mystère et qui nous apparaît, du fait de sa seule dénomination et indépendamment de ce que Georges-Louis Roux nous apprend de la réalité référentielle (« une ferme écrasée de soleil dans un vallon encadré par le Lubéron et les collines de Montjustin… »[4], comme le lieu de l'écart, de la dissidence, par rapport à l'univers social et à ses règles. Placé sous le signe animalier, il suggère l'idée d'une connivence avec une sauvagerie primitive, le possible épanouissement d'une sorte d'instinct naturel.

« Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux… »[5]

dit le poète, dans un fragment des Feuillets d'Hypnos. Rien ne permet bien sûr d'identifier la femme à laquelle s'adresse l'auteur du « carnet » et celle qui, dans sa mémoire encore, fonde la force d'envoûtement d'une ferme au creux du Lubéron, mais le poème et le fragment, nés dans le même temps de la guerre, nourris sur un même sol, relèvent d'un même imaginaire et supposent une même complicité de la femme et du monde, un même isolement du couple au cœur de « l'exceptionnel ».

« […] gîte de menthe et de romarin […]. Tu es l'âme de la montagne aux flancs profonds, aux roches tues derrière les lèvres d'argile. Que ta main ferme le sentier et rapproche le rideau des arbres. »

Et les deux figures que relie si directement une même référence naturelle pourraient, comme tant d'autres — Artine, Lola Abba, la jeune-fille de l'hippodrome et la jeune bohémienne de Céreste — être les diverses incarnations d'une même féminité dont l'évocation récurrente vient à former dans l'œuvre « un seul poème inextinguible », selon la confidence de l'auteur qui poursuit dans son entretien avec France Huser :

« Plusieurs fois encore apparut cette hôtesse de mes sillons exhaustifs à travers les silhouettes réunies par des grives de rencontre, elles ne furent jamais tarissables. »[6]

Et plus haut dans le même texte on avait pu lire :

« Elle apparut sous différents aspects aux abords de l'invisible… »

C'est un des paradoxes de ce texte qu'une force de présence irrécusable — celle de la femme désignée par le « Vous » —, instituée par une parole à la fois d'invocation et d'évocation, aille de pair avec la préservation d'un invisible.

Au bas de l'escalier du jour

« À ce visage, — personne ne l'aperçut jamais, — simplifier la beauté n'apparaissait pas comme une atroce économie. Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre. »

Sans sortir du champ de la célébration, le deuxième alinéa relève d'une énonciation plus distanciée comme le laisse apparaître le seul usage du passé simple (« personne ne l'aperçut jamais»). Distance réflexive, discours de type commentatif où se trouve défini un rapport à la beauté, où se trouve mesurée la qualité d'une expérience et souligné le caractère insulaire du temps précédemment évoqué et rejoint.

« Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir. Mais ai-je qualité pour m'imposer de vous survivre, moi qui dans ce Chant de Vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies ? »

Pleine inscription ici dans le présent de l'énonciation, un présent qui est le temps de la séparation : absence de l'autre, irruption du mal historique (montée et triomphe du nazisme : nous sommes en décembre 1941), différence d'avec soi-même. C'est de ce présent que monte la parole, c'est à partir de ce présent que s'opère d'abord un bond vers le passé, puis le retour ou la redescente en deux temps que nous venons d'observer vers une situation d'exil qui est celle désormais du sujet lyrique.

« Les routes de la mémoire » désignent ici à l'évidence le temps qu'il faut retraverser pour atteindre le jour de la parenthèse édénique redessinée par le chant, « ce Chant de Vous », ainsi que l'atteste une leçon antérieure du manuscrit dont fait état l'annexe établie par Jean-Claude Mathieu[7] : « […] les routes qui devaient nous ramener infiniment l'un vers l'autre… ». À « l'ouvert » qui s'offrait dans le temps de la présence solaire, succède le « couvert » d'une ombre qui s'étend ; le déploiement lumineux a cédé la place à la gangrène d'un mal ténébreux qui ne cesse de gagner. Une tentation se fait jour, dans ce présent de la séparation, une tentation à laquelle le Chant vient de donner corps, celle de la projection imaginaire soutenue par les mots ; « refuge », dit le texte, solution solitaire ! Le moi est désormais le seul acteur du drame en cours : survie qui pèse de tout un poids de douleur (« m'imposer de vous survivre »). Survie sans substance dans une « innocence » hors-sol et atteinte dans un hors-temps (« où l'homme qui rêve ne peut vieillir »), où le vivant n'est plus qu'un pâle simulacre de lui-même (« le plus éloigné de mes sosies »).

