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Yvon Inizan : Yves Bonnefoy lecteur de Jean Wahl.

Yvon Inizan, professeur de classes prˇparatoires, a fait paraître, en 2013, La Demande et le don, l'attestation poétique chez Yves Bonnefoy et Paul Ricœur, avec une préface d'Yves Bonnefoy, « Le temps, le récit, la poésie », éditions des Presses universitaires de Rennes, collection Aesthetica.

Le prˇsent texte est celui d'une intervention prononcée au colloque de Cerisy sur « Yves Bonnefoy. Poésie, recherche et savoirs » (2006, sous la direction de Daniel Lançon et Patrick Née). L'ensemble des commnunications a été publié aux éditions Hermann (2007).

Jean Wahl (1888-1974) joua un rôle important dans la philosophie en France. Professeur à la Sorbonne, créateur du Collège philosophique, directeur de la Revue de mˇtaphysique et de morale, il eut une influence sur la génération suivante, celle de Sartre et Merleau-Ponty. Il publia aussi des Poèmes. Sur Jean Wahl, lire le chapitre que lui a consacré Frédéric Worms dans son livre La Philosophie en France. Moments, Gallimard, Folio-Esssais, 2009, « Jean Wahl vers lui-même », pp. 304-319.

Mis en ligne le 13 avril 2018.


Yves Bonnefoy lecteur de Jean Wahl

Nous avons mangé de l'arbre de la science, et cela ne se renie pas. Et loin de rêver d'une guérison de ce que nous sommes, c'est dans notre intellectualité définitive qu'il faut réinventer la présence[1].

Yves Bonnefoy

Évoquant en 1990 les « livres qui ont compté[2] », Yves Bonnefoy se souvient de certaines lectures d'une « nature philosophique » qui, au début de son itinéraire, auront nourri la parole poétique et orienté « vers là même où ne pénètre pas le langage[3] ». Textes philosophiques qui auront permis l'émergence de ce « grand réalisme » dont parle L'Improbable. Notre poète nomme alors, entre autres auteurs, trois philosophes : Chestov, Kierkegaard et Jean Wahl. De ce dernier, il précise : « Jean Wahl, que je puis dire mon maître », offrant une place singulière à ce penseur qui fut aussi un poète et également un passeur car, s'il est bien établi que Jean Wahl a contribué largement à faire connaître en France les œuvres de Kierkegaard et de Hegel, il ne faut pas oublier qu'il éclaira également celles de William James, Whitehead, Jaspers, Heidegger… C'est la lecture des Études kierkegaardiennes qui conduisit le jeune poète en 1948 à suivre les leçons de Jean Wahl en Sorbonne[4].

Il s'agit ici d'examiner certains aspects de cette relation privilégiée qui lie le « philosophe-poète » au « poète-philosophe[5] » et de manifester certains éléments qui auront permis cette orientation de la poésie vers un au-delà du langage. Est-il possible alors — empruntant un vocabulaire kierkegaardien — de parler de stade[6] dans l'itinéraire poétique de notre auteur ? Une étape, en ce début de parcours poétique, suivie d'une rupture : précisément un saut. Idée explicitement évoquée par Yves Bonnefoy dans un texte de 1951, « Sur le concept de lierre[7] » : « La vérité conceptuelle » y explique le jeune poète, se doit d'être « réfutée dans un bond, où les questions en suspens se transforment sous les couleurs d'un nouveau jour. »

« Un réalisme profond »

Il n'y aura aucune certitude cependant quant à l'effet précis d'un contexte réflexif sur l'acte créateur. Ce serait le réduire. D'ailleurs comment, demande Jean Wahl lui-même, définir sans contradiction une philosophie de l'existence c'est-à-dire une pensée qui prend pour objet l'Unique ? Sans aucun doute aurait-il acquiescé à la réponse du poète : « Pensée de l'existence, pensée qui se refuse à l'idolâtrie du langage[8]. » Le philosophe aurait peut-être ajouté, ainsi qu'il le fit souvent, qu'il n'existe pas de pensée de l'existence qui soit parfaitement pure[9]. L'existence est toujours dans un rapport à autre chose ; elle est au dehors d'elle-même et, plus encore, au-delà de l'exposé qu'on en produit. Une philosophie de l'existence, continue encore Jean Wahl, cache toujours des éléments d'une autre philosophie. Ce qui en fait précisément l'unicité, la dimension d'exception. Ainsi, il est aisé de montrer à quel point les préoccupations philosophiques de Jean Wahl lui-même sont comme arc-boutées sur ses premiers travaux — en particulier sa thèse principale de doctorat, publiée en 1920, qui prit pour objet Les Philosophies pluralistes d'Angleterre et d'Amérique. De nombreux éléments y paraissent d'un « réalisme profond qui affirme l'irréductibilité des phénomènes[10] ».

L'on pourrait alors, avec quelques bonnes raisons, pressentir que s'y annonce cette référence au réalisme dont se réclamera plus tard Yves Bonnefoy, à plusieurs reprises dans L'Improbable. En particulier lorsque que le poète remarque à son tour dans « L'acte et le lieu de la poésie » que la poésie elle-même doit revenir vers « un réalisme profond[11] ». Il y a là reprise d'une thématique philosophique qui, longtemps, occupa Jean Wahl. Cependant, le « grand réalisme » du poète n'est plus de cette même nature conceptuelle et philosophique. Qu'est-il alors en régime poétique et quelle relation entretient-il encore avec celui défendu par la philosophie de l'existence d'un Jean Wahl ? Est-il permis de décrire l'étape — ou le bond — qui conduit de cette position philosophique à ce qui devient, sous l'effet de l'acte poétique, dans L'Improbable : un « réalisme hésitant[12] », un « réalisme initiatique[13] », un « réalisme passionnel[14] » — ou bien encore, un « réalisme de l'improbable[15] » ?

