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Cours de Jacqueline Morne sur le Léviathan de Hobbes.
Mis en ligne le 24 juin 2014.

© : Jacqueline Morne.

Jacqueline Morne a été professeur de Philosophie au Lycée Émile Zola de Rennes.


La guerre : état naturel de l'homme

La philosophie politique de Thomas Hobbes

leviathan

Frontispice du Leviathan de Hobbes (1651, gravure d'Abraham Bosse)

I - La genèse anthropologique de la guerre

1 - L'état de nature

La philosophie politique de Hobbes se fonde, comme chez la plupart des théoriciens politiques des XVIIe et XVIIIe siècles, sur la description de ce que serait « l'état de nature ».

Il faut entendre par état de nature ce que serait l'homme, « tel qu'il a dû sortir des mains de la Nature[1] », c'est-à-dire indépendamment de ce qu'en fait la société. L'état de nature s'oppose en tous points à l'état civil, c'est-à-dire à une vie commune réglée par un pouvoir commun. L'état de nature est donc l'état de l'homme antérieurement à tout ce que l'état civil lui apporte : développement et/ou déformation.

Il ne faut cependant pas penser cette antériorité sous le mode chronologique. L'état de nature ne correspond pas à la description d'un état primitif historiquement situé avant l'état civil. Il est, dit encore Rousseau, « un état qui n'a peut être jamais existé, qui probablement n'existera jamais[2]. » L'état de nature est donc une pure construction de l'esprit, abstraction faite de tout ce que la société apporte à l'homme, une pure fiction commode pour se représenter ce qu'est l'homme dans sa nature propre.

Hobbes, tout en disant qu'il n'y eut jamais une époque particulière où les hommes vécurent dans cet état, suggère cependant quelques situations qui lui ressemblent : celle par exemple de certaines populations sauvages :

On pourra penser peut-être que jamais il y eut une telle époque […] mais il y a aujourd'hui beaucoup de lieux où les hommes vivent de la sorte. Car le peuple sauvage de nombreux endroits d'Amérique n'a pas de gouvernement du tout[3].

2 - Loi naturelle et droit naturel

Hobbes décrit cette constitution naturelle de l'homme, comme un nœud de désirs et de passions, un jeu d'appétits articulés à la préservation et à la conservation de soi. L'homme est d'abord et avant tout mû par l'amour de soi. La première loi de nature à laquelle il est soumis est celle qui lui commande de conserver sa vie. Il faut entendre par loi de nature (lex naturalis) :

un précepte, une règle générale, découverte par la raison, suivant laquelle il est interdit à un homme de faire ce qui détruit sa vie, ou lui enlève le moyen de la préserver[4].

La loi de nature est un précepte découvert par la raison, mais la raison à ce stade n'est pas un commandement, elle n'est pas législatrice, elle est une simple faculté du calcul qui n'impose pas en soi une obligation. Comme l'écrit Michel Malherbe : « La nécessité du raisonnement ne crée pas à elle seule la nécessité de l'action[5]. »

Par droite raison, en l'état de nature des hommes, je n'entends pas comme beaucoup d'autres une faculté infaillible, mais l'acte propre et véritable du calcul rationnel, que chacun applique à ses actions, dans la mesure où elles peuvent être accomplies dans l'intérêt ou au détriment d'autres hommes[6].

De là procède un droit naturel fondamental : tout homme a naturellement le droit « d'user de ses facultés naturelles » afin « de conserver autant qu'il se peut ses membres et sa vie ». Ce droit naturel (jus naturale) est propre à l'individu, il s'enracine dans sa volonté, il est l'expression de sa liberté pleine et entière.

Si la loi naturelle fonde le droit naturel, loi et droit cependant ne se confondent pas. Le droit naturel se définit par la liberté, liberté de faire ou de ne pas faire. Alors que la loi naturelle se définit par l'obligation. Le droit naturel,

c'est la liberté que chaque homme a d'user de sa propre puissance comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature, c'est-à-dire de sa propre vie et conséquemment de faire tout ce que, suivant son jugement et sa raison propres, il concevra comme le moyen le plus adapté à cette fin[7].

On peut donc dire que naturellement tout homme a droit sur toute chose, « même sur le corps de chacun[8] » : jus omnium in omnia.

Ce droit est purement individuel, il est un pouvoir propre à chaque individu dans sa singularité. Chaque homme est un mécanisme organisé, un jeu d'appétits et de mouvements portant en lui l'exigence de la conservation de lui-même. Il est le faisceau des forces nécessaires à la préservation de l'individu dans son être.

Ce droit est étroitement proportionnel à la force qu'il peut mettre en œuvre pour le défendre. Spinoza ne dit pas autre chose quand il écrit que, dans l'état de nature, on a autant de droit qu'on a de pouvoir[9]. Mais ce droit naturel n'est pas un droit au sens juridique du terme. Il est pouvoir, force, liberté, c'est une énergie vitale qui n'a d'autre règle qu'elle-même et qui ne détermine aucune justice. Il signifie simplement que chacun a droit à tout ce dont il a besoin pour conserver sa vie, c'est une énergie vitale qui n'a d'autre règle qu'elle-même, c'est un vouloir-vivre, un conatus qui caractérise la mécanique du vivant. Ce droit naturel est un non-droit du point de vue juridique comme du point de vue moral, il ne peut fonder aucun ordre, bien au contraire. La liberté qui y est attachée ignore tout repère, toute limite. Si tous ont tous les droits, personne n'a plus de droit ; si chacun jouit de la plus totale liberté, plus personne n'a de liberté.

3 - L'égalité naturelle

Cela est d'autant plus vrai que, dans l'état de nature, les différences entre les hommes ne sont pas telles qu'elles puissent fonder un rapport stable de domination. Bien au contraire, tant du point de vue de la force corporelle que de celui des facultés de l'esprit, c'est l'égalité qui règne.

Au point de vue corporel, il y a certes des hommes plus forts que d'autres. Dire le contraire serait nier l'évidence, mais ces différences peuvent toujours s'annuler du fait de l'usage de la ruse, du fait de l'union entre les faibles, si bien que comme le dit Rousseau, « le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître[10] ». Telle est paradoxalement la faiblesse de la force : elle n'assure aucune continuité du pouvoir, elle n'est efficace que lorsqu'elle s'exerce, il lui manque une dimension essentielle : celle de la durée.

La nature a fait les hommes tellement égaux quant aux facultés du corps et de l'esprit que bien qu'on puisse trouver un homme dont le corps est manifestement plus fort ou l'esprit plus rapide que celui d'un autre, tout compte fait la différence entre deux hommes n'est cependant pas aussi considérable que l'un ne puisse prétendre de ce fait à un bénéfice auquel l'autre ne pourrait prétendre aussi bien que lui. Car pour ce qui concerne la force du corps, l'homme le plus faible a assez de force pour tuer le plus fort, soit par quelque secrète machination, soit en conspirant avec d'autres qui courent le même danger que lui[11].

Au point de vue de l'esprit, il en est de même : chacun juge être mieux pourvu d'intelligence et de sagesse que les autres, et c'est justement là la preuve que chacun en est également pourvu :

Car la nature des hommes est telle que, bien qu'ils puissent reconnaître que beaucoup d'hommes ont plus d'esprit, ou sont plus éloquents, ou plus instruits, ils douteront néanmoins qu'il y en ait beaucoup d'aussi sages qu'eux-mêmes, parce qu'ils voient leur propre esprit de près, celui des autres hommes à distance. Mais cela prouve que les hommes sont égaux sur ce point, plutôt qu'inégaux. Car il n'y a ordinairement pas de meilleur signe d'une égale distribution de quelque chose que le fait que chacun soit satisfait de sa part[12].