Connu et inconnu : « plus immense que la terre »

Tout le parcours accompli du passé au présent trouve sa mesure dans l'opposition des mots de l'incipit et de la clôture du texte : « Vous, qui m'avez connu » / « moi qui […] me considère comme le plus éloigné de mes sosies ». De la pleine connaissance de soi par l'autre, dont le regard, l'accueil et l'étreinte faisaient émerger en soi un soi-même ignoré, plus intime et plus vrai sans doute, au constat d'une scission par rapport à soi-même, dans la survie d'une pure semblance, celle du « sosie  — qui n'est qu'un autre soi-même réduit à l'apparence. Le seul temps de la pleine coïncidence de soi à soi et de soi à l'autre, comme de soi et de l'autre avec l'instant, aura été celui de « l'exceptionnel », hors des variations de la durée (« nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre »).

Quel contenu, quel sens donner à cette « connaissance » ?

Ici comme ailleurs, un détour par d'autres textes du poète ne serait sans doute pas inutile. Le mot revient à deux reprises par exemple, sous la forme adjective ou verbale comme ici, au sein des Feuillets d'Hypnos, dans la même saison donc de la vie de l'écrivain, dans le même contexte d'expérience, de lutte et de désir :  « inconnu », le corps de Florence que le poète partisan suit un long moment du regard dans l'envol autour d'elle d'un sentier du matin, cherchant à composer sur les touches d'un clavier qui s'éloigne (« longues jambes » ; « gorge de jujube ») une partition qui lui reste ignorée ; musique parente sans doute de celle dont « les étoiles de mai », durant ces nuits où il ne l'entend plus, font monter en lui l'intolérable nostalgie[8].

« J'ai, ce matin, suivi des yeux Florence qui retournait au Moulin du Calavon. Le sentier volait autour d'elle : un parterre de souris se chamaillant ! Le dos chaste et les longues jambes n'arrivaient pas à se rapetisser dans mon regard. La gorge de jujube s'attardait au bord de mes dents. Jusqu'à ce que la verdure, à un tournant, me le dérobât, je repassai, m'émouvant à chaque note, son admirable corps musicien, inconnu du mien. »[9]

 « Inconnu », aussi, pour le poète-partisan, son propre corps dont la magie d'un « médium illimité »  — au nom qu'il faut laisser secret — lui révèle les ressources insoupçonnées.

« Mon corps était plus immense que la terre et je n'en connaissais qu'une toute petite parcelle. J'accueille des promesses de félicité si innombrables, du fond de mon âme, que je te supplie de garder pour nous seuls ton nom. »[10]

Le « Vous qui m'avez connu », éclairé par ces deux fragments, éclate à l'ouverture du Chant comme un cri de gratitude à l'égard de celle qui a pu faire lever en son partenaire et qui a su combler en lui « des promesses de félicité innombrables » dont la mesure excédait toute mesure, toute attente et tout pressentiment. Reconnaissance d'un pouvoir de divination, de révélation en même temps que d'initiation à une vérité intime dans l'arrachement à sa clôture et le dépassement de ses propres limites, proclamé dans un autre grand poème de Seuls demeurent, « Hommage et famine » :

« Femme qui vous accordez avec la bouche du poète […], qui lui avez appris, alors qu'il n'était qu'une graine captive de loup anxieux, la tendresse des hauts murs polis par votre nom ([…] entrailles de beauté, mon feu monte sous vos robes de fugue)… »[11]

Épouser la plane simplicité du soleil
« encore plus belles »

