avec le concours du festival « Étonnnants voyageurs » de Saint-Malo
Chaque
année, les enseignants de lettres de collèges et lycées prennent connaissance
dans leurs casiers, en décembre, des thèmes soumis au concours du Festival
« Étonnants Voyageurs » de Saint-Malo. Parler de voyage à travers la
littérature d'Europe du Nord, des Caraïbes ou des bords de la Méditerranée,
évoquer la civilisation indienne d'Amérique, se confronter à l'univers social
et policier des auteurs de polars ou au regard porté sur les dérives de notre
civilisation par les romans de science-fiction, l'incitation est forte de se
lancer avec ses élèves dans l'aventure.
Mais la crainte n'est pas moins grande devant le gouffre qui
s'ouvre sous nos pieds : combien de temps consacrer à la conduite des
activités ? À quel moment dans l'emploi du temps ? Comment intégrer
la réalisation du dossier à la progression de l'année ? Comment mettre
tous les élèves en activité, quand ils sont 25 à 35 dans la classe ?
Parviendrons-nous à les fédérer et à les motiver suffisamment pour les faire
lire, écrire et les engager dans une démarche créative ? Serons-nous aptes
à répondre à tous les groupes qui nous solliciteront ? Parviendrons-nous à
canaliser en classe le travail informel qui se mettra en place ?
Enfin, point épineux, comment passer du thème imposé au
sujet qu'il nous faut construire ? Autour de quelle problématique et de
quelles entrées allons-nous demander aux élèves de travailler ? Et quels
livres leur proposer, quand nous craignons de toucher très vite les limites de
notre propre culture ?
Beaucoup de questions qui ne sont pas le propre de cette
entreprise mais qui, rassemblées, concentrées en cette occasion, peuvent
suffire à dissuader le candidat enseignant : pourquoi se risquer dans
cette aventure, sortir des chemins balisés du programme qui constitue, en soi,
une peine suffisante ?
Oui,
pourquoi ?
« L'appel du grand large »
Chacun
comprend que le concours du Festival « Étonnants Voyageurs » est,
ici, saisi comme l'opportunité de « travailler autrement », de
trouver une autre respiration, un nouveau rythme de classe au cours d'une année
scolaire longue, et parfois éprouvante. Aussi, une pratique qui vient rompre
avec les cours traditionnels, dès lors qu'elle est structurée, ne peut être que
bénéfique et répondre à ce besoin de « liberté grande » chère à
Gracq, que ressentent autant les élèves que les enseignants, lorsque le cap de
la moitié de l'année est passé.
« La mécanique des fluides »
Pour
bien comprendre l'intérêt de l'expérience scolaire singulière qu'offre le
concours, saisir la pertinence des activités et de la réflexion que l'on peut
proposer aux élèves et engager avec eux, prenons peut-être, tout simplement,
l'exemple de trois dossiers qui ont été réalisés ces dernières années au lycée
Charles de Gaulle de Vannes.
DOSSIER N°1 : La Méditerranée, carrefour des
cultures, porte des continents, berceau de notre civilisation. (1998 – classe de 33 élèves)
Propos du dossier (extrait de l'éditorial de
l'enseignant introduisant les exposés des élèves)
« […]
L'espace méditerranéen est la source profonde de la haute culture dont notre
civilisation se réclame.
Évoquer
Venise, Istanbul, Alexandrie, Rome, Athènes c'est revenir à cette source,
“à ces lieux féconds dont on sait depuis l'enfance que les demi-dieux y
menèrent une existence moins terne et moins grossière. Quand
nous rêvons d'accomplissement humain, de la fierté et du bonheur d'être là,
notre regard se tourne vers la Méditerranée.” (G. Duby)
[…] La
Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires, tout a
conflué vers elle, enrichissant notre histoire : hommes, marchandises,
idées, religions, art de vivre.
Circonscrite
à ses confins, à ses zones frontières, à ses lieux d'ancrage, la Méditerranée
s'identifie à Marseille, Tanger, Venise, Syracuse, Alexandrie, Jérusalem,
Athènes ou encore Istanbul.
Autant
de lieux traversés et visités par les écrivains les plus illustres (Chateaubriand,
Flaubert, Stendhal, Bowles, Gide…) qui, dans leur quête d'existence et de
retour aux origines nous en ont laissé des représentations riches et parfois
surprenantes. »
Organisation du travail
• Constitution de 10 groupes de
3 ou 4 élèves.
• Chaque groupe choisit de
travailler sur une ville des bords de la Méditerranée.