À n'en pas douter le réalisme philosophique de Jean Wahl était de nature à orienter « vers là même où ne pénètre pas le langage ». Condition d'une vraie rencontre entre le philosophe et le jeune poète. Les premières analyses du philosophe s'organisaient autour d'une référence centrale à William James, philosophe empiriste de la Nouvelle-Angleterre, adepte d'un « culte du particulier » inspiré par une très vive défiance vis-à-vis du concept et un refus de la dérive « absolutiste » de la pensée. Le philosophe américain explique qu'il faut « se cramponner au caractère concret des chose[16] » et ne pas ignorer la plénitude des objets, ni la façon dont ceux-ci apparaissent avec leur caractère fini, limité. Il en résulte un style philosophique qui autorise une « manière lâche de philosopher[17] », cela contre une conception strictement rationaliste qui enferme et réduit : « L'esprit rationaliste  — écrit William James tel que cité par Jean Wahl — est du type doctrinaire et autoritaire » ; « la sangle de son univers doit être serrée » ; « dans le tonneau de Diogène, il voudrait que les cerceaux ne soient pas lâches et que les douves ne laissent pas percer le soleil[18] ».

Certes Yves Bonnefoy, de son côté, n'évoque nulle part ces premières analyses de Jean Wahl. Mais leur mention répétée dans le Traité de métaphysique invite à penser qu'elles auront contribué à produire un contexte philosophique dans lequel évolua le jeune poète. L'introduction du Traité est, sur ce point, éclairante, qui emprunte aux analyses du philosophe américain certains arguments d'une critique des premières pages de la Phénoménologie de l'Esprit selon lesquelles « ce qui passe pour être le particulier et le concret est en réalité le plus abstrait et le plus général[19] » ; pages qui — on le sait — provoquèrent le « mouvement de refus » dont témoigne Yves Bonnefoy à de nombreuses reprises[20]. Ce passage fameux de Hegel confond, selon Jean Wahl, les concepts avec les déictiques : « L'ici et le maintenant ne sont nullement faits pour exprimer des réalités, mais pour les désigner[21] ». Ces termes sont des « gestes vocaux ». Le langage, en sa réalité première ne saurait donc enclore, composé qu'il est, pour partie, de ces éléments de désignation orientés « vers ce qui est donné en dehors d'eux ». Ainsi se caractérise le réalisme défendu dans ces pages du Traité de métaphysique et par lequel s'opère une réhabilitation du contexte d'énonciation. Le langage désigne bien un au-delà : « le réel, c'est ce qui résiste[22] » conclut plus loin Jean Wahl. Une telle référence aux déictiques ne pouvait que satisfaire — on peut l'imaginer — Yves Bonnefoy qui, dès Anti-Platon, insistait déjà sur cette caractéristique du langage : « Il s'agit bien de cet objet » est-il par deux fois répété au début du poème, et on se souvient peut-être que, dans la publication originale, l'adjectif démonstratif était non en italique, comme dans l'actuelle édition, mais en lettres capitales.

Une analyse comparable des pages de Hegel consacrées à la « certitude sensible » se retrouve au début de la préface de Vers le concret. Or, selon toute vraisemblance, Yves Bonnefoy a lu cette préface[23] puisque ce texte d'une vingtaine de pages a d'abord paru dans le premier numéro des Recherches philosophiques[24]. Jean Wahl y rapproche les thèses de William James des conceptions du mathématicien anglais Alfred North Whitehead et de celles du philosophe français Gabriel Marcel. Véritable mode de philosopher où l'analyse la plus serrée se conjugue avec une histoire récente de la pensée. Et cela signifie par conséquent que l'exposé des rapprochements déploie lui-même le mouvement de la réflexion de Jean Wahl. Les trois auteurs, bien que différents dans leur source d'inspiration, sont présentés comme appartenant à un même courant qui, opposé à la dérive idéaliste de la pensée, replace « l'esprit parmi les choses », le réinscrit dans son incorporation, affirme la non-déductibilité de l'être, son irréductibilité vis-à-vis de la connaissance et du langage. Ils insistent, à l'instar de la phénoménologie de Husserl ou de Heidegger — souligne encore Jean Wahl — sur la sphère antéprédicative de l'expérience. Comment retrouver le rapport premier qui marque la rencontre de notre corps avec l'espace concret, cette « voluminosité primitive » éprouvée lors de la saisie de « la réalité dans son épaisseur » ? Toute une critique de la pensée représentative et du langage se développe dans la préface de Vers le concret et dans le reste du livre. De même que dans Le Traité de métaphysique. La conscience n'a plus alors qu'une position métaphysique subordonnée bien qu'il faille, toujours et encore, en dénoncer l'illusoire prééminence.

C'est ainsi par exemple que le « mode présentationnel de penser » — expression empruntée à Whitehead — conduit l'esprit à supposer l'existence d'une substance et à écarter le fond relationnel qui compose le tissu des réalités. Or cette « immédiation présentationnelle » ne nous montre que « des spectacles et ne nous fait voir les choses que de l'extérieur » accordant un privilège indu à la vue alors que les autres sens nous offrent de participer davantage à la densité du monde. De même, victimes des illusions du langage, « nous séparons dans la proposition ce qui est uni dans la réalité[25] ». Ainsi, les deux schèmes sujet-prédicat et particulier-universel produisent des oppositions factices qui fragmentent ce qui pourrait s'offrir à la perception comme une réalité en continu. Jean Wahl en arrive, dans une note, à comparer la pensée de Whitehead avec celle de Plotin — « c'est le même mode de pensée », explique-t-il — et cite, en guise de commentaire des analyses du philosophe anglais, certaines remarques d'Émile Bréhier à propos de l'Ennéade IV : « Les influences se propagent d'un bout à l'autre, comme les vibrations d'une corde tendue » et « C'est parce que l'univers est un qu'un événement est connu par l'autre[26]. »

