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Schéma d'un cours réalisé en classe de terminale littéaire par Claudine Lanoë. Ce cours est conçu comme une entrée dans l'œuvre.

Claudine Lanoë est professeur de Lettres classiques au lycée Antoine Watteau de Valenciennes. Elle enseigne le latin en hypokhâgne et en khâgne, et la littérature en terminale littéraire. Elle collabore au site associatif des professeurs de lettres Weblettres.

Édition utilisˇe pour ce cours : Presses Pocket (1998), préface et commentaires de Marie-Thérèse Ligot.

Nous remercions Claudine Lanoë de nous permettre de publier ce travail.

Texte mis en ligne le 2 juin 2007.

© : Claudine Lanoë.

Sur le site Bookine, voir une biographie détaillée de Diderot ainsi que des liens.


Diderot, Jacques le Fataliste

Quelle place occupe le motif du cheval dans le roman et quel rôle y joue-t-il ?

Le motif du cheval parcourt le roman : le récit-cadre raconte le voyage à cheval de Jacques et de son maître, voyage riche d'événements où l'animal joue un rôle ; mais il est aussi révélateur de la condition des deux personnages, de l'arrière-plan social du roman, des rapports entre le maître et son valet, des débats en cours tant philosophiques que littéraires.

1 - Un motif qui s'inscrit dans le récit-cadre mené par le narrateur-auteur : le voyage de Jacques et de son maître, ainsi placé sous le signe de l'instabilité, du changement

a - Le voyage, élément principal du récit-cadre s'effectue à cheval : « Les voilà remontés sur leurs bêtes et poursuivant leur chemin […] » p. 22 ; « Jacques […] sella et brida les chevaux […] et voilà nos gens partis » p. 30. Et les changements de montures se font au hasard des rencontres sur le chemin. « Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard comme tout le monde. » Rappel de l'incipit ?

b - Il est placé, à cause de l'animal, imprévisible, sous le signe de l'instabilité, du changement, comme l'annonçait l'incipit.

Ce récit-cadre est émaillé :

► de chutes : celle du maître p. 38 : « […] son cheval bronche et s'abat […] » ; celles de Jacques p. 74 : « À l'instant, Jacques pousse un cri, tombe de son cheval plus qu'il n'en descend […] » ; p. 99: « […] son cheval s'élançant dans une petite porte basse, il y eut entre le linteau de cette porte et la tête de Jacques un choc […]. Jacques tomba […]. »

► de changements impromptus de direction, à deux reprises : p. 68 : « Mais le cheval de Jacques fut d'un autre avis ; le voilà qui prend tout à coup le mors aux dents et qui se précipite dans une fondrière […] », p. 87 : « Jacques allait commencer l'histoire de son capitaine lorsque, pour la seconde fois, son cheval, se jetant brusquement hors de la grande route à droite, l'emporte […] », qui emmènent Jacques là où il n'avait pas prévu d'aller « entre des fourches patibulaires » ; ou des emballements sur la route : p. 93 : « Le cheval de Jacques ne permit pas à son maître d'achever ; il part comme un éclair, ne s'écartant ni à droite ni à gauche, suivant la grande route. »

L'imprévisibilité de l'animal est soulignée par Jacques : « Je crois que ce maudit cheval me fera devenir fou… Maudite bête, tiendras-tu ta tête droite ?… Va donc où tu voudras ! » p. 90-91 et « Jacques, toujours inquiet de l'allure de son cheval […]. J'espère, monsieur que vous ne me condamnerez pas à finir notre voyage sur ce bizarre animal » p. 91.

► de changements de… cheval qui, après deux achats, s'achèvent sur un échange, un troc : le vol du cheval du maître p. 53 est suivi de l'achat d'un nouveau cheval à un voyageur de passage : p. 64 : « Jacques […] va à la rencontre du voyageur, lui propose l'achat de son cheval, le paye et l'emmène […] » et p. 102 : « Le maître de Jacques descend, ordonne le déjeuner, achète un cheval […] » et p. 347, le cheval volé retrouvé dans le champ du laboureur : « On lui proposa un échange avec celui des deux autres qui lui conviendrait le mieux. »

 

Cette instabilité qui caractérise le cheval en fait d'abord une figure du destin aveugle.

