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Jean Le Bihan : préface à la deuxième édition du livre de Jean-Yves Guiomar, Le Bretonisme.

Jean Le Bihan est maître de conférences à l'université Rennes 2. Il est spécialiste de l'histoire sociale et administrative du XIXe siècle.

Mis en ligne le 4 novembre 2019.

Jean-Yves Guiomar, Le Bretonisme. Les historiens bretons au XIXe siècle, avec un avant-propos de Bruno Isbled, des préfaces de Michel Denis et de Jean Le Bihan et une postface de Marie-Thérèse Lorain. Presses universitaires de Rennes et Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne (SHAB), 2019.


Le Bretonisme de Guiomar, trente ans après
Préface à la seconde édition

On ne peut assurément que se réjouir de l'initiative prise par la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne de rééditer en coédition avec les Presses universitaires de Rennes la thèse de Jean-Yves Guiomar, qu'elle avait publiée il y a un peu plus de trente ans, en 1987, tant cet ouvrage peut et doit être considéré comme un ouvrage qui compte. Il est toujours difficile, il est vrai, de juger de l'impact d'un ouvrage de recherche dès lors que l'on n'accorde qu'un crédit limité à toutes ces méthodes de comptage qui se sont multipliées depuis quelques années en vue, dit-on, de mesurer la valeur des productions scientifiques dans le domaine des sciences humaines et sociales[1]. À force de fréquenter un champ historiographique, plus ou moins étendu, tout historien, philosophe ou politiste parviendra toutefois à distinguer les travaux les plus importants de ceux qui présentent un moindre intérêt scientifique. De ces travaux qui importent, qui comptent, la marque est certainement qu'il n'est plus possible, après leur publication, de penser tel ou tel objet de connaissance de la même manière qu'auparavant, ce qui se voit au fait qu'ils sont cités et discutés dans les recherches de qualité menées ensuite sur des objets voisins. Tel est le cas, croyons-nous, du Bretonisme, dont la lecture demeure incontournable pour qui se penche sur l'histoire du XIXe siècle breton mais aussi celui qui entreprend de réfléchir à l'histoire des identités nationales, entendues lato sensu, à l'échelle française et même européenne. Dès 1989, Guy Lemarchand saluait sa sortie comme celle d'un « livre important[2] » ; nous pensons que son intérêt n'a pas faibli et c'est ce que nous souhaiterions essayer de démontrer dans cette préface que la disparition de Jean-Yves Guiomar, il y a seulement deux ans, charge d'une inévitable gravité.

 

Il faut commencer par dire que Le Bretonisme constitue toujours une excellente contribution à l'histoire de l'idée nationale, qui s'est déployée, avec la fortune que l'on sait, dans l'Europe du premier XIXe siècle[3]. Ici, le mot bretonisme dérive de bretoniste, néologisme formé par La Borderie pour désigner, par opposition aux romanistes, les tenants d'une histoire de la Bretagne qui ne doit rien au monde gallo-romain. Dans l'esprit de Jean-Yves Guiomar, le mot va cependant plus loin et qualifie l'ensemble des historiens, au sens le plus large du terme, qui se sont ingéniés à présenter la Bretagne comme, écrira-t-il plus tard, « un ensemble distinct, par ses origines et ses caractéristiques, du reste de la France[4] », à la doter, en somme, d'une histoire à la fois particulière et glorieuse. Il faut se représenter le travail immense qu'a nécessité une telle enquête, qui n'a négligé aucun des livres, aucun des articles publiés par les historiens bretons engagés dans ce combat historiographique, lequel bat son plein des années 1840 aux années 1880 et dont les sociétés savantes en voie d'émergence ont constitué non pas la seule – Jean-Pierre Chaline a raison de relever ce fait important[5] – mais l'une des principales arènes.

On doit à la vérité de dire que lorsqu'il s'est emparé de cet ambitieux objet de recherche, Jean-Yves Guiomar ne pénétrait pas tout à fait dans une terra incognita. Dix ans avant Le Bretonisme, avait paru, sous la plume de Bernard Tanguy, Aux origines du nationalisme breton, un ouvrage centré sur les débats relatifs à la langue bretonne qui avaient eu cours durant les deux premiers tiers du XIXe siècle mais qui comportait aussi un développement substantiel sur le récit des origines qu'avaient alors entrepris d'élaborer les historiens proprement dits, et notamment La Borderie, auquel l'auteur dédiait un chapitre pionnier[6]. Comme Jean-Yves Guiomar l'a fait en son temps, il nous plaît de rendre hommage à ce travail étayé et rigoureux que l'on tend, semble-t-il, à perdre un peu de vue de nos jours. L'intérêt des universitaires pour l'historiographie bretonne du XIXe siècle est donc plus ancien que Le Bretonisme ; précisément, il y a lieu de penser que par-delà l'ouvrage de Bernard Tanguy, il remonte aux travaux du chanoine Falc'hun de la fin des années soixante[7]. Il n'en reste pas moins que la réflexion était encore, on n'ose dire balbutiante, à tout le moins parcellaire et inaboutie à la fin des années soixante-dix. Là est bien le tour de force accompli par Jean-Yves Guiomar : dans le fait d'avoir considérablement amplifié cette réflexion difficile et exigeante, de l'avoir structurée et finalement fixée dans cette vaste démonstration qu'est Le Bretonisme.

Nous nous garderons bien de résumer cette démonstration par le menu. Tout juste reviendrons-nous brièvement sur ses apports les plus décisifs. Le plus évident d'abord : Le Bretonisme décrit avec une parfaite précision comment, au cours de ces années, se sont élaborés un ensemble de discours particularisants sur le passé breton. Longtemps, ces discours se sont mal distingués de ce que Jean-Yves Guiomar appelle le bretonisme littéraire, incarné par Hersart de La Villemarqué, mais dès les années 1840, au moment où – est-ce un hasard[8] ? – le mouvement de réforme de la langue bretonne s'enlise, ils trouvent en La Borderie leur champion. En même temps qu'il est le plus grand historien breton du temps, celui dont, à coup sûr, Jean-Yves Guiomar a le plus longuement étudié l'œuvre, La Borderie est, pourrait-on dire, le principal personnage du livre. L'idée que l'historien vitréen se fait des origines bretonnes est fixée alors qu'il a tout juste vingt ans et il n'en changera pour ainsi dire plus : installation des Bretons dans une Armorique quasi déserte au Ve siècle ; unification politique de la Bretagne au IXe siècle, sous la férule d'un Nominoé promu, à ce titre, père de la nation bretonne ; goût de la liberté et esprit nativement résistant du peuple breton. En matière de méthode, La Borderie est inclassable : chartiste, il introduit une technicité inédite au sein des études historiques bretonnes ; mais il est aussi un fervent catholique qui s'abstient de critiquer les vies de saints et veut, avec obsession, établir que des liens consubstantiels unissent l'histoire de la nation bretonne et celle de l'Église catholique. La démonstration est nette : comme tant d'autres peuples au cours du XIXe siècle, les Bretons sont dotés d'un véritable récit national ; ce récit a pour principal artisan La Borderie et pour principale particularité sa forte dimension religieuse[9].

