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ON SIGNALE…

 

À partir d'avril 2021, on signale ici des livres ou des événements dont on a eu connaissance et qui paraissent remarquables.
Mis à jour le 15 avril 2023.

 


Markus Messling, L'Universel après l'universalisme. Des littératures francophones du contemporaiin, traduction Olivier Mannoni, préface de Souleymane Bachir Diagne, Presses universitaires de France, 2023.

Présentation par l'éditeur

La mise en œuvre coloniale qui en a été faite a fortement discrédité le concept d'universalisme sur le plan politique. Dans le même temps, les idéaux d'une société mondiale cosmopolite, qui vont de pair avec lui, font l'objet d'attaques toujours plus vives des forces nationalistes. Que reste-t-il des idéaux universalistes ? Cette question est traitée dans des littératures contemporaines francophones que Markus Messling analyse comme une remise en cause radicale de ces idéaux qui ont jadis trouvé leur capitale à Paris, avec la Révolution française : liberté, égalité et solidarité. Comment trouver après l'universalisme européen les approches d'une nouvelle universalité sans laquelle il est impossible d'organiser connaissance et justice dans la société mondiale ? Cette question se révèle être un problème de mise en forme narrative du monde.


John Ruskin, Praeterita, introduction et traduction d'André Hélard, postface de Claude Reichler, Presses universitaires de Rennes, 2023.

Présentation par l'éditeur

Praeterita, de John Ruskin, c'est l'autobiographie du grand écrivain anglais John Ruskin, que Proust disait connaître par cœur et qu'il avait d'ailleurs commencé à traduire en 1908, avant de partir À la recherche du temps perdu.
Mais ce n'est pas seulement parce qu'il a inspiré Proust que ce texte de Ruskin — dont il n'existait qu'une traduction datant de 1911, très incomplète et pas toujours très exacte — mérite d'être lu aujourd'hui. C'est aussi parce que, comme l'écrivit Virginia Woolf, ce livre « contient, comme dans une cuillerée de thé, l'essence même de ces eaux dont jaillissaient les sources de son génie et que jamais une autobiographie ne nous laissa pénétrer dans l'intimité de l'expérience de son auteur avec plus de générosité ».
C'est enfin, parce que, s'inscrivant dans la grande tradition littéraire européenne de l'écriture de soi, à côté de Montaigne, Goethe, Rousseau ou Sartre, Ruskin fait de sa dernière œuvre un passionnant récit de formation. Ce récit raconte comment, en dépit de tous les déterminismes historiques, sociaux, familiaux, religieux, qui pesaient sur lui, s'est accomplie sa vocation d'écrivain pédagogue de la beauté. Il raconte comment il est devenu cet optical thinker qui ouvre la voie à toute la modernité artistique.


Colette Cosnier, Louise Bodin. La Bolchevique aux bijoux, préface d'Edmond Hervé, [Pierre Horay, 1988], réédition Presses universitaires de Rennes, 2023.

Présentation par l'éditeur

Louise Bodin. La Bolchevique aux bijoux, de Colette Cosnier, c'est la biographie d'une de ces femmes remarquables qui surent en leur temps, comme l'écrit Michelle Perrot, « surmonter ce qu'était à leur époque la destinée normale d'une femme ».
Louise Bodin : née à Paris en 1877, morte à Rennes en 1929. Une vie brève hantée par le remords d'être une privilégiée, mais une vie de combat contre toutes les injustices, pour toutes les grandes causes de son temps. Suffragiste, féministe, pacifiste, socialiste, communiste, enfin sympathisante trotskiste : autant d'engagements successifs qui marquent son itinéraire.
Louise Bodin : une grande journaliste, auteure de plus de 500 articles, publiés dans Les Nouvelles rennaises, La Pensée bretonne, puis Le Populaire, L'Humanité, L'Ouvrière, mais surtout La Voix des Femmes, dont elle fut un temps la rédactrice en chef. C'est la voix de cette femme, écrivaine et militante, que Colette Cosnier permettait d'entendre, en 1988, après plus d'un demi-siècle d'oubli, une voix caustique ou amusée pour dire la vie à Rennes avant 1914, une voix bouleversante pour crier la détresse des femmes et des mères pendant la Grande Guerre, une voix indignée pour protester contre la loi de 1920, une voix impitoyable pour décrire un congrès politique : la voix d'une femme témoin de son temps, qui a sa place dans l'Histoire des femmes. C'est cette voix que la réédition de cet ouvrage donne à redécouvrir aujourd'hui.