Dans l'enchaînement des images initiales du poème « Envoûtement… », c'est un peu comme si le motif du déchirement d'un voile, sous-jacent au geste d'accès à la connaissance ici célébrée, appelait, par une sorte de glissement analogique – soutenu par le jeu de la gutturale (qui m'avez connu/grenade) -, celui de l'éclatement d'une gangue, puis celui du dépliement épiphanique du jour, figure lui-même du plaisir libérateur dont le « visage » est la source, l'incarnation et le pôle exemplaire ; et c'est alors, dans les mots du poème, la traînée infinie des labiales qui accompagne et prolonge le chant du pouvoir rayonnant  (p/pl : «  point du jour », « déployant / plaisir / exemple /plissait // personne / aperçut / simplifier / n'apparaisssait pas / exceptionnel…)

Est-ce à cette force de diffusion lumineuse qu'il convient de rapporter la dissymétrie maintenue entre les deux partenaires de la rencontre ?

 « À ce visage — personne ne l'aperçut jamais —, simplifier la beauté n'apparaissait pas comme une atroce économie. »

Elle pourrait renvoyer à ce voir qui implique un non-voir et qui définit proprement cet éblouissement dont le poète parle ailleurs :

« J'aime qui m'éblouit, puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi »[12]

Reprise poétique du motif romanesque de la vision aveuglante qui fait la force définitive de l'apparition de Mme Arnoux, au seuil de l'Éducation sentimentale :

« Ce fut comme une apparition ou du moins il ne distingua personne dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. »

Tout, dans ce poème, amène à considérer que le visage de la femme ici évoquée constituait la vivante et lumineuse incarnation d'une beauté dotée, semble-t-il, de « la plane simplicité du soleil », et faite pour occuper, selon la vision chantée dans « La Rose de chêne », tout l'espace du ciel.

Il semblerait en effet que l'idée de simplicité, associée ici à celle de « beauté », nous emmène plus loin que les considérations développées par le poète à propos des toilettes féminines observées sur les pelouses de l'hippodrome d'Avignon :

« C'était l'époque des jeunes filles à larges rubans ; toujours ils flottaient autour de la taille et les pans du nœud, simulé ou réel, descendaient à l'appel d'une cuisse. Les mères étaient encore plus belles que leurs filles parce qu'elles avaient simplifié le costume. Aussi l'écart des âges se marquait-il par cette différence. »[13]

le multiple et le simple

Ce sens qu'il faut assurément prendre en compte n'empêche pas le rappel des suggestions que l'on peut tirer d'un autre texte, de Feuillets d'Hypnos une fois encore :

« Brusquement tu te souviens que tu as un visage. Les traits qui en formaient le modelé n'étaient pas tous des traits chagrins, jadis. Vers ce multiple paysage se levaient des êtres doués de bonté. La fatigue n'y charmait pas que des naufrages. La solitude des amants y respirait. Regarde. Ton miroir s'est changé en feu. Insensiblement tu reprends conscience de ton âge (qui avait sauté du calendrier)… »[14]

Éclairante sans doute l'analogie établie dans ce fragment entre visage et paysage, éclairante surtout cette qualification de « multiple » appliquée au visage-paysage considéré dans la diversité des apparences que lui confèrent les émotions heureuses ou malheureuses qui peuvent s'y donner successivement à lire. « Simple », à l'inverse, le visage des amants placé sous le signe également lumineux du même bonheur sans fléchissement.

« Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre. »

Les deux phrases successives de ce second alinéa peuvent mieux se comprendre en leur contenu respectif et dans leur articulation si on songe à certaines leçons encore du manuscrit, où l'on découvre que le démonstratif « ce » remplace finalement le « notre » d'abord inscrit sur la page : « Notre visage – personne ne l'aperçut jamais  - » et le texte poursuivait :

« (notre visage) [dans sa solitude simple fut une suite d'apparitions qui brûlèrent jalousement derrière elles le diamant de leur perfection éphémère].[15]

Beauté qui n'aurait existé que dans le feu qui faisait à la fois sa lumière unique et sa propre consumation, selon des lois qui sont celles de l'éclair.  Acquiescement accordé à la fulgurance avec ce que cela impliquait comme éphémère, réduction au plus « simple » ; sacrifice (« économie », dit le texte) allègrement consenti parce qu'il assurait l'exactitude, sans débordement et sans reprise, sans tentation de quelque prolongement que ce soit dans un temps autre que celui de cet « exceptionnel ».