Le Bretonisme livre encore d'autres conclusions très dignes d'intérêt, qui portent sur les historiens eux-mêmes. Jean-Yves Guiomar considère que ces derniers ont fait preuve d'un réel dynamisme au cours des années étudiées, et il rejette donc l'analyse développée dix ans plus tôt par Charles-Olivier Carbonell, qui avait classé la Bretagne au nombre des régions dites – fort maladroitement, reconnaissons-le – « paresseuses[10] » en matière historiographique. Il démontre, par ailleurs, que les historiens bretons – les bretonistes comme les autres – étaient pleinement intégrés à des réseaux sociaux et intellectuels centrés sur la capitale : réseaux personnels mais aussi formalisés à partir de la monarchie de Juillet, qui a accompagné la création d'institutions culturelles aussi importantes que le Comité des travaux historiques ou la Commission des monuments historiques du statut de membre correspondant, au moyen duquel elle a su enrôler nombre d'érudits provinciaux au service de son propre programme idéologique. Ainsi est-il bien établi que l'école historique bretoniste, si particulariste qu'elle ait été en matière historiographique, n'a jamais été isolationniste sur le plan des pratiques sociales, bien au contraire. Comme y insistera plus tard Odile Parsis-Barubé en développant le raisonnement jusqu'à son terme : « le "local" ne s'affirme pas contre la logique centralisatrice […] : il se constitue par elle[11] ». Le paradoxe n'est qu'apparent ; nous y reviendrons. On trouvera enfin dans Le Bretonisme le contrepied de l'idée selon laquelle les historiens bretons en général et les historiens bretonistes en particulier auraient formé un bloc réactionnaire. Jean-Yves Guiomar ne nie évidemment pas que certains d'entre eux ont été de purs traditionalistes mais il insiste avec force sur le fait – capital – que le renouveau historiographique qui saisit la Bretagne sous les monarchies censitaires plonge d'abord ses racines dans un catholicisme d'inspiration libérale, un « mennaisianisme au sens large », écrit-il. Que l'on songe, par exemple, à la figure heureusement exhumée du Briochin Jules Geslin de Bourgogne, buchézien et continûment modernisateur dans l'âme.

 

Qu'est devenu ce champ d'étude depuis la parution du Bretonisme ? Il convient tout de suite d'observer que Jean-Yves Guiomar lui-même n'y est que très peu revenu et que quand il l'a fait, ce n'a été que pour reprendre ou synthétiser tel dossier qu'il avait déjà travaillé[12]. On notera par ailleurs que ce champ n'a fait l'objet depuis lors d'aucune recherche d'ampleur comparable à celle du Bretonisme, ce qui n'étonne guère, pour dire le vrai. On ne peut soutenir, pour autant, que notre connaissance de l'historiographie bretonne des années centrales du XIXe siècle n'a pas progressé. Au contraire, de multiples études ont paru depuis le tournant des années 1990 qui ont contribué à l'enrichir au fil des ans. Ces études sont d'ambition inégale, beaucoup ont un caractère monographique et intéressent soit l'activité d'une société savante, soit le travail d'un érudit en particulier, enfin un grand nombre d'entre elles sont disséminées dans les bulletins édités par les sociétés savantes de la région. Il n'y aurait aucun intérêt à en faire ici l'inventaire exhaustif, au reste aisément réalisable au moyen des bases bibliographiques qui existent aujourd'hui[13]. On peut en revanche essayer de dégager les lignes de force qui structurent ce champ de recherche et distinguer, pour ce faire, trois chantiers aux statuts historiographiques bien marqués.

À tout seigneur tout honneur : un mot d'abord du Barzaz Breiz et d'Hersart de La Villemarqué, qui, dans une perspective plutôt littéraire qu'historique, a puissamment contribué à l'essor du bretonisme et qui, à ce titre, tient une place importante dans le livre qui nous occupe. Le chantier du Barzaz Breiz, s'il est toujours actif, s'est radicalement transformé au cours de ces dernières années. Comme l'écrit Nelly Blanchard [14], après que, dans sa thèse, Donatien Laurent eut en quelque sorte clos la « querelle » ouverte plus d'un siècle plus tôt autour de l'authenticité des chants publiés[15], Bernard Tanguy et Jean-Yves Guiomar ont quant à eux apporté aux questions mêlées du rapport à l'histoire et de la vision du monde du « barde de Nizon » des réponses que l'on peut, pour l'heure du moins, considérer comme définitives. Qui entend continuer à travailler la matière du Barzaz Breiz doit donc l'interroger autrement, par exemple en envisageant l'ouvrage comme une création intellectuelle et esthétique[16]. Mais il s'ensuit qu'un tel déplacement tend à éloigner les études menées actuellement sur La Villemarqué et son œuvre du champ qui nous intéresse ici, ce qui ne revient évidemment pas à dire qu'elles ont tout à fait cessé de contribuer à la réflexion sur l'essor de l'historiographie bretonne au XIXe siècle[17].

Le deuxième chantier nettement identifiable consiste dans l'étude de la vie et de l'œuvre de La Borderie. Il a été relancé à l'occasion du centenaire de la mort de l'historien, donnant lieu, à cette occasion, à un colloque[18] et une exposition accompagnée d'un catalogue de belle facture[19]. Si, autant qu'on puisse en juger, la présentation de la vision laborderiste de l'histoire bretonne n'a pas varié[20], nous en savons désormais un peu plus sur la manière de travailler de l'historien : sur son rapport aux sources[21] ; sur sa façon de raisonner, dont Michel Denis a rappelé combien elle avait été continûment écartelée entre son parti pris pour la méthode érudite d'un côté, son ignorance des sciences auxiliaires de l'histoire et son « hagiographolâtrie[22] » de l'autre[23], une façon de raisonner dont Hubert Guillotel a pour sa part durci le caractère dogmatique et déploré la nocivité historiographique à long terme[24] ; enfin sur ce que l'on peut appeler sa rhétorique, grâce, par exemple, aux pénétrantes observations de Jean-Christophe Cassard[25]. Des aspects jusque-là méconnus de la vie de La Borderie sont aussi sortis de l'ombre à la faveur de ce regain d'intérêt qui a saisi universitaires et érudits bretons au tout début du nouveau siècle. Certains sont anecdotiques mais d'autres intéressent sa sensibilité d'historien et méritent attention[26].