On retrouve sensiblement le même argument dans les premières lignes du Discours de la Méthode où Descartes écrit : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont pas coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt que cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égal en tous les hommes[13]. »

4 - De cette égalité procède la guerre : « bellum omnium contra omnes »

C'est cette absence d'égalité décisive qui entraîne la guerre. Les hommes étant naturellement égaux dans leurs besoins et leurs aptitudes, et donc dans l'espoir d'atteindre leurs fins, l'affrontement est inévitable :

De cette égalité d'aptitude procède une égalité dans l'espoir d'atteindre nos fins. De ce fait, si deux hommes désirent une même chose, dont cependant ils ne peuvent jouir tous les deux, ils deviennent ennemis[14].

C'est de la conjugaison entre l'égalité et le désir absolu d'affirmation de soi en chacun que procède la guerre. L'état de nature est un champ clos où s'affrontent des forces brutes, Il y a là un chaos de passions qui toutes conduisent à la guerre : la compétition, la défiance et la fierté. La compétition qui pousse à envahir pour le profit, chacun cherchant à posséder ce qu'il convoite : lutte pour l'avoir. La défiance, chacun cherchant à sécuriser ses biens en faisant en sorte d'être plus puissant que ceux qui pourraient les lui dérober : lutte pour le pouvoir. Et enfin la fierté et la gloire, chacun exigeant la reconnaissance de son pouvoir et de sa valeur propre : lutte pour le valoir.

Lutte pour l'avoir, lutte pour le pouvoir, lutte pour le valoir : il en résulte un état de guerre permanent, dans lequel nul n'est jamais à l'abri. Les hommes y sont naturellement ennemis car tout homme est un danger potentiel. L'état de nature est donc un état où le risque est permanent, un état qui est inévitablement un état de guerre : même le moins belliqueux des hommes ne peut en effet se protéger qu'en anticipant une possible agression, si bien que, comme le veut le proverbe, « la meilleure défense est l'attaque ».

Dans cet état, la peur et l'insécurité sont permanentes. La guerre n'y est pas de l'ordre de l'événement, elle est un état, c'est-à-dire un temps où elle est sans cesse possible. Hobbes dit que le temps est à la guerre comme on peut dire que le temps est à la pluie. Entendu en ce sens, le temps n'est pas seulement une donnée chronologique, c'est un état. C'est pourquoi, même lorsque la guerre n'est pas effective, on peut malgré tout considérer qu'on est en guerre, car elle est toujours possible. La guerre n'est donc pas seulement la déclaration des hostilités, elle est le temps dans lequel la guerre est possible :

La nature de la guerre ne consiste pas dans le combat actuel, mais dans la disposition avérée au combat[15].

Dans ce temps où les armes provisoirement se sont tues, on peut tout au plus parler de paix armée ou encore de guerre froide, certainement pas de paix. Dans un tel état, tous les efforts des hommes ne peuvent se concentrer que sur la préparation de la guerre, et ceci au détriment de toute action civilisatrice qui réclame le loisir de la paix. Toute l'énergie des hommes, tout leur pouvoir d'invention et de création sont détournés vers la préparation de la guerre :

Dans cet état il n'y a pas de place pour l'industrie parce que le fruit en est dès lors incertain : et en conséquence pas de culture de la terre ; ni navigation, ni usage des marchandises susceptibles d'être importées par mer ; pas de bâtiments spacieux, pas d'instrument pour mouvoir, enlever ce qui à cette fin requiert beaucoup de force ; pas de connaissance de la surface de la Terre ; pas de computation du temps ; pas d'arts, pas de lettres, pas de société[16].

Dans cet état de guerre « la vie de l'homme est solitaire, malheureuse, pénible, bestiale et brève[17] ». Solitaire car il ne peut faire confiance à personne, malheureuse car il ne peut jamais y trouver le repos et la paix qui donneraient la stabilité à sa vie, pénible car il doit sans cesse se battre et travailler pour se défendre, bestiale car vivant uniquement pour défendre sa vie il ne se définit plus que par son existence biologique, animale et non par l'esprit, la science, l'art ou la culture qui sont des activités proprement humaines, et brève cela va de soi, car vivre de telle manière c'est plutôt survivre que vivre.

La condition naturelle de l'homme ne lui offre donc aucune garantie, c'est un enfer permanent où sans cesse la mort rôde, où selon l'expression consacrée : « l'homme est un loup pour l'homme. » Et même pire diront certains, car « les loups ne grimpent pas aux arbres », ce qui veut dire qu'il n'est aucun refuge où l'homme pourrait se préserver de l'agression de ses semblables.

Aucune limite naturelle n'existe qui pourrait tempérer ou modérer cette brutalité. L'homme à l'état de guerre ne connaît ni la notion de bien ni la notion de justice. Pour sauver sa vie tout est permis, car l'idée du juste et de l'injuste, du bien et du mal et donc du permis et du défendu qui en résulte sera le produit de l'invention des lois. « Elles sont des qualités relatives aux hommes vivant en société, non dans la solitude. » L'idée de justice ne préexiste pas à l'institution des lois. « Là où il n'y a pas de puissance commune, il n'y a pas de loi : là où il n'y a pas de loi, il n'y a pas d'injustice[18]. » La bonté, le respect de l'autre ne sont pas des qualités naturelles de l'homme. C'est pourquoi on ne peut pas plus dire de l'homme à l'état de nature qu'il est méchant qu'on ne peut dire qu'il est bon ; ces notions lui sont étrangères. C'est la vie sociale qui crée les normes de la vertu et du vice. Il n'y a pas de faute avant la loi. La norme est inféodée à la loi, tant que la loi n'est pas explicite il ne saurait y avoir de mal ou de faute. L'homme qui fait le mal est « un enfant robuste », c'est-à-dire que le Mal est moins l'effet d'une perversité originelle que d'une faiblesse de la raison. La méchanceté est un défaut de raison chez un homme qui a passé l'âge de l'enfance.

[…] Et la conséquence est encore moins légitime que ceux qui sont méchants le soient par un défaut de la nature. Certes, bien que les hommes aient ceci naturellement, c'est-à-dire dès leur naissance, et de ce qu'ils naissent animaux, qu'ils désirent et tâchent de faire tout ce qu'il leur plaît, et qu'ils fuient avec crainte, ou qu'ils repoussent avec colère les maux qui les menacent, toutefois ils ne doivent pas pour cela être estimés méchants ; parce que les affections de l'âme qui viennent de la nature animale, ne sont point mauvaises en elles-mêmes, mais bien quelquefois les actions qui en procèdent, c'est à savoir quand elles sont nuisibles et contre le devoir. Si vous ne donnez aux enfants tout ce qu'ils désirent, ils pleurent, ils se fâchent, ils frappent leurs nourrices, et la nature les porte à en user de la sorte. Cependant ils ne sont pas à blâmer, et on ne dit pas qu'ils sont mauvais, premièrement parce qu'ils ne peuvent point faire de dommage, en après, à cause qu'étant privés de l'usage de la raison, ils sont exempts de tous les devoirs des autres hommes. Mais s'ils continuent à faire la même chose quand ils sont plus avancés en âge et lorsque les forces leur sont venues avec lesquelles ils peuvent nuire, c'est alors que l'on commence à les nommer, et qu'ils sont méchants en effet. De sorte je dirais volontiers, qu'un méchant homme est le même qu'un enfant robuste, ou qu'un homme qui a l'âme d'un enfant ; et que la méchanceté n'est autre chose que le défaut de raison en un âge auquel elle a accoutumé de venir aux hommes[19].