2 - Le cheval, figure du destin aveugle et prétexte à échanges philosophiques

a - Le cheval : figure du destin aveugle

p. 74 : « […] Jacques remonta sur son cheval, et ils allaient en silence […] » et le narrateur-auteur ajoute : « Mais pour Dieu, lecteur, me dites-vous, où allaient-ils ?… Mais pour Dieu, lecteur, vous répondrai-je, est-ce qu'on sait où l'on va ? » ; or Jacques dit à son cheval : « Va donc où tu voudras ! » renonçant à le maîtriser. Comme en écho à cette phrase : « Nous croyons conduire le destin, mais c'est lui qui nous conduit. » p. 32 ; c'est en effet le cheval qui est le maître de Jacques, ce que le narrateur exprime ironiquement par antiphrase p. 93 : « Le cheval de Jacques ne permit pas à son maître d'achever ; il part comme un éclair […] ». Le narrateur écrit p. 53 : « Jacques remonte sur son cheval […] son usage était de le laisser aller à sa fantaisie ; car il trouvait autant d'inconvénient à l'arrêter quand il galopait, qu'à le presser quand il marchait lentement. Nous croyons conduire le destin ; mais c'est toujours lui qui nous mène ; et le destin, pour Jacques, était tout ce qui le touchait ou l'approchait, son cheval[1], son maître, un moine, un chien, une femme, un mulet, une corneille. »

Le maître adoptant le fatalisme de Jacques qualifie ironiquement ce cheval « d'inspiré » et les deux passages entre les fourches patibulaires d'« arrêt du destin, prononcé deux fois par [son]cheval » alors que Jacques, qui se voit déjà pendu, déclare : « J'ai beau revenir sur le passé, je n'y vois rien à démêler avec la justice des hommes. Je n'ai ni tué, ni volé, ni violé. »


b - Le motif du cheval introduit donc l'enjeu philosophique du roman

Le motif de la chute permet d'abord une leçon de philosophie autour de la connaissance sensible et de l'empathie

À Jacques qui déclare : « Ah ! monsieur, c'est une terrible affaire que de r'arranger un genou fracassé !… » son maître répond : « Allons donc, Jacques, tu te moques… » ; en réponse à ce propos impertinent survient la chute de cheval : « […] son cheval bronche et s'abat […] son genou va s'appuyer rudement sur un caillou pointu, et le voilà criant à tue-tête : « Je suis mort ! J'ai le genou cassé !… » p. 38 ; cet événement permet au maître d'accéder à la connaissance sensible par l'expérience et l'empathie : « [Jacques] ne put se refuser à un léger mouvement de joie secrète d'un accident qui apprendrait à son maître ce que c'était qu'une blessure au genou. » « Mais pour en revenir à une peine que nous connaissons tous les deux, l'histoire de mon genou, qui est devenu le vôtre par votre chute » p. 40 ; ce qui permet par un raisonnement analogique au maître de répondre à Jacques qui lie, dans le récit, le genou blessé à ses amours : « Non, Jacques ; l'histoire de tes amours qui sont devenues les miennes par mes chagrins passés. » Ce que le narrateur exprime métaphoriquement par le couple au-delà de la condition sociale qui opère un nouveau brouillage: « […] il y avait entre ces deux animaux la même intimité qu'entre leurs cavaliers : c'étaient deux paires d'amis. » C'est donc un motif qui introduit le thème des relations maître-valet.

Le cycle du cheval volé sous-tend une autre réflexion philosophique autour du débat sur le fatalisme

Le cheval du maître de Jacques est volé p. 53. Les deux personnages vont à pied jusqu'à ce qu'ils rencontrent « un voyageur qui s'avançait de leur côté, à pied, la bride de son cheval, qui le suivait, passée dans son bras » p. 63 ; c'est alors que le narrateur intervient : « Vous allez croire, lecteur, que ce cheval est celui qu'on a volé au maître de Jacques : et vous vous tromperez. C'est ainsi que cela arriverait dans un roman, un peu plus tôt ou un peu plus tard, de cette manière ou autrement ; mais ceci n'est point un roman […]. » C'est un écho à ce que dit Jacques à propos de ses amours : « C'est que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard.» p. 21.

