Cours de Jacqueline Morne sur le Léviathan de Hobbes. © : Jacqueline Morne. Jacqueline Morne a été professeur de Philosophie au Lycée Émile Zola de Rennes. La guerre : état naturel de l'hommeLa philosophie politique de Thomas HobbesFrontispice du Leviathan de Hobbes (1651, gravure d'Abraham Bosse) I - La genèse anthropologique de la guerre 1 - L'état de natureLa philosophie politique de Hobbes se fonde, comme chez la
plupart des théoriciens politiques des XVIIe et XVIIIe siècles, sur la
description de ce que serait « l'état de nature ». Il faut entendre par état de nature ce que serait
l'homme, « tel qu'il a dû sortir des mains de la Nature[1] »,
c'est-à-dire indépendamment de ce qu'en fait la société. L'état de nature s'oppose
en tous points à l'état civil, c'est-à-dire à une vie commune réglée par un
pouvoir commun. L'état de nature est donc l'état de l'homme antérieurement à
tout ce que l'état civil lui apporte : développement et/ou déformation. Il ne faut cependant pas penser cette antériorité sous le
mode chronologique. L'état de nature ne correspond pas à la description d'un
état primitif historiquement situé avant l'état civil. Il est, dit encore
Rousseau, « un état qui n'a peut être jamais existé, qui probablement n'existera
jamais[2]. »
L'état de nature est donc une pure construction de l'esprit, abstraction faite
de tout ce que la société apporte à l'homme, une pure fiction commode pour se
représenter ce qu'est l'homme dans sa nature propre. Hobbes, tout en disant qu'il n'y eut jamais une époque particulière où les hommes vécurent dans cet état, suggère cependant quelques situations qui lui ressemblent : celle par exemple de certaines populations sauvages : On
pourra penser peut-être que jamais il y eut une telle époque […] mais il y a aujourd'hui
beaucoup de lieux où les hommes vivent de la sorte. Car le peuple sauvage de
nombreux endroits d'Amérique n'a pas de gouvernement du tout[3]. 2 - Loi naturelle et droit naturelHobbes décrit cette constitution naturelle de l'homme, comme un nœud de désirs et de passions, un jeu d'appétits articulés à la préservation et à la conservation de soi. L'homme est d'abord et avant tout mû par l'amour de soi. La première loi de nature à laquelle il est soumis est celle qui lui commande de conserver sa vie. Il faut entendre par loi de nature (lex naturalis) : un précepte, une règle
générale, découverte par la raison, suivant laquelle il est interdit à un homme
de faire ce qui détruit sa vie, ou lui enlève le moyen de la préserver[4]. La loi de nature est un précepte découvert par la raison,
mais la raison à ce stade n'est pas un commandement, elle n'est pas
législatrice, elle est une simple
faculté du calcul qui n'impose pas en soi une
obligation. Comme l'écrit Michel Malherbe : « La nécessité du
raisonnement ne crée pas à elle seule la nécessité de l'action[5]. »
Par
droite raison, en l'état de nature des hommes, je n'entends pas comme beaucoup
d'autres une faculté infaillible, mais l'acte propre et véritable du calcul
rationnel, que chacun applique à ses actions, dans la mesure où elles peuvent
être accomplies dans l'intérêt ou au détriment d'autres hommes[6]. De là procède un droit naturel fondamental : tout homme
a naturellement le droit « d'user
de ses facultés naturelles » afin « de conserver autant qu'il se peut
ses membres et sa vie ». Ce droit naturel (jus naturale) est propre à l'individu, il s'enracine dans sa
volonté, il est l'expression de sa liberté pleine et entière. Si la loi naturelle fonde le droit naturel, loi et droit
cependant ne se confondent pas. Le droit naturel se définit par la liberté,
liberté de faire ou de ne pas faire. Alors que la loi naturelle se définit par
l'obligation. Le droit naturel, c'est la liberté que chaque
homme a d'user de sa propre puissance comme il le veut lui-même pour la
préservation de sa propre nature, c'est-à-dire de sa propre vie et
conséquemment de faire tout ce que, suivant son jugement et sa raison propres,
il concevra comme le moyen le plus adapté à cette fin[7]. On peut donc dire que naturellement tout homme a droit sur
toute chose, « même sur le corps de chacun[8] » : jus
omnium in omnia. Ce droit est purement individuel, il est un pouvoir propre à chaque individu dans sa singularité. Chaque homme est un mécanisme organisé, un jeu d'appétits et de mouvements portant en lui l'exigence de la conservation de lui-même. Il est le faisceau des forces nécessaires à la préservation de l'individu dans son être. Ce droit est étroitement proportionnel à la force qu'il peut
mettre en œuvre pour le défendre. Spinoza ne dit pas autre chose quand il écrit
que, dans l'état de nature, on a autant de droit qu'on a de pouvoir[9].
Mais ce droit naturel n'est pas un droit au sens juridique du terme. Il est
pouvoir, force, liberté, c'est une énergie vitale qui n'a d'autre règle
qu'elle-même et qui ne détermine aucune justice. Il signifie simplement que
chacun a droit à tout ce dont il a besoin pour conserver sa vie, c'est une
énergie vitale qui n'a d'autre règle qu'elle-même, c'est un vouloir-vivre, un
conatus qui caractérise la mécanique du vivant. Ce droit naturel est un non-droit du point de vue juridique comme du point de vue moral, il ne peut fonder
aucun ordre, bien au contraire. La liberté qui y est attachée ignore tout
repère, toute limite. Si tous ont tous les droits, personne n'a plus de droit ;
si chacun jouit de la plus totale liberté, plus personne n'a de liberté. 3 - L'égalité naturelleCela est d'autant plus vrai que, dans l'état de nature, les
différences entre les hommes ne sont pas telles qu'elles puissent fonder un
rapport stable de domination. Bien au contraire, tant du point de vue de la
force corporelle que de celui des facultés de l'esprit, c'est l'égalité qui
règne. Au point de vue
corporel, il y a certes des hommes plus forts que d'autres. Dire le contraire
serait nier l'évidence, mais ces différences peuvent toujours s'annuler du fait
de l'usage de la ruse, du fait de l'union entre les faibles, si bien que comme
le dit Rousseau, « le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours
le maître[10] ».
