Textes à
l'appui du cours de J. Morne
Freud ou les énigmes du moi
Texte 1 : l'hypothèse de
l'inconscient
On
nous conteste de tous côtés le droit d'admettre un psychisme inconscient et de
travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela
que l'hypothèse de l'inconscient est nécessaire
et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l'existence de l'inconscient. Elle est nécessaire parce
que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien
chez l'homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes
psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d'autres actes qui, eux, ne
bénéficient pas du témoignage de l'a conscience. Ces actes ne sont pas
seulement les actes manqués et les rêves, chez l'homme sain, et tout ce qu'on
appelle symptômes psychiques et phénomènes compulsionnels chez le malade ;
notre expérience la plus quotidienne la plus personnelle nous met en présence
d'idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l'origine, et de
résultats de pensées dont l'élaboration nous est demeurée cachée. Tous ces
actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous
obstinons à prétendre qu'il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui
se passe en nous en fait d'actes psychiques ; mais ils s'ordonnent dans un
ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes
inconscients inférés. Or nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une
raison, pleinement justifiée, d'aller au-delà de l'expérience immédiate. Et
s'il s'avère de plus que nous pouvons fonder sur l'hypothèse de l'inconscient
une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à
un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce
succès, une preuve incontestable de l'existence de ce dont nous avons fait
l'hypothèse.
Il y a un concept fondamental […] dont nous ne pouvons nous
passer en psychologie : c'est celui de pulsion […]
Par poussée d'une pulsion on entend le facteur moteur de celle-ci, la
somme de force ou la mesure d'exigence de travail qu'elle représente. Le
caractère « poussant » est une propriété générale des pulsions, et
même l'essence de celles-ci. Toute pulsion est un morceau d'activité ;
quand on parle, d'une façon relâchée, de pulsions passives, on ne peut rien
vouloir dire d'autre que pulsions à but passif.
Le but de la pulsion est toujours la satisfaction, qui ne peut être
obtenue qu'en supprimant l'état d'excitation à la source de la pulsion. Mais,
quoique ce but final reste invariable pour chaque pulsion, diverses voies
peuvent mener au même but final, en sorte que différents buts, plus proches ou
intermédiaires, peuvent s'offrir pour une pulsion ; ces buts se combinent
ou s'échangent les uns avec les autres. L'expérience nous autorise à parler de
pulsions « inhibées quant au
but », dans le cas de processus pour lesquels une certaine progression
dans la voie de la satisfaction pulsionnelle est tolérée, mais qui, ensuite,
subissent une inhibition ou une dérivation. On peut supposer que même de tels
processus ne vont pas sans une satisfaction partielle.
L'objet
de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. Il
est ce qu'il y a de plus variable dans la pulsion, il ne lui est pas
originairement lié : mais ce n'est qu'en raison de son aptitude
particulière à rendre possible la satisfaction qu'il est adjoint. Ce n'est pas
nécessairement un objet étranger, mais c'est tout aussi bien une partie du
corps propre. Il peut être remplacé à volonté tout au long des destins que
connaît la pulsion ; c'est à ce déplacement de la pulsion que revient le
rôle le plus important. Il peut arriver que le même objet serve à la
satisfaction de plusieurs pulsions : c'est le cas de ce qu'Alfred Adler
appelle l'entrecroisement des pulsions. Lorsque
la liaison de la pulsion à l'objet est particulièrement intime, nous la
distinguons par le terme fixation.
Elle se réalise souvent dans des périodes du tout début du développement de la
pulsion et met fin à la mobilité de celle-ci en résistant intensément à toute
dissolution.
Par source de la pulsion, on entend le processus somatique qui est
localisé dans un organe ou une partie du corps et dont l'excitation est
représentée dans la vie psychique par la pulsion. Nous ne savons pas si ce
processus est strictement de nature chimique ou s'il peut aussi correspondre à
une libération d'autres forces, mécaniques par exemple. L'étude des sources
pulsionnelles déborde le champ de la psychologie ; bien que le fait d'être
issu de la source somatique soit l'élément absolument déterminant pour la
pulsion, elle ne nous est connue, dans la vie psychique, que par ses buts.
Métapsychologie, « Pulsions et destins des
pulsions » (1915), Éd. Gallimard, 1968.