Le troisième et dernier chantier concerne l'essor de l'archéologie bretonne au XIXe siècle. Il peut paraître plus périphérique que les deux autres dans la mesure où nombre des archéologues bretons du temps se rattachaient au courant romaniste ; mais il faut dire ici que Le Bretonisme, s'il est centré sur les travaux de l'école bretoniste, traite, d'une certaine façon, de l'ensemble des recherches historiques qui se sont alors donné pour objet les origines bretonnes, y compris, donc, celles des romanistes. Ainsi sommes-nous encore ici dans la pleine continuité des analyses de Jean-Yves Guiomar. Les recherches intéressant ce sous-champ de l'historiographie régionale se sont multipliées depuis une quinzaine d'années. Décisive, à cet égard, a sans doute été la journée d'étude consacrée à « la naissance de l'archéologie régionale dans l'Ouest armoricain[27] », qui, non contente de produire des résultats, se voulait « le socle de fondation à une entreprise historiographique[28] » au long cours. Logiquement, deux terrains sont privilégiés par les travaux actuels, Nantes et sa région d'une part, le Morbihan d'autre part, les deux espaces pionniers de la recherche archéologique au XIXe siècle même. Les axes qui structurent la réflexion intéressent l'histoire de la conservation monumentale[29], des collections d'objets[30], de la culture et du travail des archéologues à l'heure où ceux-ci entrent dans une mue historique[31]. Particulièrement instructive est l'étude consacrée par Jacques Daniel au romaniste Bizeul, saisi à un moment de sa trajectoire intellectuelle où il personnifie en quelque sorte la transformation en cours du travail archéologique[32]. Il faut enfin signaler l'analyse consacrée par Nathalie Richard à la Polymathique du Morbihan, qui conclut à la marginalisation progressive des archéologues morbihannais au sein d'un champ de recherche, la Préhistoire, qui s'institutionnalise à partir du Second Empire[33]. La réflexion est stimulante, convaincante, et il serait certainement bienvenu de l'étendre au pôle nantais. On voit, en définitive, combien ce chantier est actif.

Le champ d'étude délimité en son temps par Le Bretonisme a donc été sérieusement retravaillé depuis trente ans. On a compris que le rapport que tous les travaux précités entretiennent avec l'ouvrage pionnier de Jean-Yves Guiomar est éminemment variable, ici de filiation directe, là de simple influence. Il demeure que, partout, Le Bretonisme est présent, et, partout, comme intellectuellement agissant. Ce serait aller trop loin, sans doute, que d'en faire l'ossature de tout ce champ d'étude, mais on admettra au moins qu'il est encore aujourd'hui le travail qui le structure le plus en profondeur, d'autant qu'à bien examiner toute la littérature scientifique produite depuis la fin des années 1980, on s'aperçoit que l'analyse de Jean-Yves Guiomar n'a jamais été à proprement parler discutée. Remarquons que cette position d'autorité, Le Bretonisme l'occupe aussi à l'échelle de la recherche nationale, qui, au fil des ans, s'est enrichie d'enquêtes similaires, lesquelles donnent à observer aujourd'hui l'étonnante variété avec laquelle les historiens provinciaux ont fabriqué le passé de leur petite patrie tout au long du XIXe siècle[34]. Peut-être est-ce de la confrontation avec cette historiographie élargie que viendra la discussion. Gagnerait en particulier à être reprise la question du dynamisme intellectuel du milieu érudit breton, qui nous paraît, en l'état, désigner l'une des rares zones de fragilité de ce travail exemplaire[35].

 

Le Bretonisme est un ouvrage historique à plusieurs dimensions. On peut dire que tout son contenu, dont il a été question jusqu'ici, est comme enclos dans une interrogation surplombante : les origines du Mouvement breton. Dire que cette interrogation a considérablement compté dans la vie et l'œuvre de Jean-Yves Guiomar n'est certainement pas exagéré. Elle est, d'ailleurs, à l'origine même de son maître livre si l'on en croit sa brève autobiographie intellectuelle : tôt engagé dans le Mouvement breton, membre, successivement, du Mouvement pour l'organisation de la Bretagne (MOB) et de l'Union démocratique bretonne (UDB), le jeune Guiomar a vite éprouvé un malaise face à l'usage essentialisé que les militants autonomistes faisaient de la notion de Bretagne. Qu'est-ce, donc, que la Bretagne ? C'est, si l'on veut, cette question qui l'a conduit peu à peu à se tourner vers les historiens bretons du XIXe siècle, puis à s'engager dans la préparation du Bretonisme[36]. Le contexte scientifique était, il est vrai, porteur puisque ces années soixante-dix sont aussi celles du regain d'intérêt de la communauté historienne pour la question des origines et du développement du nationalisme[37]. À l'arrivée du parcours, en 1986, Jean-Yves Guiomar revient sur son intention première et formule une conclusion forte qui se compose de deux arguments complémentaires. Certes, assure-t-il, les bretonistes n'ont pas été insensibles à la cause de la Bretagne. Au contraire, on doit même reconnaître que dès sa création en 1843, l'Association bretonne a eu en vue de former un « parti culturel breton », et, au-delà, que les sociétés savantes dans leur ensemble ont su jeter les bases d'une véritable « conscience régionale », expression qui revient assez souvent dans Le Bretonisme. Pour autant, ajoute-t-il, la discontinuité est trop marquée pour que l'on puisse considérer que le Mouvement breton a été enfanté par le bretonisme. Ce qui le conduit en définitive à réviser, avec une grande honnêteté, la chronologie qu'il avait lui-même proposée quelques années plus tôt : non, le Mouvement breton n'est pas né en 1844 avec la création de la classe d'archéologie de l'Association bretonne[38], mais un demi-siècle plus tard avec celle des premières organisations régionalistes — Union régionaliste bretonne (URB), Fédération régionaliste de Bretagne (FRB), etc.

