RETOUR : Promenades en terre de poésie

Alain Roussel, Onananirisme de Jehan Van Langhenhoven.

Mise en ligne le 30 septembre 2022.

© : Alain Roussel.

 

Chambon Jehan Van Langhenhoven, Traité d'onanirisme à usage de celles qui ont perdu la mémoire, récit, éditions Douro, 2022.


Jehan Van Langhenhoven est resté fidèle à la révolte de sa jeunesse, en ces temps où il créa, avec son ami Jimmy Gladiator, « Le Melog » puis la « Crécelle noire », deux revues à l'humour insolent, propre à décaper la vieille rouille poétique. S'il se situe – mais est-il situable ? – volontairement dans les marges de la littérature, tel un flibustier de la poésie, il n'en a pas moins publié de nombreux livres, notamment chez Losfeld, Pierre Bordas ou chez Rafael de Surtis.

Ce court récit qu'il a récemment publié, Traité d'onanirisme à usage de celles qui ont perdu la mémoire, ne saurait déroger à cette règle qui bouscule toutes les règles de la bien-pensance, à commencer par son titre évocateur. Le néologisme qu'invente l'auteur, « onanirisme », demande à être pris pour ce qu'il est, une fusion entre onanisme et onirisme, au sein de son écriture qui est aussi, comme toute écriture, un plaisir solitaire et intime.

Mais résumons l'histoire : l'écrivain est dans le train qui l'emmène de Paris à Milan. En face de lui, tout au long du voyage, une femme est assise. Il l'appelle Emma, prénom à la phonétique fortement suggestive. Il ne la connaît pas. Il la décrit comme belle et distinguée, de « bonne famille », « incontestable bourgeoise », dans « son tailleur gris à la coupe sévère ». Il ne lui adressera pas la parole. Il n'est pas là pour ça, mais pour écrire. Elle a réveillé ses fantasmes – et le voyage en train s'y prête –, mis en alerte « les facultés érogènes du verbe des hommes ». Il se met à écrire, l'imaginant dans des situations où elle dévoile, pour le moins, une volupté exacerbée, frénétique, avec Floria l'initiatrice, avec elle-même et avec les hommes. Le récit se termine à Milan, alors que, sous la plume onirique de l'écrivain, la belle passagère s'écroule sur la banquette et est emmenée en ambulance pour mourir à l'hôpital, « point fatal de cet improbable exercice littéraire ». Par ailleurs, chaque arrêt du train est l'occasion d'évoquer de grandes figures littéraires – Dijon et Aloysius Bertrand, Turin et Pavese, Milan et Dino Buzzati –, et le texte, ponctué d'une chanson d'Édith Piaf, est comme percé d'un trou dans la cloison par lequel Michel Simon, dans le personnage de Boudu, observe la scène en voyeur lubrique.

Pourtant, si Éros et Thanatos sont constitutifs de la trame, ce livre ne s'apparente pas vraiment à la littérature érotique, encore moins pornographique, même si Van Langhenhoven peut utiliser le langage le plus cru. C'est qu'en effet il y a le style – le cuit – qui nous révèle une fois de plus, sous la forme d'une lettre d'amour, que nous sommes en présence d'un poète. Ce qu'il cherche, c'est « le point exact de fusion du verbe et de la chair afin, mêlant le souvenir à l'imaginaire, d'à son tour revenir là-bas… au sortir de l'enfance/poésieÂfrisson de l'Âge d'Or… » Pourtant, à la fin du récit, il ne peut que constater son échec : « …et voilà que maintenant au plus crucial de l'aventure, le verbe se refusant soudain à se faire chair, après tant de chemin ensemble parcouru, pour la première fois elle s'employait à ainsi clairement à me signifier qu'il en était désormais fini et bien fini des supercheries, ficelles et autres subtiles ou grossières déviances de la littérature… » Et il conclut : « …s'ils peuvent tant pour la vie ni le verbe ni le rêve ne peuvent rien contre la mort… »

Alain Roussel

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