Rien ne viendra donc tempérer la brutalité de la guerre de tous contre tous : ni un sens de la justice et du bien, ni même un vague sentiment de pitié pour la souffrance d'autrui comme le suggère Rousseau[20], ni la contrainte par laquelle un homme manifestement plus fort et plus intelligent pourrait imposer sa loi. À l'origine de l'état de guerre, il n'y a en fin de compte qu'une seule cause : l'absence de loi capable de soumettre l'homme à un ordre stable.

L'état de guerre dérive donc inéluctablement de la nature humaine, c'est la nature même de l'homme qui génère la guerre. La guerre n'est pas un accident de l'histoire. Elle est inhérente à l'homme. Et, quels que soient les artifices politiques que les hommes trouveront pour faire cesser l'état de nature, ils ne changeront rien à cette disposition naturelle, ils ne pourront qu'en empêcher l'expression.

II - De la guerre à la paix : le pacte de soumission

1 - La contradiction inhérente à l'état de nature : droit naturel et loi naturelle

On voit dès lors que l'état de nature recèle une contradiction fatale entre droit naturel et loi naturelle. Alors que la première loi naturelle est de chercher par tous les moyens à se conserver en vie, l'usage du droit naturel qui en découle conduit l'homme à la guerre et à la mort. Lex naturalis et jus naturale se contredisent comme la vie et la mort, la paix et la guerre. L'état de nature fait courir à l'homme un danger mortel. Il faut en sortir coûte que coûte, à n'importe quel prix, car rien ne vaut plus que la vie. Comme le dit Rousseau, « le genre humain périrait s'il ne changeait sa manière d'être[21] ». Il y a là une incohérence que la raison humaine ne peut accepter. L'irrationalité que révèle la contradiction entre droit naturel et loi naturelle est insupportable. La raison dont l'homme naturel est doué, raison qui est simple faculté de calcul[22], lui commande de substituer au droit naturel mortifère un autre droit. Parce que l'homme est homo rationalis, il a assez de raison pour comprendre qu'il lui faut quitter l'état de nature et renoncer à son droit naturel, qu'il faut instituer un nouvel ordre.

C'est pourquoi, puisque l'homme, pour sauver la seule et unique valeur qu'est sa vie, doit s'efforcer à la paix, la seconde loi de nature impose de sortir de l'état de nature :

De cette loi fondamentale de la nature, par laquelle il est ordonné aux hommes de s'efforcer à la paix, dérive cette deuxième loi : qu'un homme consente à abandonner ce droit sur toutes choses, lorsque les autres y consentent aussi, autant qu'il le jugera nécessaire pour la paix et sa propre défense, et qu'il se contente d'autant de liberté à l'égard des autres hommes qu'il en accorderait aux autres hommes à son égard[23].

Renoncer à son droit sur toutes choses, renoncer à sa liberté sans limites, c'est-à-dire renoncer à sa liberté Ñ car qu'est ce qu'une liberté limitée au regard de la liberté absolue de l'état de nature ? Ñ tel est le prix de la paix, quelque chose comme un reniement de soi, quelque chose comme un suicide métaphysique, auquel l'homme naturel se contraint pour payer le prix du repos, de la sécurité. Le marché est clair : la sécurité contre la liberté. Hobbes dira que le grand bénéfice que trouve l'homme en renonçant à l'état de nature, c'est l'institution d'un veilleur de nuit ! C'est-à-dire la possibilité de dormir en paix : « Dormez bonnes gens, la garde veille. » Telle est l'origine de la convention que les hommes doivent conclure entre eux pour sortir de l'état de guerre.

À l'inverse de la guerre qui est inscrite dans la nature de l'homme, il s'agit ici d'une construction artificielle. Alors que la guerre procède de la nature de l'homme, la paix procède de sa volonté. La nature commande bien de vivre en paix mais elle n'a pas créé les conditions pour la réaliser. C'est à l'homme de les inventer, de trouver, par un acte artificiel, le moyen d'imposer cette paix indispensable à la vie que pourtant la nature n'a pas su créer. Il doit substituer au droit naturel, qui est un non-droit, un autre droit, fondateur de l'état civil, de la res publica.

2 - Le pacte de soumission

Pour y parvenir les individus libres et isolés doivent s'assembler et conclure entre eux une convention, un pacte. Mais, pour que ce pacte garantisse absolument la paix, il faut qu'il soit d'une nature très particulière. C'est ce qui fait l'originalité de ce que Hobbes présente comme un pacte de soumission. Il s'agit de « de confier tout pouvoir et toute force à un seul homme ou une seule assemblée qui assumera leur personnalité et agira en lieu et place de l'ensemble des contractants ». Le processus vise à la reconnaissance par tous d'une puissance suprême aux mains de laquelle chacun abandonne ses droits.

Ce pacte s'énonce ainsi :

J'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit, et que tu autorises toutes ses actions de la même manière[24].

L'analyse formelle de ce pacte met en évidence qu'il est d'une nature peu commune :

Alors que, dans un contrat classique de nature économique ou juridique, deux ou plusieurs parties s'engagent réciproquement de manière symétrique à propos d'un objet, nous avons dans ce pacte politique une totale dissymétrie. L'objet sur lequel porte le contrat est clair : il s'agit du droit naturel ; son objectif l'est aussi : c'est la paix. Les parties engagées et la nature de l'engagement sont beaucoup plus surprenantes. Dans l'énoncé du pacte sont citées trois parties : « Je », « Tu », « cet homme ou cette assemblée ». Or en aucun cas il ne s'agit d'un engagement tripartite. Le texte dit bien « je lui abandonne mon droit à condition que tu lui abandonnes ton droit » : je m'engage à condition que tu t'engages. Les seuls acteurs du pacte sont Je et Tu. L'accord est passé entre Je et Tu, c'est-à-dire des individus, des hommes naturels, qui renoncent à leur droit naturel de se gouverner eux-mêmes. Il ne s'agit pas d'un échange : je ne donne pas mon droit à l'autre, pas plus qu'il ne me donne le sien. Il s'agit d'une simultanéité et d'une réciprocité dans un acte commun d'aliénation de son droit. Il serait en effet absurde de renoncer à ses droits si les autres n'en faisaient pas autant.

Mais ce qui est particulièrement original dans ce pacte c'est la place du Tiers. Hobbes le désigne toujours par les termes : cet homme ou cette assemblée. Peu importe donc la forme que prend ce tiers (roi, prince, assemblée élue ou non), ce qui est ainsi défini c'est une entité juridique et politique qui peut s'incarner dans n'importe quelle forme particulière d'organisation, et que Hobbes nommera plus loin Léviathan. Ce terme est emprunté par Hobbes à une créature mythique de l'Ancien Testament représentant la toute-puissance[25]. Dans le Livre de Job, Job reproche à Yahvé son injustice, et Yahvé réduisant d'emblée toute velléité de révolte l'interroge : vas-tu passer une convention avec le Léviathan ? Avec la toute-puissance, on ne discute pas on se soumet. Avec cette puissance on ne conclut aucun contrat, on ne peut concevoir un pacte entre l'homme, créature misérable et la toute-puissance : le Souverain ne passe pas de convention avec ses sujets, telle est la clé de la république hobbiennne.