À voir, l'exposition consacrée aux gravures de Janine DOUARD à Paimbœuf, entre Nantes et l'Océan, au bord de la Loire.
En même temps, le fourmillant musée de l'Imprimerie de Nantes fondé en 1986 a prêté au Hangar certaines de ses presses : une presse typographique à bras, une presse à reliure et une « pédalette ».

Présentation par Pierre Campion

Ces choses-là ne sont plus des choses.
Ce ne sont plus des troncs noueux plantés dans le haut d'une plage. Contre les vagues que poussent les vents du Nord lors des grandes marées, ils protégeaient la digue sans laquelle une partie de Saint-Malo serait sous la mer. Telle était leur fonction avant qu'ils n'entrent dans les nécessités de la gravure, telle était leur histoire, tel était le spectacle qu'ils offraient aux amateurs accourus sur la promenade du Sillon les jours d'équinoxe.
Ici pas de pittoresque, ni de réalisme. Entre les brise-lames obstinément répétés dans ces œuvres, on ne voit jamais la mer. On ne voit pas comment ils sont implantés ni dans quelle matière ils le sont. On ne voit plus leur utilité : on leur voit une raison d'être. La graveuse les a fait entrer dans le monde mental et les émotions de sa mémoire et elle les offre désormais à tous les visiteurs qui voudront bien les contempler.
Ces gravures revêtent l'existence absolue que crée l'esprit en sa représentation des choses.



Colette Cosnier, Marie Bashkirtseff. Un portrait sans retouches, préface de Michelle Perrot, réédition Presses universitaires de Rennes, [Pierre Horay, 1984] 2022.

Présentation par l'éditeur

Lectrice du Journal de Marie Bashkirtseff, comme tant d'autres depuis Maurice Barrès jusqu'à Simone de Beauvoir, Colette Cosnier avait noté des détails qui trahissaient une manipulation du texte. Remontant aux sources, elle découvre dans les cahiers manuscrits déposés à la Bibliothèque nationale des passages entiers supprimés par la famille et de trop zélés admirateurs qui avaient falsifié la réalité d'un personnage qui apparaît infiniment plus intéressant dans sa vérité.

Morte à 25 ans, en 1884, Marie Bashkirtseff ne fut pas que la jeune mondaine égocentrique dont on a voulu nous imposer l'image, mais une femme lucide, qui découvre les problèmes posés par la condition féminine à une époque où être femme c'est n'être rien. Et certainement pas le grand peintre qu'elle ambitionnait d'être, en un temps où le domaine de la création artistique reste quasi inaccessible aux femmes.

D'une lecture passionnante, écrit dans un rythme vif, le texte de Colette Cosnier apportait, quand il fut publié en 1984, une véritable révélation sur un personnage attachant et d'une surprenante modernité. C'est ce « portrait sans retouches », qui, selon l'historienne Michelle Perrot, « demeure à ce jour la meilleure, voire la seule biographie véritable de Marie Bashkirtseff », que les Presses universitaires de Rennes donnent à redécouvrir aujourd'hui.



Gisèle Séginger, L'Orient de Flaubert en images, Citadelles & Mazenod, 2021.