Il n'est pas aisé de mesurer l'effet du contexte philosophique sur l'évolution du jeune poète au cours des années de formation. Victime d'une illusion rétrospective — ruse d'une raison théorique et revanche seconde du rationalisme — l'historien risque de croire à une forme d'influence là où deux événements, certes contemporains, n'auront pourtant qu'assez peu échangé[27]. Mais ce mouvement « vers le concret », cristallisé en une critique de la représentation et du langage, pourrait bien avoir accompagné quelques-unes des pages de L'Improbable. Aux concepts, ces pages opposent le lieu — la ville et ses rues —, « les chemins et les pierres », précisément déjà « le continu du monde » : « Voici ce monde sensible — écrit le poète — […] Je dirai qu'il est loin de nous comme une ville interdite. Mais je dirai aussi qu'il est en chacun de nous comme une ville possible[28]. » Continuité, « compacité ontologique[29] » que Jean Wahl pourrait avoir commencé d'exposer, à sa manière, dans la préface de Vers le concret : « Au-dessous de l'espace qui est instrument pour l'esprit du savant, et au-dessous de l'espace qui appartient au monde de la description, il y a donc un espace qui appartient au domaine vital, celui que nous saisissons par le contact avec le réel…[30] »

« Le recours aux poètes » [31]  

Mais nous n'en sommes pas encore, avec ces derniers mots du philosophe, dans le cadre de ce que le poète nommera « réalisme de l'improbable ». Il y faudra — outre le bond au-dehors du concept — quelques pas philosophiques supplémentaires. Jean Wahl, à sa façon, en consentira quelques-uns offrant, en fin de préface, certaines remarques décisives qui vont nouer la « dialectique du réalisme[32] » à l'écriture poétique. En effet, l'expression « vers le concret » désigne un mouvement incessant, une oscillation entre des contraires : « Le concret ne sera jamais le donné pour le philosophe. Il sera le poursuivi[33]. » Le réalisme n'est pas une doctrine mais davantage un effort : succession de thèses, alternance de positions, un credo suivi d'un dubitato[34], une pensée du « ou bien… ou bien… ». Celle-ci se heurte au réel qui toujours lui échappe et c'est pour naître de son propre échec : « C'est dans cette mort momentanée qu'elle se retrouve vivante[35]. » La dialectique est alors comme encadrée par l'obstacle du réel : il est « la limite de la dialectique ; il est son origine ; il est sa fin, son explication et sa destruction[36]. » « Dialectique réaliste » très différente, bien sûr, de la dialectique idéaliste de La Phénoménologie de l'Esprit. Que la particularité ne puisse être saisie par le concept, n'efface aucunement la réalité épaisse qui précède, ni non plus l'effort qui tenterait, en dépit de tout, de la ressaisir[37].

Cette impuissance du langage se trouve alors dépassée dans l'acte poétique : « Ce n'est que dans l'absence de pensée — écrit Jean Wahl — que le concret peut se révéler à nous. C'est ce dont le jeune Hegel a eu le sentiment, de même que bien des poètes[38]. » Cette remarque ne pouvait pas — on peut le supposer — ne pas frapper le jeune poète ; elle ouvre à la poésie une dimension que la philosophie est incapable d'atteindre bien qu'en mesure d'indiquer. Cette référence à l'acte poétique est d'ailleurs récurrente chez Jean Wahl qui reprend souvent à son compte une formule de Whitehead : « Le recours ultime doit toujours être à l'expérience et c'est pourquoi j'insiste autant sur le témoignage des poètes[39]. » Car, remarque-t-il encore dans Le Traité de métaphysique, la philosophie a « détruit dans une certaine mesure le sentiment de notre parenté avec l'univers, que la poésie a mieux conservé[40]. » C'est le mérite du réalisme que de tenter, éclairé par une lecture des œuvres poétiques, de percevoir ce sentiment, ce lien concret de l'homme avec le monde : ainsi Wordsworth, entre autres exemples, qui, selon Jean Wahl, « fait sentir la plénitude du concret, son caractère de totalité, sa calme animation par les présences passives des collines et de la nature[41]. »

La référence allusive au jeune Hegel et à son rapport à la poésie, en cette fin de préface de Vers le concret, renvoie à n'en pas douter, au texte de Jean Wahl paru en 1929 : Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel — livre lu par Yves Bonnefoy et apprécié[42]. En se penchant ainsi sur la genèse de la pensée hégélienne, Jean Wahl souhaitait atténuer l'approche strictement logique de l'œuvre et tirer la dialectique du côté de la subjectivité : « La dialectique — remarque-t-il — avant d'être une méthode, est une expérience par laquelle Hegel passe d'une idée à une autre[43]. » C'est alors toute la pensée du jeune Hegel qui est interprétée selon les schèmes du « réalisme profond » : « … loin de croire — explique encore Jean Wahl — que la philosophie de Hegel est une philosophie purement rationnelle, nous dirions qu'elle est un effort vers la rationalisation d'un fond que la raison n'atteint pas[44]. » Ce bref passage est d'ailleurs repris par Étienne Gilson en début du chapitre VIII de L'Être et l'essence et Yves Bonnefoy — qui découvrit ce dernier livre dès sa publication en 1948  — l'a lui-même également noté[45].