Telle est paradoxalement la faiblesse de la force : elle n'assure aucune
continuité du pouvoir, elle n'est efficace que lorsqu'elle s'exerce, il lui
manque une dimension essentielle : celle de la durée. La
nature a fait les hommes tellement égaux quant aux facultés du corps et de
l'esprit que bien qu'on puisse trouver un homme dont le corps est manifestement
plus fort ou l'esprit plus rapide que celui d'un autre, tout compte fait la
différence entre deux hommes n'est cependant pas aussi considérable que l'un ne
puisse prétendre de ce fait à un bénéfice auquel l'autre ne pourrait prétendre
aussi bien que lui. Car pour ce qui concerne la force du corps, l'homme le plus
faible a assez de force pour tuer le plus fort, soit par quelque secrète
machination, soit en conspirant avec d'autres qui courent le même danger que
lui[11]. Au point de vue de l'esprit, il en est de même : chacun
juge être mieux pourvu d'intelligence et de sagesse que les autres, et c'est
justement là la preuve que chacun en est également pourvu : Car la nature des hommes est telle que, bien qu'ils
puissent reconnaître que beaucoup d'hommes ont plus d'esprit, ou sont plus
éloquents, ou plus instruits, ils douteront néanmoins qu'il y en ait beaucoup
d'aussi sages qu'eux-mêmes, parce qu'ils voient leur propre esprit de près,
celui des autres hommes à distance. Mais cela prouve que les hommes sont égaux
sur ce point, plutôt qu'inégaux. Car il n'y a ordinairement pas de meilleur
signe d'une égale distribution de quelque chose que le fait que chacun soit
satisfait de sa part[12]. On retrouve sensiblement le même argument dans les premières
lignes du Discours de la Méthode où
Descartes écrit : « Le bon sens est la chose du monde la mieux
partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui
sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont pas coutume
d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous
se trompent ; mais plutôt que cela témoigne que la puissance de bien juger
et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon
sens ou la raison, est naturellement égal en tous les hommes[13]. » 4 - De cette égalité procède la guerre : « bellum omnium contra omnes »C'est cette absence d'égalité
décisive qui entraîne la guerre. Les hommes étant naturellement égaux dans
leurs besoins et leurs aptitudes, et donc dans l'espoir d'atteindre leurs fins,
l'affrontement est inévitable : De cette égalité d'aptitude procède une égalité dans l'espoir
d'atteindre nos fins. De ce fait, si deux hommes désirent une même chose, dont
cependant ils ne peuvent jouir tous les deux, ils deviennent ennemis[14]. C'est de la conjugaison entre l'égalité et le désir absolu
d'affirmation de soi en chacun que procède la guerre. L'état de nature est un
champ clos où s'affrontent des forces brutes, Il y a là un chaos de passions
qui toutes conduisent à la guerre : la compétition, la défiance et la
fierté. La compétition qui pousse à envahir pour le profit, chacun cherchant à
posséder ce qu'il convoite : lutte pour l'avoir. La défiance, chacun
cherchant à sécuriser ses biens en faisant en sorte d'être plus puissant que
ceux qui pourraient les lui dérober : lutte pour le pouvoir. Et enfin la
fierté et la gloire, chacun exigeant la reconnaissance de son pouvoir et de sa
valeur propre : lutte pour le valoir. Lutte pour l'avoir, lutte pour le pouvoir, lutte pour le
valoir : il en résulte un état de guerre permanent, dans lequel nul n'est
jamais à l'abri. Les hommes y sont naturellement ennemis car tout homme est un
danger potentiel. L'état de nature est donc un état où le risque est
permanent, un état qui est inévitablement un état de guerre : même le moins belliqueux des hommes ne peut
en effet se protéger qu'en anticipant une possible agression, si bien que,
comme le veut le proverbe, « la meilleure défense est l'attaque ». Dans cet état, la peur et l'insécurité sont permanentes. La
guerre n'y est pas de l'ordre de l'événement, elle est un état, c'est-à-dire un
temps où elle est sans cesse possible. Hobbes dit que le temps est à la guerre
comme on peut dire que le temps est à la pluie. Entendu en ce sens, le temps
n'est pas seulement une donnée chronologique, c'est un état. C'est pourquoi, même
lorsque la guerre n'est pas effective, on peut malgré tout considérer qu'on est
en guerre, car elle est toujours possible. La guerre n'est donc pas seulement
la déclaration des hostilités, elle est le temps dans lequel la guerre est
possible : La nature de la guerre ne consiste pas dans le combat actuel, mais dans la disposition avérée au combat[15]. Dans ce temps où les armes provisoirement se sont tues, on
peut tout au plus parler de paix armée ou encore de guerre froide, certainement
pas de paix. Dans un tel état, tous les efforts des hommes ne peuvent se
concentrer que sur la préparation de la guerre, et ceci au détriment de toute
action civilisatrice qui réclame le loisir de la paix. Toute l'énergie des
hommes, tout leur pouvoir d'invention et de création sont
détournés vers la préparation de la guerre : Dans
cet état il n'y a pas de place pour l'industrie parce que le fruit en est dès
lors incertain : et en conséquence pas de culture de la terre ; ni
navigation, ni usage des marchandises susceptibles d'être importées par
mer ; pas de bâtiments spacieux, pas d'instrument pour mouvoir, enlever ce
qui à cette fin requiert beaucoup de force ; pas de connaissance de la
surface de la Terre ; pas de computation du temps ; pas d'arts, pas
de lettres, pas de société[16]. Dans cet état de guerre « la vie de l'homme est
solitaire, malheureuse, pénible, bestiale et
brève[17] ».
Solitaire car il ne peut faire confiance à personne, malheureuse car il ne peut
jamais y trouver le repos et la paix qui donneraient la stabilité à sa vie,
pénible car il doit sans cesse se battre et travailler pour se défendre,
bestiale car vivant uniquement pour défendre sa vie il ne se définit plus que
par son existence biologique, animale et non par l'esprit, la science, l'art ou
la culture qui sont des activités proprement humaines, et brève cela va de soi,
car vivre de telle manière c'est plutôt survivre que vivre. La condition naturelle de l'homme ne lui offre donc aucune
garantie, c'est un enfer permanent où sans cesse la mort rôde, où selon
l'expression consacrée : « l'homme est un loup pour l'homme. »
Et même pire diront certains, car « les loups ne grimpent pas aux
arbres », ce qui veut dire qu'il n'est aucun refuge où l'homme pourrait se
préserver de l'agression de ses semblables. Aucune limite naturelle n'existe qui pourrait tempérer ou
modérer cette brutalité. L'homme à l'état de guerre ne connaît ni la notion de
bien ni la notion de justice. Pour sauver sa vie tout est permis, car l'idée du
juste et de l'injuste, du bien et du mal et donc du permis et du défendu qui en
résulte sera le produit de l'invention des lois. « Elles sont des qualités relatives aux hommes vivant en société,
non dans la solitude. » L'idée de justice ne préexiste pas à l'institution
des lois. « Là où il n'y a pas de puissance commune, il n'y a pas de
loi : là où il n'y a pas de loi,
il n'y a pas d'injustice[18]. »
La bonté, le respect de l'autre ne sont pas des qualités naturelles de
l'homme. C'est pourquoi on ne peut pas plus dire de l'homme à l'état de nature
qu'il est méchant qu'on ne peut dire qu'il est bon ; ces notions lui sont
étrangères. C'est la vie sociale qui crée les normes de la vertu et du vice. Il
n'y a pas de faute avant la loi. La norme est inféodée à la loi, tant que la
loi n'est pas explicite il ne saurait y avoir de mal ou de faute. L'homme qui
fait le mal est « un enfant robuste », c'est-à-dire que le Mal est
moins l'effet d'une perversité originelle que d'une faiblesse de la raison. La
méchanceté est un défaut de raison chez un homme qui a passé l'âge de
l'enfance. […]
Et la conséquence est encore moins légitime que ceux qui sont méchants le
soient par un défaut de la nature. Certes, bien que les hommes aient ceci
naturellement, c'est-à-dire dès leur naissance, et de ce qu'ils naissent