Ce qui importe, c'est que ce Tiers n'est engagé à rien. Il n'est pas concerné par ce contrat, lui et lui seul conserve le droit de se gouverner soi-même, son rôle se limite à recevoir les droits des contractants sans rien donner ou promettre en échange, même pas d'assurer la paix. Il s'agit « d'abandonner son droit », c'est-à-dire de renoncer à en faire usage, ce n'est pas accorder à l'autre, cet homme ou cette assemblée, un nouveau droit, c'est laisser le champ libre à l'usage qu'il fait de son propre droit. Le Tiers joue en quelque sorte le rôle du catalyseur, il rend possible l'association tout en n'y prenant pas part. C'est selon Hobbes dans cette curieuse convention que réside la réussite d'un état civil où les hommes enfin trouveront la paix et la sécurité à laquelle ils aspirent et que la nature leur commande de rechercher. La paix n'est pas l'objet du contrat mais sa conséquence mécanique. C'est justement parce qu'il n'y a aucune réciprocité, aucun engagement mutuel que le pacte peut remplir son objectif : assurer la paix. La paix n'est pas un engagement du Souverain vis-à-vis de ses sujets, elle est l'effet mécanique de l'annulation de tous les autre droits : chacun renonçant à son droit, seul subsiste le droit du souverain, justement parce que lui n'y a pas renoncé.

Les rapports entre les citoyens et le pouvoir ne sont donc pas du tout des rapports maître-esclave. Les théoriciens de l'esclavage justifient le rapport de soumission par le fait qu'il repose sur un engagement réciproque, la servitude résultant d'une entente mutuelle. Pufendorf par exemple écrit :

La servitude vient originairement d'un consentement volontaire […] ; il y a beaucoup d'apparence que les gens un peu riches et qui avaient de l'esprit engagèrent ceux qui étaient grossiers et peu accommodés à travailler pour eux moyennant un certain salaire. Cela ayant ensuite paru commode aux uns et aux autres, plusieurs se résolurent insensiblement à entrer sur ce pied-là pour toujours dans la famille de quelqu'un, à condition qu'il leur fournirait la nourriture et toutes les choses nécessaires à la vie. Ainsi la servitude a d'abord été établie par un libre consentement des parties et par un contrat de faire afin que l'on nous donne[26].

Rien de tel ici, aucune symétrie dans l'engagement, les contractants s'engagent à tout alors que le Tiers ne s'engage à rien.

3 - Les effets du pacte

Fondation de la société civile : la notion de représentation

Le pacte de soumission est dans son principe un pacte d'association. Pour triompher de l'individualisme qui engendre la guerre, il faut instituer l'union de tous dans une volonté commune. Ainsi naît la société civile. Elle repose sur un accord entre les individus les uns vis-à-vis des autres : « Je m'engage à condition que tu t'engages. » Par cette convention chacun s'engage à ne plus faire usage de sa liberté, de sa volonté, de son droit à faire tout ce qu'il juge bon pour se garder en vie. Il sort donc ipso facto de l'état de nature. Le contractant n'est plus un individu libre et isolé, il est membre d'une société dont il est à la fois l'auteur et le sujet, il devient citoyen. Sa volonté sera désormais la volonté du Tiers, qui réduit toutes les volontés à une seule volonté. C'est ce Tiers qui agit désormais en lieu et place de la multitude, qui donne de la cohérence à cette cacophonie qui s'élevait de la voix de la multitude et les unit tous dans le respect de la chose publique, de la Res Publica. La société civile ainsi créée substitue des rapports réglés par le droit aux rapports réglés par la force. Elle substitue le droit civil (jus civile), c'est-à-dire un droit défini et réglé par la loi, au droit naturel (jus naturale). Et parce que la loi est la même pour tous, elle institue l'égalité entre les contractants. Tous s'engageant dans les mêmes termes, l'égalité est cette fois réelle, alors que l'égalité de la nature était sans cesse remise en cause par l'usage de la force.

Hobbes développe ici une théorie de la représentation : l'autorité du Tiers procède de l'acte par lequel chaque contractant l'autorise à user en son lieu et place de son droit et de sa liberté. La convention que les hommes passent entre eux a pour effet d'ériger un pouvoir commun qui est le représentant de la personne civile ainsi constituée. C'est ce que montre très bien l'image qui orne le frontispice du traité de Hobbes : on y voit le souverain revêtu de tous les attributs du pouvoir écraser villes et montagnes de sa puissante stature, mais si on y regarde de plus près on verra aussi que le corps du Souverain est composé par la multitude de ses sujets. Le Souverain n'est rien d'autre que la création des contractants qui lui ont ainsi donné naissance. Le Souverain ne se représente pas lui-même, il agit et parle en lieu et place de ceux qui lui ont transféré leur droit d'agir et de parler. Le Souverain n'est donc pas l'auteur de ses actes, il en est seulement l'acteur. Ce sont les sujets qui sont collectivement auteur des actes du Souverain. Chacun abandonne son droit de se gouverner soi même, sa liberté, dans les mains d'un Tiers, homo artificialis, entité abstraite, construite par le mécanisme contractuel du transfert de droit.

Le Léviathan est donc une création de l'artifice humain (d'où la notion d'artificialisme souvent utilisée pour qualifier la théorie de Hobbes). Non seulement l'homme a été capable d'imiter la nature en fabricant des êtres animés, les automates par exemple, mais il a créé un homme artificiel : le Léviathan.

La nature, cet art par lequel Dieu a produit le monde et le gouverne, est imitée par l'art de l'homme en ceci comme en beaucoup d'autres choses, qu'un tel art peut produire un animal artificiel. En effet, étant donné que la vie n'est qu'un mouvement de membres, dont le commencement se trouve en quelque partie principale située au-dedans, pourquoi ne dirait-on pas que tous les automates (c'est-à-dire les engins qui se meuvent eux-mêmes, comme le fait une montre, par des ressorts et des roues), possèdent une vie artificielle). [….] Mais l'art va encore plus loin, en imitant cet ouvrage raisonnable, el le plus excellent de la nature : l'homme. Car c'est l'art qui crée ce grand LÉVIATHAN qu'on appelle RÉPUBLIQUE ou ÉTAT (CIVITAS en latin), lequel n'est qu'un homme artificiel, quoique d'une stature et d'une force plus grandes que celles de l'homme naturel, pour la défense et protection duquel il a été conçu[27].

Fondation de l'État : la notion de souveraineté.

Parce que l'association est en même temps soumission au pouvoir d'un Tiers, la convention est d'emblée un pacte de soumission, et la théorie politique de Hobbes engage une théorie de la souveraineté :

La personne civile, homme ou assemblée Ñ à la volonté de laquelle tous les hommes ont soumis la leur Ñ a la puissance souveraine, exerce l'empire et la suprême domination[28].

On se tromperait lourdement en voyant dans le Léviathan l'illustration d'un pouvoir personnel.