Texte 3 : le
narcissisme originaire
Originairement, tout au début de la
vie psychique, le moi se trouve investi par les pulsions et en partie capable
de satisfaire ses pulsions sur lui-même. Nous appelons cet état narcissisme, et
nous qualifions d'auto-érotique cette possibilité de satisfaction. Le monde
extérieur, à ce moment, n'est pas investi par l'intérêt (dans le sens général
du terme), il est indifférent pour ce qui est de la satisfaction. A cette
époque, le moi-sujet coïncide avec ce qui est
plaisant, le monde extérieur avec ce qui est indifférent (éventuellement avec
ce qui, comme source d'excitation, est déplaisant). Si, pour commencer nous
définissons l'amour comme relation du moi à ses sources de plaisir, la
situation dans laquelle il n'aime que lui-même et est indifférent au monde
éclaire la première des oppositions dans laquelle nous avons trouvé
« aimer ».
Le moi n'a
pas besoin du monde extérieur pour autant qu'il est auto-érotique, mais il
reçoit de celui-ci des objets et par suite des expériences que connaissent les
pulsions de conservation du moi, et il ne peut éviter de ressentir des
excitations pulsionnelles internes, pour un temps, comme déplaisantes. Alors,
sous la domination du principe de plaisir, s'accomplit un nouveau développement
dans le moi. Il prend en lui, dans la mesure où ils sont source de plaisir, les
objets qui se présentent, il les introjecte (selon l'expression de Ferenczi)
et, d'un autre côté, expulse hors de lui ce qui, à l'intérieur de lui-même
provoque le déplaisir.
Métapsychologie,
« Pulsions et destins des pulsions », pp. 37-38.
Texte
4 : l'homosexualité
Chez
ceux qui deviendront plus tard des homosexuels […] on
rencontre la même prépondérance infantile de la zone génitale que chez les
normaux, en particulier du pénis. Davantage : c'est la haute estime où les
homosexuels tiennent le membre viril qui fixe leur destin. Ils choisissent dans
leur enfance comme objet sexuel la femme, aussi longtemps qu'ils attribuent à
celle-ci la possession de cette partie du corps, à leurs yeux indispensable ;
quand ils ont acquis la conviction que la femme les a déçu sur ce point, la
femme devient pour eux inacceptable en tant qu'objet sexuel. Ils ne peuvent pas
se passer du pénis chez quiconque doit les inciter au rapport sexuel et, dans
le cas le plus favorable, ils fixent leur libido sur « la femme nantie
d'un pénis » c'est-à-dire sur un adolescent d'apparence féminine. Ainsi
les homosexuels sont des hommes qui, de par l'importance érogène de leur propre
membre viril, ne peuvent pas se passer de cette concordance avec leur propre
personne dans l'objet de leur désir sexuel. Au cours de leur évolution de
l'auto érotisme à l'amour objectal, ils sont restés fixés à un point
intermédiaire plus rapproché du premier que du second. »
Cinq Psychanalyses, PUF, 1975, p. 171.
Texte
5 : le refoulement
La
satisfaction de la pulsion soumise au refoulement serait assurément possible et
provoquerait aussi, à chaque fois du plaisir ; mais elle serait alors
inconciliable avec d'autres revendications et d'autres fins ; elle
créerait du plaisir à un endroit et du déplaisir à un autre. Il en résulte une
condition pour le refoulement : le motif du déplaisir doit acquérir une
puissance supérieure à celui du plaisir de satisfaction. L'expérience
psychanalytique des névroses de transfert nous force même à conclure que le
refoulement n'est pas un mécanisme de défense présent à l'origine, qu'il ne
peut s'instituer avant qu'une séparation marquée entre les activités psychiques
consciente et inconsciente ne soit produite, et que l'essence du refoulement ne consiste qu'en ceci : mettre à l'écart
et tenir à l'écart du conscient. […]
Nous
sommes fondés à admettre un refoulement
originaire, une première phase de refoulement, qui consiste en ceci que le
représentant psychique de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le
conscient […] Le deuxième stade du refoulement, le refoulement proprement dit, concerne les rejetons psychiques du
représentant refoulé, ou bien telles chaînes de pensées qui, venant d'ailleurs,
se trouvent rentrées en relation associative avec lui. Du fait de cette
relation, ces représentations connaissent le même sort que le refoulé
originaire. Le refoulement proprement dit est donc un refoulement après-coup. […]
Influencés
par l'étude des psychonévroses, qui nous révèle les effets importants du
refoulement, nous sommes enclins à surestimer leur contenu psychologique et
nous oublions trop facilement que le refoulement n'empêche pas le représentant de
la pulsion de persister dans l'inconscient, de continuer à s'organiser, de
former des rejetons et d'établir des liaisons. Le refoulement ne trouble en
fait que la relation à un système psychique, celui du conscient.
