RETOUR : Cours de J. Morne sur Rousseau

 

Cours de Jacqueline Morne sur Rousseau et la question du Mal.
Annexe 1


Plan et résumé
de la Profession de foi du Vicaire savoyard

Bien que le texte de la Profession de Foi du Vicaire savoyard soit d'un seul tenant et ne comporte aucun sous-titre, il est cependant facile d'en distinguer les articulations.

On peut considérer que le texte est constitué de deux parties principales séparées par l'intervention du disciple dans le discours du Vicaire « Le bon prêtre avait parlé avec véhémence» (p. 96)[1]. Rousseau marque d'ailleurs cette rupture en passant une ligne.

La première partie (pages 51-96) porte sur les articles de foi de la religion naturelle ; la seconde (pages 97-120), constitue une critique de la religion révélée opposée à la religion naturelle.

En outre Rousseau indique le plan suivi dans la première partie à la page 83 : « Après avoir ainsi […] déduit les principales vérités qu'il m'importait de connaître, il me reste à chercher quelles maximes j'en dois tirer pour ma conduite… ». Ce qui implique donc une première étape théorique, et une seconde étape pratique.

Le texte se termine par une conclusion (pages 120-129)

Orienté par ces indications données par Rousseau lui-même nous pouvons établir le plan d'étude suivant :

1ère partie : La religion naturelle (jusqu'à la page 96)

a – La démarche du Vicaire : (de la page 51 à la page 56) : « consultons la lumière intérieure ».

Le Vicaire fait part des doutes qui l'ont assailli durant sa vie ecclésiastique et explique comment c'est en s'en tenant uniquement aux enseignements de la lumière intérieure qu'il est parvenu à établir les quelques vérités dont il a besoin pour bien conduire sa vie. Son propos n'étant pas d'établir une science certaine, son entendement étant trop limité pour cela, mais de borner ses recherches à ce qui lui est utile.

b - Le Credo du Vicaire : (de la page 56 à la page 83) : « Les principales vérités qui sont utiles à connaître, telles que les enseigne la lumière naturelle ».

Le Vicaire s'interroge d'abord sur lui-même et la première évidence qui s'impose à lui est celle de son existence. Cette évidence lui vient du fait qu'il éprouve des sensations : exister c'est sentir, et la sensation ne lui donne pas seulement l'évidence de son existence, elle lui donne l'évidence de l'existence d'un monde sensible extérieur à lui. Et comme l'homme ne se contente pas d'enregistrer des sensations mais qu'il les ordonne, nous devons aussi penser que nous disposons d'un entendement.

Ainsi assuré de lui-même, le Vicaire s'interroge sur l'immense univers qui l'entoure, à propos duquel il pense pouvoir affirmer les trois articles principaux de son credo :

« Je crois qu'une volonté meut l'univers » : la matière étant inerte par elle-même, il faut bien que le mouvement lui soit communiqué par une cause extérieure.

« La matière mue selon certaine loi me montre l'intelligence » : parce qu'il y a de l'ordre dans le monde et que les moyens et les fins s'enchaînent, il faut penser qu'une intelligence suprême a présidé à cette organisation. Le Vicaire la nomme Dieu. Nous ne pouvons cependant pas dire ce qu'est cette intelligence suprême, cela dépasse notre entendement, nous pouvons bien plus l'adorer que la connaître.

« L'homme est libre dans ses actions et comme tel animé d'une substance immatérielle ». À l'inverse de la perfection de l'univers, le monde humain est un monde de désordre. Partout le mal y règne. Pour que l'homme soit capable de créer un tel désordre, il faut qu'il ait en lui un pouvoir d'agir par lui-même, qu'il soit libre par rapport aux déterminations de la nature. Il faut en outre qu'il soit double, à la fois raison et passion, passif quand il suit ses passions, actif quand il suit sa raison. Il peut voir le bien et faire le mal. Telle est la source du mal : le mal n'est pas le fait de Dieu, mais du libre choix de l'homme. Et c'est l'abus de ses facultés qui le conduit à ce choix funeste. La Providence a fait l'homme libre pour qu'il choisisse le bien qui est conforme à sa nature ; s'il choisit le mal c'est de son unique responsabilité, et il n'existe pas d'autre mal que celui que fait l'homme. Le méchant construit son propre malheur. Mais il peut aussi arriver que le juste soit malheureux. Il faut alors penser que la Providence rétablira la justice dans une survie de l'âme après la mort.

c - Les maximes que l'on doit en tirer pour sa conduite (de la page 83 à la page 96) : « la conscience principe de justice et de vertu »

Le vrai guide de l'homme dans tout ce qui importe à sa vie est la conscience et non la raison. C'est le guide immédiat, infaillible et universel qui nous instruit du bien et du mal. Elle nous enseigne qu'à travers la diversité des lieux et des temps on trouve toujours les mêmes idées de justice et de vertu, de bien et de mal. Sa voix est de l'ordre du sentiment, non de la connaissance. Elle est à l'âme ce que l'instinct est au corps. De même que l'instinct vise à la conservation de soi, la conscience vise à l'harmonie de nos rapports avec nos semblables. La raison au contraire risque de nous égarer, elle ne remplit son rôle que lorsqu'elle est éclairée par la conscience.