Le Léviathan est une personne fictive, un être de raison, une machine de pouvoir douée d'une force extraordinaire fabriquée par l'artifice des hommes. La convention que les hommes passent entre eux a pour effet d'ériger un pouvoir commun. Peu importe la forme que prend ce pouvoir, il peut tout aussi bien être celui d'un homme que d'une assemblée, qui dans tous les cas ne seront que les représentants de la personne civile ainsi constituée. Ce n'est pas la forme du pouvoir qui compte, c'est sa source et son étendue. La philosophie politique de Hobbes n'est pas comme on l'a cru parfois une apologie de la tyrannie, elle définit un espace de pouvoir abstrait et impersonnel qui est très exactement l'espace qu'occupera l'État moderne.

C'est à cette personne artificielle qu'appartient désormais toute souveraineté : le contrat que chacun conclut avec chacun, au terme duquel il abandonne son droit naturel c'est-à-dire son pouvoir, confère au Léviathan le droit de parler, de juger et d'agir au nom de tous. Cette souveraineté n'est rien d'autre que l'effet de l'institution civile.

Cette puissance souveraine dispose de tous les pouvoirs. Contre les citoyens elle dispose du glaive de la Justice, c'est-à-dire du droit de punir :

D'autant qu'il est nécessaire pour la sûreté de chaque particulier et ainsi pour le bien et la paix publique, que ce droit de se servir de l'épée, en l'imposition des peines, soit donné à un seul homme ou à une assemblée, il faut nécessairement avouer que celui qui exerce cette magistrature, ou le conseil qui gouverne avec cette autorité, ont dans la ville une souveraine puissance très légitime[29].

Contre les ennemis extérieurs, elle dispose du glaive de la guerre, car il ne servirait à rien d'assurer la paix intérieure si les citoyens étaient à la merci des attaques venues de l'extérieur :

Il me semble nécessaire pour la conservation des particuliers, qu'il y ait une certaine assemblée, ou bien un homme seul, auquel on donne la puissance d'armer et de convoquer, selon les occasions et la nécessité de la défense publique, le nombre de citoyens qu'il faudra pour résister aux forces ennemies, et auquel on laissera la liberté de traiter et de faire la paix[30].

Le détenteur de ce droit doit nécessairement être le même que celui qui détient le glaive de la justice car sinon il ne pourrait contraindre les citoyens à prendre les armes s'il n'avait les moyens de se faire obéir.

Il revient en outre à celui qui possède l'épée de la justice et celle de la guerre d'avoir tout pouvoir de décision sur la manière et le temps dont il juge bon de s'en servir, car si ces deux pouvoirs étaient séparés, celui qui décide n'aurait aucun moyen de faire exécuter ses décisions.

En une ville, le jugement et les délibérations dépendent de celui qui y tient les épées de la guerre et de justice, c'est-à-dire de celui qui en possède la souveraineté[31].

Pour les mêmes raisons, il revient au Souverain de faire les lois, c'est-à-dire les textes qui serviront de règle aux actions de tous :

C'est à la même souveraine puissance à donner à tous les particuliers des règles générales, et à prescrire de certaines mesures publiquement reçues, par lesquelles chacun puisse savoir ce qui lui appartient, et le discerner du bien d'autrui, connaître le juste et l'injuste, ce qu'il faut nommer honnête ou déshonnête, bien ou mal, et en un mot, se résoudre sur ce qu'on doit faire ou éviter dans le cours de la vie civile[32].

Dans cette tâche immense le Souverain devra se faire assister de magistrats, ministres et autres officiers, mais c'est à lui et à lui seul qu'il reviendra de les nommer, et de les diriger :

Il semble fort raisonnable de laisser le choix de telles personnes et de les faire dépendre de celui qui a la puissance souveraine sur les affaires de la paix et de la guerre[33].

Enfin, et ce n'est pas le moins important, la puissance souveraine décide des doctrines :

Il importe grandement à la paix générale de ne laisser proposer ou introduire aucunes opinions ou doctrines, qui persuadent aux sujets qu'ils ne peuvent pas obéir en conscience aux lois de l'État [….] ou qu'il leur est permis de résister aux lois, ou bien qu'ils doivent appréhender une plus grande peine s'ils obéissent, que s'ils s'obstinent à la désobéissance. […] Il s'ensuit donc que le droit de juger des opinions ou doctrines contraires à la tranquillité publique et de défendre qu'on les enseigne, appartient au magistrat, ou à la cour, à qui on a donné l'autorité suprême[34].

La religion elle-même ne peut échapper à cet examen, car l'autorité qu'elle exerce sur les hommes est un danger pour l'autorité du souverain. « Nul ne peut servir à deux maîtres », elle doit donc être soumise aux règles de la souveraine puissance : l'Église et l'interprétation des Écritures doivent dépendre du Souverain. Aucune liberté d'opinion ne saurait donc être tolérée, le Souverain doit contrôler l'enseignement et la diffusion des doctrines et il dispose du droit de censure pour interdire celles qui représentent une menace pour la stabilité de l'État. Ce qui est logique dès lors que Hobbes a affirmé que ni le sens du juste et de l'injuste, ni celui du bien et du mal, ni celui du vrai et du faux n'existent dans l'état de nature, donc ne préexistent à l'état civil. C'est donc bien à l'état civil de les déterminer en fonction de ses besoins (positivisme juridique).

On chercherait donc en vain chez Hobbes une théorie de la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. Tous les pouvoirs doivent être réunis dans les mains de celui qui possède la puissance souveraine de l'État, et il n'a de compte à rendre à personne de l'usage qu'il en fait. Il doit donc être irresponsable au sens juridique du terme. Ayant renoncé à sa volonté au profit de la volonté du Souverain, le particulier n'a pas à juger et n'a rien à réclamer, il ne peut exercer contre lui aucun jugement et aucune force :

Enfin, de ce que chaque particulier a soumis sa volonté à la volonté de celui qui possède la puissance dans l'État, en sorte qu'il ne peut pas exercer contre lui ses propres forces, il s'ensuit manifestement que le souverain doit être injusticiable, quoi qu'il entreprenne[35].

De même le souverain ne peut être obligé de se soumettre aux lois qu'il édicte car on peut considérer que nul n'est obligé envers soi-même :

[…] Celui qui obligerait et celui qui demeurerait obligé, étant une même personne, et l'un pouvant être dégagé par l'autre de son obligation, ce serait en vain qu'on se serait obligé soi-même[36].

Ce qui signifie que le souverain est au dessus des lois, qu'il n'est pas obligé par elles, et qu'il peut en changer à sa guise.

La définition par Hobbes de ce pouvoir artificiel, abstrait, séparé, impersonnel, absolu, souverain, n'est rien d'autre que la définition de l'État moderne. Il ne s'agit pas de définir le pouvoir par celui qui l'exerce mais d'en définir la nature et le principe. L'exercice du pouvoir peut tout aussi bien être assumé par un gouvernement démocratique, aristocratique ou monarchique.

Fondation d'un nouvel ordre anthropologique

La mutation qu'opère le pacte de soumission n'est pas seulement juridique et politique, elle est anthropologique. Dans l'état de nature, les individus ne sont pas encore des personnes. Pour advenir à la personnalité, chaque individu doit sortir de soi, se perdre comme individu pour s'affirmer comme personne. Léviathan est un monstre mais un monstre régulateur, médiateur entre l'homme et lui-même.