Et le cheval est en effet retrouvé p. 348, dans un champ avec un laboureur : « Monsieur, arrivez, arrivez ; c'est votre cheval, c'est votre cheval » : exemple du déterminisme cher à Diderot. Quelle belle chaîne d'événements entre les pp. 53 et… 348 !

Le cheval volé est remplacé et précipite à deux reprises Jacques entre les fourches patibulaires : p. 68 et p. 87. Le maître donne ironiquement une interprétation de ce phénomène conforme au fatalisme de Jacques : « Diable ! c'est de fâcheux augure ; mais rappelle-toi ta doctrine. Si cela est écrit là-haut, tu auras beau faire, tu seras pendu […] mais si cela n'est pas écrit là-haut, le cheval en aura menti. Si cet animal n'est pas inspiré, il est sujet à des lubies […] » ; le cheval et son comportement amènent le débat philosophique sur le fatalisme ; le maître oscille entre fatalité et hasard. Jacques, lui, se croit victime du destin, qui a pris la forme de son cheval : « […] le destin s'en mêle […] cela romprait le sortilège […] il me semble quelquefois que le destin me parle […] » ; « Qu'est-ce que cela signifie ? disait Jacques. Est-ce un avertissement du destin ? »

La suite offre une explication logique, rationnelle du comportement de l'animal : ce cheval est celui du bourreau p. 99. Il est déterminé par son statut à galoper vers toutes les fourches qui se trouvent sur son passage.

Le cheval n'est donc pas une figure du destin mais du déterminisme ; comme le fait de retrouver le cheval volé à près de trois cents pages d'intervalle. Il existe bien des raisons qui expliquent les phénomènes mais nous nous trompons souvent sur ces raisons.

Le cheval est révélateur du déterminisme

Celui de la condition et de l'éducation.

Jacques observe le cheval qui refuse de labourer et s'est couché sur le sillon. Le cheval du maître « a pris son pli » ; il est déterminé par sa nouvelle condition. Les chevaux comme les hommes sont déterminés par leur naissance, et par leur éducation, qui prend parfois la forme d'un dressage.

C'est le « cheval symbole de Jacques » : p. 347-8 : « Je devine que ce sot, orgueilleux, fainéant animal est un habitant de la ville, qui, fier de son premier état de cheval de selle, méprise la charrue ; et pour vous dire tout, en un mot, que c'est votre cheval, le symbole de Jacques que voilà, et de tant d'autres lâches coquins comme lui, qui ont quitté les campagnes pour venir porter la livrée dans la capitale, et qui aimeraient mieux mendier leur pain dans les rues, ou mourir de faim, que de retourner à l'agriculture […] » ; le cheval, déterminé par son dressage, est le symbole de Jacques déterminé par sa condition.

3 - C'est d'ailleurs le cheval qui permet une évolution du rapport maître-valet

La première colère du maître : « Voilà le maître dans une colère terrible et tombant à grands coups de fouet sur son valet, et le pauvre diable […] » p. 21 : couple emblématique de relation sociale ; le valet responsable ou exutoire facile (bouc émissaire ; c'est sur lui que le maître passe sa colère). De même l'achat du cheval, p. 63 révèle la disparité des conditions : Jacques a servi dans l'infanterie et ne s'y connaît pas en chevaux ; le maître, lui, est un cavalier : « J'ai commandé dans la cavalerie » ; le cheval est lié au commandement alors que Jacques est serviteur. C'est aussi Jacques qui selle, bride, les montures (p. 30) ; et le maître, vexé que Denise lui ait préféré Jacques : « La coquine, préférer un Jacques ! » p. 223 rappelle à Jacques sa condition inférieure : « Un Jacques n'est pas un homme comme les autres. » 

 

Pourtant au-delà de ce rapport social existe un rapport naturel de partenariat

Le maître veille Jacques blessé après sa chute et c'est lui qui remplit les fonctions : « Je te veille. Tu es mon serviteur, quand je suis malade ou bien portant ; mais je suis le tien quand tu te portes mal. » Le maître se met ainsi au service de Jacques qui répond : « Je suis bien aise de voir que vous êtes humain ; ce n'est pas trop la qualité des maîtres envers leurs valets » et le lendemain : « Le maître de Jacques descend, ordonne le déjeuner, achète un cheval, remonte et trouve Jacques habillé » p. 100-102. Au-delà du couple social existe un couple naturel : encore une image de l'instabilité. Rien n'est constant.

