Claude Le Bigot,
professeur émérite de l'université de Rennes 2, consacre
ses travaux à la poétique du texte et à l'histoire de la
poésie espagnole. Parmi ses ouvrages les plus récents, il
a publié un essai sur Libro del frío d'Antonio
Gamoneda. Une poétique de la discontinuité (Paris,
Puf/Cned, 2009). Il a traduit pour les éditions du
Murmure, Trois poètes espagnols contemporains
(2007) et Le Livre, derrière la dune de Andrés
Sánchez Robayna (2012).
Claude Le Bigot propose ici des traductions de la poètesse espagnole Angela Serna.
Mis en ligne le 28 juin 2013.
Toutes les traductions proposées ici sont inédites.
Traductions d'Angela Serna
Née à Salamanque en 1970, Angela Serna est professeur titulaire de langue et littérature fran¨aises à l'université du Pays Basque (Vitoria, Espagne). Fondatrice et directrice de la revue Texturas consacrée à la poésie visuelle, elle a publié une dizaine de recueils de poésie parmi lesquels : Del otro lado del espejo (2000), Luego será mañana (2006), De eternidad en eternidad (en otra habitación) (2006), Vecindades del aire (2006), Apuntes para una melodía (2007), La Desmesura del círculo (2011). Elle a aussi traduit en espagnol des textes de Michel Butor, Marie-Claire Bancquart, Jean-Michel Maulpoix. Les poèmes de Luego será mañana (en otra habitación) écrits le 16 avril 2006, soit six jours après la disparition de Claude Esteban (1935-2006), sont un hommage rendu par Angela Serna au poète alors qu'elle se préparait à le rencontrer à son domicile parisien. Chaque texte est précédé d'une citation (en italiques et en fran¨ais) empruntée à Quelqu'un commence à parler dans une chambre, recueil de Claude Esteban (Flammarion, 1995).
De De eternidad en eternidad, 2006, p. 31
También yo
quise en mis rodillas
sentar a la Belleza ;
Acariciarla con mis manos
inseguras en tiempos
de precaria búsqueda ;
Cantarle melodías
consonánticas
en danza inexpugnable
de vocales coloreadas
con urgnecia ;
Decirle muy bajito
- a modo de susurro -
ne me quitte pas
déjame ser tu sombra
déjame ser el eco
de tu gélida boca.
También yo quise…
- no para injuriarla -
Mas la Belleza espera,
impasible, mi estación
de infierno acurrucada
en el límite de otro cuerpo.
De Luego será mañana (en otra habitación), 2006, pp. 31-37 et 53
Ne regarde pas / chacun de tes pas / provoque l'abîme
Mirarse
en un espejo
mirar a través
de una ventana
dejarse seducir
por el abismo.
No ver
no querer
ver más allá
allí
donde la pesadumbre
escupe la imagen
eterna de la espera,
donde el paso se detiene
para evitar
un final
irreversible
que, en la hora
de la indefensión,
sabemos próximo :
dilema…
…le même soir, les mains posées sur la table /et cet espoir au bout,/ d'être et de ne pas être, sans souffrir…
Del otro lado de la ventana
las ramas del árbol del jardín
golpean los cristales
desde la espesura
de la vida en el papel.
Ser o no ser.
… Las ramas
arañan el vidrio y
lanzan contra mí
un grito arrebatado
al viento que las mece,
mientras dentro
mirando hacia otro lado,
busco una nota
a la que asirme
para no perecer en las heridas
que se instalan en la mesa
donde escribo…
Peut-être que tout est dit,/ peut-être qu'on attend la nuit/ pour écrire la même phrase…
No quiero ser herida
ni rasguño
o llaga
de una historia
ajena a mi historia y
sin embargo
tan mía…
Donnez-moi ce matin…/ donnez-moi / juste un peu de ciel ou ce caillou…
A salvo en los ruidos
de la noche,
tu silencio
adherido a mi silencio
abrió la vieja herida
y zozobré
con tantas voces
tropezando
en las piedras
de un camino andado
y desandado
cada amanecer…
Comme s'il s'agissait/ de poussière et sur le mur cette/
image qui n'existe plus…
Alguien
a quien conozco aunque
desconozco me llama
desde la sombra
reduciendo el gesto de caminar
a balanceo de mimo
sobre un pedestal.
Alguien
sin voz sin cuerpo
etéreo en la vacuidad
del espacio de la duermevela
insiste
inmovilizando el resorte
que me mantiene unida a la vida y
ya, ahíta y desvelada,
no tengo ni una mano que llevarme
al papel.
Sobre la mesa
una mancha blanca
espera la fatal sacudida de la muerte
como si el polvo,
llegado desde el otro lado de la puerta,
fuera el único capaz de redimirla…
Moi aussi
j'ai voulu sur mes genoux
asseoir la Beauté ;
La caresser de mes mains
incertaines en un temps
de quête précaire ;
Lui chanter des mélodies
de belles rimes
dans une danse triomphale
de voyelles colorées
dans l'urgence ;
Lui dire à voix basse
- dans une sorte de murmure -
ne me quitte pas
laisse-moi être ton ombre
laisse-moi être l'écho
de ta bouche glacée.
Moi aussi j'ai voulu…
- sans intention de nuire -
Mais la Beauté attend,
impassible, ma saison
en enfer blottie
aux confins d'un autre corps.
Ne regarde pas / chacun de tes pas / provoque l'abîme
Se regarder
dans un miroir
regarder à travers
une fenêtre
se laisser séduire
par l'abîme
Ne pas voir
ne pas vouloir
voir au-delà
Là-bas
où les regrets
crachent l'image
éternelle de l'attente,
où les pas s'arrêtent
pour éviter
une fin
irréversible,
que, pris
au dépourvu,
nous savons proche :
dilemme…
…le même soir, les mains posées sur la table /et cet espoir au bout,/ d'être et de ne pas être, sans souffrir…
De l'autre côté de la fenêtre
les branches de l'arbre du jardin
frappent les vitres
depuis la frondaison
de la vie sur le papier.
Être ou ne pas être.
…Les branches
griffent le verre et
lancent contre moi
un cri arraché
au vent qui les berce,
tandis qu'à l'intérieur,
regardant ailleurs,
je cherche une note
où m'accrocher
pour ne pas périr des blessures
qui se sont installées sur la table
où j'écris…
Peut-être que tout est dit,/ peut-être qu'on attend la nuit/ pour écrire la même phrase…
Je ne veux pas être blessure
ni égratignure
ni plaie
d'une histoire
étrangère à mon histoire et
pourtant
tellement à moi…
Donnez-moi ce matin…/ donnez-moi / juste un peu de ciel ou ce caillou…
À l'abri dans les bruits
de la nuit,
ton silence
qui adhère à mon silence,
a ouvert l'ancienne blessure
et j'ai sombré
avec tant d'autres voix
en trébuchant
sur les pierres
d'un chemin parcouru
dans un sens et dans l'autre
chaque matin…
Comme s'il s'agissait/ de poussière et sur le mur cette/
image qui n'existe plus…