Sur ce point précis s'entame le dialogue, implicite mais régulier dans ce livre de Jean Wahl, entre la philosophie et la poésie. Il y est alors très souvent question de Hölderlin. L'expérience la plus subjective du jeune Hegel est désormais saisie comme source du système, lequel est cependant condamné, par un effet d'assèchement, à s'éloigner de l'intuition originaire : « À l'origine de cette doctrine qui se présente comme un enchaînement de concepts, il y a une sorte d'intuition mystique et de chaleur affective[46]. » Retard tragique de la conscience malheureuse : au fondement du monisme rationaliste, une expérience vivante, une affectivité que les concepts perdent à mesure qu'ils cherchent à la saisir[47]. Et plus loin dans le texte, cette autre remarque, aussi étrange que révélatrice, à propos de Hegel : « Il s'est trouvé, pourrions-nous dire, que ce mystique, ce poète au lieu d'avoir eu à sa disposition l'expression essentiellement artistique de son expérience, était doué d'une extraordinaire facilité à manier les concepts logiques les plus difficiles[48]. » Maîtrise conceptuelle qui aurait éloigné Hegel — considéré ici d'abord comme un poète — d'une origine, d'un fond désormais perdu où se nouent pourtant, dans le sentiment, le sujet et le monde. La pensée sourd d'un événement qui la précède. Elle n'est jamais qu'un moment limité d'un mouvement qui la dépasse.

Cette fatalité qui pèse sur le concept condamné à s'épuiser en système est une thématique développée par Yves Bonnefoy dans le texte de 1951 — « Sur le concept de lierre » — où il apparaît que « la référence au concept est la raison d'une assez générale impuissance[49]. » De là précisément le projet poétique formulé par le poète : « Exiger de la pensée qu'il informe qu'elle fasse un saut, hors de soi, loin de soi[50]. » Remarque qui pourrait bien faire écho aux analyses précédentes de Jean Wahl[51] puisque le mouvement vers le concret entraîne non seulement hors du système mais plus encore « hors de la pensée ». Thème que développe régulièrement l'auteur du Traité de métaphysique et en particulier dans un texte paru en 1944 : Existence humaine et transcendance. Après y avoir cité un long passage du poème de Hegel — Eleusis (écrit en 1796 ce texte est dédié à Hölderlin) — Jean Wahl en vient alors à expliquer que « la jonction de la poésie et de la métaphysique se fait d'une part en bas, d'autre part en haut ». Il y a en effet d'une part cette « torpeur énorme au fond de la nature et parfois au fond de nous », objet commun de la poésie et de la métaphysique ; et d'autre part, il y a ce « point vers lequel tend la métaphysique comme l'ogive vers son sommet », mais celui-ci « ne peut être indiqué que par autre chose que le discours, et cet « autre chose » peut être la poésie[52]. » En deçà et au-delà du concept vers lesquels se porte, de façon privilégiée, l'acte poétique ; il en résulte une sorte d'antériorité de l'intuition poétique sur le discours apophantique.

Mais ces analyses de Jean Wahl pourraient évidemment laisser penser que le recours de notre philosophe à la poésie reproduirait un vieux schème romantique : « l'absolu littéraire » offert à l'écriture du poète. Autrement dit, Jean Wahl pourrait avoir succombé à la tentation de l'immédiat. Ce que suggère d'ailleurs, un moment, Paul Ricœur dans un texte de 1975 qui constate chez notre philosophe une utilisation insistante du mot « magie » pour caractériser la « fusion des contraires » opérée par la poésie. Voilà qui, entre autres, révèle selon Paul Ricœur, « une dialectique de l'effacement » débouchant bientôt sur « un effacement de la dialectique » donnant naissance à une illusoire « métaphysique sans médiation ». Dans une telle hypothèse, on ira peut-être même jusqu'à dire que cette tentation de l'immédiat pourrait avoir influé sur l'orientation de son jeune disciple. Et l'on songera peut-être alors à la critique formulée par Maurice Blanchot dans L'Entretien infini à l'encontre de certaines analyses de L'Improbable ; critique qui trouve à se résumer en une formule : « De l'immédiat, il ne saurait y avoir saisie immédiate[53]. »

Pourtant, en un second moment, Paul Ricœur se ravise. Selon lui, cette fascination pour l'immédiat n'a pas entraîné la philosophie de Jean Wahl vers cette « magie poétique » qu'elle paraissait annoncer. La dérive s'est heurtée à un obstacle : la pensée de Kierkegaard aurait arraché la philosophie de Jean Wahl à ce stade esthétique où elle menaçait de s'engluer. Même si l'analyse de Paul Ricœur ne rend pas toujours bien compte de l'effort produit par Jean Wahl pour échapper à toute forme de réduction moniste[54], il est vrai cependant que la « dialectique existentielle » introduit dans sa pensée les paradoxes d'une synthèse inachevée. Cela apparaît notamment dans l'article des Recherches philosophiques de 1933 intitulé « Sur quelques catégories kierkegaardiennes : l'existence, l'individu isolé, la pensée subjective ». Article très vraisemblablement lu et médité par Yves Bonnefoy qui a souvent expliqué combien cette revue particulièrement riche contribua à sa maturation philosophique. Selon Paul Ricœur, ce recours à Kierkegaard interrompt l'immédiation poétique en produisant « distance, rupture, fêlure, conscience[55] ». La découverte de « l'existence comme position subjective[56] » fait du penseur lui-même une « intériorité tendue » : « En entrant dans cet état paradoxal — explique d'ailleurs Jean Wahl en conclusion de ce texte — la pensée entre par là même dans un état lyrique… Ce qu'il y a de plus individuel dans un individu, c'est cette passion, ce paradoxe, ce lyrisme tragique[57]. » Autrement dit, le sujet ne produit pas une représentation du paradoxe car il est lui-même le paradoxe c'est-à-dire : hésitation, passion, conversion.