Activités des élèves
• Rechercher mythes et récits
associés aux villes du pourtour méditerranéen.
• Lire un ouvrage d'un auteur
ayant voyagé en Méditerranée.
• Rendre compte dans une production
écrite (dissertation) de l'histoire du voyage, de sa place dans la biographie
de l'auteur, de ses impressions, du regards qu'il a porté, posé sur les lieux
visités.
Bibliographie
J.C. Izzo et
Marseille (Chourmo)
P. Bowles et Istanbul (Leurs Mains bleues)
Montesquieu et Gênes (Voyages)
Stendhal et Rome (Rome, Naples et Florence)
Chateaubriand et Jérusalem (Itinéraire de Paris à Jérusalem)
Léonardo Sciascia et Syracuse (Article de D. Fernandez in Le
Promeneur amoureux
D. Rondeau et Alexandrie (Alexandrie)
Gide et Naples, Capri (Journal)
D. Rondeau et Tanger (Tanger)
G. de Nerval et Athènes (Voyage en Orient)
DOSSIER N°2 : Les Caraïbes. Du mythe à la
réalité : Jardin d'Éden ou Porte d'Enfer ? (1999
– classe de 36 élèves) + Réalisation d'un CD-Rom (Rhum !)
Propos du dossier
(extrait de l'éditorial de l'enseignant)
« […] La zone Caraïbe se définit avant tout,
aujourd'hui, comme un espace de métissage, où se mêlent l'imagination des
esclaves noirs d'Afrique, celle des Indiens précolombiens, la fantaisie des
Andalous ou encore des cultes hindous. Ces cultures ont toutes en commun un
goût pour le surnaturel d'où cette aptitude à porter sur la réalité un regard
magique qui constitue l'une des singularités du monde caraïbe. Cela a donné
naissance à une littérature, une musique et une peinture, qui sont l'expression
esthétique de cette région du monde.
“La
synthèse humaine et les contrastes qu'il y a dans les Caraïbes n'existent nulle
part ailleurs dans le monde”, peut effectivement écrire Gabriel Garcia
Marquez.
À
la réalité éclatée, kaléïdoscopique des îles caribéennes, anglaises,
hollandaises, espagnoles ou françaises, nous offrons pour tenter de
l'approcher, un dossier en forme d'abécédaire : de la lettre A comme
Abolition de l'esclavage à Z comme Zouk en passant par Cuba, Nantes et la Rue
Case-Nègres de Zobel.
Le
dossier s'emploie à donner la parole aux écrivains des Caraïbes, “poètes,
rêveurs, témoins du monde” (Depestre, R. Brival, E. Manet, P. Chamoiseau,
R. Confiant, D. Walcott).
…
L'ensemble du travail oscillant entre l'hommage, le témoignage et le
voyage… »
Organisation du travail
• Constitution de 18 groupes de
2.
• Chaque élève choisit de
travailler sur une île caribéenne.
• Réalisation de
l'abécédaire : une lettre, un thème.
Activités des élèves
• Lecture d'ouvrages (romans,
poésie) d'auteurs caribéens, ou films visionnés.
• Prise de notes à partir du
livre choisi sur les événements historiques et les spécificités culturelles (la
cuisine, les mythes, les figures héroïques, la géographie du pays, la musique)
de l'île évoquée pour préparer la rédaction du dossier. Sélection d'un extrait
d'un roman ou d'une poésie.
• Recherche documentaire pour
compléter les informations recueillies dans les ouvrages d'imagination.
• Choix des illustrations pour le
dossier papier et le CD-Rom.
• En salle informatique, frappe
des dossiers, enregistrement sur CD-Rom des travaux de chaque groupe.
Bibliographie
Bô, Roland Brival ; D'Amour et d'exil, E. Manet ; La Mulâtresse solitude, A. Schwarz-Bart ; L'espérance-macadam, G. Pineau ; Traversée de la
mangrove, M. Condé ; Adriana
de tous mes rêves, R.
Depestre ; Burg-Jargal, V. Hugo ; Eau de café, R. Confiant ; Texaco, P. Chamoiseau ; Nantes au temps de
la traite des Noirs, O.
Pétré-Grenouilleau ; La Désirade, J.-F. Deniau ; Rue Cases-Nègres, J. Zobel ; « Enfance »,
Saint-John Perse.