animaux, qu'ils désirent et tâchent de faire tout ce qu'il leur plaît, et
qu'ils fuient avec crainte, ou qu'ils repoussent avec colère les maux qui les
menacent, toutefois ils ne doivent pas pour cela être estimés méchants ;
parce que les affections de l'âme qui viennent de la nature animale, ne sont
point mauvaises en elles-mêmes, mais bien quelquefois les actions qui en
procèdent, c'est à savoir quand elles sont nuisibles et contre le devoir. Si
vous ne donnez aux enfants tout ce qu'ils désirent, ils pleurent, ils se
fâchent, ils frappent leurs nourrices, et la nature les porte à en user de la
sorte. Cependant ils ne sont pas à blâmer, et on ne dit pas qu'ils sont
mauvais, premièrement parce qu'ils ne peuvent point faire de dommage, en après,
à cause qu'étant privés de l'usage de la raison, ils sont exempts de tous les
devoirs des autres hommes. Mais s'ils continuent à faire la même chose quand
ils sont plus avancés en âge et lorsque les forces leur sont venues avec
lesquelles ils peuvent nuire, c'est alors que l'on commence à les nommer, et
qu'ils sont méchants en effet. De sorte je dirais volontiers, qu'un méchant
homme est le même qu'un enfant robuste, ou qu'un homme qui a l'âme d'un
enfant ; et que la méchanceté n'est autre chose que le défaut de raison en
un âge auquel elle a accoutumé de venir aux hommes[19]. Rien ne viendra donc tempérer la brutalité de la guerre de
tous contre tous : ni un sens de la justice et du bien, ni même un vague
sentiment de pitié pour la souffrance d'autrui comme le suggère Rousseau[20],
ni la contrainte par laquelle un homme manifestement plus fort et plus
intelligent pourrait imposer sa loi. À
l'origine de l'état de guerre, il n'y a en fin de compte qu'une seule
cause : l'absence de loi capable de soumettre l'homme à un ordre stable. L'état de guerre dérive donc inéluctablement de la nature
humaine, c'est la nature même de l'homme qui génère la guerre. La guerre n'est
pas un accident de l'histoire. Elle est inhérente à l'homme. Et, quels que
soient les artifices politiques que les hommes trouveront pour faire cesser
l'état de nature, ils ne changeront rien à cette disposition naturelle, ils ne
pourront qu'en empêcher l'expression. II - De la guerre à la paix : le pacte de soumission 1 - La contradiction inhérente à l'état de nature : droit naturel et loi naturelleOn voit dès lors que l'état de nature recèle une
contradiction fatale entre droit naturel et loi naturelle. Alors que la
première loi naturelle est de chercher par tous les moyens à se conserver en
vie, l'usage du droit naturel qui en découle conduit l'homme à la guerre et à
la mort. Lex naturalis et jus naturale se contredisent comme la
vie et la mort, la paix et la guerre. L'état de nature fait courir à l'homme un
danger mortel. Il faut en sortir coûte que coûte, à n'importe quel prix, car
rien ne vaut plus que la vie. Comme le dit Rousseau, « le genre humain périrait
s'il ne changeait sa manière d'être[21]
». Il y a là une incohérence que la raison humaine ne peut accepter.
L'irrationalité que révèle la contradiction entre droit naturel et loi
naturelle est insupportable. La raison dont l'homme naturel est doué, raison
qui est simple faculté de calcul[22],
lui commande de substituer au droit naturel mortifère un autre droit. Parce que
l'homme est homo rationalis, il a
assez de raison pour comprendre qu'il lui faut quitter l'état de nature et
renoncer à son droit naturel, qu'il faut instituer un nouvel ordre. C'est pourquoi,
puisque l'homme, pour sauver la seule et unique valeur qu'est sa vie, doit
s'efforcer à la paix, la seconde loi de nature impose de sortir de l'état de
nature : De cette loi fondamentale de la nature,
par laquelle il est ordonné aux hommes de s'efforcer à la paix, dérive cette
deuxième loi : qu'un homme consente à abandonner ce droit sur toutes
choses, lorsque les autres y consentent aussi, autant qu'il le jugera
nécessaire pour la paix et sa propre défense, et qu'il se contente d'autant de
liberté à l'égard des autres hommes qu'il en
accorderait aux autres hommes à son égard[23]. Renoncer à son droit sur toutes choses, renoncer à sa liberté
sans limites, c'est-à-dire renoncer à sa liberté Ñ car qu'est ce qu'une liberté
limitée au regard de la liberté absolue de l'état de nature ? Ñ tel est le
prix de la paix, quelque chose comme un reniement de soi, quelque chose comme
un suicide métaphysique, auquel l'homme naturel se contraint pour payer le prix
du repos, de la sécurité. Le marché est clair : la sécurité contre la
liberté. Hobbes dira que le grand bénéfice que trouve l'homme en renonçant à
l'état de nature, c'est l'institution d'un veilleur de nuit ! C'est-à-dire
la possibilité de dormir en paix : « Dormez bonnes gens, la garde
veille. » Telle est l'origine de la convention que les hommes doivent
conclure entre eux pour sortir de l'état de guerre. À l'inverse de la guerre qui est inscrite dans la nature de
l'homme, il s'agit ici d'une construction artificielle. Alors que la guerre
procède de la nature de l'homme, la paix procède de sa volonté. La nature
commande bien de vivre en paix mais elle n'a pas créé les conditions pour la
réaliser. C'est à l'homme de les inventer, de trouver, par un acte artificiel,
le moyen d'imposer cette paix indispensable à la vie que pourtant la nature n'a
pas su créer. Il doit substituer au droit naturel, qui est un non-droit, un
autre droit, fondateur de l'état civil, de la res publica. 2 - Le pacte de soumissionPour y parvenir les individus libres et isolés doivent
s'assembler et conclure entre eux une convention, un pacte. Mais, pour que ce
pacte garantisse absolument la paix, il faut qu'il soit d'une nature très
particulière. C'est ce qui fait l'originalité de ce que Hobbes présente comme
un pacte de soumission. Il s'agit de « de confier tout pouvoir et
toute force à un seul homme ou une seule assemblée qui assumera leur
personnalité et agira en lieu et place de l'ensemble des contractants ».
Le processus vise à la reconnaissance par tous d'une puissance suprême aux
mains de laquelle chacun abandonne ses droits. Ce pacte s'énonce ainsi : J'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit
de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit, et
que tu autorises toutes ses actions de la même manière[24].
L'analyse formelle de
ce pacte met en évidence qu'il est d'une nature peu commune : Alors que, dans un contrat classique de nature économique ou
juridique, deux ou plusieurs parties s'engagent réciproquement de manière
symétrique à propos d'un objet, nous avons dans ce pacte politique une totale
dissymétrie. L'objet sur lequel porte le contrat est clair : il s'agit du
droit naturel ; son objectif l'est aussi : c'est la paix. Les parties engagées
et la nature de l'engagement sont beaucoup plus surprenantes. Dans l'énoncé du
pacte sont citées trois parties : « Je », « Tu », « cet homme
ou cette assemblée ». Or en aucun cas il ne s'agit d'un engagement
tripartite. Le texte dit bien « je lui abandonne mon droit à
condition que tu lui abandonnes ton droit » : je m'engage à
condition que tu t'engages. Les
seuls acteurs du pacte sont Je et Tu. L'accord est passé entre Je et Tu, c'est-à-dire des individus, des hommes naturels, qui renoncent
à leur droit naturel de se gouverner eux-mêmes. Il ne s'agit pas d'un échange :
je ne donne pas mon droit à l'autre, pas plus qu'il ne me donne le sien. Il
s'agit d'une simultanéité et d'une réciprocité dans un acte commun d'aliénation
de son droit. Il serait en effet absurde de renoncer à ses droits si les autres
n'en faisaient pas autant. Mais ce qui est particulièrement original dans ce pacte c'est
la place du Tiers. Hobbes le désigne toujours par les termes : cet homme
ou cette assemblée. Peu importe donc la forme que prend ce tiers (roi, prince,
assemblée élue ou non), ce qui est ainsi défini c'est une entité juridique et
politique qui peut s'incarner dans n'importe quelle forme particulière
d'organisation, et que Hobbes nommera plus loin Léviathan. Ce terme est
emprunté par Hobbes à une créature mythique de l'Ancien Testament représentant
la toute-puissance[25].