Il faut s'arrêter un instant sur cette question capitale de la discontinuité entre le bretonisme et le Mouvement breton. Affirmer que cette discontinuité est forte et décisive, comme le fait Jean-Yves Guiomar, ne revient nullement à dire que le premier Emsav ne doive rien au bretonisme. Tout au contraire : c'est évidemment dans la richesse patrimoniale mise au jour par les savants du XIXe siècle, dans la profusion de leurs écrits sur l'histoire longue de la Bretagne, que les militants de la Belle Époque ont puisé les ingrédients de leur discours revendicatif. Où les auraient-ils trouvés sinon? Des hommes, même, ont fait le lien entre l'un et l'autre mouvement dans le cours de leur propre vie, tel le marquis de l'Estourbeillon. Reste qu'à de rares exceptions près, les bretonistes n'ont jamais eu en vue de mobiliser les masses populaires de leur temps, ni, partant, de faire advenir des organisations politiques telles que celles qui verront le jour à partir de 1898. Là, précisément, réside la discontinuité entre le bretonisme et le Mouvement breton selon Jean-Yves Guiomar. Plus récemment, Michel Denis a repris le problème à travers la question centrale de l'héritage intellectuel de La Borderie au sein de l'Emsav et abouti à des conclusions en tout point similaires[39]. Si l'œuvre historique de La Borderie et en particulier son Histoire de Bretagne ont été beaucoup lues par les militants bretons du début du XXe siècle, elles étaient en fait complètement inassimilables par la nouvelle idéologie autonomiste : parce que « l'historien national de la Bretagne » ne s'était jamais montré partisan, quant à lui, de la diffusion du travail érudit au sein des masses populaires ; parce qu'il était pour ainsi dire insensible à la thématique celtique ; enfin, surtout, parce qu'il situait l'apogée de la nation bretonne au Moyen Âge et considérait explicitement qu'elle n'était plus vivante depuis la Révolution française. Comment ne pas dire, dans ces conditions, que la relation entre le bretonisme et le Mouvement breton a été d'emblée fondée sur un immense malentendu ? Il n'est d'ailleurs que d'observer comment, dans les années trente, le Mouvement breton s'émancipera de la tutelle intellectuelle exercée jusqu'alors par La Borderie aux fins de pouvoir s'inventer un imaginaire historique plus conforme à ses vues[40]. On voit ici combien la mise au point effectuée par Le Bretonisme est salutaire. Elle tord le cou à bien des idées reçues, et si elle ne clôt pas la discussion, au moins propose-t-elle une réponse ferme et argumentée à une question depuis longtemps lancinante au sein de l'historiographie régionale[41].

 

Voilà qui débouche sur une interrogation autrement importante : d'où vient, alors, que le bretonisme ne s'est pas mué en un mouvement politique ? Rapportée aux trois phases du fameux modèle élaboré par l'historien tchèque Miroslav Hroch[42], la question revient à se demander pourquoi, en Bretagne, la phase A du développement national, celle au cours de laquelle un groupe restreint d'individus éclairés élabore tout un « kit[43] » identitaire fondé sur l'histoire, la langue ou bien encore les héros de la nation, n'a pas été suivie de la phase B, celle de la « patriotic agitation », durant laquelle des patriotes, déjà plus nombreux, s'emploient à diffuser leur conscience nationale au sein du peuple. Jean-Yves Guiomar n'a pas souhaité examiner ce problème dans Le Bretonisme : ce n'était simplement pas son objet. Tout juste y fait-il allusion dans sa conclusion quand il pointe le refus des élites régionales, les propriétaires terriens comme les négociants nantais, de conduire un mouvement qui soit à la fois national et populaire. Le problème continue toutefois à préoccuper les historiens et c'est heureux. C'est à l'étranger qu'il a été repris récemment, dans deux ouvrages aux titres singulièrement proches et deux contrées que – faut-il s'en étonner ? – travaillent d'une autre manière les rapports séculaires entre l'État et ses composantes[44]. Il n'est pas question ici de discuter en détail ces deux livres très différents ; retenons simplement deux arguments, sur lesquels insiste surtout José Antonio Rubio Caballero.

Au titre des facteurs de « fossilizaci—n[45] » du bretonisme il faut citer, dit-il, la profonde intégration de la Bretagne à la France. On ne peut évidemment qu'acquiescer. On est presque surpris, en vérité, d'avoir à insister sur l'ancienneté et la force de ce phénomène attesté de toutes parts. Rappelons tout de même qu'il a d'abord touché les élites, dès le Moyen Âge[46] ; qu'il s'est renforcé au XVIIe siècle, surtout si l'on accepte, dans le sillage de William Beik, de considérer l'absolutisme comme le fruit d'une collaboration entre l'État central et les élites provinciales[47] ; qu'il s'est accentué encore aux XVIIIe et XIXe siècles à travers l'œuvre de centralisation administrative et culturelle du pays. Que les élites bretonnes se soient fait fort de protester contre ce long travail d'enrôlement ne doit pas abuser : postures et stratégies ont eu leur part dans cette véhémence souvent calculée, à tel point que l'on fait aujourd'hui l'hypothèse d'un « mythe rébellionnaire breton[48] ». En ce qui concerne notre propos, rien, en définitive, n'illustre plus éloquemment la vigueur du phénomène que cette forte insertion, déjà pointée, des bretonistes les plus en vue dans de multiples réseaux nationaux, pour ne rien dire de leur dépendance à l'égard de la consécration parisienne. On voit là toute l'ambiguïté d'une position qui, à terme, conduira d'autres chantres de l'« âme bretonne » à s'assujettir littéralement à la représentation dominante et popularisée de la Bretagne[49]. Et le peuple ? s'interroge Jean-Christophe Cassard aussitôt après avoir lu Le Bretonisme[50]. Jean-Yves Guiomar lui répond trois ans plus tard : on n'en sait et on n'en saura jamais rien, faute de sources[51]. La réponse est honnête – et ironique. Mais il faut bien le dire, avec le recul elle apparaît surtout trop prudente, compte tenu de tout ce que l'on sait aujourd'hui de l'action intégratrice que la Troisième République a eue sur les catégories populaires bretonnes[52].

Le second argument avancé par José Antonio Rubio Caballero afin d'expliquer l'incapacité du bretonisme à se transformer en un mouvement politique est son caractère foncièrement réactionnaire. Idéologiquement parlant, les bretonistes forment à ses yeux un véritable bloc, soudé dans une commune opposition à la modernité en marche[53]. On voit qu'il s'oppose, à cet égard, à l'analyse développée dans Le Bretonisme. Mais sans doute, là encore, ne s'agit-il pas de durcir le différend dans la mesure où, nous l'avons dit, Jean-Yves Guiomar ne nie évidemment pas que le milieu bretoniste ait été réactionnaire : il relève simplement, et de manière très convaincante, que ce positionnement réactionnaire auquel on réduit d'ordinaire le milieu bretoniste n'a pas empêché ce dernier d'être aussi, un temps, travaillé par des aspirations modernisatrices et même progressistes. Il n'est, au demeurant, que de considérer la propre trajectoire politique du plus fameux des historiens bretonistes, La Borderie, pour se convaincre que l'esprit conservateur – formule commode – est celui qui caractérise le mieux la vaste entreprise historiographique dont nous parlons[54]. Bref, on est plutôt là en présence d'un faux débat, et, de toute façon, l'essentiel, à ce stade, est ailleurs. Ce qu'il faut bien plutôt comprendre, c'est que le bretonisme, au moment où il se déploie, se trouve dans une situation quasi antithétique de celle des autres mouvements européens dits d'éveil national. Quand, ailleurs, et spécialement en Europe centrale, le combat pour la reconnaissance nationale se double le plus souvent de la lutte contre l'autocratie, en Bretagne ce combat émerge au sein d'une entité politique, la France, déjà engagée sur le chemin de la modernité politique et économique[55]. Elle relève, à ce titre, du type 4 identifié par Miroslav Hroch, dit « disintegrated type », une configuration qui se traduit partout, au mieux par l'apparition tardive de la phase B du modèle, au pire par son impossible survenue[56].