Dans cette convention par laquelle chacun renonce à son droit, il y a l'avènement d'un nouvel ordre dans les rapports humains, l'ordre de la parole. Dans l'état de nature les hommes sont doués de parole et de raison, mais ils ne se parlent pas, il n'y a pas d'interlocution. Pour qu'un tel pacte puisse être conclu, il faut que cesse le bruit des armes. Il faut que l'on approche l'autre non plus comme un ennemi mais comme un partenaire potentiel, qu'on lui parle pour négocier, qu'on instaure une certaine forme de réciprocité ; ainsi cette parole commune devient l'acte de fondation de l'ordre politique, un acte qui tient tout entier dans l'engagement verbal prononcé : « Je m'engage… » Il n'y a de vie sociale et de contrat que par la parole, l'acte d'engagement social est subordonné à l'acte de l'interlocution. Le passage de la guerre à la paix est un acte de parole. L'aliénation de son droit est le premier acte d'interlocution.

La première parole échangée est la première institution humaine : l'institution de l'État. Et cette première parole échangée est fondatrice, non seulement d'un nouvel ordre politique mais d'un nouvel ordre anthropologique. La parole est ce par quoi l'individu se constitue comme sujet. Sortir de l'état de nature, c'est sortir de soi par la parole. Le langage a une fonction créatrice quasi divine, il invente l'homme comme homme, et il invente les rapports humains. La violence est maitrisée, le conflit n'a plus le même sens, il est émulation et concurrence et non plus destruction.

À ce niveau la distinction entre acte et parole n'a plus de sens. C'est la parole en elle-même qui devient un acte. Les mots ne traduisent pas un état de chose, ils l'établissent ; on est dans l'ordre de ce que la philosophie anglo-saxonne nomme le performatif[37]. Si cette parole est un acte, c'est qu'elle ne porte pas sur le futur mais implique le futur dans le présent. Ce n'est pas la simple promesse de faire demain, mais l'inscription du futur dans le présent : Hobbes distingue bien entre « demain je te donnerai ceci » qui n'engage que le futur, et « je m'engage à te donner ceci demain » qui est acté dès aujourd'hui. Si une telle promesse est invalide dans l'état de nature, elle est au contraire dans l'état civil garantie par la force de la loi.

Paradoxalement le langage est à la fois la condition et la conséquence du pacte, l'antécédent et le conséquent de l'État. La condition de cette mutation politique et anthropologique est en même temps sa conséquence : c'est dans l'institution du pouvoir d'un tiers que l'acte de langage se réalise. Les individus engendrent le Tiers (le Léviathan) dans l'acte par lequel ils déclarent lui abandonner leur droit. Mais le Tiers n'intervient pas comme interlocuteur, il permet au discours de se constituer en restant extérieur au discours. La parole transite par lui, mais il n'a pas à parler, le souverain n'a pas à rendre compte. Le Tiers est muet, il se situe en dehors du langage et de l'échange, son mutisme et son irresponsabilité sont la condition même de la vie sociale.

4 - Les limites de l'obéissance

L'efficacité du pacte : la crainte et l'obligation.

Telle est donc la convention que les hommes doivent passer entre eux pour sortir de l'état de nature : la soumission totale et entière à un pouvoir souverain qui dicte sa loi. Encore faut-il que ce pacte soit respecté, c'est-à-dire que les contractants respectent leur promesse et obéissent au souverain. Si le pacte est conclu pour assurer la paix, il est toujours possible que le contractant perde de vue cette finalité et tente de récupérer sa liberté naturelle dans l'état civil. C'est pourquoi l'efficacité de cette convention repose sur le fait que le souverain dispose de tous les moyens pour contraindre le citoyen à l'obéissance : il a le droit de punir, et cela va jusqu'au droit de vie et de mort sur ses sujets. Lui et lui seul dispose de la force, et il en use comme bon lui semble. La crainte du châtiment est une raison suffisante d'obéir.

Mais Hobbes ne s'en tient pas à ce qui ne serait qu'un équilibre de la terreur. Il démontre que dans l'état civil l'obéissance est légitime : elle devient une obligation, un devoir, et la désobéissance devient une injustice légitimement punie par le pouvoir souverain. En effet, le pacte est une promesse, un engagement à renoncer à son droit, non seulement dans le présent mais dans le futur. Vouloir continuer à user de ce droit serait à la fois un parjure et une absurdité au sens logique du terme.

Car de même qu'on nomme une absurdité le fait de contredire ce qu'on soutenait au début, de même dans le monde, on nomme injustice et tort l'acte de défaire volontairement ce qu'on avait fait volontairement au début[38].

Ainsi non seulement l'autorité souveraine dispose de tous les pouvoirs de la force pour contraindre le citoyen à l'obéissance, mais elle est dans son droit lorsqu'elle le fait. L'usage de la force est légitime dès lors qu'il est institué par la promesse d'obéir. La contrainte se change en obligation et l'usage de la force est pleinement justifié.

Il ne s'agit plus du droit du plus fort mais de la force au service du droit.

La différence est essentielle car désormais c'est la rigueur de la loi qui règle non seulement les rapports des sujets entre eux mais les rapports des sujets et du souverain. Le pouvoir n'est pas le pouvoir arbitraire d'un homme gouvernant selon son bon plaisir mais le pouvoir de la loi, si bien qu'un sujet peut devant la loi demander justice contre le souverain.

Si un sujet a une controverse avec son souverain concernant une dette ou un droit de possession de terre ou de biens, ou concernant un service requis de ses mains, ou concernant un châtiment corporel ou pécuniaire, fondé sur une loi préalable, il a la même liberté de poursuivre en justice en vertu de son droit que si c'était contre un sujet, et devant des juges désignés par le souverain. Car considérant que le souverain exige par force d'une loi préalable et non en vertu de son pouvoir, il déclare par là qu'il ne requiert rien de plus que ce qui apparaît  comme dû en vertu de cette loi[39].

 

Les limites de l'obéissance

L'obéissance aux lois a cependant des limites qui tiennent aux limites du pacte lui-même.

L'impuissance du souverain

En premier lieu l'obligation d'obéir au souverain est conditionnée par la sécurité et la protection que le sujet tire de cette soumission. Dès lors que le souverain n'est plus en mesure d'assurer la sécurité de ses sujets, s'il est assujetti à une puissance étrangère par exemple, les sujets ne lui doivent plus obéissance. Dans ce cas, le pacte qui par nature devait assurer la sûreté des contractants ne fonctionne plus, il n'engage donc plus personne.

L'obligation des sujets envers le souverain est comprise comme durant aussi longtemps, et pas plus longtemps, que ne dure le pouvoir par lequel il peut le protéger[40].

Les silences de la loi

En second lieu, le souverain, aussi totalitaire soit-il, n'a ni le besoin ni les moyens de légiférer à propos de tout et de n'importe quoi. De nombreuses sphères de l'activité des citoyens restent libres de toute contrainte. Ce qui n'est pas interdit étant permis, le citoyen dispose de sa liberté pleine et entière dans ce que Hobbes appelle « les silences de la loi ». Encore faut-il admettre que le souverain est seul juge des domaines dans lesquels il juge bon de légiférer, et que par conséquent les limites de la liberté sont fluctuantes, et toujours soumises à modification. Ce qui était permis peut toujours devenir défendu dès que le souverain le juge bon.