DOSSIER N° 3 : Réalisation d'un magazine de faits
divers (publié par le Nouveau Détective) : « 11 affairescriminelles pour mémoire » au
festival « Étonnants Voyageurs » de Saint-Malo. (2000 –17 élèves)
Propos du dossier
(extrait de l'éditorial de l'enseignant)
« […]
Le roman policier entretient avec le monde réel des relations plus
étroites qu'aucun autre genre, qu'aucune autre forme d'art même. Mais le roman
noir américain et français contemporain va encore plus loin dans sa volonté de
témoigner de l'univers social : il veut ainsi aider à mieux saisir et
comprendre l'évolution de la société, aider à en démonter les mécanismes
politiques, idéologiques, à révéler les causes des dérèglements d'un monde
vicié, inquiétant, dangereux, corrompu.
Comment,
alors, ne pas puiser dans cette littérature (d'abord classique – E.A.
Poe, A. Christie, Steeman – puis moderne – Manchette, Jonquet, T.
Capote…), pour inciter des jeunes à la lecture, à l'écriture, à la réflexion
sur la nature humaine, sur eux-mêmes et le monde qui les entoure ?
Ainsi,
pour l'enseignant, fait divers et roman policier constituent deux adjuvants
appropriés à la formation autant de l'élève-lecteur, apprenti en écriture, que
de l'élève-citoyen. […] »
Organisation du travail
• Choix pour chaque élève d'un
roman policier dans une liste d'une trentaine de titres.
• Mise en place d'un
calendrier : remise de deux articles chaque semaine à partir du retour des
vacances de février pour les adresser par e-mail à la rédaction de Détective.
Activités des élèves
• Rédaction d'un résumé de
l'intrigue policière.
• Recueil, au cours de la
lecture, d'informations qui contribuent au réalisme du récit (inscription des
personnages dans un milieu social, description des lieux du crime).
• Mise en forme de l'article de
fait divers en respectant les consignes de présentation, d'écriture données en
classe (multiples étapes de réécriture après correction de l'enseignant).
• Proposition d'illustrations de
l'article. Puis tri entre les photos adressées à la classe et proposées par la
rédaction de Détective.
• Correction pour chacun des
« épreuves » de sa production et validation pour le « bon à
tirer ».
L'ensemble de ces activités a
fait suite à une longue séquence sur les faits divers où textes théoriques,
articles de presse, analyses des titres des pages de faits divers, lectures de
nouvelles et de romans policiers, rédaction d'articles de presse se sont
succédé pour susciter l'intérêt d'abord, puis pour acquérir des compétences
suffisantes à la concrétisation du projet.
Bibliographie
Le double
assassinat de la Rue Morgue,
E.A. Poe ; Le Chien Jaune, G. Simenon ; Le Crime de l'Orient-Express, A. Christie ; L'assassin habite au
21, S-A. Steeman ; De
sang-froid>, T.
Capote ; La Clinique du docteur H, M. Higgins-Clark ; Il ne restera que poussière…, P. Cornwell ; René La Canne, R. Borniche ; Morgue pleine, J.P. Manchette ; La Vie de ma mère, T. Jonquet ; L'Adversaire, E. Carrère.
DOSSIER N° 4 : « C'est aujourd'hui
demain », ou de la science-fiction comme moyen pour interroger notre monde
contemporain. (2000 – 17 élèves)
Propos du dossier
(extrait de l'éditorial de l'enseignant)
«
[…] Littérature d'imagination, de fiction au sens plein du terme,
d'évasion, plongée dans l'ailleurs, la science-fiction n'est pas pour autant un
genre totalement désengagé du réel car, finalement, “elle ne fait
rien d'autre que de parler de nous, du monde autour de nous qui change et nous
change, de l'inconnu qui nous appelle, nous meut et nous effraie”. (M. Le
Bris)
En
d'autres termes, “la S.F. est cette littérature extraordinaire qui fait
de celui qui l'écrit ainsi que de celui qui la lit un être doué de ce
supplément de lucidité grâce auquel il pourra mieux voir et mieux juger le
monde qui l'entoure”. (R. Bradbury) »
Organisation du travail
• Choix par chaque élève d'un
roman de S.F. dans une liste d'une trentaine de titres proposée par
l'enseignant.
• Prise en notes d'une fiche de
lecture (auteur, résumé du livre, analyse des principaux personnages, intérêt
de l'ouvrage, thème de réflexion majeur du récit)
Activités des élèves
• Constitution de la fiche de
synthèse.
• Recherche d'illustrations et
de citations du livre pour accompagner les textes.
• Rédaction d'une argumentation
autour d'une question d'actualité soulevée par l'ouvrage (Le Meilleur des
mondes : les manipulations
génétiques et la procréation in vitro ;1984 :
les préfigurations d'un monde orwellien dans nos sociétés contemporaines ; Malevil : les
dangers du nucléaire - ex. Tchernobyl ; etc.)