Tels sont, selon nous, les deux principaux facteurs qui expliquent l'atrophie du bretonisme comme mouvement identitaire : la force avec laquelle la Bretagne était déjà intégrée à la France d'une part, le degré de modernité politico-idéologique qui caractérisait déjà cette dernière d'autre part. Évidences ? Peut-être. Mais qu'il n'est pas inutile de dire nettement, à notre avis, ne serait-ce que pour faire pièce à toutes ces occultations et simplifications qui trop souvent conduisent à des « errements dans la définition de l'identité bretonne », pour reprendre la juste expression utilisée par Michel Denis dans la préface à la première édition du Bretonisme.

 

En avons-nous fini ? Pas tout à fait. À un dernier titre, en effet, le livre de Jean-Yves Guiomar inspire encore la réflexion : son périmètre, régional. L'auteur n'y est cette fois pour rien. C'est simplement le fait de rééditer son livre qui, selon un mécanisme classique, le projette dans un âge historiographique qui n'était pas le sien au départ, et, par le fait même, met au jour un certain nombre de ses présupposés, indiscutés jusque-là. En l'occurrence, et pour le dire d'une manière volontairement provocante, la réédition du Bretonisme invite à une ultime question : que penser de l'histoire régionale? À défaut de se poser lui-même cette question, qui avait beaucoup moins de sens dans les années 1980, Jean-Yves Guiomar nous laisse en héritage un certain nombre d'arguments, les uns formulés comme tels, les autres non, qui, noués ensemble, constituent comme une petite leçon de méthode à l'adresse des historiens d'aujourd'hui.

Certes, l'histoire régionale, ou l'approche régionalisée de l'histoire, ce qui n'est pas la même chose, n'ont pas disparu de l'Université, tant s'en faut, en 2019. Sans que l'on puisse produire de chiffres, faute d'une statistique suffisamment précise, on voit bien que les historiens continuent à soutenir des thèses de doctorat et des mémoires d'habilitation à diriger des recherches adossés à un territoire infranational, selon le cas régional, départemental, communal, etc. Et sans doute en ira-t-il ainsi pendant longtemps encore. Il reste que l'environnement historiographique dans lequel se meuvent les chercheurs français s'est profondément transformé depuis la fin du siècle dernier en raison du développement de l'histoire globale et de ses multiples variantes[57], et que cette mutation considérable, en ce qu'elle consacre l'analyse à échelle mondiale, l'analyse des circulations et des métissages, délégitime chaque jour davantage ce que l'on peut appeler les « études monographiques de type traditionnel[58] », entendons les études rigoureusement territorialisées, dont Le Bretonisme est un exemple caractéristique. Phénomène classique, dira-t-on, dans la mesure où, au sein du champ universitaire, les disputes scientifiques ne sont jamais séparables d'une compétition pour le pouvoir intellectuel et académique, compétition d'autant plus vive qu'elle est inavouée ; mais qui n'est pas moins regrettable, pour au moins deux raisons. D'abord parce que l'approche globalisée ne s'impose pas avec le même bonheur à tous les objets d'histoire, si bien qu'on peut dire qu'elle aussi possède des limites et, d'une certaine manière, un caractère sectoriel. Ensuite parce que l'approche « compartimentée » d'un territoire donné a un insigne mérite, fort bien identifié par Jacques Rougerie il y a plus d'un demi-siècle : celui de circonscrire un problème historique particulier, soit « la véritable matière de l'histoire[59] ». Disons mieux : celui de mettre au jour ce problème particulier, en vue de l'analyser. On touche ici à ce qu'est exactement la fonction d'une échelle : faire voir des choses qui, sinon, resteraient invisibles[60]. Et c'est précisément ce que réalise Le Bretonisme, qui vient ainsi rappeler à ceux qui en douteraient, qu'une telle approche conserve une indubitable efficacité heuristique, a fortiori quand elle est servie, comme ici, par un travail de dépouillement très intensif, tout dans l'esprit des doctorats d'État de jadis.

Bien évidemment, cette approche « compartimentée » n'est pas sans limites. Un risque, au premier chef, la surplombe en permanence : celui de l'enfermement, dont l'effet principal, malheureusement visible dans un certain nombre de travaux à périmètre régional, de synthèse en particulier, est de singulariser indûment, d'exceptionnaliser littéralement l'histoire du territoire étudié, faute de comparaison avec d'autres. Jean-Yves Guiomar a été tôt conscient de ce péril et on le voit appeler à plusieurs reprises à « départiculariser » l'histoire de la Bretagne pour mieux la penser, et recommander pour ce faire de combiner les échelles d'analyse[61]. Le bretonisme se veut fidèle à ce programme, de deux manières si l'on veut. La plus évidente : dans le livre même, Jean-Yves Guiomar s'emploie à contextualiser, autant qu'il le peut, l'histoire du bretonisme, moins par la comparaison avec d'autres mouvements analogues puisque la bibliographie faisait alors défaut pour entreprendre un tel travail, que par la constante prise en compte du cadre extrarégional dans lequel s'est déployée l'activité des historiens bretons, à savoir, d'abord et avant tout, la vie politique et culturelle de la France telle que celle-ci s'était reconfigurée au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Qu'il lui ait été possible d'aller plus loin dans cette voie, par exemple en entreprenant une véritable prosopographie des bretonistes, n'est pas douteux[62] ; mais on aurait mauvaise grâce à ne pas reconnaître la netteté de l'intention et, répétons-le, la richesse des résultats déjà produits.

D'une seconde manière, moins visible de prime abord, Le Bretonisme a contribué à  « départiculariser » l'histoire bretonne : en tant que jalon clé dans le façonnement d'une pensée historique plus ambitieuse. Il vaut assurément la peine de considérer un instant la question sous cet angle. Voyons que dans l'itinéraire intellectuel de Jean-Yves Guiomar, la préparation du Bretonisme est encadrée par deux livres : L'idéologie nationale. Nation, représentation, propriété, en 1974[63], et La Nation entre la raison et l'histoire, en 1990[64]. En fait, on pourrait dire que c'est par la médiation du Bretonisme, de ce long tête à tête avec les historiens bretons du XIXe siècle, que la réflexion générale de Jean-Yves Guiomar sur le fait national, encore mal dégrossie, de son propre aveu, dans les années 1970[65], a pu accéder vingt ans plus tard à un degré de formalisation supérieur. Livre dense et alerte, centré sur les Temps modernes, La Nation entre la raison et l'histoire propose ainsi de modéliser l'histoire du fait national au moyen de trois instances – la patrie, la nation et l'État[66] – et de décrire son premier déploiement. Quelques idées fortes y sont avancées, qu'il y a certainement lieu de méditer encore : la genèse discrète de la conception historique de la nation au XVIIIe siècle ; la cristallisation de l'idée d'État-nation sous la Révolution française, tout particulièrement sous le Directoire ; plus encore, peut-être, le fait que sous l'influence de la pensée allemande, de la pensée juridique allemande notamment[67], la France et ses provinces ont été l'objet à l'orée du XIXe siècle de ce que Jean-Yves Guiomar appelle une « nationalisation après-coup », qui autorise à soutenir que le bretonisme, comme ses cousins occitan ou corse, s'il s'est construit contre le nouvel ordre sociopolitique national, était d'abord et avant tout « le produit même de cette Révolution et de la conception de la nation française qu'elle met en œuvre[68] ».