Dans le cas où le souverain n'a prescrit aucune règle, le sujet a la liberté d'agir ou de s'abstenir à sa discrétion. Et donc cette liberté est en certains lieux  plus grande, en d'autres moindre, et en certains temps plus grande, en d'autres moindre, selon que ceux qui ont la souveraineté jugeront le plus convenable[41].

Les droits inaliénables

Mais la nature du pacte entraîne des conséquences beaucoup plus importantes, car il s'agit non plus de simples limites du champ de l'obéissance mais d'un véritable droit à la désobéissance, d'un pouvoir de résistance. Alors que Rousseau estime que pour être efficace l'aliénation doit être totale[42], Hobbes curieusement considère qu'il y a des droits inaliénables.

La deuxième loi de nature, celle qui énonce la nécessité d'abandonner son droit sur toute chose et de le transférer à une autorité souveraine précise que le contractant abandonne son droit « autant qu'il le jugera nécessaire pour la paix, et qu'il se contente d'autant de liberté à l'égard des autres hommes qu'il en accorderait aux autres hommes à son égard[43] ». L'aliénation n'est donc pas totale, au moins dans son principe. La condition du pacte étant que chaque contractant renonce à la même proportion de ses droits, ce n'est pas la renonciation à la totalité de ses droits.

Ces droits inaliénables, ces droits qui ne peuvent être abandonnés, transférés au souverain, ce sont les droits à la vie et à la sûreté. Nul ne peut renoncer au droit de se protéger lui-même quand personne n'est en mesure de le faire. Le but du pacte étant, selon la loi naturelle, de trouver le meilleur moyen de vivre en paix pour se garder en vie, toute aliénation de ce droit serait contradictoire. L'homme ne peut s'engager qu'en fonction de ce qui doit être un bien pour lui-même :

De tous les actes volontaires des hommes, l'objet est un bien pour lui-même. Et il y a des droits dont on ne peut concevoir que quiconque les ait abandonnés ou transférés[44].

Le pacte ne peut donc obliger le citoyen à faire quelque chose qui soit contraire à sa vie : « Les conventions qui ne défendent pas le corps propre d'un homme sont nulles. » Et, puisque ce droit à défendre sa vie ne peut être transmis par convention, l'homme garde l'entière liberté d'en faire usage quand cela est nécessaire : « Chaque sujet a la liberté dans toutes ces choses dont le droit ne peut être transmis par convention. ». Ainsi la peur de la mort qui est le mal absolu fait que « nous fuyons le mal de toute notre puissance par une nécessité si naturelle qu'il n'y a point du tout moyen d'y résister ». Face à la mort, et quelles que soient les conventions antérieures, ressurgit ce droit naturel irrépressible qui nous commande de défendre notre vie. C'est pourquoi nul n'est obligé de ne pas résister à celui qui veut lui donner la mort, et cela même si c'est le souverain qu'on a pourtant autorisé à le faire. La preuve en est, dit Hobbes, qu' « on tient liés, et on environne d'archers, ceux qu'on mène au dernier supplice, où à qui l'on inflige la moindre peine. Ce qui montre que les juges n'estiment pas qu'aucun pacte oblige assez les criminels de ne pas résister à leur punition[45]. »

La convention passée avec autrui ne peut donc pas inclure le droit de résister, car ne pas résister, ne pas défendre sa vie, serait contraire à l'exigence la plus élémentaire de la nature, c'est pourquoi « les sujets ont la liberté de défendre leur propre corps, même contre ceux qui les attaquent légalement[46]. » On ne peut demander au condamné de marcher volontairement vers le lieu du supplice.

Pour les mêmes raisons le pacte ne peut nous obliger à nous accuser nous-même ni quelqu'un dont notre vie dépend : le père n'est pas obligé de dénoncer son fils, ni le mari sa femme, ces témoignages sont nuls car ils seraient contre nature. Mentir sous la torture, refuser de se faire tuer à la guerre (sauf pour un soldat qui en a pris explicitement l'engagement) sont l'expression tout aussi évidente de ce droit de résister. Il s'agit en quelque sorte, bien que Hobbes n'utilise pas le terme, d'une légitime défense. Légitime défense qui tire sa légitimité non plus de la loi, mais de la nature.

Il ne faut pas voir une contradiction entre le fait que Hobbes affirme la souveraineté pleine et entière du souverain sur ses sujets y compris sur leur vie, et le fait qu'il reconnaisse ce droit de résistance. L'une se fonde dans la convention, l'autre relève de l'antériorité de la loi naturelle. Ce qui signifie que la convention n'a pas fait disparaître l'homme naturel, et que le conflit entre la nature et la loi est toujours possible, qu'il est même sous-jacent à la loi. Dans le pacte de soumission de Hobbes, parce qu'il ne peut être une aliénation totale de l'homme avec tous ses droits comme le veut Rousseau, l'individu reste potentiellement l'ennemi de la loi. Sa liberté reste la liberté naturelle, qui se définit purement mécaniquement par l'absence de contrainte externe. Nulle mutation de la liberté naturelle en liberté morale consciente de ses obligations comme chez Rousseau[47]. On peut alors comprendre pourquoi le souverain doit être ce Léviathan terrifiant qui ne peut en définitive régner que par la démonstration d'un pouvoir absolu. Car, comme le disait encore Rousseau, une convention qui n'exige pas l'aliénation totale des droits ne peut être que tyrannique ou vaine. En dernier ressort, l'application du droit requiert l'usage de la force la plus effrayante. On arrive ainsi à un curieux paradoxe : de Hobbes et de Rousseau, c'est Rousseau qui exige du contractant le plus terrible des sacrifices, « l'aliénation de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté », là où Hobbes reconnaît des droits naturels inaliénables. Mais c'est justement pour ne pas avoir été assez loin dans l'aliénation que Hobbes réduit la liberté aux silences de la loi et soumet le citoyen aux rigueurs d'un pouvoir absolu, alors que, par le contrat social, Rousseau laisse l'homme aussi libre qu'auparavant, le changement étant d'ordre qualitatif et non quantitatif, la liberté naturelle se sublimant en liberté civile.

 

Telle est l'ambivalence de la philosophie politique de Hobbes, en qui on a pu voir à juste titre le théoricien de l'absolutisme (le pouvoir du Léviathan est un pouvoir terrible indiscutable et sans partage) mais aussi, avec tout autant de pertinence, le précurseur de l'état de droit. Le pouvoir absolu du Léviathan à qui le sujet doit toute obéissance est le pouvoir de l'État et non le pouvoir de l'homme ou de l'assemblée qui l'exerce. En séparant propriété et exercice du pouvoir, en affirmant pour chacun l'appropriation de son propre corps, Hobbes rompt avec les théories politiques de l'esclavage et pose les bases de l'état de droit.

Au-delà on pourrait même dire que l'on trouve chez Hobbes l'embryon d'une philosophie des droits de l'homme, dans la mesure où il reconnaît, au-delà du droit des États, un droit originaire qui se fonde dans la nature humaine. Le droit à la sûreté peut être reconnu comme le premier des droits de l'homme. Comme le note Blandine Kriegel : «  On ne peut aucunement mépriser la réflexion et l'apport de Hobbes à la doctrine des droits de l'homme mais il faut aussi convenir qu'elle reste limitée à un seul droit[48]. » L'affirmation pour chacun de l'appropriation de son corps est un droit fondamental qui fonde tous les autres. On ne peut pas ne pas penser à l'adoption quasi contemporaine en Angleterre de l'Habeas Corpus Act en 1679 contre les tentatives d'absolutisme monarchique.

