Alain Roussel, La Fiancée vespérale (2019) de
Claude-Lucien
Cauët.
Mise en ligne le 30 novembre 2023.
© : Alain Roussel.
, Claude-Lucien
Cauët, La Fiancée vespérale, aPa, 2019.
Claude-Lucien
Cauët est mort le 17 novembre 2023. Je publie à nouveau la note
que je publiais
le 13 octobre 2019 sur mon blog "Passager clandestin de la pensée" pour
La Fiancée vespérale. Alain Roussel, 30 novembre 2023.
Et si l'on parlait d'amour ? Une certaine poésie
d'aujourd'hui a déserté ces territoires de braise. Peur de s'y brûler ? Il y va
d'un certain climat de la passion qui exige une grande liberté de langage : ne
pas avoir peur des mots, se mettre à nu et oser. C'est ce que tente
Claude-Lucien Cauët dans son livre : La
Fiancée vespérale. Comme son titre l'indique, cette fiancée vient sur
le soir pour embraser les crépuscules et faire table rase du passé. Il y a dans
son long poème une alchimie intime entre deux êtres, corps et pensée : « la
fusion à brasier de nos solitudes », écrit-il. Ces deux-là sont unis par un
pacte. Leur amour est une magie pour conjurer « l'effroi » du réel et
reculer les limites, toutes les limites. L'amoureux a tous les pouvoirs et
règne par l'imagination. Le monde n'a qu'à bien se tenir. Par l'exaltation
de sa langue – « un bouquet de vocabulaire jaillit du contact de nos
peaux » –, Cauët érotise l'univers entier qu'il
relie au corps de la femme aimée. Et c'est comme une danse, celle d'Éros et de
Thanatos, au milieu des désastres d'un millénaire déjà agonisant, à peine
commencé. La vie réinventée par l'amour, c'est ainsi que je ressens ce
livre. Claude-Lucien
Cauët l'a publié par ses propres moyens, le vouant
ainsi à une circulation très, trop secrète. Un éditeur ?
Alain Roussel
EXTRAITS
à la ridelle de nos vents j'accroche des
flammes sculptées à même la chair
nous
serons marqués au front d'une étoile si
lointaine que son acmé ne pourra atteindre
nos pénates d'argile
la valse
hoquette tandis que l'œil tourne au
piquet
et nous
basculons longuement dans un océan
de plumes où les voluptés s'éternisent
À la minute alanguie sur le marbre de la
chaussée
au
souffle qui irise le lac
nos mains
de gentiane s'enveloppent d'un
parfum de bois et de mousse
marche
nuptiale à la mode parsemée de rires
dans nos mandibules déhanchées
les
canards se moquent
les
musiciens s'accordent
nous
cherchons l'égarement des contes
enfantins
...
je te montre les chaînes brisées du voleur de
feu
la pierre
à fusil déjà en fleurs
le renard
scalpé par les ongles de l'hydre
le
diamant serti dans l'ombre d'une châtaigne
il suffit
que je te prenne par la main pour que
s'éveillent les génies de la taïga qui
exaucent tous les vœux...
...
la syncope congrue balaye le défilé
je
t'emmène à la dérive des océans
là où la
roche grimpe aux rideaux des nues
je veux
te montrer sur la falaise en débris les
restes du festin des rois
et si tu
flanches aux passages scabreux je
saurai te tirer à la sourde faille
viens ma
recluse d'antan pour une nouvelle
année
viens te
coller à mon rocher de nerfs par ta
coquille tendre
incruste
ta chair en marquant la mienne aux fers
je
t'attends dans mon sampan au coin du
suroît déjà
viens te
dissoudre et m'inonder de feu
...
Né sur la cinquième corde de l'alphabet j'ai
ruiné les sauts de l'ange
naguère
ma brassée était vide et mon cœur en
attente de poignard
d'un
baiser d'encre tu m'as tiré du grabat
j'ai les
yeux frottés de ta gouaille
le monde que nous habitons est à l'aplomb
haut
créé par
la déchirure de la passion
nous y
brûlons nos vies franches de terreur
j'ai déterré pour toi les vases de parfum
laissés par la pluie dans sa fuite au cordeau
une odeur
de palissandre te revêt de sa cape
et te vante à tue-tête
d'autant
que dessous tu ne portes que la
cadence de ma main
...
je t'aime à l'aventure qui se raconte dans les
ports
à
l'incendie des palmes pour les sueurs d'avril
au
gréement des épaves reprises par la marée
je t'aime
à l'aune des meurtres au sang jailli
dans les
bouges parce que très en verve
aux
escaliers de terre farcis de pierres
philosophales
je t'aime
à l'émeute qui renverse les statues
au
torrent furieux noyant des troupeaux de
buffles
à la
digue cédant au mascaret pétri de lune
je t'aime
à la lave du volcan qui éjacule au ciel
son sperme de cristal
par un
ébranlement des villes toutes en
lumières
à
l'éclipse qui amuït la faune des savanes
je t'aime
au feu de tes prunelles en ravage de
printemps
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