Il
est d'autres choses encore que la psychanalyse peut
nous montrer, et qui sont importantes pour comprendre les effets du refoulement
dans les psychonévroses. Elles nous montrent, par exemple, que le représentant
de la pulsion connaît un développement moins perturbé et plus riche quand il
est soustrait par le refoulement à l'influence consciente. Il prolifère alors,
pour ainsi dire, dans l'obscurité, et trouve des formes d'expression extrêmes
qui, une fois qu'elles sont
traduites et présentées au névrosé, non seulement lui apparaissent
nécessairement comme étrangères mais même l'effraient en lui fournissant
l'image d'une force pulsionnelle extraordinaire et dangereuse. Cette force
trompeuse de la pulsion est le produit d'un déploiement non inhibé dans le
fantasme, et de la stase résultant d'une satisfaction frustrée. La relation de
ce dernier effet avec le refoulement nous indique dans quelle direction il faut
rechercher la véritable signification de celui-ci.
Mais
si nous regardons encore une fois le refoulement du côté opposé, nous constatons
qu'on ne saurait même soutenir qu'il tienttous les rejetons du refoulé originaire à l'écart du conscient.
Quand ces rejetons se sont suffisamment éloignés du représentant refoulé, soit
parce qu'ils se sont laissé déformés, soit parce que se sont intercalés
plusieurs intermédiaires, alors, sans plus d'obstacles, ils peuvent accéder
librement au conscient. C'est comme si la résistance du conscient à leur
endroit était fonction de leur éloignement par rapport au refoulé originaire.
Métapsychologie,
« Le refoulement », Gallimard, 1968.
Texte 6 : la première topique
Un
acte psychique en général passe par deux phases, deux états, entre lesquels est
intercalé une sorte d'épreuve (censure).
Dans la première phase, il est inconscient et appartient au système Ics ; s'il est écarté par l'épreuve
que lui fait subir la censure, le passage à la deuxième phase lui est
refusé ; il est dit alors refoulé et doit nécessairement rester
inconscient. Mais s'il réussit dans cette épreuve, alors il rentre dans la
deuxième phase et appartient désormais au deuxième système que nous décidons
d'appeler le système Cs. Mais son
rapport à la conscience n'est pas encore déterminé de façon univoque par cette
appartenance. Il n'est pas encore conscient mais bien plutôt susceptible de devenir conscient,
autrement dit il peut maintenant, sans résistance particulière, et pourvu que
certaines conditions se trouvent remplies, devenir objet de conscience. Eu
égard à cette possibilité de devenir conscient, nous appelons aussi le système Cs le « préconscient ». S'il s'avérait que le fait, pour le
préconscient, de devenir conscient, est déterminé, lui aussi, par une certaine
censure, alors nous séparerions plus strictement l'un de l'autre les systèmesPcset Cs. Pour le moment il suffit de retenir
que le système Pcs
partage les propriétés du système Cs et que la censure rigoureuse remplit son
office au passage de l'Ics
au Pcs(ou Cs).
Les
pensées du rêve et le contenu du rêve nous apparaissent comme deux exposés des
mêmes faits en deux langues différentes : ou mieux, le contenu du rêve
nous apparaît comme une transcription des pensées du rêve, dans un autre mode
d'expression, dont nous ne pourrons connaître les signes et les règles que
quand nous aurons comparé la traduction et l'original. Nous comprenons les
pensées du rêve d'une manière immédiate dès qu'elles nous apparaissent. Le
contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les signes
doivent être successivement traduits dans la langue des pensées du rêve. On se
trompera évidemment si on veut lire ces signes comme des images et non selon
leur signification conventionnelle. Supposons que je regarde un rébus : il
représente une maison sur le toit de laquelle on voit un canot, puis une lettre
isolée, un personnage sans tête qui court, etc. Je pourrais déclarer que ni cet
ensemble, ni ses diverses parties n'ont de sens. Un canot ne doit pas se
trouver sur le toit d'une maison et une personne qui n'a pas de tête ne peut
pas courir. Je ne jugerai exactement le rébus que lorsque je renoncerai à
apprécier ainsi le tout et les parties, mais m'efforcerai de remplacer chaque
image par une syllabe ou par un mot qui, pour une raison quelconque, peut être
représentée par cette image. Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de
sens, mais pourront former quelque belle et profonde parole. Le rêve est un
rébus, nos prédécesseurs ont commis la faute de vouloir l'interpréter en tant
que dessin. C'est pourquoi il leur a paru absurde et sans valeur.