« Le plus haut vivre » de la « commune présence »

« Nous étions exacts dans l'exceptionnel… »

La reprise du même préfixe, « ex », est comme la figure de cette parfaite coïncidence de deux êtres, l'un avec l'autre et de l'un et l'autre confondus avec l'instant unique, une coïncidence fondée sur un arrachement commun à un statut ordinaire (ex = hors de : « se soustraire à »).

« … qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre. » 

Arrachement à ce qui fait la pulsation ordinaire de la vie, réglée par le rythme biologique (inspiration/expiration ; systole/diastole ; travail/repos) aussi bien que par le rythme cosmique (diurne/nocturne) ; jeu binaire qui fonde pareillement l'alternance temps fort/temps faible, dans le courant « alternatif ».

Ce qui est proclamé ici, dans l'éloignement déjà qu'implique ce second alinéa, et avant le retour au temps qui fait l'Histoire, c'est l'idée d'une expérience induisant un arrachement au sentiment de la temporalité ordinaire dans l'ignorance des phases alternées de forte et de faible tension ; c'est l'idée de l'accès à un instant qui serait à l'abri des effets de toute durée, échappant aux risques de la dégradation ; c'est l'idée donc que si, dans la vie ordinaire, on perd le sens du mystère ou si du moins ce sens ne se manifeste que de façon intermittente, à l'inverse, une expérience comme celle-ci, installe au cœur du « mystère », que, de ce mystère, elle donne le sentiment le plus constant, la sensation la plus haute, la plus vive, celle qui se trouve être le plus apte à se maintenir pleinement égale à elle-même. Mystère, non de la vie, mais « de vivre » : l'infinitif fait basculer du côté de l'acte, ce que le substantif situerait du côté de l'état.

Temps et hors-temps

Si on récapitule  toutes les données du texte sur le plan de la temporalité, on voit éclater les repères : expérience singulière et, semble-t-il, répétée, vécue à chaque reprise comme une expérience absolument inédite et toujours aussi neuve, arrachée au temps donc, mais reprise dans le temps : temps du vécu passé et temps de l'écriture, confondus l'un et l'autre à l'appel d'un désir traversé par le rêve d'une permanence sans fin :

« votre visage — tel est-il, qu'il soit toujours —»

Cette formule propitiatoire, inscrite dans le rythme qu'elle vient suspendre pour une relance et un déploiement d'une nouvelle et plus large amplitude, fait passer dans le poème les accents d'un Chant à tonalité religieuse selon les suggestions mêmes de la majuscule.  Cette brève incise proclame — au cœur d'une évocation au passé — l'idée d'une permanence dans le présent (« tel est-il ») et porte le vœu d'une extension dans le temps à venir (« qu'il soit toujours ») : rêve d'un présent éternitaire qui conduit vers un espace où érotique et mystique amoureuse viendraient à se confondre, comme elles le feront quelques années plus tard dans ces mots de la Dédicace de Lettera amorosa :

« Ce fut, monde béni, tel mois d'Éros altéré, qu'elle illumina le bâti de mon être, la conque de son ventre : je les mêlai à jamais. Et ce fut à telle seconde de mon appréhension qu'elle changea le sentier flou et aberrant de mon destin en un chemin de parélie pour la félicité furtive de la terre des amants. »[16]

Lorsque dans l'alinéa central le poète précise :

« Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre. »

il dit assurément la totale et commune coïncidence des deux amants avec un instant miraculeusement à l'abri des intermittences de la durée ordinaire, mais souligne du même coup combien strictement se trouve circonscrit l'espace temporel de cette « commune présence ». On sent ici à l'œuvre une idée qui trouvera plus tard son expression dans une formule indéfiniment glosée par la critique :

 « Si nous habitons l'éclair, il est le cœur de l'éternel. »[17]

Mais ce qui fait le propre du poème que nous lisons, c'est que l'expérience évoquée se trouve tenue sous le regard d'un sujet qui sent sur lui la pesée de l'Histoire et qui perçoit les instants passés dans leur totale et parfaite insularité. Le temps de La Renardière n'est plus désormais qu'un îlot édénique définitivement quitté. C'est sur le constat de cette retombée dans la temporalité ordinaire, on l'a vu, que s'ouvre le dernier alinéa.