Une entreprise aussi ambitieuse n'est évidemment pas sans limites, du moins a-t-elle périodiquement suscité le désaccord[69] ; mais il est au moins un trait qui force l'admiration : c'est la constance avec laquelle Jean-Yves Guiomar a mené « ce travail critique[70] » sur l'idée de nation pendant des décennies, qui plus est en marge du monde universitaire. Il y a là une obstination au meilleur sens du terme, qui, chez lui comme chez tous les chercheurs de valeur, est la condition sine qua non de l'œuvre.

 

Pièce centrale de l'œuvre de Jean-Yves Guiomar, Le Bretonisme n'a pas fini de nous faire réfléchir : aux historiens bretons du XIXe siècle mais aussi à l'invention de l'idée bretonne et même au déploiement, aussi foisonnant que complexe, des identités territoriales au sein de l'Europe contemporaine. À l'issue de trente années qui ont vu le Vieux Continent de nouveau ébranlé, par la chute du Mur, par la tragédie yougoslave, par le Brexit, alors que le temps est à la houle et aux mauvaises froidures, il y a certainement urgence à penser, de façon précise, ouverte et sur la longue durée, ce que sont et ce que ne sont pas les peuples d'Europe. Assurément, Guiomar peut nous y aider.

Jean Le Bihan

Cette réflexion a bénéficié des observations avisées de Gauthier Aubert, Dominique Godineau, Philippe Hamon, Florian Mazel et Georges Provost. Qu'ils en soient vivement remerciés, étant bien entendu que selon la formule d'usage, nous assumons seul ce texte.



[1] Voir « La fièvre de l'évaluation », numéro spécial de la Revue d'histoire moderne et contemporaine, 55/4bis, 2008, en particulier les articles de Ghislaine Filliatreau et d'Yves Gingras.

[2] Lemarchand Guy, compte rendu du Bretonisme, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 36/3, 1989, p. 522.

[3] Thiesse Anne-Marie. La Création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil (1ère éd. 1999).

[4] Guiomar Jean-Yves, « Le bretonisme, une expression de la droite française », dans LagrÉe Michel et Sainclivier Jacqueline (dir.), L'Ouest et le politique. Mélanges offerts á Michel Denis, Rennes, PUR, 1996, p. 129.

[5] Chaline Jean-Pierre, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, Paris, Éditions du CTHS, 1998, p. 381.

[6] Tanguy Bernard, Aux origines du nationalisme breton, Paris, Union générale d'éditions, 1977.

[7] Selon Bernard Tanguy lui-même (ibid., t. 1, p. 25). Voir, de fait, Falc'hun François, Les Noms de lieux celtiques, deuxième série, Problèmes de doctrine et de méthode. Noms de hauteurs, Rennes, Éditions armoricaines, 1970, spécialement le chapitre 2.

[8] Sans doute pas, comme l'observe finement Bernard Tanguy, Aux origines…, op. cit., t. 1, p. 438.

[9] Le calcul effectué peu après par Pascal Le Dé rend bien compte de cette singularité : près du quart des articles à caractère historique publiés dans les revues et les bulletins des sociétés savantes de Bretagne au cours du second XIXe siècle intéresse l'histoire religieuse (La Perception du Moyen Âge par les historiens bretons de la seconde partie du XIXe siècle, mémoire de maîtrise, université Rennes 2, 1990, p. 14).

[10] Carbonell Charles-Olivier, Histoire et historiens. Une mutation idéologique des historiens français. 1865-1885, Toulouse, Privas, 1976, p. 208-213.

[11] Parsis-BarubÉ Odile, La Province antiquaire. L'invention de l'histoire locale en France (1800-1870), Paris, Éditions du CTHS, 2011, p. 481.

[12] La plus diffusée de ces publications est l'article qu'il a consacré au Barzaz-Breiz dans Les Lieux de mémoire : « Le Barzaz-Breiz de Théodore Hersart de la Villemarqué », dans Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, t. 3 : Les France, Paris, Gallimard, 1997 (1ère éd. 1992), p. 3479-3514. On trouvera la liste complète de ses travaux, publiés et inédits, aux p. 421-427 de la présente édition du Bretonisme.

[13] En tout premier lieu la précieuse base DIPOUEST, conçue et alimentée depuis des années par Renan Donnerh, bibliothécaire du laboratoire Tempora de l'université Rennes 2. Accès libre à l'adresse suivante : [http://services. univ-rennes2fr/dipouest/].

[14] Blanchard Nelly, Barzaz-Breiz : une fiction pour s'inventer, Rennes, PUR, 2006, p. 11-12.

[15] Laurent Donatien, Aux sources du Barzaz-Breiz. La mémoire d'un peuple, Douarnenez, Ar Men, 1989. La thèse avait été soutenue en 1974.

[16] Blanchard Nelly, Barzaz-Breiz…, op. cit.

[17] Voir Blanchard Nelly et Postic Fa–ch (dir.), Au-delà du Barzaz-Breiz, Théodore Hersart de La Villemarqué, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2016.

[18] Actes publiés dans les Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine, 106, 2002.

[19] Arthur de La Borderie, 1827-1901, Rennes, bibliothèque municipale de Rennes/archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2001.

[20] Quaghebeur Jo‘lle, « Le regard d'un homme du XIXe siècle sur la Cornouaille du haut Moyen Âge », dans « Hommage à Arthur de La Borderie. Études, documents et actes du colloque », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine, 106, 2002, p. 79-106.

[21] Guillotel Hubert, « La Borderie et les sources historiques », ibid., p. 35-48.

[22] Pour reprendre le néologisme forgé par le Frère Marc Simon, « La Borderie, Saint Guénolé et Landévennec », ibid., p. 68.

[23] Denis Michel, « Arthur de La Borderie ou "l'histoire, science patriotique" », dans Tonnerre Noèl-Yves (dir.), Chroniqueurs et historiens de la Bretagne du Moyen Âge au milieu du XXe siècle, Rennes, PUR, 2001, p. 143-155.

[24] Guillotel Hubert, « Le poids historiographique de La Borderie », Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, 80, 2002, p. 343-359.

[25] Cassard Jean-Christophe, « Arthur de La Borderie historien de la guerre de Succession », dans « Hommage à Arthur de La Borderie… », op. cit., p. 117-118.

[26] Par exemple Cardot Charles-Antoine, « La Borderie contre le vandalisme », ibid., p. 165-178.