N'est-ce pas là également, l'une des sources qui aura favorisé l'émergence de ce « grand réalisme » dont parle Yves Bonnefoy dans L'Improbable ; réalisme poétique qui, tel que décrit par notre auteur, devient — nous l'avons déjà vu — : « hésitant », « passionnel », « initiatique » ?

« Un réalisme de l'improbable »

Car c'est en effet vers Kierkegaard que se tourne Yves Bonnefoy lorsqu'il imagine son « grand réalisme » dans un texte de 1955, « La passion et l'objet », paru au Caire dans la revue La Part du sable. Certes, Yves Bonnefoy n'a jamais repris ce texte par la suite. Néanmoins celui-ci nous intéresse pour au moins trois raisons : tout d'abord on y trouve une première définition du « grand réalisme » dont se réclame le poète ; ce réalisme est clairement rapporté à la figure de Kierkegaard ; et enfin, la dernière partie de ce court texte cite une remarque de Jean Wahl extraite des Études kierkegaardiennes. Le fait est assez rare pour être noté. Nous y reviendrons. Le texte s'ouvre donc par une référence directe à l'auteur danois : « Kierkegaard a fondé le grand réalisme, qui aggrave au lieu de résoudre, qui désigne l'obscur, qui tient les clartés pour fausses. Qui a souci d'une haute et impraticable clarté[58]. »

On reconnaît bien sûr, dans cet extrait, une partie de l'épigraphe de L'Improbable telle qu'elle apparaît dans l'édition de 1959. Et, c'est là sans doute une quatrième raison de l'intérêt du texte de 1955. Mais, on le sait, des modifications essentielles, quelques années plus tard, y seront apportées :

Je dédie ce livre à l'improbable, c'est-à-dire à ce qui est.

À un esprit de veille. Aux théologies négatives. À une poésie désirée, de pluies, d'attente et de vent.

À un grand réalisme, qui aggrave au lieu de résoudre, qui désigne l'obscur, qui tienne les clartés pour nuées toujours déchirables. Qui ait souci d'une haute et impraticable clarté[59].

C'est ainsi que cet exergue — de toutes les pages du livre, « l'une des plus belles » selon Maurice Blanchot[60] — témoigne de façon radicale de ce bond promis hors du concept. Par l'effacement tout d'abord du nom de Kierkegaard qui, plus loin dans les pages de L'Improbable, soumis à une critique décisive, en devient « homme conceptuel[61] ». Et puis, par cette nouveauté de la dédicace car c'est désormais au « grand réalisme »  — entre autres  — qu'est adressé le livre. Seul un poète, non un philosophe, pouvait faire de l'objet de sa recherche, le destinataire de la dédicace. Le réalisme devenant dès lors bien plus que le simple nom d'une position philosophique, celui d'un acte à venir. Mais, dira-t-on pour autant que ces modifications apportées par l'épigraphe de 1959 invalident la référence à Kierkegaard ?

Il existe ici une double difficulté : d'une part, que signifie exactement cette contribution de Kierkegaard ainsi qu'elle est reconnue dans « La passion et l'objet » en 1955 ? D'autre part, comment concilier cette reconnaissance avec la critique antérieure exposée dans « Le concept de lierre » dès 1951 ; celle également manifestée dans « Les tombeaux de Ravenne » en 1953 et qui justifie — on peut le supposer — l'effacement du nom du philosophe de l'épigraphe ? On trouve en effet dans L'Improbable certaines remarques négatives à propos de Kierkegaard qui, « exilé », s'est « séparé de l'objet sensible par un détour infini[62] ». Mais il y a aussi, et dans le même passage, la joie de Kierkegaard : « la joie la moins prévue, la plus pure », « percée que l'esprit a faite, vers le difficile réel[63] ». C'est ainsi que Kierkegaard, bien que « homme du concept », ne peut être considéré sur le même plan que Hegel quant à lui homme du système. Le philosophe danois aura permis — sans doute par éclair — d'orienter vers un au-delà du langage et de la pensée. Geste d'un « poète-penseur » qui aura par conséquent, bel et bien, de « désigner l'obscur ».

Le texte de 1955 — « La passion et l'objet » — emprunte son titre et son exergue à un extrait du journal de Kierkegaard paru dans les Études kierkegaardiennes[64] en complément du chapitre dix — lequel reprend d'ailleurs (avec le chapitre huit) l'article des Recherches philosophiques évoqué précédemment. Voici cet extrait de journal : « On a souvent remarqué qu'un détail futile excite le mieux la passion. Il y a un rapport insensé, à moitié fou, entre la passion et l'objet. » L'exergue ne reprendra cependant que la seconde phrase. Néanmoins, cela signifie donc que le « grand réalisme » dont se réclame Yves Bonnefoy en 1955 trouve ainsi à se définir dans le cadre des catégories existentielles telles que manifestées dans le commentaire qu'en produit Jean Wahl. Or, celui-ci retiendra du philosophe danois, non certes la dimension religieuse[65], mais bien davantage le sentiment de la tension paradoxale où « s'aggrave » le rapport du sujet à la transcendance. Transcendance conçue alors indifféremment — au grand regret d'ailleurs de Paul Ricœur — comme un en deçà ou un au-delà de la conscience. « Une transcendance indifférente à la hiérarchie », résume Emmanuel Levinas de son côté dans un texte de 1975, et qui poursuit son analyse en citant une remarque décisive de Jean Wahl : « Il y a ainsi un sens du bas qui se développe en même temps que le sens du haut. Je suis rendu à la terre dit Rimbaud ; et à la sous-terre, aux racines[66]. » Débarrassé de cet arrière-plan religieux, l'objet transcendant est alors à comprendre non comme corrélat d'une conscience intentionnelle mais, bien davantage, comme corrélat d'un existence présente. Relation que pourrait assez bien caractériser cette remarque extraite du cours dispensé par Jean Wahl en 1948 et suivi, nous l'avons vu, par le jeune poète : « Le criterium du moi c'est ce en face de quoi il se trouve. Mais ce en face de quoi il se trouve ne peut être défini que par l'intensité de l'effort de ce moi vers ce en face de quoi il se trouve. Ainsi, c'est toujours l'intensité, la subjectivité à son maximum qui nous fait atteindre ce que Kierkegaard appelle l'objectivité, qui est une objectivité née de la subjectivité[67]. »