Jacques et le cheval

Quand le maître se lamente sur son cheval perdu p. 54 : « Mon cheval, mon pauvre cheval ! » ; p. 56 : « Mon cheval !… Jacques, mon ami, ne te fâche pas ; mets-toi à la place de mon cheval, suppose que je t'aie perdu et dis-moi si tu ne m'en estimerais pas davantage si tu m'entendais crier : Mon Jacques ! mon pauvre Jacques ! »

Il va au pas, à sa fantaisie, comme Jacques (à quoi bon se presser ; ce qui doit arriver arrivera). « Quel diable d'homme » dit le maître de Jacques (épisode des brigands) et « C'est le diable » dit le laboureur du cheval p. 367. Il existe aussi un parallélisme entre le valet et le cheval (tous deux sont déterminés par leur condition).

 

Mais les variations de situations rendent plus instable la relation : « Le maître s'apercevant qu'on lui avait volé son cheval, se disposait à tomber sur Jacques à grands coups de bride, lorsque Jacques lui dit : « Tout doux, monsieur, je ne suis pas d'humeur aujourd'hui à me laisser assommer ; je recevrai le premier coup, mais je vous jure qu'au second je pique des deux et vous laisse là… » Le vol du cheval engendre la colère du maître qui s'en prend non pas à lui-même mais à son valet mais Jacques est doté d'un cheval et menace de partir ; il se rebelle. Le maître « se radoucit » car il est, objectivement, en situation d'infériorité. Le pouvoir a changé de main ; il est changeant, instable.

Et ce dernier lui rappelle sa lâcheté dans la mauvaise auberge : « Si […]Jacques n'avait pas valu un peu mieux que son maître… » p. 224.

C'est Jacques qui mène le jeu : il raconte ses amours le premier ; il parle ; il domine ; le narrateur, malicieusement consacre les aventures à Jacques, quand ils sont séparés ; le maître, entre sa tabatière et sa montre, s'ennuie, « car il ne savait que devenir sans sa montre, sans sa tabatière et sans Jacques » ; le maître sans Jacques n'est rien. Diderot critique ici les fonctions vides, ce que Jacques appelle le nom. Le maître n'a de « maître » que le nom, le titre, ce qui vaut quelques moments de rébellion de la part du valet.

 

Et Jacques est le maître de son maître…

P. 224 -225 : « Comment, monsieur, après m'avoir accoutumé pendant dix ans à vivre de pair à compagnon » (pair = égal ; compagnon = avec qui on partage le pain) « asseoir à côté de vous, appelé votre ami… » ; « Jacques et son maître » ; « Jacques restera où il est et ne descendra pas. » ; c'est l'hôtesse qui rétablit le contrat : « Il fut arrêté que vous auriez le titre et que j'aurais la chose » p. 230 ; « Jacques mène son maître » ; « vous vous appelleriez mon maître et je serais le vôtre » p. 231.

…et lui donne une leçon de déterminisme

P. 363 : il se présente à la botte de son maître mais quand il chausse l'étrier, la courroie cède et celui-ci se retrouve dans les bras de son valet. Il le remercie de l'avoir sauvé de terribles blessures ; et Jacques de dire : « le grand malheur » avec ironie, ce qui déclenche la colère du maître, qui le poursuit de son fouet autour du cheval. Or Jacques a voulu lui prouver que l'on agit sans le vouloir ; Jacques a provoqué la scène en sectionnant les courroies. Le maître a été « la marionnette » de son valet.