Présentation par l'éditeur

L'Orient de Flaubert (1821, Rouen - 1880, Croisset) est imprégné d'histoires et d'influences contemporaines. Dès ses œuvres de jeunesse, le lien entre textes et images illustrant l'Orient et l'Antiquité semble évident pour le jeune artiste. Cet Ailleurs - qui est constitutif de sa vocation d'écrivain - s'affirme très vite comme la contrée de tous les excès, des rêves de luxe impossible, où un esthète exigeant pourrait dormir dans des « hamacs en plume de colibri ». Premier beau livre sur Flaubert et les arts, cet ouvrage examine à la fois les images et les œuvres qui ont marqué la formation visuelle de l'écrivain, ou qui ont été les sources avérées de ses créations et les nombreuses réinterprétations plastiques auxquelles celles-ci ont donné lieu. Dès son époque - c'est le cas de Gustave Moreau qui ne peindra pourtant jamais de tableaux directement inspirés de son œuvre -, puis après sa mort, les illustrateurs, sculpteurs, peintres des courants les plus divers s'en emparent, de Georges-Antoine Rochegrosse à Salvador Dali. À l'époque moderne, le cinéma et la bande dessinée s'approprient également des romans de Flaubert, comme Philippe Druillet qui a consacré une partie de ses albums et de son œuvre gravée à Salammbô.



Esprit, Politiques de la littérature, n° double juillet-août 2021.
Un numéro coordonné par Alexandre Gefen avec l'équipe de la revue Esprit.

Présentation par les animateurs

Nos attentes à l'égard de la littérature ont changé. Autant qu'une expérience esthétique, nous y cherchons aujourd'hui des ressources pour comprendre le monde contemporain, voire le transformer. En témoigne l'importance prise par les enjeux d'écologie, de féminisme ou de dénonciation des inégalités dans la littérature de ce début du XXIe siècle, qui prend des formes renouvelées : le « roman à thèse » laisse volontiers place à une littérature de témoignage ou d'enquête. Ce dossier, coordonné par Anne Dujin et Alexandre Gefen, explore cette réarticulation de la littérature avec les questions morales et politiques, qui interroge à la fois le statut de l'écrivain aujourd'hui, les frontières de la littérature, la manière dont nous en jugeons et ce que nous en attendons. Avec des textes de Felwine Sarr, Gisèle Sapiro, Jean-Claude Pinson, Alice Zeniter, François Bon.



Emmanuel Mounier, Œuvres complètes, vol. 1 (1922-1932), édition de Yves Roullière, Presses universitaires de Rennes, 2021.

Présentation par l'éditeur

Le premier des sept volumes que comptent ces Œuvres complètes d'Emmanuel Mounier devrait agir comme un révélateur. Gageons qu'il en ira ainsi pour ceux qui s'initieraient à l'&œlig;uvre de Mounier et pour ceux qui connaissent déjà tout ou partie de ses écrits. La plupart découvriront un jeune homme à plusieurs facettes : non seulement son ancrage philosophique, mais, tout aussi fort quoique mal documenté jusqu'à présent, son ancrage religieux, à nette tendance mystique, accompagné d'un intérêt aigu pour les champs social et littéraire. Écrits entre sa dix-septième et sa vingt-septième année, les textes ici recueillis, quelquefois rares ou inédits, vont de ses dissertations de terminale au lycée de Grenoble à sa longue intervention au congrès de Font-Romeu, qui posa les bases du mouvement et de la revue Esprit.
Avec le soutien de l'Association des amis d'Emmanuel Mounier.



Marc Fumaroli, Dans ma bibliothèque. La guerre et la paix, Les Belles Lettres et de Fallois, 2021.

Présentation par l'éditeur

Le long d'échappées politiques et littéraires qui naviguent d'Homère à Grossman et de Watteau à David, Marc Fumaroli (1932-2020) vous convie à une ultime méditation historique sur la paix et la guerre en Europe. Magistral essai posthume, Dans ma bibliothèque propose un regard sur notre monde tout aussi lucide et désillusionné que celui de Paul Valéry, où la sûreté du savoir est servie par toutes les ressources de l'éloquence. Le penseur de la République des Lettres vous emporte dans un tourbillon « illuminé de fulgurances », dans lequel l'histoire, la peinture et la littérature se répondent et raniment avec éclat les XVIIe et XVIIIe siècles.



Ludwig Wittgenstein, Lettres à sa famille. Correspondances croisées (1908-1951), Flammarion, 2021.


