RETOUR : Chronique d'Alain Roussel

 

Alain Roussel : note sur Pierre Dhainaut, « Préface à la neige ».

Mis en ligne le 9 juillet 2022.

© : Alain Roussel.

Dhainaut Pierre Dhainaut, Préface à la neige, avec des peintures de Fabrice Rebeyrolle, Éditions L'herbe qui tremble, 2022.

 

Quelle est donc cette neige qu'évoque Pierre Dhainaut dans son dernier recueil, Préface à la neige ? Le mot jaillit naturellement, sans préméditation apparente. Il apparaît dès le premier poème, avec le mot « nuit ». La blancheur et l'obscurité, cela peut sembler irréconciliable. Mais comme la neige, la nuit n'est-elle pas poudreuse, et blanche dès que l'on ferme les yeux ? C'est d'abord la neige merveilleuse de l'enfant qui se réveille à l'aube, les yeux éblouis de lumière et qui la reçoit comme une récompense, après le passage graduel, presque initiatique, par les ténèbres et l'endormissement. C'est aussi la neige de la page blanche où viendra se poser la trace, presque blanche elle aussi, de l'écriture de ce poète. Neige encore, le silence, spatial et sonore, entre les mots, et l'autre, inquiétante, qui efface tout, au bout du chemin. Serait-ce cela la préface à la neige, à la neige éternelle ? Ou celle d'un livre grand ouvert dans sa pensée où il neige continuellement des flocons de mots ?

D'autres mots viendront s'ajouter à « neige » : « poussière », « sable », rencontre », « ombre », « seuil », « or » de « horizon », « fleurs », « visage, cœur, horizon »… Ce sont des poteaux d'angle, comme dirait Henri Michaux. Ils sont là, avec leur sens énigmatique et leur matière qui est un alliage subtil, visuel et sonore, de lettres et de syllabes, sortes de phares qui orientent l'ensemble des poèmes. Nul n'est besoin de chercher à établir des rapports de signification entre eux : c'est de toute façon le poème qui les a choisis, les distribue au fil des textes selon une logique de l'inconscient dont nous n'avons pas la clef. Dans ces mots, le souffle devient parfois haletant, dans leur inlassable ressassement, à haute voix ou mentalement – je le sens ainsi –, balbutiant chaque syllabe, comme si le poète cherchait à respirer l'air du poème, « rafraichissant, agrandissant la gorge ».

Dans la coulée du vers, l'écriture est fluide, limpide. Elle jaillit d'une source insituable. C'est le lieu du poème avant le poème, un silence d'avant dire mais presque parlant, guidant la main, lui dictant « le battement des cœurs entendu aux poignets ». Il y a dans cette poésie un côté accueillant, généreux. Dhainaut laisse la porte ouverte à ses lecteurs. « Le poème est chez lui dans le poème » et nous y sommes chez nous, c'est du moins ce que je ressens. J'ai toujours été séduit par cette poésie amoureuse des mots, qui leur fait totalement confiance. Ce dernier recueil ne fait pas exception. La poésie de cet auteur est une poésie murmurante, soufflée comme un secret à l'oreille de qui veut bien entendre, peut-être aussi une façon sourde de crier.

« Ne pas interroger les poèmes, c'est à eux de poser toutes les questions », écrit-il dans les fragments en prose de la deuxième partie. Et c'est le poème qui répond. Mine de rien, tout au long du livre, c'est tout un art poétique qu'il nous livre au fil des pages. Écoutons-le :

On marche, on ne parvient pas à s'arrêter,

on traque une issue à la nuit,

aucune expression ne nous en arrache :

en disant « aube », tu n'emploies qu'un vocable,

qu'exige-t-il de toi, en outre ?

 

Ne lui reproche pas, si tu tombes, de tomber,

il a besoin de l'air, tout l'air dont tu disposes,

il détient vive une graine d'écume,

il a le sens de ce qui s'évapore,

se dissémine, se concilie aux lointains

 

la lumière.

Alain Roussel

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