4 - Le cheval est aussi révélateur des enjeux littéraires du roman

Le cheval, imprévisible, qui « part comme l'éclair », va à « sa fantaisie » est à l'image du récit. Diderot procède par ruptures, digressions, qui coupent les récits, y fait entrer la vie et ses fantaisies. Le voyage ressemble au récit, troué d'événements, puisque le cheval volé ne réapparaît qu'à la fin. Il exprime métaphoriquement les ruptures p. 89 : « Ici Jacques s'arrêta, et cela lui arriva plusieurs fois dans le cours de son récit, à chaque mouvement de tête que son cheval faisait de droite et de gauche. Alors, pour continuer, il reprenait sa dernière phrase, comme s'il avait eu le hoquet. » Quand Jacques s'interrompt il reprend sa dernière phrase comme dans le roman : « […] elle produisit l'un et l'autre […] elle produisit l'un et l'autre […]. » Ainsi quand le récit de Jacques est interrompu, le maître lui demande de le reprendre là où il l'a laissé, p. 120 : le récit de Jacques est interrompu par le narrateur lui-même (histoire de Gousse) puis par l'épisode de Nicole, les récriminations du maître affamé et une discussion entre Jacques et le maître p. 123-126, si bien que Jacques ne sachant plus où il en est, c'est le maître qui recoud le fil de l'histoire des amours de Jacques : « Où en étais-je ? Je vous prie, mon maître, pour cette fois et pour toutes les autres, de me remettre sur la voie. / Je m'en charge, et, pour entrer en ma fonction de souffleur, tu étais dans ton lit, sans argent, fort empêché de ta personne, tandis que la doctoresse et ses enfants mangeaient ta rôtie au sucre » p. 126-127.

Il en va de même du rythme du roman, qui tantôt s'emballe (résumé au maître des aventures de Jacques, p. 54) ou prend son temps (longue histoire dans l'histoire : Mme de La Pommeraye ) ; les digressions jouent le même rôle.

 

Le cheval volé est prétexte à contrer l'attente du lecteur : « Vous allez croire, lecteur, que ce cheval est celui qu'on a volé au maître de Jacques : et vous vous tromperez. C'est ainsi que cela arriverait dans un roman, un peu plus tôt ou un peu plus tard, de cette manière ou autrement ; mais ceci n'est point un roman, je vous l'ai déjà dit, je crois, et je vous le répète encore » p. 63. Le cheval rencontré sur la route n'est pas le cheval volé : « Ceci n'est pas un roman », avec des rebondissements invraisemblables ; le cheval est retrouvé beaucoup plus tard : le lecteur ne peut plus repérer l'enchaînement des causes. C'est le déterminisme représenté dans le roman ! Chaque événement est déterminé irrévocablement par une chaîne d'événements antérieurs. De plus il fait se retrouver les chevaux juste au moment de séparer les deux personnages.

 

Il est aussi un ressort dramatique : c'est d'avoir négligé les chevaux paternels qui entraîne l'enrôlement de Jacques.

Conclusion

Comme souvent chez Diderot un motif d'apparence anodine — il serait intéressant d'explorer d'autres motifs : « la montre, la bourse et la tabatière » ou encore « la bouteille » — met en abyme le roman dont la structure repose sur un système complexe d'échos car, au-delà d'une réelle diversité, l'auteur joue de la dialectique du même et de l'autre. Le motif du cheval tisse la trame du récit-cadre, celui du voyage de Jacques et de son maître, en plaçant d'emblée le roman sous le signe de l'instabilité, du mouvement. L'animal, par sa « fantaisie », symbolise l'écriture de Diderot qui procède par bonds et changements brusques de direction, entraînant son lecteur en marge du récit principal troué de digressions et de récits secondaires. Motif littéraire, le cheval est bien à l'image de ce roman, « qui n'en est pas un… » mais qui en exploite tous les possibles, construit puis déconstruit le récit. Diderot romancier ne laisse jamais le lecteur enkysté dans ses certitudes mais il l'entraîne « là où il ne veut pas aller », aussi fantaisiste que « l'animal bizarre » qui emporte Jacques dans des chemins de traverse, donnant lieu à une leçon de philosophie entre fatalisme et déterminisme. Le cheval, « la plus noble conquête de l'homme », signale aussi l'appartenance sociale, puisque le maître, « qui a le titre », a servi dans la cavalerie quand Jacques « qui a la chose » s'est enrôlé dans l'infanterie ; et ce motif décidément aussi complexe que la structure romanesque renvoie en écho à la relation entre le maître et son valet, modèle elle aussi… d'instabilité.

Claudine Lano‘



[1] C'est nous qui soulignons. De même plus bas, à plusieurs reprises.

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