L'Interprétation des rêves (1900),
PUF, 1967.
Texte 8 : les caractères de l'inconscient
Il
n'y a dans ce système ni négation, ni doute, ni degré dans la certitude. Tout
cela n'est introduit que par le travail de la censure entre Ics
et Pcs. La négation est un substitut du refoulement
d'un niveau supérieur. Dans l'Ics, il n'y a que des
contenus plus ou moins fortement investis.
Il
y règne une beaucoup plus grande mobilité des investissements. Par le processus
de déplacement une représentation
peut transmettre tout son quantum d'investissement à
une autre, par celui de la condensation s'approprier tout l'investissement de
plusieurs autres. J'ai proposé de considérer ces deux processus comme signes
caractéristiques de ce que nous appelons le processus psychique primaire. Dans
le système Pcs règne le processus secondaire ;
dans le cas où un tel processus primaire peut se dérouler sur des éléments du
système Pcs, il apparaît comique et provoque le rire.
Les
processus du système Ics sont intemporels,
c'est-à-dire qu'ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés
par l'écoulement du temps, n'ont absolument aucune relation avec le temps. La
relation avec le temps est elle aussi liée au travail du système Cs.
Pas
davantage les processus Ics n'ont égard à la réalité.
Ils sont soumis au principe de plaisir ; leur destin ne dépend que de leur
force et de leur conformité ou de leur non-conformité aux exigences de la
régulation plaisir-déplaisir. Investissements),
intemporalité et substitution à la réalité extérieure de la réalité psychique,
tels sont les caractères que nous devons nous attendre à trouver aux processus
appartenant au système Ics.
Après
de longues hésitations, de longues tergiversations, nous avons résolu de
n'admettre l'existence que de deux pulsions fondamentales : l'Éros, etla pulsion de
destruction (les pulsions, opposées l'une à l'autre, de conservation de soi
et de conservation de l'espèce, ainsi que l'autre opposition entre amour du moi
et amour d'objet, entrent encore dans le cadre de l'Éros). Le but de l'Éros est
d'établir toujours de plus grandes unités, donc de conserver : c'est la
liaison. Le but de l'autre pulsion, au contraire, est de briser les rapports,
donc de détruire les choses. Il nous est permis de penser de la pulsion de
destruction que son but final est de ramener ce qui vit à l'état inorganique et
c'est pourquoi nous l'appelons aussi pulsion
de mort. Si nous admettons que l'être vivant n'est apparu qu'après la
matière inanimée et qu'il en est issu, nous devons en conclure que la pulsion
de mort se conforme à la formule donnée plus haut et suivant laquelle une
pulsion tend à restaurer un état antérieur.
Abrégé de psychanalyse
(1938), PUF, 1975.
Texte 10 : le Ça
Vous
ne vous attendez pas à ce que j'aie grand-chose de nouveau à vous communiquer
sur le ça, à part son nouveau nom. C'est la partie obscure, inaccessible de
notre personnalité ; le peu que nous sachions de lui, nous l'avons appris
par l'étude du travail du rêve et de la formation du symptôme névrotique, et la
plus grande partie de ce que nous connaissons a un caractère négatif, et ne
peut se décrire que par opposition au moi. Nous nous
approchons du ça avec des comparaisons, nous l'appelons chaos, un chaudron
plein d'excitations en ébullition. Nous nous
représentons qu'il est ouvert à son extrémité vers le somatique, que là il
recueille en lui les besoins pulsionnels, en observant le principe de plaisir.