Sans cesse la voix de la conscience risque d'être étouffée par le bruit des préjugés et des passions, l'ordre des passions qui tente de se substituer à l'ordre du bien. Mais seul le respect de l'ordre du bien peut assurer à l'homme la paix et le bonheur. Et quand ce respect est le fruit de sa volonté, alors son bonheur atteint au sublime. Inversement le méchant est le seul auteur de ses propres maux, et il ne doit s'en prendre qu'à lui-même de ses propres vices.

Le mal qui règne dans le monde humain ne trouble donc pas la création divine : Dieu a donné à l'homme la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaître, la liberté pour le choisir. Ainsi tout est bien sortant des mains du créateur, l'homme ne peut s'en prendre qu'à lui-même si le mal existe et s'il en souffre.

2ème partie : religion naturelle et religion révélée (de la page 97 à la page 120)

Le Vicaire explique dans cette seconde partie en quoi la religion révélée lui paraît inutile et absurde. Nous n'avons nul besoin de l'autorité des prêtres, de leur prétention à interpréter la parole de Dieu pour savoir ce que nous devons croire. Le Vicaire reproche aux religions révélées leur confusion et leurs mystères, leurs cultes fantaisistes, leurs rituels absurdes, leur diversité, leur fanatisme et leur intolérance. La religion naturelle au contraire est pure et simple, elle est dialogue direct avec Dieu qui parle dans l'intimité de la conscience de tout homme qui sait l'entendre. Elle ne s'encombre pas de rituel, elle ne s'autorise même pas la prière, car nous n'avons rien à demander à Dieu, elle est simplement adoration. Qui plus est, faire reposer la religion sur la révélation serait condamner à la damnation éternelle ceux qui n'ont pu recevoir la bonne parole, ce qui serait profondément injuste. Le Vicaire illustre son argumentation en imaginant un dialogue entre l'inspiré qui représente les partisans de la religion révélée, et prétend justifier les pires aberrations au nom du surnaturel et le raisonneur qui revendique le droit de tout examiner au nom de la seule raison (pages 106-109).

Parmi les diverses religions, reconnaître la bonne est un exploit impossible, parce qu'elles sont à elles-mêmes leur propre justification, parce que chacune se refuse à donner la parole à l'autre et que pour en juger il faudrait pouvoir les connaître et les pratiquer toutes, ce qui est impossible.

Le Vicaire reconnaît cependant que la religion de l'Évangile est celle qui lui paraît avoir le plus de points communs avec la religion naturelle, et que le Christ semble en tout dépasser les qualités d'un simple mortel. Mais trancher sur cette question n'est pas nécessaire, car l'essentiel est le culte du cœur.

Conclusion (de la page 120 à la page 126)

Pour terminer, le Vicaire fait le point sur sa propre démarche. Après bien des tourments il a retrouvé paix et sérénité. Sur bien des points il est resté dans le plus grand scepticisme, mais cela ne lui est pas pénible car ces doutes ne touchent pas à l'essentiel. Les certitudes essentielles, celles qui concernent la pratique, il les a acquises en retrouvant la voix de sa conscience, et il ne peut plus les perdre, ayant trouvé un guide infaillible.

D'autre part, étant parvenu à trouver un équilibre entre les obligations de sa fonction et les impératifs de sa conscience, sa vie de prêtre n'est plus déchirée entre la voix de sa conscience et celles de sa hiérarchie. Il trouve même un certain bonheur à témoigner de l'esprit de l'Évangile (plus qu'à celui de l'Église) qui est si peu éloigné des impératifs de bonté et de justice que lui dicte la lumière naturelle.

Il termine sur une dernière exhortation à son disciple. Non pour lui dire ce qu'il doit faire, mais pour lui recommander de toujours écouter la voix de sa conscience, « de tenir toujours son âme en état de désirer qu'il y ait un Dieu » (p. 125), de dire ce qui est vrai et de faire ce qui est bien quoi que pensent ceux qui prétendent nous juger.