Dans le Livre de Job, Job reproche à
Yahvé son injustice, et Yahvé réduisant d'emblée toute velléité de révolte
l'interroge : vas-tu passer une convention avec le Léviathan ? Avec la
toute-puissance, on ne discute pas on se soumet. Avec cette puissance on ne
conclut aucun contrat, on ne peut concevoir un pacte entre l'homme, créature
misérable et la toute-puissance : le Souverain ne passe pas de convention
avec ses sujets, telle est la clé de la république hobbiennne. Ce qui importe, c'est que ce Tiers n'est engagé à rien. Il
n'est pas concerné par ce contrat, lui et lui seul conserve le droit de se
gouverner soi-même, son rôle se limite à recevoir les droits des contractants
sans rien donner ou promettre en échange, même pas d'assurer la paix. Il s'agit
« d'abandonner son droit », c'est-à-dire de renoncer à en faire
usage, ce n'est pas accorder à l'autre, cet homme ou cette assemblée, un
nouveau droit, c'est laisser le champ libre à l'usage qu'il fait de son propre
droit. Le Tiers joue en quelque sorte le rôle du catalyseur, il rend possible
l'association tout en n'y prenant pas part. C'est selon Hobbes dans cette
curieuse convention que réside la réussite d'un état civil où les hommes enfin
trouveront la paix et la sécurité à laquelle ils aspirent et que la nature leur
commande de rechercher. La paix n'est pas l'objet du contrat mais sa
conséquence mécanique. C'est justement parce qu'il n'y a aucune réciprocité,
aucun engagement mutuel que le pacte peut remplir son objectif : assurer
la paix. La paix n'est pas un engagement du Souverain vis-à-vis de ses sujets,
elle est l'effet mécanique de l'annulation de tous les autre droits :
chacun renonçant à son droit, seul subsiste le droit du souverain, justement
parce que lui n'y a pas renoncé. Les rapports entre les citoyens et le pouvoir ne sont donc pas du tout des rapports maître-esclave. Les théoriciens de l'esclavage justifient le rapport de soumission par le fait qu'il repose sur un engagement réciproque, la servitude résultant d'une entente mutuelle. Pufendorf par exemple écrit : La
servitude vient originairement d'un consentement volontaire […] ; il y a
beaucoup d'apparence que les gens un peu riches et qui avaient de l'esprit engagèrent
ceux qui étaient grossiers et peu accommodés à travailler pour eux moyennant un
certain salaire. Cela ayant ensuite paru commode aux uns et aux autres,
plusieurs se résolurent insensiblement à entrer sur ce pied-là pour toujours
dans la famille de quelqu'un, à condition qu'il leur fournirait la nourriture
et toutes les choses nécessaires à la vie. Ainsi la servitude a d'abord été
établie par un libre consentement des parties et par un contrat de faire afin
que l'on nous donne[26]. Rien de tel ici, aucune symétrie dans l'engagement, les
contractants s'engagent à tout alors que le Tiers ne s'engage à rien. 3 - Les effets du pacteFondation de la société
civile : la notion de représentation Le pacte de soumission est dans son principe un pacte
d'association. Pour triompher de l'individualisme qui engendre la guerre, il
faut instituer l'union de tous dans une volonté commune. Ainsi naît la société
civile. Elle repose sur un accord entre les individus les uns vis-à-vis des
autres : « Je m'engage à condition que tu t'engages. » Par cette
convention chacun s'engage à ne plus faire usage de sa liberté, de sa volonté,
de son droit à faire tout ce qu'il juge bon pour se garder en vie. Il sort donc
ipso facto de l'état de nature. Le contractant n'est plus un individu libre et
isolé, il est membre d'une société dont il est à la fois l'auteur et le sujet,
il devient citoyen. Sa volonté sera désormais la volonté du Tiers, qui réduit
toutes les volontés à une seule volonté. C'est ce Tiers qui agit désormais en
lieu et place de la multitude, qui donne de la cohérence à cette cacophonie qui
s'élevait de la voix de la multitude et les unit tous dans le respect de la
chose publique, de la Res Publica. La
société civile ainsi créée substitue des rapports réglés par le droit aux
rapports réglés par la force. Elle substitue le droit civil (jus civile), c'est-à-dire un droit
défini et réglé par la loi, au droit naturel (jus naturale). Et parce que la loi est la même pour tous, elle
institue l'égalité entre les
contractants. Tous s'engageant dans les mêmes termes, l'égalité est cette fois
réelle, alors que l'égalité de la nature était sans cesse remise en cause par
l'usage de la force. Hobbes développe ici une théorie de la représentation : l'autorité du Tiers procède de l'acte par lequel
chaque contractant l'autorise à user
en son lieu et place de son droit et de sa liberté. La convention que les
hommes passent entre eux a pour effet d'ériger un pouvoir commun qui est le
représentant de la personne civile ainsi constituée. C'est ce que montre très
bien l'image qui orne le frontispice du traité de Hobbes : on y voit le
souverain revêtu de tous les attributs du pouvoir écraser villes et montagnes
de sa puissante stature, mais si on y regarde de plus près on verra aussi que
le corps du Souverain est composé par la multitude de ses sujets. Le Souverain
n'est rien d'autre que la création des contractants qui lui ont ainsi donné
naissance. Le Souverain ne se représente pas lui-même, il agit et parle en lieu
et place de ceux qui lui ont transféré leur droit d'agir et de parler. Le
Souverain n'est donc pas l'auteur de ses actes, il en est seulement l'acteur.
Ce sont les sujets qui sont collectivement auteur des actes du Souverain.
Chacun abandonne son droit de se gouverner soi même, sa liberté, dans les mains
d'un Tiers, homo artificialis, entité
abstraite, construite par le mécanisme contractuel du transfert de droit. Le Léviathan est donc une création de l'artifice humain (d'où
la notion d'artificialisme souvent utilisée pour qualifier la théorie de Hobbes).