Pour les processus qui ont lieu dans le ça, les lois logiques de la pensée ne
sont pas valables, surtout le principe de contradiction. Des motions opposées
coexistent côte à côte sans s'annuler ni se soustraire les unes des autres, qui
tout au plus se réunissent en des formations de compromis pour l'évacuation de
l'énergie, sous la contrainte économique dominante. Il n'y a rien dans le ça
qu'on pourrait assimiler à la négation, on constate aussi avec stupéfaction
qu'il constitue l'exception à la thèse des philosophes selon laquelle l'espace
et le temps sont des formes nécessaires de nos actes psychiques. Il ne se
trouve rien dans le ça qui corresponde à la représentation du temps, pas de
reconnaissance d'un cours temporel et, ce qui est extrêmement modification du processus psychique par
le cours du temps. Des motions de désir qui n'ont jamais franchi le ça, mais
aussi des impressions qui ont été plongées par le refoulement dans le ça, sont
virtuellement immortelles, elles se comportent après des décennies comme si
elles venaient de se produire. Elles ne peuvent être reconnues comme passé, perdre leur valeur et être dépouillées de leur
investissement d'énergie, que si, par le travail analytique, elles sont
devenues conscientes, et là-dessus repose pour une bonne part l'effet
thérapeutique du traitement analytique ;
« La
décomposition de la personnalité psychique », in Nouvelles Conférences d'introduction à la psychanalyse, (1936).
Texte 11 : le moi
Un adage nous déconseille de servir
deux maîtres à la fois. Pour le pauvre moi la chose est bien pire, il a à
servir trois maîtres sévères et s'efforce de mettre de l'harmonie dans leurs
exigences. Celles-ci sont toujours contradictoires et il paraît souvent
impossible de les concilier ; rien d'étonnant dès lors à ce que souvent le
moi échoue dans sa mission. Les trois despotes sont le monde extérieur, le
surmoi et le ça. Quand on observe les efforts que tente le moi pour se montrer
équitable envers les trois à la fois, ou plutôt pour leur obéir, on ne regrette
plus d'avoir personnifié le moi, de lui avoir donné une existence propre. Il se
sent comprimé de trois côtés, menacé de trois périls différents auxquels il
réagit, en cas de détresse, par la production d'angoisse. Tirant son origine
des expériences de la perception, il est destiné à représenter les exigences du
monde extérieur, mais il tient cependant à rester le fidèle serviteur du ça, à
demeurer avec lui sur le pied d'une bonne entente, à être considéré par lui
comme un objet propre et à s'attirer sa libido. En assurant le contact entre le
ça et la réalité, il se voit souvent contraint de revêtir de rationalisations
préconscientes les ordres inconscients donnés par le ça, d'apaiser les conflits
du ça avec la réalité et, faisant preuve de fausseté diplomatique, de paraître
tenir compte de la réalité, même quand le ça demeure inflexible et intraitable.
D'autre part, le surmoi sévère ne le perd pas de vue et, indifférents aux
difficultés opposées par le ça et le monde extérieur, lui impose les règles
déterminées de son comportement. S'il vient à désobéir au surmoi, il en est
puni par de pénibles sentiments de culpabilité et d'infériorité. Le moi ainsi
pressé par le ça, opprimé par le surmoi, repoussé par la réalité, lutte pour
accomplir sa tâche économique, rétablir l'harmonie entre les différentes forces
et influences qui agissent en et sur lui : nous comprenons ainsi pourquoi
nous sommes souvent forcés de nous écrier : « Ah ! La vie n'est
pas facile !»
Nouvelles conférences de psychanalyse (1932), Gallimard, 1936.
Texte 12 : Le moi n'est
pas maître dans sa propre maison
« Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme, dès
que c'est suffisamment important, parce que ta conscience te l'apprendrais
alors. Et quand tu restes sans nouvelles d'une chose qui est dans ton âme, tu
admets, avec une parfaite assurance, que cela ne s'y trouve pas. Tu vas même
pour tenir « psychique « pour identique à « conscient »,
c'est-à-dire connu de toi, et cela malgré les preuves les plus évidentes qu'il
doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de choses qu'il ne
peut d'en révéler à ta conscience. Tu te comportes comme un monarque absolu qui
se contente des informations que lui donnent les hauts dignitaires de la cour
et qui ne descend pas vers le peuple pour entendre sa voix. Rentre en toi-même
profondément et apprends d'abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi
tu vas tomber malade, et peut-être éviteras-tu de le devenir.
C'est de cette manière que la
psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais
les deux clartés qu'elle nous apporte : savoir, que la vie instinctive de
la sexualité ne saurait complètement être domptée en nous et que les processus
psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent accessibles et
subordonnés a u moi que par une
perception incomplète et incertaine, équivaut à affirmer que le moi n'est pas maître dans sa propre
maison.
Essais de psychanalyse appliquée, « Une difficulté de la psychanalyse », 1917.