[27] Actes publiés par Santrot Jacques et al., « La naissance de l'archéologie régionale dans l'Ouest armoricain », numéro spécial des Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 118/3, 2011.

[28] Monteil Martial et Santrot Jacques, « La naissance de l'archéologie régionale dans l'Ouest armoricain : une enquête à développer », ibid, p. 10.

[29] Cara‘s Jean-François et GallicÉ Alain, « La Société archéologique de Nantes et de la Loire-Inférieure et la conservation des monuments (1845-1923) », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, 151, 2016, p. 265-310.

[30] Voir par exemple Le Pennec Christophe, « La Société polymathique et la naissance de collections archéologiques en Morbihan », actes de la journée d'étude sur la naissance de l'archéologie régionale, op. cit., p. 73-96.

[31] Citons entre autres : Monteil Martial, « Léon Maitre (1840-1926), archiviste, historien et archéologue de Loire-Inférieure », ibid., p. 291-322 ; Santrot Marie-Hélène, » Fortuné Parenteau (1814-1882) et Pitre de Lisle du Dreneuc (1846-1924) collectionneurs et conservateurs passionnés », ibid., p. 151-242 ; Haugommard Stéphane, « Abel Cahour (1812-1901) : l'archéologie comme preuve de la Tradition », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, 148, 2013, p. 275-301.

[32] Daniel Jacques, « L. J. M. Bizeul et son “Aperçu général sur l'étude des voies romaines” : un jalon pour l'histoire de l'archéologie en Bretagne », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 125/2, 2018, p. 193-231. Voir aussi le mémoire de master 2 de l'auteur : Louis-Jacques-Marie Bizeul (1785-1861) : l'archéologue. Une contribution à l'histoire de l'archéologie dans l'Ouest armoricain, université de Nantes, 2014.

[33] Richard Nathalie, « La connaissance du local au prisme des sociétés savantes : l'archéologie préhistorique à la Société polymathique du Morbihan (1860-1900) », dans Le Gall Laurent et Simon Jean-François (dir.), Jalons pour une ethnologie du proche. Savoirs, institutions, pratiques, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2016, p. 127-161.

[34] Voir au premier chef Guillet François, Naissance de la Normandie. Genèse et épanouissement d'une image régionale en France, 1750-1850, Caen, Annales de Normandie, Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Normandie, 2000, et Igersheim François, L'Alsace et ses historiens, 1680-1914, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006, Bien plus bref mais contenant des pistes utiles : « Corse et Italie : histoire et historiographies au XIXe siècle », numéro spécial des Études corses, 55, 2002.

[35] On peut bien mettre en question la méthode quantitative de Charles-Olivier Carbonell, comme le fait Cédric Jeanneau (« Le Moyen Âge breton au miroir des sociétés savantes : du milieu du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle », dans Histoires des Bretagnes, vol. 4 : Conservateurs de la mémoire, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 2013, p. 234-235), force est d'observer que la minutieuse analyse de Jean-Pierre Chaline aboutit elle aussi, avec quelques nuances, certes, à l'idée convergente selon laquelle la sociabilité érudite bretonne n'était pas au nombre des plus actives de l'époque, comparativement parlant (Sociabilité et érudition…, op. cit., chapitres 3 et 5). Nous convenons toutefois que le dossier doit être rouvert, sur la base de critères d'appréciation rénovés et affinés.

[36] Guiomar Jean-Yves, « Présentation », dans Peuple, région…, op. cit., p. 7-22.

[37] Wilfert-Portal Blaise, « Nation et nationalisme », dans Delacroix Christian et al. (dir.), Historiographies, t. 2 : Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, p. 1094.

[38] Guiomar Jean-Yves, « Quand les bretonistes répudièrent la Gaule (1840-1850) », dans Viallaneix Paul et Ehrard Jean (dir.), Nos ancêtres les Gaulois, actes du colloque de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, faculté des lettres et sciences humaines, 1982, p. 199.

[39] Denis Michel, « Arthur de La Borderie, inspirateur du nationalisme breton ? », dans « Hommage à Arthur de La Borderie… », op. cit., p. 191-208.

[40] Carney Sébastien, « D'une guerre à l'autre : les Moyen Âge du mouvement breton au début du XXe siécle », dans Histoires des Bretagnes…, op. cit., p. 270 et suivantes.

[41] Le fait est que l'historiographie conclut souvent à l'existence d'une continuité entre le bretonisme et le Mouvement breton. Telle est la position de Bernard Tanguy (Aux origines…, op. cit., t. 1, p. 384-387), que le titre de son livre – Aux origines du nationalisme breton – exprime d'ailleurs nettement. Telle est aussi la position défendue plus récemment par José Antonio Rubio Caballero, qu'on retrouvera bientôt, qui va jusqu'à parler de « stupéfiante continuité » entre l'une et l'autre (La Patria imperfecta. Idearios regionalistas y nacionalistas en Breta–a, 1789-1945, Cáceres, Universidad de Extremadura, 2010, p. 79). À bien considérer les choses, cependant, on n'est visiblement pas là en présence d'un désaccord absolu. Au risque de simplifier, disons que Jean-Yves Guiomar insiste plutôt sur ce qui sépare irréductiblement le bretonisme et le premier Emsav, des historiens tels que Bernard Tanguy et José Antonio Rubio Caballero sur ce que l'un a légué à l'autre. On le répète, ici le mérite de Jean-Yves Guiomar est avant tout d'avoir posé au grand jour un problème que l'on avait et que l'on a toujours tendance à contourner. Le passage précité du livre de Bernard Tanguy en témoigne, d'ailleurs, qui, pour une fois, pèche un peu au point de vue de la rigueur démonstrative.

[42] Hroch Miroslav, Social Preconditions of National Revival in Europe. A Comparative Analysis of the Social Composition of Patriotic Groups among the Smaller European Nations, New York, Columbia University Press, 2000. Pour la définition des trois phases, voir les p. 22-24.

[43] D'après l'expression d'Orvar Lšfgren, saisissante et souvent citée (par exemple Thiesse Anne-Marie, La Création…, op. cit., p. 13-14).

[44] Gemie Sharif, La Nation invisible. Bretagne, 1750-1950, Spézet, Coop Breizh, 2013 (éd. orig. The Invisible Nation. Brittany, 1750-1950, Cardiff, University of Wales Press, 2007) ; Rubio Caballero José Antonio, La Patria…, op. cit. Pour une discussion des apports et des limites de l'ouvrage de Sharif Gemie, nous nous permettons de renvoyer à la note critique que nous avons publiée dans les Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, 92, 2014, p. 418-421.

[45] Rubio Caballero José Antonio, La Patria…, op. cit., p. 142.