Non seulement l'homme a été capable d'imiter la nature en fabricant des
êtres animés, les automates par exemple, mais il a créé un homme
artificiel : le Léviathan. La
nature, cet art par lequel Dieu a produit le monde et le gouverne, est imitée
par l'art de l'homme en ceci comme en beaucoup d'autres choses, qu'un tel art
peut produire un animal artificiel. En effet, étant donné que la vie n'est
qu'un mouvement de membres, dont le commencement se trouve en quelque partie
principale située au-dedans, pourquoi ne dirait-on pas que tous les automates (c'est-à-dire les engins qui
se meuvent eux-mêmes, comme le fait une montre, par des ressorts et des roues),
possèdent une vie artificielle). [….] Mais l'art va encore plus loin, en imitant
cet ouvrage raisonnable, el le plus excellent de la nature : l'homme. Car c'est l'art qui crée ce grand LÉVIATHAN qu'on
appelle RÉPUBLIQUE ou ÉTAT (CIVITAS en latin), lequel n'est qu'un homme
artificiel, quoique d'une stature et d'une force plus grandes que celles de l'homme
naturel, pour la défense et protection duquel il a été conçu[27]. Fondation de l'État : la notion de souveraineté. Parce que l'association est en même temps soumission au
pouvoir d'un Tiers, la convention est d'emblée un pacte de soumission, et la
théorie politique de Hobbes engage une théorie de la souveraineté : La personne civile,
homme ou assemblée Ñ à la volonté de laquelle tous les hommes ont soumis la
leur Ñ a la puissance souveraine, exerce l'empire et
la suprême domination[28]. On se tromperait lourdement en voyant dans le Léviathan
l'illustration d'un pouvoir personnel. Le Léviathan est une personne fictive, un être de raison, une
machine de pouvoir douée d'une force extraordinaire fabriquée par l'artifice
des hommes. La convention que les hommes passent entre eux a pour effet
d'ériger un pouvoir commun. Peu importe la forme que prend ce pouvoir, il peut
tout aussi bien être celui d'un homme que d'une assemblée, qui dans tous les
cas ne seront que les représentants de la personne civile ainsi constituée. Ce
n'est pas la forme du pouvoir qui compte, c'est sa source et son étendue. La
philosophie politique de Hobbes n'est pas comme on l'a cru parfois une apologie
de la tyrannie, elle définit un espace de pouvoir abstrait et impersonnel qui
est très exactement l'espace qu'occupera l'État moderne. C'est à cette personne artificielle qu'appartient désormais
toute souveraineté : le contrat que chacun conclut avec chacun, au terme
duquel il abandonne son droit naturel c'est-à-dire son pouvoir, confère au Léviathan
le droit de parler, de juger et d'agir au nom de tous. Cette souveraineté n'est
rien d'autre que l'effet de l'institution civile. Cette puissance souveraine dispose de tous les
pouvoirs. Contre les citoyens elle dispose du glaive de la Justice,
c'est-à-dire du droit de punir : D'autant
qu'il est nécessaire pour la sûreté de chaque particulier et ainsi pour le bien
et la paix publique, que ce droit de se servir de l'épée, en l'imposition des
peines, soit donné à un seul homme ou à une assemblée, il faut nécessairement
avouer que celui qui exerce cette magistrature, ou le conseil qui gouverne avec
cette autorité, ont dans la ville une souveraine
puissance très légitime[29]. Contre les ennemis extérieurs, elle dispose du glaive de la
guerre, car il ne servirait à rien d'assurer la paix intérieure si les citoyens
étaient à la merci des attaques venues de l'extérieur : Il
me semble nécessaire pour la
conservation des particuliers, qu'il y ait une certaine assemblée, ou bien un homme
seul, auquel on donne la puissance d'armer et de convoquer, selon les
occasions et la nécessité de la défense publique, le nombre de citoyens qu'il
faudra pour résister aux forces ennemies, et auquel on laissera la liberté de
traiter et de faire la paix[30]. Le détenteur de ce droit doit nécessairement être le même que
celui qui détient le glaive de la justice car sinon il ne pourrait contraindre
les citoyens à prendre les armes s'il n'avait les moyens de se faire obéir. Il revient en outre à celui qui possède l'épée de la justice et
celle de la guerre d'avoir tout pouvoir de décision sur la manière et le temps
dont il juge bon de s'en servir, car si ces deux pouvoirs étaient séparés,
celui qui décide n'aurait aucun moyen de faire exécuter ses décisions. En
une ville, le jugement et les délibérations dépendent de celui qui y tient les épées de la guerre et de justice, c'est-à-dire de celui qui en possède la souveraineté[31]. Pour les mêmes raisons, il revient au Souverain de faire les
lois, c'est-à-dire les textes qui serviront de règle aux actions de tous : C'est
à la même souveraine puissance à donner à tous les particuliers des règles
générales, et à prescrire de certaines mesures publiquement reçues, par
lesquelles chacun puisse savoir ce qui lui appartient, et le discerner du bien
d'autrui, connaître le juste et l'injuste, ce qu'il faut nommer honnête ou
déshonnête, bien ou mal, et en un mot, se résoudre sur ce qu'on doit faire ou
éviter dans le cours de la vie civile[32]. Dans cette tâche immense le Souverain devra se faire assister
de magistrats, ministres et autres officiers, mais c'est à lui et à lui seul
qu'il reviendra de les nommer, et de les diriger : Il
semble fort raisonnable de laisser le choix de telles personnes et de les faire
dépendre de celui qui a la puissance souveraine sur les affaires de la paix et
de la guerre[33]. Enfin, et ce n'est pas le moins important, la puissance
souveraine décide des doctrines : Il
importe grandement à la paix générale de ne laisser proposer ou introduire
aucunes opinions ou doctrines, qui persuadent aux sujets qu'ils ne peuvent pas
obéir en conscience aux lois de l'État [….] ou qu'il
leur est permis de résister aux lois, ou bien qu'ils doivent appréhender une
plus grande peine s'ils obéissent, que s'ils s'obstinent à la désobéissance.
[…] Il s'ensuit donc que le droit de juger des opinions ou doctrines contraires
à la tranquillité publique et de défendre qu'on les enseigne, appartient au magistrat, ou à la cour, à qui on a donné l'autorité suprême[34]. La religion elle-même ne peut échapper à cet examen, car l'autorité qu'elle exerce sur les hommes est un danger pour l'autorité du souverain. « Nul ne peut servir à deux maîtres », elle doit donc être soumise aux règles de la souveraine puissance : l'Église et l'interprétation des Écritures doivent dépendre du Souverain. Aucune liberté d'opinion ne saurait donc être tolérée, le Souverain doit contrôler l'enseignement et la diffusion des doctrines et il dispose du droit de censure pour interdire celles qui représentent une menace pour la stabilité de l'État. Ce qui est logique dès lors que Hobbes a affirmé que ni le sens du juste et de l'injuste, ni celui du bien et du mal, ni celui du vrai et du faux n'existent dans l'état de nature, donc ne préexistent à l'état civil. C'est donc bien à l'état civil de les déterminer en fonction de ses besoins (positivisme juridique). On chercherait donc en vain chez Hobbes une théorie de la
séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. Tous les pouvoirs doivent être
réunis dans les mains de celui qui possède la puissance souveraine de l'État,
et il n'a de compte à rendre à personne de l'usage qu'il en fait. Il doit donc
être irresponsable au sens juridique du terme. Ayant renoncé à sa volonté au
profit de la volonté du Souverain, le particulier n'a pas à juger et n'a rien à réclamer,
il ne peut exercer contre lui aucun jugement et aucune force : Enfin,
de ce que chaque particulier a soumis sa volonté à la volonté de celui qui
possède la puissance dans l'État, en sorte qu'il ne peut pas exercer contre lui
ses propres forces, il s'ensuit manifestement que le souverain doit être
injusticiable, quoi qu'il entreprenne[35]. De même le souverain ne peut être obligé de se soumettre aux
lois qu'il édicte car on peut considérer que nul n'est obligé envers soi-même : […]
Celui qui obligerait et celui qui demeurerait obligé, étant une même personne,
et l'un pouvant être dégagé par l'autre de son obligation, ce serait en vain
qu'on se serait obligé soi-même[36]. Ce qui signifie que le souverain est au dessus des lois,
qu'il n'est pas obligé par elles, et qu'il peut en changer à sa guise. La définition par Hobbes de ce pouvoir artificiel,
abstrait, séparé, impersonnel, absolu, souverain, n'est rien d'autre que la
définition de l'État moderne. Il ne s'agit pas de définir le pouvoir par celui
qui l'exerce mais d'en définir la nature et le principe. L'exercice du pouvoir
peut tout aussi bien être assumé par un gouvernement démocratique,
aristocratique ou monarchique. Fondation d'un nouvel
ordre anthropologique La mutation qu'opère le pacte de soumission n'est pas
seulement juridique et politique, elle est anthropologique. Dans l'état de
nature, les individus ne sont pas encore des
personnes. Pour advenir à la personnalité, chaque individu doit sortir de
soi, se perdre comme individu pour s'affirmer comme personne. Léviathan est un
monstre mais un monstre régulateur, médiateur entre l'homme et lui-même. Dans cette convention par laquelle chacun renonce à son droit, il y a l'avènement d'un nouvel ordre dans les rapports humains, l'ordre de la parole. Dans l'état de nature les hommes sont doués de parole et de raison, mais ils ne se parlent pas, il n'y a pas d'interlocution. Pour qu'un tel pacte puisse être conclu, il faut que cesse le bruit des armes. Il faut que l'on approche l'autre non plus comme un ennemi mais comme un partenaire potentiel, qu'on lui parle pour négocier, qu'on instaure une certaine forme de réciprocité ; ainsi cette parole commune devient l'acte de fondation de l'ordre politique, un acte qui tient tout entier dans l'engagement verbal prononcé : « Je m'engage… » Il n'y a de vie sociale et de contrat que par la parole, l'acte d'engagement social est subordonné à l'acte de l'interlocution. Le passage de la guerre à la paix est un acte de parole. L'aliénation de son droit est le premier acte d'interlocution. La première parole échangée est la première institution
humaine : l'institution de l'État. Et cette première parole échangée est
fondatrice, non seulement d'un nouvel ordre politique mais d'un nouvel ordre
anthropologique. La parole est ce par quoi l'individu se constitue comme sujet.