C'est là décrire en effet ce « rapport à moitié fou » qui noue la passion à son objet. Yves Bonnefoy peut alors, de son côté, écrire dans ce texte de 1955, que « l'objet est un mystère et une épreuve », en conclure également que Kierkegaard invente l'objet c'est-à-dire « ce qui est » et qu'il réinscrit l'homme en « cette pauvreté incessamment désirante ». Car, ainsi que le répétait souvent Jean Wahl : « L'homme est toujours au-delà de lui-même. » Cette archi-modalité de l'esprit — analyse de son côté Emmanuel Levinas — que l'on ne réduira ni à l'extase mystique ni à l'universalité du jugement objectif, désigne l'expérience par laquelle le sujet éprouve et s'éprouve dans son rapport à l'altérité. Ainsi, « L'au-delà de soi-même, c'est l'unicité de soi-même » poursuit Emmanuel Levinas. Non plus le concept comme médiation mais bien plutôt l'objet transcendant comme médiateur : objet offert dans le geste qui porte vers lui quand c'est le geste aussi qui importe tout autant que l'objet lui-même. Visée qui est tout à la fois accomplissement et destruction de soi-même ; « échec qui est triomphe » quand il s'agit de retrouver, en cet objet, l'ici et le maintenant — « le seuil qu'il nous faut franchir[68] ».

Et pourtant, dans ce texte — « La passion et l'objet » — Yves Bonnefoy n'oublie pas le danger d'une philosophie de l'existence qui, se présentant comme une pensée de l'acte, pourrait laisser croire qu'elle échappe radicalement aux illusions de la représentation. Or, la pensée de Kierkegaard demeure une pensée abstraite. Ce mouvement vers « l'unicité de soi-même » ne peut s'opérer véritablement que par un recours à la poésie. Car même si, reconnaît Yves Bonnefoy, « Kierkegaard, lui, savait que l'objet n'est pas objectif. Qu'il ne se dit qu'allusivement, et par voie de poésie »[69], c'est pourtant vers Baudelaire, à la fin du texte, qu'il se tourne. Car si le philosophe oriente « vers là même où ne pénètre pas le langage », c'est le poète qui nomme ce lieu :

« Une pierre au fond d'une tombe, dans la difficulté des broussailles, une violence erratique, l'obscurité d'un autre monde dans le désordre de celui-ci[70]. »

Tandis que le philosophe échappe difficilement à l'illusoire « vérité de formule[71] », Baudelaire, lui, nous montre que « La vérité de parole est au-delà de toute formule. Elle est la vie de l'esprit, et non plus décrite mais en acte[72]. » Et l'on verra peut-être même alors une illustration de cette « pensée pratique[73] », de cet acte poétique dans l'usage que Yves Bonnefoy lui-même fait d'un court passage des Études kierkegaardiennes qu'il vient à citer dans la dernière partie du texte, précisément après avoir évoqué Baudelaire. Le poète emprunte en effet — événement unique, nous semble-t-il — une remarque à son professeur : « Rien de si dialectique et de si nu à la fois — comme le Parménide ou comme la cathédrale de Salamanque — que le discours sur la pureté de cœur  »… note Jean Wahl[74]. »

Or, dans le commentaire qui suit, Yves Bonnefoy ne retient vraiment de cette remarque de Jean Wahl que le seul nom du lieu. Voilà donc ce qui pour le poète importe :

« Comme la cathédrale de Salamanque… Comment dire mieux de quelle réalité à la fois sensible et intelligible — réaffirmée — Kierkegaard a été capable ?[75] »

Jean Wahl produit une métaphore, la cathédrale de Salamanque devenue l'image du paradoxe et de la nudité d'une pensée ; Yves Bonnefoy, quant à lui, échappe à la représentation, au rapport analogique. Il retient non l'idée mais le nom du lieu, non un concept mais un nom propre. Brisant la longue chaîne du signifié — sans pour autant perdre l'intelligible — il reconduit vers le concret, vers la réalité sensible, « scène d'une action qui commence[76] ». Exemple dans ce texte consacré au poète-penseur, d'un bond ailleurs évoqué qui devait en effet éloigner du concept. Le stade philosophique est ici dépassé. La référence à Kierkegaard — en partie développée à partir des livres et de l'enseignement de Jean Wahl — se prolonge ici en un acte poétique qui conduit à « rechercher un lieu » et à nommer l'objet improbable.

Yvon Inizan



[1] Yves Bonnefoy, L'Improbable, Paris, Mercure de France, 1959 ; suivi de Un Rêve fait à Mantoue, Mercure de France, 1980; réédition Gallimard, coll. « Folio Essais », 1983 et 1992, p. 42.

[2] Yves Bonnefoy, Entretiens sur la poésie, Neuchâtel, À la Baconnière, 1981 ; Entretiens sur la poésie (1972-1990), Paris, Mercure de France, 1990, p.342.

[3] Ibid..

[4] Voir à ce propos : Yves Bonnefoy, livres et documents, Paris, Bibliothèque nationale/ Mercure de France, 1992, p. 53.

[5] Jean-Claude Pinson, Habiter en poète, Seyssel, Champ Vallon, 1995, p. 156.