Présentation par l'éditeur

Ludwig Wittgenstein, l'un des plus grands philosophes du XXe siècle, était le dernier des huit enfants de l'une des familles les plus en vue de la Mitteleuropa. Les Wittgenstein étaient à l'avant-garde de la vie culturelle de Vienne : Maurice Ravel écrivit un célèbre concerto pour le pianiste Paul Wittgenstein, frère aîné de Ludwig ; Gustav Klimt a peint le tableau de mariage de sa s&œlig;ur Margaret ; Gustav Mahler et Johannes Brahms donnaient régulièrement des concerts dans le salon de musique familial.
D'un rayonnement social et culturel considérable, la famille Wittgenstein ne devait pas être épargnée par la tragédie. La s&œlig;ur de Ludwig, Dora, mourut prématurément, son frère Paul perdit son bras au combat pendant la Première Guerre mondiale, et deux de ses frères se suicidèrent.
Les lettres inédites réunies dans ce volume couvrent la période de 1908 à 1951, quelques semaines avant la mort de Ludwig. Elles sont un témoignage de première main sur les différentes étapes de sa vie si singulière et sur les liens qui l'unissaient aux siens.



L'Odyssée d'Homère, traduction du grec ancien par Emmanuel Lascoux, POL éditions, 2021.


Présentation par l'éditeur

Emmanuel Lascoux propose une nouvelle « version » du texte grec d'Homère à partir de son travail original sur le grec ancien qu'il rythme, chante, et crie depuis plusieurs années. Il dit lui-même : « J'ai voulu monter le son ou entendre davantage. » Il revendique de « jouer les langues anciennes » comme l'on joue de la musique. « On fait du grec, soit, mais on ne fait pas le grec. Imagine-t-on faire de la musique sans la faire ? » écrit-il dans l'avant-propos à sa traduction. Mais quels détours imposer au français aujourd'hui, quels mensonges lui permettre, quand la musique du grec s'est tue ? Emmanuel Lascoux propose ainsi cette « version française » très originale des 12 109 hexamètres de l'Odyssée. Plutôt qu'imiter le vers grec antique inimitable, ou dévider une prose inchantable, cette Odyssée propose à tous, un texte à dire et à chanter. Renouant finalement avec les pratiques antiques du texte épique et du poème, dans un français très contemporain et d'une oralité retrouvée.

 

Crac ! les haubans du mât, tiens, sectionnés d'un coup, par le vent, par la bourrasque,

des deux côtés. Bam ! le mât qui tombe à la renverse, tous les agrès qui dégringolent

dans la cale, ma parole ! Paf ! là, oui, à la proue du bateau,

le pilote se le prend en pleine tête : crric ! ça lui brise d'un seul coup

tous les os du crâne à la fois. On croirait un plongeur, vous savez,

qui se laisse tomber du plat-bord. Fini pour lui : force et vie quittent ses os !

Et Zeus qui n'arrête pas de tonner. Brraoum ! sa foudre touche le bateau…

L'Odyssée, Livre 12



Michel Zink, On lit mieux dans une langue qu'on sait mal, Éditions Les Belles Lettres, 2021.


Présentation par l'éditeur

« Celui qui lit dans une langue étrangère se fait une force de sa faiblesse. Il lit avec plus d'attention que dans sa langue maternelle. L'incompétence est pour lui un stimulant autant qu'un handicap. On lit mieux dans une langue qu'on sait mal. »

Comme il l'a fait de ses lectures d'enfance dans Seuls les enfants savent lire, Michel Zink se souvient ici de quelques-uns des livres lus au cours de sa vie en allemand, anglais ou italien, non qu'il possède parfaitement ces langues, mais au contraire parce que la paresse lui a trop souvent fait préférer le plaisir de la lecture à l'effort d'un apprentissage méthodique.



Luigi Santucci, Ton prochain, traduit de l'italien par Christophe Carraud, Éditions Conférence, 2021.