Sortir de l'état de nature, c'est sortir de soi par la parole. Le langage a une
fonction créatrice quasi divine, il invente l'homme comme homme, et il invente
les rapports humains. La violence est maitrisée, le conflit n'a plus le même
sens, il est émulation et concurrence et non plus destruction. À ce niveau la distinction entre acte et parole n'a plus de
sens. C'est la parole en elle-même qui devient un acte. Les mots ne traduisent
pas un état de chose, ils l'établissent ; on est dans l'ordre de ce que la
philosophie anglo-saxonne nomme le performatif[37].
Si cette parole est un acte, c'est qu'elle ne porte pas sur le futur mais
implique le futur dans le présent. Ce n'est pas la simple promesse de faire
demain, mais l'inscription du futur dans le présent : Hobbes distingue
bien entre « demain je te donnerai ceci » qui n'engage que le futur,
et « je m'engage à te donner ceci demain » qui est acté dès
aujourd'hui. Si une telle promesse est invalide dans l'état de nature, elle est
au contraire dans l'état civil garantie par la force de la loi. Paradoxalement le langage est à la fois la condition et la
conséquence du pacte, l'antécédent et le conséquent de l'État. La condition de
cette mutation politique et anthropologique est en même temps sa
conséquence : c'est dans l'institution du pouvoir d'un tiers que l'acte de
langage se réalise. Les individus engendrent le Tiers (le Léviathan) dans
l'acte par lequel ils déclarent lui abandonner leur droit. Mais le Tiers n'intervient
pas comme interlocuteur, il permet au discours de se constituer en restant
extérieur au discours. La parole transite par lui, mais il n'a pas à parler, le
souverain n'a pas à rendre compte. Le Tiers est muet, il se situe en dehors du
langage et de l'échange, son mutisme et son irresponsabilité sont la condition
même de la vie sociale. 4 - Les limites de l'obéissanceL'efficacité du
pacte : la crainte et l'obligation. Telle est donc la convention que les hommes doivent passer
entre eux pour sortir de l'état de nature : la soumission totale et
entière à un pouvoir souverain qui dicte sa loi. Encore faut-il que ce pacte
soit respecté, c'est-à-dire que les contractants respectent leur promesse et
obéissent au souverain. Si le pacte
est conclu pour assurer la paix, il est toujours possible que le contractant
perde de vue cette finalité et tente de récupérer sa liberté naturelle dans
l'état civil. C'est pourquoi l'efficacité de cette convention repose sur le
fait que le souverain dispose de tous les moyens pour contraindre le citoyen à
l'obéissance : il a le droit de punir, et cela va jusqu'au droit de vie et
de mort sur ses sujets. Lui et lui seul dispose de la force, et il en use comme
bon lui semble. La crainte du châtiment est une raison suffisante d'obéir. Mais Hobbes ne s'en tient pas à ce qui ne serait qu'un
équilibre de la terreur. Il démontre que dans l'état civil l'obéissance est
légitime : elle devient une obligation, un devoir, et la désobéissance devient
une injustice légitimement punie par le pouvoir souverain. En effet, le pacte
est une promesse, un engagement à renoncer à son droit, non seulement dans le
présent mais dans le futur. Vouloir continuer à user de ce droit serait à la
fois un parjure et une absurdité au sens logique du terme. Car
de même qu'on nomme une absurdité le fait de contredire ce qu'on soutenait au
début, de même dans le monde, on nomme injustice et tort l'acte de défaire
volontairement ce qu'on avait fait volontairement au début[38]. Ainsi non seulement l'autorité souveraine dispose de tous les
pouvoirs de la force pour contraindre le citoyen à l'obéissance, mais elle est
dans son droit lorsqu'elle le fait. L'usage de la force est légitime dès lors
qu'il est institué par la promesse d'obéir. La contrainte se change en obligation
et l'usage de la force est pleinement justifié. Il ne s'agit plus du droit du plus fort mais de la force au
service du droit. La différence est essentielle car désormais c'est la rigueur
de la loi qui règle non seulement les rapports des sujets entre eux mais les
rapports des sujets et du souverain. Le pouvoir n'est pas le pouvoir arbitraire
d'un homme gouvernant selon son bon plaisir mais le pouvoir de la loi, si bien
qu'un sujet peut devant la loi demander justice contre
le souverain. Si
un sujet a une controverse avec son souverain concernant une dette ou un droit
de possession de terre ou de biens, ou concernant un service requis de ses
mains, ou concernant un châtiment corporel ou pécuniaire, fondé sur une loi
préalable, il a la même liberté de poursuivre en justice en vertu de son droit
que si c'était contre un sujet, et devant des juges désignés par le souverain.
Car considérant que le souverain exige par force d'une loi préalable et non en
vertu de son pouvoir, il déclare par là qu'il ne requiert rien de plus que ce
qui apparaît comme dû en vertu de
cette loi[39]. Les limites de l'obéissance L'obéissance aux lois a cependant des limites qui tiennent
aux limites du pacte lui-même. L'impuissance du
souverain En premier lieu l'obligation d'obéir au souverain est
conditionnée par la sécurité et la protection que le sujet tire de cette
soumission. Dès lors que le souverain n'est plus en mesure d'assurer la
sécurité de ses sujets, s'il est assujetti à une puissance étrangère par
exemple, les sujets ne lui doivent plus obéissance. Dans ce cas, le pacte qui
par nature devait assurer la sûreté des contractants ne fonctionne plus, il
n'engage donc plus personne. L'obligation
des sujets envers le souverain est comprise comme durant aussi longtemps, et
pas plus longtemps, que ne dure le pouvoir par lequel il peut le protéger[40]. Les silences de la loi En second lieu, le souverain, aussi totalitaire soit-il, n'a
ni le besoin ni les moyens de légiférer à propos de tout et de n'importe quoi.