[6] Voir, sur ce point, ce que déclarait Yves Bonnefoy, au cours d'un entretien, dans le cadre du premier colloque de Cerisy en 1983 : « … Kierkegaard s'est nommé poète ; et dans sa dialectique des étapes de l'existence c'est la poésie qui peut, à son tour, trouver à réfléchir sur la voie qu'elle devra suivre, sur les décisions qu'il lui faudra prendre, — quitte à laisser à distance le dogme et même la foi qui ont aidé Kierkegaard à se reconnaître, à se ressaisir », Marseille, Revue Sud, 1985, p. 414.

[7] Paru dans la revue Troisième convoi, Paris, n° 5, juin 1951, p. 24-28 ; rééd. dans Yves Bonnefoy, cahier n° 11, Cognac, Le Temps qu'il fait, 1998, p. 23-29.

[8] Yves Bonnefoy et le 19ème siècle : vocation et filiation, textes réunis par Daniel Lançon, Université François Rabelais de Tours, 2001, p. 345.

[9] Poésie, pensée, perception, Paris, Calmann-Lévy, 1948, p. 179.

[10] Les Philosophies pluralistes d'Angleterre et d'Amérique, Paris, Alcan, 1920 ; réédition Les Empêcheurs de penser en rond / Le Seuil, 2005, p. 316. Voir également la préface de Vers le concret, Paris, Vrin, 1932 ; réédition 2004 : Jean Wahl y évoque le « réalisme profond » d'Alexander, p. 41.

[11] « Ainsi la poésie revient-elle aujourd'hui à un réalisme profond », L'Improbable, op. cit., p.121.

[12] Ibid. p. 122.

[13] Ibid. p. 132.

[14] Ibid. p. 187.

[15] Ibid. p. 42.

[16] Les Philosophies pluralistes d'Angleterre et d'Amérique,  op. cit., p. 151.

[17] Ibid. p. 154.

[18] Ibid. p. 163.

[19] Vers le concret, op. cit., p. 29.

[20] Voir en particulier « La Poétique de Nerval », La Vérité de parole, Paris, Mercure de France, 1988, p. 43. Voir également « l'acte et le lieu de la poésie » dans L'Improbable, op. cit., p. 117 : « Car, Hegel l'a montré, avec soulagement croirait-on, la parole ne peut rien retenir de ce qui est l'immédiat. Maintenant, c'est la nuit, si par ces mots je prétends exprimer mon expérience sensible, ce n'est plus aussitôt qu'un cadre où la présence s'efface. Les portraits que nous avons crus les plus vifs se découvrent des paradigmes. Nos paroles les plus privées deviennent des mythes en se séparant de nous. »

[21] Traité de métaphysique, Paris, Payot, 1953 ; réédition, Payot, 1957, 1968, p.18.

[22] Ibid. p. 26.

[23] Voir sur ce point les remarques très éclairantes de Patrick Née dans son livre récent : Yves Bonnefoy penseur de l'image ou les Travaux de Zeuxis, Paris, Gallimard, 2006, p. 193 et suivantes.

[24] Recherches philosophiques, années 1931-1932, « Vers le concret », Paris, Boivin et Cie. Ce texte a été repris en guise de préface dans le livre paru en 1932, aux éditions Vrin : Vers le concret. Études d'histoire de la philosophie contemporaine. William James, Whitehead, Gabriel Marcel, Paris, Vrin, 1932, Bibliothèque d'histoire de la philosophie ; réédition, Vrin, 2004 avec un avant-propos de Mathias Girel.

[25] Traité de métaphysique, op. cit., p. 71.

[26] Vers le concret, op. cit., p. 150.

[27] Voir également ce qu'en dit Yves Bonnefoy dans son entretien avec John E. Jackson : « Il est malaisé, je dois le dire au passage, de revenir ainsi sur des époques anciennes, même et surtout s'il s'agit de ce qui a compté le plus dans la formation de notre pensée. Je ne tiens pas de journal, je ne note rien de ce qui fut, j'oublie beaucoup, je cours donc le risque de recomposer à partir de mes valeurs d'aujourd'hui ce que j'ai vécu jadis de façon confuse et contradictoire, et avec peut-être d'autres tendances que je méconnais maintenant sinon refoule », Entretiens sur la poésie, op. cit., p. 76.

[28] L'Improbable, op. cit., p. 24.

[29] Entretiens sur la poésie, op. cit., p. 26.

[30] Recherches philosophiques, années 1931-1932, op. cit., p. 7 ;  Vers le concret, op. cit., p. 34.

[31] Il s'agit là d'un fil conducteur de l'œuvre de Jean Wahl. Voir par exemple les cours de Sorbonne, et notamment : Défense et élargissement de la philosophie, le recours aux poètes : Claudel, Paris, CDU, 1958.

[32] Cette expression est également utilisée dans Existence humaine et transcendance, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1944, p. 16.

[33] Vers le concret, op. cit., p. 44.

[34] C'est ainsi qu'Emmanuel Levinas caractérise le style philosophique de Jean Wahl. Voir Jean Wahl et Gabriel Marcel, Paris, Beauchesne, 1976, p. 19.

[35] Vers le concret, op. cit., p. 44.

[36] Ibid..

[37] Voir par exemple ce qu'en dit Yves Bonnefoy dans « La poétique de Nerval », La Vérité de parole, Paris, Mercure de France, 1988, p. 44 : « Mais constater que l'immédiat, l'originel, c'est ainsi l'ineffable, cela implique-t-il qu'il n'ait pas richesse et valeur du point de vue même de la personne que nous allons être dans ce langage qui s'en sépare ? »

[38] Vers le concret, op. cit., p. 44.

[39] Ibid. p. 123.

[40] Traité de métaphysique, op. cit., p. 6.

[41] Vers le concret, op. cit., p. 123.