Par-delà l'envoûtement, le tremblement d'un infini

« Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir. »

Selon la perspective du poème, deux temps sont à prendre en compte dans l'histoire du sujet : le passé de l'union amoureuse – temps de l'innocence heureuse – et le présent dont la coloration morale est définie par l'irruption du mal historique.

Il n'est désormais de jonction possible avec le temps de l'éden perdu que par le biais du rêve. Jonction à la fois possible et impossible. Possible, c'est ce qui ressort de l'assertion posée par la première phrase du dernier alinéa et du geste même dont relève le poème ; impossible, c'est ce que suggère l'interrogation finale.

« Mais ai-je qualité pour m'imposer de vous survivre, moi qui dans ce Chant de vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies ?»

Le possible tient au pouvoir du rêve, au pouvoir de la parole poétique où prend corps le pouvoir du rêve.

 Ce qu'il faudrait comprendre, c'est la raison ou les raisons de l'impossible.

Pour y parvenir, sans doute faut-il revenir sur ce qu'a été ce passé, tel que le poème nous permet de le saisir.

Ce qui est célébré dans les premières lignes, c'est l'éblouissement, la brûlure et l'emportement de la présence, qui, dans l'extase, arrache à soi, met hors de soi et projette vers un inédit sans antécédence ni reprise possible hors de son présent, un présent indéfectiblement solidaire de la présence de l'autre ; c'est cette autre en effet qui faisait surgir en soi cet « inconnu » sur lequel elle était seule à pouvoir lever le voile (« vous qui m'avez connu »). Un moi dont l'image est certes rappelée par le Chant que déroule le poème (« ce Chant de Vous »), mais dont celui qui parle se trouve infiniment éloigné (« moi qui, dans ce Chant de vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies »).

Si l'extase transcende les catégories traditionnelles du temps, elle n'ouvre pas dans le poème que nous commentons à un « présent qui s'accumule », elle ne projette hors du temps que dans la parenthèse exceptionnelle qu'elle constitue, elle ne se dit qu'aux temps du passé (imparfait ; passé composé ; passé simple), elle ne pouvait se vivre que dans un temps et un lieu circonscrit (« La Renardière »), elle reste liée à une présence perdue, à un « envoûtement » dont demeure le souvenir fasciné, mais auquel le sujet doit s'arracher et, semble-t-il, pour une double raison.

Le présent, qui est le temps de l'énonciation, est un temps séparé de celui de l'expérience extatique – l'irruption du mal historique a créé une césure qui vient redoubler celle de l'absence et accroître le sentiment d'un irréversible ; temps séparé et temps de la séparation, séparation d'avec l'autre bien évidemment, mais séparation aussi d'avec soi-même dans la découverte d'une différence advenue entre ce que l'on fut et ce que l'on est devenu à partir de l'absence, dans la conscience plus encore peut-être de l'impossibilité de retrouver désormais la « qualité d'être » (« Mais ai-je qualité pour… ») que l'autre pouvait seule faire surgir en soi dans les conditions exclusives d'espace, de temps et de présence réalisées à « La Renardière ».

Ce temps de l'exil est un temps où disparaissent à la fois une possibilité et une légitimité. L'amant solitaire, dans le contexte de la montée du mal, doit refuser de céder aux séductions du mythe de l'emmêlement « à jamais » dont le rêve demeure encore en lui en dépit de l'absence et de la douleur (« m'imposer de vous survivre »), et dont l'image exerce toujours ses pouvoirs d'envoûtement.