De nombreuses sphères de l'activité des citoyens restent libres de toute
contrainte. Ce qui n'est pas interdit étant permis, le citoyen dispose de sa
liberté pleine et entière dans ce que Hobbes appelle « les silences de la
loi ». Encore faut-il admettre que le souverain est seul juge des domaines
dans lesquels il juge bon de légiférer, et que par conséquent les limites de la
liberté sont fluctuantes, et toujours soumises à modification. Ce qui était
permis peut toujours devenir défendu dès que le souverain le juge bon. Dans
le cas où le souverain n'a prescrit aucune règle, le sujet a la liberté d'agir
ou de s'abstenir à sa discrétion. Et donc cette liberté est en certains lieux plus grande, en d'autres moindre, et en
certains temps plus grande, en d'autres moindre, selon que ceux qui ont la
souveraineté jugeront le plus convenable[41]. Les droits inaliénables Mais la nature du pacte entraîne des conséquences beaucoup
plus importantes, car il s'agit non plus de simples limites du champ de
l'obéissance mais d'un véritable droit à la désobéissance, d'un pouvoir de
résistance. Alors que Rousseau estime que pour être efficace l'aliénation doit
être totale[42],
Hobbes curieusement considère qu'il y a des droits inaliénables. La deuxième loi de nature, celle qui énonce la nécessité
d'abandonner son droit sur toute chose et de le transférer à une autorité
souveraine précise que le contractant abandonne son droit « autant qu'il
le jugera nécessaire pour la paix, et qu'il se contente d'autant de liberté à
l'égard des autres hommes qu'il en accorderait aux autres hommes à son égard[43] ».
L'aliénation n'est donc pas totale, au moins dans son principe. La condition du
pacte étant que chaque contractant renonce à la même proportion de ses droits, ce
n'est pas la renonciation à la totalité de ses droits. Ces droits inaliénables, ces droits qui ne peuvent être
abandonnés, transférés au souverain, ce sont les droits à la vie et à la
sûreté. Nul ne peut renoncer au droit de se protéger lui-même quand personne
n'est en mesure de le faire. Le but du pacte étant, selon la loi naturelle, de
trouver le meilleur moyen de vivre en paix pour se garder en vie, toute
aliénation de ce droit serait contradictoire. L'homme ne peut s'engager qu'en
fonction de ce qui doit être un bien pour lui-même : De
tous les actes volontaires des hommes, l'objet est un bien pour lui-même. Et il y a des droits dont on ne peut
concevoir que quiconque les ait abandonnés ou transférés[44]. Le pacte ne peut donc obliger le citoyen à faire quelque
chose qui soit contraire à sa vie : « Les conventions qui ne défendent pas le corps propre d'un homme sont
nulles. » Et, puisque ce droit à défendre sa vie ne peut être transmis par
convention, l'homme garde l'entière liberté d'en faire usage quand cela est
nécessaire : « Chaque sujet a la liberté dans toutes ces choses dont
le droit ne peut être transmis par convention. ». Ainsi la peur de la mort qui est le mal
absolu fait que « nous fuyons le mal de toute notre puissance par une
nécessité si naturelle qu'il n'y a point du tout moyen d'y résister ».
Face à la mort, et quelles que soient les conventions antérieures, ressurgit ce
droit naturel irrépressible qui nous commande de défendre notre vie. C'est
pourquoi nul n'est obligé de ne pas résister à celui qui veut lui donner la
mort, et cela même si c'est le souverain qu'on a pourtant autorisé à le faire. La
preuve en est, dit Hobbes, qu' « on tient liés, et on environne
d'archers, ceux qu'on mène au dernier supplice, où à qui l'on inflige la
moindre peine. Ce qui montre que les juges n'estiment pas qu'aucun pacte oblige
assez les criminels de ne pas résister à leur punition[45]. » La convention passée avec autrui ne peut donc pas inclure le
droit de résister, car ne pas résister, ne pas défendre sa vie, serait
contraire à l'exigence la plus élémentaire de la nature, c'est pourquoi
« les sujets ont la liberté de défendre leur propre corps, même contre
ceux qui les attaquent légalement[46]. »
On ne peut demander au condamné de marcher volontairement vers le lieu du
supplice. Pour les mêmes raisons le pacte ne peut nous obliger à nous
accuser nous-même ni quelqu'un dont notre vie dépend : le père n'est pas
obligé de dénoncer son fils, ni le mari sa femme, ces témoignages sont nuls car
ils seraient contre nature. Mentir
sous la torture, refuser de se faire tuer à la guerre (sauf pour un soldat qui
en a pris explicitement l'engagement) sont l'expression tout aussi évidente de
ce droit de résister. Il s'agit en quelque sorte, bien que Hobbes n'utilise pas
le terme, d'une légitime défense. Légitime défense qui tire sa légitimité non
plus de la loi, mais de la nature. Il ne faut pas voir une contradiction entre le fait que Hobbes affirme la souveraineté pleine et
entière du souverain sur ses sujets y compris sur leur vie, et le fait qu'il
reconnaisse ce droit de résistance. L'une se fonde dans la convention, l'autre
relève de l'antériorité de la loi naturelle. Ce qui signifie que la convention
n'a pas fait disparaître l'homme naturel, et que le conflit entre la nature et
la loi est toujours possible, qu'il est même sous-jacent à la loi. Dans
le pacte de soumission de Hobbes, parce qu'il ne peut être une aliénation
totale de l'homme avec tous ses droits comme le veut Rousseau, l'individu reste
potentiellement l'ennemi de la loi. Sa liberté reste la liberté naturelle, qui
se définit purement mécaniquement par l'absence de contrainte externe. Nulle
mutation de la liberté naturelle en liberté morale consciente de ses
obligations comme chez Rousseau[47].
On peut alors comprendre pourquoi le souverain doit être ce Léviathan
terrifiant qui ne peut en définitive régner que par la démonstration d'un
pouvoir absolu. Car, comme le disait encore Rousseau, une convention qui
n'exige pas l'aliénation totale des droits ne peut être que tyrannique ou
vaine. En dernier ressort,
l'application du droit requiert l'usage de la force la plus effrayante. On
arrive ainsi à un curieux paradoxe : de Hobbes et de Rousseau, c'est
Rousseau qui exige du contractant le plus terrible des sacrifices,
« l'aliénation de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté »,
là où Hobbes reconnaît des droits naturels inaliénables. Mais c'est justement
pour ne pas avoir été assez loin dans l'aliénation que Hobbes réduit la liberté
aux silences de la loi et soumet le citoyen aux rigueurs d'un pouvoir absolu, alors que, par le contrat social, Rousseau
laisse l'homme aussi libre qu'auparavant, le changement étant d'ordre
qualitatif et non quantitatif, la liberté naturelle se sublimant en liberté
civile.
