RETOUR : Promenades en terres de poésie
Alain Roussel : note sur le livre de Gérard Noiret, Rue Chair et Foins. Mis en ligne le 31 juillet 2022. © : Alain Roussel.
Critique
littéraire, Gérard Noiret l'est indéniablement par les nombreuses chroniques qu'il
a publiées dans diverses revues et journaux (La Quinzaine Littéraire, la revue
Europe, Esprit, EaN…). Cependant, l'attention qu'il
porte aux écrivains – y compris les écrivains en herbe par le biais d'ateliers
d'écriture qu'il anime – ne saurait faire oublier qu'il est avant tout, essentiellement,
poète. Il ne l'est pas seulement dans sa poésie : il l'est aussi dans
toute sa démarche, comme l'atteste sa « grande forme », une vaste fresque
commencée en 1984 par des publications chez Actes Sud. Chaque livre, qui a pour
ambition d'explorer un genre de la littérature, poèmes, contes et légendes, nouvelles,
théâtre, essais et romans, s'offre à être lu séparément, à part entière, et dans
son ensemble, le tout devant constituer une œuvre qui est en voie d'achèvement. Ce sont
apparemment des scènes de la vie quotidienne saisies sur le vif, avec tendresse
et un humour discret, qu'évoque Gérard Noiret dans son dernier livre,
« Rue Chair et Foins », au titre à la fois évocateur et énigmatique. Chaque
poème commence généralement par fixer avec précision le lieu, le décor ou les
personnages, à la façon d'une mise en scène qui aurait pour théâtre le réel :
« Près d'un verre de rosé, /elle réfléchit en contre-jour/sans conflit
avec rien. » ou : « C'est une place de village où
confondre/odeurs de tilleul et promesses d'avenir./Attablée en terrasse, une
femme/songe à d'anciens possibles… » ou encore : « Des
cabanons de fibrociment et de tôles,/des plants de tomates/et, sur l'eau
verdie, une barque à l'amarre. » Une lecture hâtive aurait tendance à
étiqueter cette poésie dans le genre réaliste, privilégiant le signifié au
détriment du signifiant qui serait ainsi contraint de se soumettre à la réalité
telle qu'elle apparaît au regard. Mais une lecture plus attentive vient pourtant
corriger cette première impression. L'auteur nous avait d'ailleurs alertés en
préambule en citant Jean Lacoste (« La Philosophie d'aujourd'hui ») :
« Comment se fait-il que dans les illusions d'optique, l'on puisse à la fois
“se tromper”, ou donner une première interprétation spontanée de ce
qu'on voit, et ensuite, à force d'attention ou sous l'effet d'une sorte
d'illumination, corriger cette première interprétation ou voir les choses
autrement, sans que les “sensations” aient changé ? » Nous
l'avons dit : Gérard Noiret est un poète. Les lieux qu'il décrit – un
village, la campagne, une gare, une ville, en France ou ailleurs – deviennent
des lieux du langage où, selon son expression, « un quai de
l'Yonne » peut être « librement adapté du réel ». La
forme – le signifiant – prend le dessus et capture les anecdotes de la vie
banale pour les introduire dans une autre histoire qui est celle de la vie
intérieure de l'auteur où l'inconscient, avec toute sa charge sensitive, se
manifeste au détour d'un mot inattendu ou d'une sonorité. D'un seul coup, le
sens, qui se voulait descriptif, bascule, ouvre de nouvelles possibilités à
l'interprétation. L'espace, à partir d'une situation concrète, s'élargit
soudain à d'autres lieux ou s'élève vers l'immensité du ciel, comme dans le
poème intitulé les « bruits de la fontaine » : En retrait des boutiques riches en huile et en coppa, des voix se disputent à propos du vertige. Certaines soutiennent en avoir relevé le défi, d'autres qu'elles furent dédaignées comme autant de quantités négligeables. La querelle n'est pas nouvelle. Ici, marcher s'apprend sur les balcons défiant l'à-pic, chanter s'accorde aux parois qui déchaînent à midi les grandes orgues de lumière. Le quotidien, grâce à la poésie, révèle dans
les mots sa part d'énigme où le petit chien se métamorphose en « virgule
capricieuse » et où l'on peut vivre un triomphe « lié pour
toujours aux senteurs des foins ». Le silence est également présent
dans ce livre, surtout dans les poèmes courts aux larges intervalles comme une
manière de dire l'indicible, où l'on sent chez ce poète le désir d'écrire des
haïkus à l'occidentale, dans l'esprit et non dans la forme classique en trois
vers et dix-sept syllabes, imposée par le genre : MIGRATIONS À l'angle du cou On devine la colère De la grue abandonnée En plein ciel Pour cinq minutes de pause Au cours du vol Alain Roussel |