[42] Yves Bonnefoy, livres et documents, op. cit., p. 63 : « Jean Wahl, professeur de philosophie à la Sorbonne, fut un des principaux introducteurs de la pensée de Kierkegaard en France. Yves Bonnefoy aima ses Études kierkegaardiennes, comme d'ailleurs son Essai sur le Parménide et son étude sur Hegel (Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel). »

[43] Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, Paris, Rieder, 1929 ; réédition Presses universitaires de France, 1951, p. V.

[44] Ibid. p.108.

[45] Yves Bonnefoy, livres et documents, op. cit., p. 65.

[46] Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, op. cit., p. V.

[47] « Nulle part on ne voit mieux que dans l'idée d'être ce que l'on pourrait appeler le mariage et le divorce simultanés du langage et de la réalité. L'idée la plus abstraite, la plus vide ; le sentiment le plus plein ; et l'un signifie l'autre. (On pourrait en dire de même pour les idées de ici et de maintenant.) », Existence humaine et transcendance,  op. cit., p. 56. Voir également  Recherches philosophiques, tome IV, années 1934-1935, Paris, Boivin et Cie, « Notes sur l'idée d'être » p. 62.

[48] Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, op. cit., p. 14.

[49] Sur le concept de lierre, op. cit., p. 23.

[50] Ibid. p. 24.

[51] Le livre de Jean Wahl, Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, est réédité en 1951, c'est-à-dire précisément l'année de parution de ce texte décisif : « Sur le concept de lierre ».

[52] Existence humaine et transcendance,  op. cit., p. 88. Voir aussi, de Jean Wahl, L'Expérience métaphysique, Paris, Flammarion, 1965, p. 229.

[53] L'Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969 ; réédition 2004, p. 53.

[54] Il faut ici rappeler une remarque de Jean Wahl dans Vers le concret : « La dialectique paraît naître moins de l'auto-transcendance de l'esprit que de la rencontre avec l'objet », op. cit., p. 45.

[55] Jean Wahl et Gabriel Marcel, op. cit., p. 77

[56] Poésie, pensée, perception, op. cit., p. 181

[57] Recherches philosophiques,  tome III, 1933-1934, Paris, Boivin et Cie, p. 201.

[58] Paru dans Vues sur Kierkegaard, études réunies par Georges Henein et magdi Wahba, Le Caire, La Part du sable, mai 1955, p. 23-29. Voir sur la relation entre Georges Henein et Yves Bonnefoy, l'article de Daniel Lançon : « Georges Henein et Yves Bonnefoy : l'exemplarité de l'amitié », in Yves Bonnefoy et l'Europe du siècle, dir. M. Finck, D. Lançon, M. Staiber,  Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2003, p. 459-478.

[59] L'Improbable, op. cit.

[60] L'Entretien infini, op. cit., p. 58.

[61] L'Improbable, op. cit., p. 20.

[62] Ibid.

[63] Ibid. p. 21.

[64] Études kierkegaardiennes, Paris, Vrin, 1938, réédition 1974, p. 558.

[65] Voir aussi sur ce point les remarques de Patrick Née à propos d'une « athéologie négative » défendue par le poète : Yves Bonnefoy penseur de l'image ou les Travaux de Zeuxis, op. cit., p. 182. Jean Wahl, lui-même, afin de définir sa dialectique existentielle, ne retient pas les orientations chrétiennes de Kierkegaard ; c'est ainsi qu'il remarque : « Dès lors, pour avoir le sentiment du paradoxe, est-il si nécessaire de se référer à ces croyances auxquelles se réfère Kierkegaard ? La vision de ce qui nous entoure n'est-elle pas pleine de réalités qui sont extrêmement paradoxales, comme la connaissance, comme la personne, ou même comme les choses ? », Existence humaine et transcendance, op. cit., p. 45 ; ou bien encore : « Cette transcendance, qui pour Kierkegaard était notre relation à Dieu, est devenue notre relation au monde », Traité de métaphysique, op. cit., p. 24.

[66] Jean Wahl et Gabriel Marcel, op. cit., p. 29. Cette phrase est extraite de Poésie, pensée, perception, op. cit., p. 250.

[67] 1848-1948 : cent années de l'histoire de l'idée d'existence, Paris, 1949, Centre de documentation universitaire, p. 36. Il est vrai que la remarque que nous citons concerne, dans cette partie du cours, le rapport du sujet à l'objet absolu, mais le commentaire que produit Jean Wahl n'exclut pas d'effacer cette dimension religieuse tout en conservant le paradoxe du penseur subjectif. C'est en ce sens qu'il faut comprendre sans doute la remarque de Yves Bonnefoy : « Et la vie qu'il dit religieuse est la propédeutique de l'objet », p. 20.

[68] « La passion et l'objet », op. cit., p. 21.

[69] Ibid.

[70] Ibid.

[71] Ibid.

[72] L'Improbable, op. cit., p. 31.

[73] Ibid.

[74] « La passion et l'objet », op. cit., p. 21. Cette remarque citée par Yves Bonnefoy est extraite des Études kierkegaardiennes, op.cit., p. 619. Il s'agit d'une partie des notes du chapitre XIII ; cette partie a pour titre « Dialectique et éthique négative » : « Rien de si dialectique et de si nu à la fois — comme le Parménide, ou comme la cathédrale de Salamanque — que le discours sur la Pureté du cœur, où Kierkegaard nous montre — comme Platon, comme Plotin — la convertibilité du bien et de l'un, et où il nous fait dépasser la région des récompenses, des suffisances, des degrés, — la région du partage, en un mot, pour aller vers l'inconditionné qui conditionne tout, l'absolu, et qui est l'un en vérité, le bien en vérité. »

[75] « La passion et l'objet », op. cit., p. 21.

[76] L'Improbable, op. cit., p. 25.

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