• Restitution orale devant la
classe des exposés.
• Production finale : les
travaux des élèves sont classés dans un dossier à quatre entrées (1. Les
sociétés urbaines du futur : « les cités idéales ». 2. La vie en
dehors de notre planète. 3. Le monde de demain après l'Apocalypse. 4. les
dérives du progrès scientifique.) Originalité :
première et quatrième de couverture découpées dans deux feuilles de métal, avec
une fenêtre percée découvrant le titre : « C'est aujourd'hui
demain ».
Bibliographie
Nous autres, E. Zamiatine ; De la terre à le
lune, J. Verne ; L'Odyssée
de l'espace, A.C.
Clark ; Farenheit 451, R. Bradbury ; 1984, G. Orwell ; Paris au 20e siècle, J. Verne ; Ravage, R. Barjavel ; Malevil, R. Merle ; La Planète des singes, P. Boulle ; Les Fourmis, B. Werber ; Jurassic Park, M. Crichton ; La Nuit des temps, R. Barjavel ; Le Troisième jumeau, K. Follet ; Le Meilleur des mondes, A. Huxley.
« Fixons les amarres »
Nota bene : Les activités concernant l'engagement dans le
concours « Étonnants voyageurs » interviennent toujours après une
séquence sur l'écriture de presse (« Lire, écrire, analyser les faits
divers »), courant janvier : les réflexions menées sur les questions
de mise en forme (habillage) d'un article – place des illustrations,
importance des paragraphes, des caractères gras, le chapeau -, de la titraille
– sur-titres, titres, intertitres -, de l'organisation textuelle -
importance du premier paragraphe, des premières lignes d'accroche, de
l'écriture journalistique ( phrases complexes minimales ) - et des modalités
spécifiques d'écriture des gros titres, autant de compétences travaillées qui
préparent efficacement la réalisation des productions de type informatif,
explicatif réclamées aux élèves.
Sur un plan
didactique, le bilan des travaux menés pour
le concours permet de dégager des apports indéniables :
• d'obtenir d'abord l'adhésion
des élèves par la mise en place d'une démarche de projet et de créer les
conditions d'un échange plus aisé ;
• de renouveler les pratiques
pédagogiques ;
• de diversifier les modes
d'acquisition des savoirs et de tisser des liens différents :
professeurs/élèves, élèves/élèves, élèves/discipline, élève/écrivain (rencontre avec un ou deux auteurs en juin) ;
• de s'approprier, pour les
élèves, de façon personnelle, des connaissances (médiation relative de
l'enseignant) ;
• d'apprendre l'autonomie et de
développer l'esprit de recherche et d'initiative ;
• de solliciter la curiosité intellectuelle ;
• d'acquérir les bases d'une
culture classique en en oubliant le caractère prescriptif.
Sur
un mode plus prosaïque, nous retiendrons
que la production finale obtenue (exposés tirés sur imprimante, illustrés des
documents, photos, dessins scannés, puis le dossier relié) étonne toujours les
élèves : c'est le moment où le travail personnel et collectif prend toute
sa dimension et permet d'évaluer les efforts de chacun. Soudain, rassemblés,
les travaux classés à l'intérieur de chapitres, rangés sous une première et
quatrième de couverture, prennent un relief particulier, une valeur que le
volume leur confère.
Pour
l'enseignant, aussi, l'heure est venue de tirer le bilan d'une aventure qui
présentait, au tout début, plus d'interrogations que de certitudes. Au bout du
compte, le groupe n'a pas été si difficile à encadrer, à raison de huit-dix
heures au total entre février et mars, en comptant les heures de module. Le
travail de classe n'a pas pâti de l'engagement dans le concours ; au
contraire, il a offert une respiration bonifiante et bienvenue au milieu d'une
année scolaire qui commençait à s'étirer.
La
gestion des groupes, d'une classe chargée (entre 30 et 35 élèves) n'est pas non
plus un obstacle aussi insurmontable qu'il y paraissait de prime abord :
les groupes constitués, les livres distribués, le fil directeur du dossier
clairement exposé à tous, suffisent pour mettre en branle l'équipe-classe et
accompagner des élèves qui ont surtout besoin d'être rassurés, encouragés pour
se placer à la hauteur qu'ils se font du concours et des exigences, en partie
supposées, de leur professeur.