[46] Voir, au sein d'une bibliographie à la fois massive et dispersée, la récente thèse d'histoire de Launay Vincent, Le Roi en son duché. Étude sur les relations entre le roi de France et l'aristocratie de Bretagne (1199-1328), université Rennes 2, 2017, à paraître aux PUR.

[47] Beik William, « The Absolutism of Louis XIV as Social Collaboration », Past and Present, 188/1, 2005, p. 195-224. Il faut noter que la même intention interprétative préside déjà à la démonstration que déploie James B. Collins dans La Bretagne dans l'État royal. Classes sociales, états provinciaux et ordre public, de l'Édit d'Union à la révolte des Bonnets rouges, Rennes, PUR, 2006 (éd. orig. Classes, Estates, and Order in Early Modern Brittany, Cambridge, Cambridge University Press, 1994), dont le titre est, à lui seul, tout un programme.

[48] Voir, à ce sujet, le livre en préparation d'Aubert Gauthier, Des Bonnets rouges aux Bonnets rouges.

[49] Chappé François, « Une certaine idée de la Bretagne sous la République », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 102/4, 1995, p. 103-105. Voir aussi Rubio Caballero José Antonio, La Patria…, op. cit., p. 139.

[50] Cassard Jean-Christophe, « Les sociétés savantes au xixe siècle. Le Bretonisme, par Jean-Yves Guiomar », Le peuple breton, 287, 1987, p. 24.

[51] Guiomar Jean-Yves, La Nation entre l'histoire et la raison, Paris, La Découverte, 1990, p. 167.

[52] Des remarques disséminées dans Patrick Pierre, Les Bretons et la République. La construction de l'identité bretonne sous la Troisième République, Rennes, PUR, 2001. Voir aussi la réflexion de synthèse de Dupuy Roger, « Identité bretonne et République dans la première moitié du XXe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 2004, 111/4, p. 97-102.

[53] Rubio Caballero José Antonio, La Patria…, op. cit., p. 63 et suivantes. Voir aussi, du même auteur, « Entre Ranke y Merlin : el bretonismo politico y su historiografia romàntico-positivista », Historiograf’as. Revista de historia y teoria, 5, 2013, p. 71-93.

[54] Denis Michel, « L'homme politique », dans Arthur de La Borderie, 1827-1904, op. cit., p. 57-63.

[55] On peut même, à la rigueur, considérer qu'une des explications que Sharif Gemie fournit quant à lui pour expliquer l'impossible massification du bretonisme, à savoir l'état de division de la société bretonne au XIXe siècle, entre Blancs et Bleus notamment, est une conséquence de cette modernité politique par l'intermédiaire de l'épisode inaugural qu'a constitué la Révolution française, singulièrement déchirante en Bretagne (La Nation invisible…, op. cit., p. 291). L'argument est repris et détaillé dans « La “question bretonne” et le nationalisme breton », Bulletin d'histoire politique, 211, 2012, p. 127-128.

[56] Hroch Miroslav, Social Preconditions…, op. cit., p. 28.

[57] Bertrand Romain, « Histoire globale, histoire connectée », dans Delacroix Christian et al. (dir.), Historiographies…, op. cit., t. 1, p. 366-377.

[58] Douki Caroline et Minard Philippe, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d'échelle historiographique », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 54/4bis, 2007, p. 16.

[59] Rougerie Jacques, « Faut-il départementaliser l'histoire de France ? », Annales ESC, 1966/1, p. 184.

[60] Lévy Jacques et Lussault Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie, Paris, Belin, 2013, p. 308-309.

[61] Voir les mots qui closent l'introduction du Bretonisme. Jean-Yves Guiomar reviendra plus tard sur cette question, qui intéresse aussi bien son engagement politique que son travail d'historien (« Présentation… », art. cité, p. 7, 18).

[62] Cassard Jean-Christophe, « Les sociétés... », art. cité, p. 24.

[63] Paris, Champ libre, 1974. L'ouvrage est réédité sous un titre légèrement modifié en 2009 (Bécherel, Les Perséides).

[64] Paris, La Découverte, 1990.

[65] Guiomar Jean-Yves, « Présentation », art. cité, p. 16.

[66] Guiomar Jean-Yves, La Nation…, op. cit., chapitre 1. Ce modèle est repris et exposé dans d'autres travaux, ainsi dans « Patrie, Nation, État », communication prononcée au colloque Langages de la Révolution française (1770-1815) en 1991, publiée d'abord en allemand puis plus récemment en français dans Peuple, région…, op. cit., p. 225-234.

[67] Jean-Yves Guiomar insiste tout particulièrement sur la pénétration en France de l'école historique du droit à partir de la Restauration (La Nation…, op. cit., p. 156-158). On sait que cette école de pensée rompt avec le pur universalisme du droit naturel et envisage au contraire le droit comme indissolublement rationnel et historique. Dans la perspective tracée par Friedrich Carl von Savigny et ses épigones, le droit, littéralement imparfait, est comme porté par l'« esprit » du peuple, s'extériorise dans les coutumes nationales et constitue la science juridique en herméneutique (voir l'utile mise au point d'Olivier Jouanjan, présentation du dossier « L'esprit de l'École historique du droit », Annales de la faculté de droit de Strasbourg, nouvelle série, 7, 2004, p. 9-23).

[68] Guiomar Jean-Yves, La Nation…, op. cit., p. 148-149. Sur tout ceci, voir, au-delà, le long chapitre 7 intitulé « L'essor en France du principe des nationalités ».

[69] L'Idéologie nationale a fait l'objet d'une recension très critique de la part d'Élisabeth Guibert dans les Annales historiques de la Révolution française en 1975 (« L'histoire et l'idéologie. Sur l'ouvrage de J.-Y. Guiomar L'Idéologie nationale. Nation. Représentation. Propriété », 220, p. 253-272), qui a « blessé » [sic] Jean-Yves Guiomar (La Nation…, op. cit., p. 191). De même, ce dernier a-t-il regretté, non sans une pointe d'amertume, que sa « trilogie » Patrie, Nation, État, comme il l'appelle parfois, n'ait pas rencontré un plus grand succès au sein de la communauté universitaire (« Présentation… », art. cité, p. 19). On peut encore citer les réserves formulées par Bernard Gainot à l'encontre de son dernier livre, L'Invention de la guerre totale, XVIIIe-XXe siècle (Paris, Le Félin, 2004), qui synthétisait le résultat provisoire d'un nouveau cycle de recherches, toujours inscrit dans sa réflexion plus générale sur le développement de l'idée de nation (Annales historiques de la Révolution française, 343, 2006, p. 239-241). Mais toutes ces critiques, qui sont la loi même du travail scientifique, n'enlèvent rien à l'originalité des propositions interprétatives formulées par Jean-Yves Guiomar, tout du moins à partir de la préparation du Bretonisme, qui le hisse pleinement, malgré sa position marginale au sein du champ académique, au rang des historiens justement réputés.

[70] Selon sa propre expression (La Nation…, op. cit., p. 193).

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