Présentation par l'éditeur

Ton prochain est une collection de quatorze moralités, ou, si l'on préfère, de petites méditations, mais légères et conversées, sur le rapport entre chacun de nous et « les autres ». La problématique des contacts, des sentiments et des échanges entre nous et notre prochain — complexe et insondable, parfois dramatique, parfois douce, et toujours difficile et exigeante —, l'auteur la parcourt d'une touche rapide et agile, aussi riche et profonde qu'amusée. Jeunes et vieux, pauvres et riches, blancs et noirs, supérieurs et inférieurs, parents, amis et amoureux sont réexaminés à la loupe de ce mot solennel et usé, «prochain», qui dans ces pages se libère de toute rhétorique prédicative et de tout conceptualisme abstrait pour simplement nous inviter, avec un timbre tantôt subtil, tantôt passionné, à appliquer dans le détail des jours un précepte qu'on croit rebattu sans en avoir savouré toutes les conséquences : « Va, et toi aussi fais-en autant. »
Le texte est suivi de la traduction du testament enregistré que l'auteur adressait à ses enfants à la veille de sa mort, où il récapitule avec une grande simplicité et une rare authenticité ce que «la vie» et la littérature sont à ses yeux.
En ces temps si particuliers, il est utile de se pencher sur les conditions et les exigences de la « proximité »…

Luigi Santucci naît à Milan le 11 novembre 1918. Il soutient à l'université catholique de cette ville une thèse en 1941, qu'il publie l'année suivante sous le titre Limites et raisons de la littérature de jeunesse. Benedetto Croce salue la justesse de ce travail, que Santucci reprend et développe en 1958 : La Littérature de jeunesse (Fabbri Editori, 3e édition, Massimiliano Boni, 1994). Il y plaide parfois polémiquement pour les droits du mythe et du merveilleux. Cette attention à la simplicité et à tous les primesauts de l'imagination au service du respect de la réalité sera une des constantes de son &œlig;uvre d'écrivain.
Il commence d'enseigner très jeune dans un lycée de Gorizia, puis à Milan. Antifasciste convaincu, il doit se réfugier en Suisse en 1944. Il revient à Milan après plusieurs mois, participe à la Résistance dans le Val Cannobia, et fonde avec quelques amis (David Maria Turoldo, Dino Del Bo, Camillo de Piaz, Gustavo Bontadini, Angelo Merlin, Angelo Romanò) le journal clandestin L'Uomo (L'Homme). À la fin de la guerre et dans les années suivantes, il multiplie les liens avec les protagonistes de la scène littéraire — « l'hermétisme florentin » —, Carlo Bo, Elio Vittorini, Eugenio Montale, Salvatore Quasimodo. Il publie à partir de 1946 de nombreux ouvrages  : récits, romans, essais, pièces de théâtre, fables pour enfants, mémoires, poésie…
En 1950, il épouse Bice Cima ; de cette longue et heureuse union naîtront quatre enfants, Michele, Agnese, Raimondo et Emma : vie qu'il dira lui-même simple et privilégiée, et placée sous ce que Carlo Bo appellera « le signe de la joie » à laquelle, dans les pages posthumes d'un Autoportrait (2004), il dit avoir voué son &œlig;uvre. «  La religiosité de Luigi Santucci », écrit Claudio Magris, grand amateur de l'&œlig;uvre, « est indissociable de son écriture, de sa manière de vivre le monde et de le raconter avec un accent épique et picaresque, un humour si humain et sanguin ; avec cette ironie qui est le sens amoureux de la petitesse et de la relativité de l'existence, et qui est pour cette raison la façon authentique de faire rejaillir l'absolu sur les destinées humaines racontées avec une charité affectueuse et irrévérencieuse. »
Orphée au paradis (Mondadori, 1967), où se rencontrent de profondes réflexions sur la destinée humaine inspirées par la mort de sa mère, remporte le prix littéraire le plus prestigieux d'Italie, le prix Campiello ; Santucci multiplie les ouvrages, les tons, les essais parfois écrits à plusieurs mains pour les questions qui lui semblent le plus essentielles (par exemple, en 1960, avec Angelo Merlin, Le Livre de l'amitié ; l'hommage de Gianfranco Ravasi paru dans Il Sole 24 Ore pour le centenaire de sa naissance s'intitule avec justesse «  l'amitié comme trame de la vie »). Il meurt à Milan le 23 mai 1999. Ton prochain est son premier livre traduit en français.