Quoi qu'il en soit, avec le pacte civil, Hobbes a posé les conditions pour que cesse la guerre de chacun contre chacun. Acte de raison et acte de volonté, en instituant l'autorité souveraine de l'état ce pacte rend possible des relations pacifiées entre les hommes. Il engage ainsi pour longtemps la philosophie politique dans la voie d'une théorie de l'État fondée sur le contrat : Spinoza, Rousseau, Locke, et bien d'autres feront de l'État Ñ plus ou moins fort, plus ou moins libéral Ñ la condition de la vie civile fondée sur l'engagement réciproque des individus.

Il s'en faut de beaucoup cependant pour que le spectre de la guerre cesse de hanter les hommes. En effet, si la paix civile règne dans les limites de l'État ainsi constitué, les États entre eux restent à l'état de nature. Tout ce que Hobbes a dit de l'état de nature reste vrai pour les relations des États entre eux. Lutte pour le pouvoir, pour l'avoir, pour le valoir : invasion, conquêtes, pillages, la guerre partout règne entre les nations. Souffrance et mort continuent d'être le lot quotidien des hommes qui en sont les victimes. Hobbes en a bien conscience lorsqu'il écrit :

[…] en tous temps, les rois et les personnes de l'autorité souveraine, à cause de leur indépendance, entrent dans de continuelles jalousies, et sont dans l'état ou la situation des gladiateurs, pointant leurs armes les uns vers les autres, les yeux fixés les uns sur les autres, avec leurs forts, garnisons et canons sur les frontières de leur royaume, et constamment des espions chez leurs voisins : ce qui est une situation de guerre[49].

Hobbes n'explore cependant pas le champ des relations internationales. Un siècle plus tard, Kant, recherchant les conditions d'une paix perpétuelle, montrera que c'est dans la conclusion entre les États d'une association politique instituant un pouvoir commun  que l'on doit rechercher les conditions d'une paix qui ne soit plus partielle et ponctuelle mais universelle et permanente[50]. La multiplication des institutions politiques supra nationales aujourd'hui Ñ Société des Nations, Nations Unies ou autres Ñ peut laisser penser que le message a été entendu et que, même timidement, les nations aujourd'hui s'engagent sur cette voie afin, comme le dit Pascal, que la paix soit, qui est le souverain bien.

Jacqueline Morne

 



[1] Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, 1ère partie.

[2]  Id.

[3] Thomas Hobbes, Léviathan, ch.13.

[4]  Id. ch. 14.

[5] Michel Malherbe, Thomas Hobbes, Vrin, 1984, p. 150

[6] Hobbes, De Cive, Ière partie, ch. 2

[7] Hobbes, Léviathan, ch. 14.

[8] Id.

[9] « Le droit naturel de la Nature entière et conséquemment de chaque individu s'étend jusqu'où va sa puissance, et donc tout ce que fait un homme suivant les lois de sa nature propre, il le fait en vertu d'un droit de nature souveraine, et il a sur la nature autant de droit qu'il a de puissance » Spinoza, Traité politique II, ¤ 4, trad. Appuhn, GF 1966, p. 16.

[10] Rousseau, Du Contrat Social, Livre 1, ch. 3.

[11] Hobbes, Léviathan, ch. 13.

[12] Hobbes, Léviathan, ch. 13.

[13] Descartes, Discours de la Méthode, 1ère partie.

[14] Hobbes, Léviathan, ch. 13.

[15] Hobbes, Léviathan, ch. 13.

[16] Id.

[17] Id.

[18]  Id.

[19] Hobbes, De Cive, préface.

[20] «  Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi même, concourt à la conservation mutuelle de toute l'espèce. C'est elle, qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c'est elle qui, dans l'état de Nature, tient lieu de Lois de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n'est tenté de désobéir à sa douce voix » Rousseau,  Discours sur l'Inégalité, 1ère partie.

[21] Rousseau, Du Contrat social, Livre I, ch. 6.

[22] « Par la droite raison en l'état naturel des hommes, je n'entends pas, comme font plusieurs autres, une faculté infaillible, mais l'acte propre et véritable de la ratiocination, que chacun exerce sur ses actions, d'où il peut rejaillir quelque dommage, ou quelque utilité aux autres hommes » Hobbes,  De Cive, section première, ch. 2.

[23] Hobbes, Léviathan, ch. 14.

[24] Hobbes, Léviathan, ch. 14.

[25] Le Léviathan est un monstre marin de la mythologie phénicienne. Il est également évoqué à plusieurs reprises dans la Bible : dans les Psaumes, le Livre d'Isaïe, et le Livre de Job.

[26] S. Pufendorf. Du droit de la nature et des gens, VI, 3. ¤ 4 et 5.

[27] Hobbes, Léviathan, Introduction.

[28] Hobbes, De Cive, 1ère section, ch. 6.

[29] Id.

[30] Id.

[31] Id.

[32] Id.

[33] Id.

[34] Id.

[35] Id.

[36] Id.

[37] John Langshaw Austin (1911-1960), auteur en particulier de How to do things with words, que l'on peut traduire littéralement : comment faire des choses avec des mots, et qui sera publié en français en 1970 sous le titre Quand dire c'est faire. Austin montre que les énoncés ne consistent pas seulement à décrire des faits, mais qu'il y a des énoncés qui sont en eux-mêmes l'acte qu'ils désignent. Ces énoncés qui ne se limitent pas à énoncer un fait, mais créent le fait qu'ils énoncent, Austin les appelle énoncés performatifs, par opposition aux énoncés constatifs. Un énoncé constatif décrit un fait sans le créer ; quand je dis « j'ouvre la fenêtre » cela n'ouvre pas la fenêtre. Au contraire, l'énoncé performatif est à la fois manifestation linguistique et acte de réalité : la parole prononcée par le maire « je vous déclare mari et femme », est de ce type, de même que toutes les déclarations par lesquelles on engage sa parole : je promets, je renonce, je m'engage…

[38] Hobbes, Léviathan, ch. 14.

[39] Id. ch. 21.

[40] Id. ch. 21.

[41]  Hobbes, Léviathan, ch. 21.

[42] « Ces clauses bien entendues se réduisent toute à une seule : savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. […] De plus, l'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'être, et nul associé n'a plus rien à réclamer : car s'il restait quelques droits aux particuliers, comme il n'y aurait aucun supérieur commun qui put prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l'être en tous, l'état de nature subsisterait et l'association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine »  Rousseau, Du Contrat social, Livre I, ch. 6.

[43] Hobbes, Léviathan, ch. 14.

[44] Hobbes, Léviathan, ch. 14.

[45] Hobbes, De Cive, section première, ch. 2.

[46] Hobbes, Léviathan, ch. 21

[47] Rousseau, Du Contrat social, Livre I, ch. 8. : « On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale qui seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. »

[48] Blandine Kriegel, Cours de philosophie politique, Livre de Poche, p. 36.

[49] Hobbes, Léviathan, ch. 13.

[50] Voir Jacqueline Morne, Vers la paix perpétuelle de Kant, sur ce site, 2002.

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