Rien
n'est moins facile précisément pour l'enseignant que de structurer le travail,
de circonscrire le thème toujours vaste d'un continent à explorer. La part qui
lui revient, c'est alors celle d'un capitaine d'équipe, d'un entraîneur de club
et d'un chef d'orchestre de groupe philarmonique : son œuvre consiste à
donner le ton et à trouver la note sur laquelle le groupe travaillera ses
gammes. À lui, avec son expérience et ses connaissances, de bâtir un cadre de
réflexion, d'élaborer un sujet qui, dans sa forme comme dans les thèmes
déclinés, traduira le mieux la culture des Caraïbes, celle de la Méditerranée,
de l'Europe du Nord, du polar ou de la science-fiction.
À
lui, aussi, la charge d'ouvrir le dossier et d'initier la mise au travail de
ses élèves, en produisant un premier texte – éditorial ou texte de
création – qui donnera « le coup de pistolet » qui signifiera le
départ d'une longue course où les efforts consentis seront de plusieurs ordres
– les qualités psychologiques n'étant pas les moindres pour conduire son
étude jusqu'au bout, car forcément les motifs de découragement ne manqueront
pas tout au long du parcours.
« Homme
libre, toujours tu chériras la mer. »
Enfin,
rien ne peut se faire sans passion : il en faut pour puiser en soi
l'énergie qui va nous amener à chercher d'abord dans nos souvenirs de lecture,
d'articles lus, de reportages visionnés à la télévision, à fouiller parmi les
cassettes d'émissions enregistrées, puis pour aller voir dans les bouquineries,
sur les tables des librairies, dans les rayons des bibliothèques, les ouvrages
et revues diverses qui pourront nous intéresser et venir nourrir la matière
dont nous avons besoin pour animer l'ensemble des activités à venir.
De
la passion, il en faut assurément pour « porter » le groupe classe,
répondre aux questions qui arrivent de toutes parts, pour encourager des élèves
à prendre un livre a priori difficile, ou répulsif car trop épais, pour
corriger, lire et relire des productions trop faibles, trop mal formulées.
Parfois même, il ne faut pas hésiter à prendre la plume, à récrire une partie
du texte soumis et demander ensuite à l'élève de poursuivre en respectant les
consignes indiquées.
De
la passion et de la patience, il en faut encore pour configurer les disquettes
remises par les élèves qui ont tapé « au propre » leur texte, sur
l'ordinateur à la maison ou au lycée. Et les bras nous tombent parfois quand, à
la relecture, nous découvrons que les erreurs corrigées sur papier ont laissé
place à d'autres, inhérentes à la frappe.
De
la passion, toujours, il en faut pour donner la dernière main aux
dossiers : choisir sur l'écran la bonne police, la couleur pour les
textes, mettre des titres ou intertitres nécessaires au dernier moment.
Impossible
de constituer un dossier pour le concours sans donner une part non négligeable
de son temps pour mettre la dernière main à la production de classe sur le
point d'être constituée.
Bref,
sans cette passion, cette « énergie solaire » (M. Onfray), rien n'est
possible, car c'est précisément elle qui nous pousse au tout début à se lancer
dans le vide, quand presque tout se dérobe à nous, et que nous avons toutes les
raisons de prendre les jambes à notre cou, de jeter l'invitation de
l'association « Joie de Livres » au panier ou de la glisser sous une
pile de documents photocopiés qui finiront en feuilles de brouillon.
« Notre âme est un trois mâts cherchant son Icarie. […] Levons l'ancre ! Appareillons ! […] »
(Baudelaire)
Au
terme de cet exposé, l'intérêt pédagogique que l'on peut tirer à s'engager dans
de telles opérations comme celle qu'offre le concours « Étonnants
Voyageurs » s'impose, je l'espère, comme une évidence.
Mais
pour finir de convaincre, laissons la parole à celui qui, avant tout autre,
savait qu'un festival de littérature de voyage et d'aventures ne pouvait
exister en Bretagne sans la présence et la participation de jeunes de la
région, « porteurs de lanternes » (Stevenson) à leur façon. Michel Le
Bris avait ainsi annoté le dossier sur les Caraïbes (1er prix
1999) : « Parce que vous avez beaucoup lu, vous avez beaucoup rêvé.
Les livres sont des portes qui ouvrent sur des mondes, qui disent le monde en
l'inventant, qui le démultiplient, le rendent divers et un peu plus habitable
pour chacun.
Le
livre, c'est ce qui nous reconduit au mystère de l'autre et à votre propre
mystère. Le livre, c'est la voie royale pour prendre la poudre
d'escampette ! »
Pascal LE BERT, enseignant de lettres
au lycée Charles de Gaulle de Vannes.