Telle est l'ambivalence de la philosophie politique de Hobbes,
en qui on a pu voir à juste titre le théoricien de l'absolutisme (le
pouvoir du Léviathan est un pouvoir terrible indiscutable et sans partage) mais
aussi, avec tout autant de pertinence, le précurseur de l'état de droit. Le
pouvoir absolu du Léviathan à qui le sujet doit toute obéissance est le pouvoir
de l'État et non le pouvoir de l'homme ou de l'assemblée qui l'exerce. En
séparant propriété et exercice du pouvoir, en affirmant pour chacun
l'appropriation de son propre corps, Hobbes rompt avec les théories politiques
de l'esclavage et pose les bases de l'état de droit. Au-delà on pourrait même dire que l'on trouve chez Hobbes
l'embryon d'une philosophie des droits de l'homme, dans la mesure où il
reconnaît, au-delà du droit des États, un droit originaire qui se fonde dans la
nature humaine. Le droit à la sûreté peut être reconnu comme le premier des
droits de l'homme. Comme le note Blandine Kriegel : « On ne peut aucunement mépriser la
réflexion et l'apport de Hobbes à la doctrine des droits de l'homme mais il
faut aussi convenir qu'elle reste limitée à un seul droit[48]. »
L'affirmation pour chacun de l'appropriation de son corps est un droit
fondamental qui fonde tous les autres. On ne peut pas ne pas penser à l'adoption
quasi contemporaine en Angleterre de l'Habeas Corpus Act en 1679 contre les
tentatives d'absolutisme monarchique. Quoi qu'il en soit, avec le pacte civil, Hobbes a posé les
conditions pour que cesse la guerre de chacun contre chacun. Acte de raison et
acte de volonté, en instituant l'autorité souveraine de l'état ce pacte rend possible des relations
pacifiées entre les hommes. Il engage ainsi pour longtemps la philosophie
politique dans la voie d'une théorie de l'État fondée sur le contrat : Spinoza,
Rousseau, Locke, et bien d'autres feront de l'État Ñ plus ou moins fort, plus
ou moins libéral Ñ la condition de la vie civile fondée sur l'engagement
réciproque des individus. Il s'en faut de beaucoup cependant pour que le spectre de la
guerre cesse de hanter les hommes. En effet, si la paix civile règne dans les
limites de l'État ainsi constitué, les États entre eux restent à l'état de
nature. Tout ce que Hobbes a dit de l'état de nature reste vrai pour les
relations des États entre eux. Lutte pour le pouvoir, pour l'avoir, pour le
valoir : invasion, conquêtes, pillages, la guerre partout règne entre les
nations. Souffrance et mort continuent d'être le lot quotidien des hommes qui
en sont les victimes. Hobbes en a bien conscience lorsqu'il écrit : […]
en tous temps, les rois et les personnes de l'autorité
souveraine, à cause de leur indépendance, entrent dans de continuelles
jalousies, et sont dans l'état ou la situation des gladiateurs, pointant leurs
armes les uns vers les autres, les yeux fixés les uns sur les autres, avec
leurs forts, garnisons et canons sur les frontières de leur royaume, et
constamment des espions chez leurs voisins : ce qui est une situation de
guerre[49]. Hobbes n'explore cependant pas le champ des relations
internationales. Un siècle plus tard, Kant, recherchant les conditions d'une
paix perpétuelle, montrera que c'est dans la conclusion entre les États d'une
association politique instituant un pouvoir commun que l'on doit rechercher les conditions
d'une paix qui ne soit plus partielle et ponctuelle mais universelle et permanente[50].
La multiplication des institutions politiques supra nationales
aujourd'hui Ñ Société des Nations, Nations Unies ou autres Ñ peut laisser
penser que le message a été entendu et que, même timidement, les nations aujourd'hui
s'engagent sur cette voie afin, comme le dit Pascal, que la paix soit, qui est le
souverain bien. Jacqueline Morne [1] Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, 1ère partie. [2] Id. [3] Thomas Hobbes, Léviathan, ch.13. [4] Id. ch. 14. [5] Michel Malherbe, Thomas Hobbes, Vrin, 1984, p. 150 [6] Hobbes, De Cive, Ière partie, ch. 2 [7] Hobbes, Léviathan, ch. 14. [8] Id. [9] « Le droit naturel de la Nature entière et conséquemment de chaque individu s'étend jusqu'où va sa puissance, et donc tout ce que fait un homme suivant les lois de sa nature propre, il le fait en vertu d'un droit de nature souveraine, et il a sur la nature autant de droit qu'il a de puissance » Spinoza, Traité politique II, ¤ 4, trad. Appuhn, GF 1966, p. 16. [10] Rousseau, Du Contrat Social, Livre 1, ch. 3. [11]
Hobbes, Léviathan, ch. 13. [12] Hobbes, Léviathan, ch. 13. [13]
Descartes, Discours de la Méthode, 1ère
partie. [14] Hobbes, Léviathan, ch. 13. [15] Hobbes, Léviathan, ch.
13. [16] Id. [17] Id. [18] Id. [19] Hobbes, De Cive, préface. [20] « Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi même, concourt à la conservation mutuelle de toute l'espèce. C'est elle, qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c'est elle qui, dans l'état de Nature, tient lieu de Lois de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n'est tenté de désobéir à sa douce voix » Rousseau, Discours sur l'Inégalité, 1ère partie. [21] Rousseau, Du Contrat social, Livre I, ch. 6. [22] « Par la droite raison en l'état naturel des hommes, je n'entends pas, comme font plusieurs autres, une faculté infaillible, mais l'acte propre et véritable de la ratiocination, que chacun exerce sur ses actions, d'où il peut rejaillir quelque dommage, ou quelque utilité aux autres hommes » Hobbes, De Cive, section première, ch. 2. [23] Hobbes, Léviathan, ch. 14. [24] Hobbes, Léviathan, ch. 14. [25] Le Léviathan est un monstre marin de la mythologie phénicienne. Il est également évoqué à plusieurs reprises dans la Bible : dans les Psaumes, le Livre d'Isaïe, et le Livre de Job. [26] S. Pufendorf. Du droit de la nature et des gens, VI, 3. ¤ 4 et 5. [27] Hobbes, Léviathan, Introduction. [28] Hobbes, De Cive, 1ère section, ch. 6. [29] Id. [30] Id. [31] Id. [32] Id. [33] Id. [34] Id. [35] Id. [36] Id. [37] John Langshaw Austin (1911-1960), auteur en particulier de How to do things with words, que l'on peut traduire littéralement : comment faire des choses avec des mots, et qui sera publié en français en 1970 sous le titre Quand dire c'est faire. Austin montre que les énoncés ne consistent pas seulement à décrire des faits, mais qu'il y a des énoncés qui sont en eux-mêmes l'acte qu'ils désignent. Ces énoncés qui ne se limitent pas à énoncer un fait, mais créent le fait qu'ils énoncent, Austin les appelle énoncés performatifs, par opposition aux énoncés constatifs. Un énoncé constatif décrit un fait sans le créer ; quand je dis « j'ouvre la fenêtre » cela n'ouvre pas la fenêtre. Au contraire, l'énoncé performatif est à la fois manifestation linguistique et acte de réalité : la parole prononcée par le maire « je vous déclare mari et femme », est de ce type, de même que toutes les déclarations par lesquelles on engage sa parole : je promets, je renonce, je m'engage… [38] Hobbes, Léviathan, ch. 14. [39] Id. ch. 21. [40] Id. ch. 21. [41] Hobbes, Léviathan, ch. 21. [42] « Ces clauses bien entendues se réduisent toute à une seule : savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. […] De plus, l'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'être, et nul associé n'a plus rien à réclamer : car s'il restait quelques droits aux particuliers, comme il n'y aurait aucun supérieur commun qui put prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l'être en tous, l'état de nature subsisterait et l'association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine » Rousseau, Du Contrat social, Livre I, ch. 6. [43] Hobbes, Léviathan, ch. 14. [44] Hobbes, Léviathan, ch. 14. [45]
Hobbes, De Cive, section première,
ch. 2. [46] Hobbes, Léviathan, ch. 21 [47] Rousseau, Du Contrat social, Livre I, ch. 8. : « On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale qui seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. » [48] Blandine Kriegel, Cours de philosophie politique, Livre de Poche, p. 36. [49] Hobbes, Léviathan, ch. 13. [50] Voir Jacqueline Morne, Vers la paix perpétuelle de Kant, sur ce site, 2002. |