« Pas de mythologie même en poésie », écrit Gabriel Bounoure. « Le réel termine tout […] L'aphorisme de René Char sera toujours dessiné par cette dure sagesse, mais au bout de son apodose en diamant il arrive que tremble un infini. »[18]

Ce qui est vrai pour l'aphorisme peut l'être tout autant, on le voit ici, pour un poème d'une certaine ampleur comme celui que nous venons de lire.

« Rendu au sol », l'amant extasié des jours de La Renardière garde le sentiment d'avoir été mené par celle qu'il célèbre ici « jusqu'à cette fin de soi qu'on appelle un sommet »[19]. Et l'on sait de quelle faveur ineffaçable toute ascension peut devenir la chance aux yeux du poète montagnard :

« Lorsque nous sommes aptes à monter à l'aide de l'échelle naturelle vers quelque sommet initiant, nous laissons en bas les échelons du bas ; mais quand nous redescendons, nous faisons glisser avec nous tous les échelons du sommet. Nous enfouissons ce pinacle dans notre fonds le plus rare et le mieux défendu, au-dessous de l'échelon dernier, mais avec plus d'acquisitions et de richesses encore que notre aventure n'en avait rapporté de l'extrémité de la tremblante échelle. »[20]

Tout accès au « plus haut vivre » offre un de ces « repères éblouissants » propres à nourrir ou à entretenir, dans le temps de « l'inconcevable » où vient de s'engager l'Histoire, ce que le poète appelle une « contre-terreur » :

« La contre-terreur c'est ce vallon que peu à peu le brouillard comble, c'est le fugace bruissement des feuilles comme un essaim de fusées engourdies, c'est cette pesanteur bien répartie, c'est cette circulation ouatée d'animaux et d'insectes tirant mille traits sur l'écorce tendre de la nuit, c'est cette graine de luzerne sur la fossette d'un visage caressé… »[21]

Dans tout contact avec la beauté du monde, celle des choses, d'un paysage ou d'un visage, se retrouvent les voies « d'une sorte de bonheur », un bonheur au sein duquel « tremble », on aurait envie de dire aussi, quelque chose comme « un infini ».

Yves Fravalo, juin 2020



[1]  Sous ma casquette amarante, Entretiens avec France Huser, Îuvres complètes, Pléiade, p. 828-829.

[2]  « Jean Villeri, II », Alliés substantiels, in Recherche de la base et du sommet, O.C., p. 705

[3]  « Le Météore du 13 août », Le Poème pulvérisé, in Fureur et mystère, O.C., p. 268

[4]  « René Char, hôte de Céreste », Témoignage de Georges-Louis Roux, in Cahiers de l'Herne, 1971, p. 193

[5]  Feuillets d'Hypnos 222, O.C., p. 229

[6]  O.C., p. 834

[7]  Jean-Claude Mathieu, La Poésie de René Char ou Le Sel de la splendeur, II Poésie et Résistance, J. Corti, p. 324

[8]  « Je n'entends plus, montant de la fraîcheur de mes souterrains le gémir du plaisir, murmure de la femme entrouverte », Feuillets d'Hypnos 54, O.C., p. 188

[9]  Feuillets d'Hypnos 213, O.C., p. 226

[10]  Feuillets d'Hypnos 236, O.C. p. 232

[11]  O.C., p. 226

[12]  « Rougeur des Matinaux  VII », in Les Matinaux, O.C., p. 330

[13]  Sous ma casquette amarante, O.C., p. 833

[14]  Feuillets d'Hypnos 219, O.C., p. 227

[15]  Voir Jean-Claude Mathieu, opus cité, p. 324

[16]  « Lettera amorosa », in La Parole en archipel, O.C., p. 341

[17]  « À la santé du serpent, XXIV », in Fureur et mystère, O.C., p. 266

[18]  Gabriel Bounoure, Céreste et la Sorgue, cité dans René Char, O.C., p. 1147

[19]  « Anoukis et plus tard Jeanne », in Les Matinaux, O.C., p. 314

[20]  « Le Rempart de brindilles », in La Parole en archipel, O.C., p. 360

[21]  Feuillets d'Hypnos 141, O.C., p. 209

RETOUR : Études