Photographie de couverture de Maria M. Sepiol.

Traduit de l'italien par Christophe Carraud.



Giancarlo Consonni, La Beauté civile. Splendeur et crise de la ville, traduit de l'italien par Christophe Carraud, Éditions Conférence, 2021.


Présentation par l'éditeur

Jamais, dans l'histoire, on n'a construit autant que de l'après guerre à aujourd'hui, et même que de 1955 à nos jours ; et jamais on n'a produit autant de laideur. Alors que la recherche de la beauté pour les corps, le vêtement, les objets, souvent sous forme d'injonctions distillées par toutes les propagandes de la mode et de l'image de soi, accordées au rythme d'une consommation industrielle à la fois et paradoxalement standardisée et vécue comme individuelle, devenait un trait distinctif de l'époque où nous vivons, le visage du monde a subi un enlaidissement si puissant qu'il semble, dans l'ordre civil comme dans l'ordre écologique, presque irrémédiable. Les villes, tout particulièrement, en ont souffert — devenant souvent non seulement les symptômes, mais les causes du mal qui les affecte. « Beauté », « laideur » : c'est très sciemment, et parfois de façon polémique, que Giancarlo Consonni reprend ici les notions mêmes sur lesquelles la modernité, singulièrement tardive, a jeté la suspicion, les reléguant dans un passé révolu, et dans ce qu'elle baptisait du nom d'idéologie, comme telle prétendument dépassée pour laisser place ardemment à un autre rapport aux choses et à l'espace dont nous mesurons aujourd'hui le résultat. L'auteur, afin d'éviter la critique si prévisible et convenue de ces notions, devenue un véritable pont aux ânes, prend soin d'adjoindre le qualificatif de « civil », appelé non seulement par le sujet qu'il traite, la ville, mais par une tradition philosophique et juridique très vivante en Italie depuis Vico. Deux questions parcourent les textes formant la matière de ce livre : quels sont les secrets de la beauté urbaine que nous avons héritée de l'histoire, et d'où prend-elle naissance ? Quelles sont les causes d'une si vaste extension de la laideur ?
Pour répondre à ces deux questions essentielles, Giancarlo Consonni emprunte quelques itinéraires où s'entrelacent passé et présent ; il les parcourt avec virtuosité, selon les voies de l'analyse mais aussi de la promenade amoureuse : la relation à la nature dans la fondation des villes et leur récit, la relation entre ville et campagne chez un penseur de la civilité comme Carlo Cattaneo, les jeux infinis de la lumière et de la couleur dans les villes italiennes, la révolution urbaine liée à l'architecture moderne et les effets souvent fâcheux qu'elle a produits, la question de la mesure dans le bâti et l'urbanisme, les symptômes visibles de la dégradation civile, etc. Ces analyses confirment la fécondité de la notion de « beauté civile  » formulée par Giambattista Vico, et déclinée après lui, au moment même des premières transformations industrielles, par les deux grands esprits que furent Romagnosi et Cattaneo. La beauté des villes et de l'architecture a trouvé le lieu et pour ainsi dire le terreau de son développement dans les liens civils, dans la tension vers une identité collective profondément attachée à ce qui peut donner sens et raison, donc représentation, à la manière d'habiter le monde. La crise actuelle de la beauté urbaine et des paysages renvoie à une crise bien plus vaste, dont l'auteur examine les causes sans renoncer à indiquer des issues possibles.
Giancarlo Consonni (Merate, 1943) est professeur émérite d'Urbanisme au Politecnico de Milan. Il est directeur scientifique de l'Archivio Pietro Bottoni, et auteur de nombreux ouvrages. La Beauté civile est son premier livre traduit en français. Giancarlo Consonni est aussi peintre et poète.


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