Christian Ducos
Une branche et des
miettes de brume
Éditions Le Pauvre Songe, 2011
Le troisième opuscule de
Christian Ducos vient confirmer la bonne impression dont nous avons parlé ici même. Ce
qui frappe encore au premier regard est son usage systématique de l'exergue qui
a souvent chez lui valeur de mise en garde éthique, ou d'art poétique, ou qui
constitue un véritable poème dans le poème et qui en est alors comme l'ombre
portée, par cet effet de l'italique, ce penché
de la lettre, ce fléchissement qui le donne comme le reflet ou la réflexion à
l'intérieur du poème. Chaque poème est alors comme un haïku qui serait augmenté
d'une dimension de traité. Deux genres distincts en un seul, en somme, qui
enrichissent considérablement la forme poétique élue par Christian Ducos.
Voyons
la notation liminaire du recueil :
Il faut se rendre à l'évidence.
Nous ne savons pas y aller.
Le jeu des deux phrases est assez vertigineux :
injonction et impossibilité viennent là se corroborer et se ruiner
simultanément. Se rendre à l'évidence, c'est se ranger à son ordre qui commande
la modestie. C'est donc un principe de réalisme qui préside au poème, mais un
réalisme au sens fort, en tant que la démission et le renoncement à soi peuvent
seuls faire qu'ont ait accès au réel. Admettre est se soumettre, et il n'y a
rien à moins de cela. Pas de combat ici qui ne sera victorieux en dehors de sa défaite. Dès lors le poème devra faire allégeance à la légèreté.
Tout imite en effet le mouvement de déconfiture à quoi se ramènent finalement
nos conquêtes. Ainsi de la neige :
La neige
On n'entre pas dans un paysage.
Sauf à s'y perdre.
L'art de la neige est tout entier dans sa chute.
Elle a confié son silence à l'abîme.
Elle choit
Dans la déconvenue.
La chute de la neige et la chute du poème sont la même,
soit une retombée de l'espérance, celle-ci déçue et atteinte malgré tout dans
le fait même, pour le poète, d'épouser ce mouvement, ce moment déceptif.
Comme
chez Chardin, comme chez Morandi, l'objet le plus simple suffit pour dire le
monde :
Sur la table
Le froid, le plat, le morne,
le merveilleux.
Une cruche d'émail vert.
Reflets bleutés.
Pourquoi chercherait-on à dire plus d'un objet, aussi
quelconque soit-il ? Il est en lui suffisamment de vibration, de vie, de
moire et de superbe dignité, de calme évidence, pour imposer le respect. Le
seul enjeu qui vaille à cet instant est de savoir se prendre aux rets (à la
raie, pour Chardin) de sa nudité chatoyante. Le réseau des significations d'une
apparence est tout entier en elle. La saisie du sens ne consiste donc pas à
dévider des fils mais bien à les rembobiner, à les remettre dans l'écheveau, en
quelque sorte. Composer un poème suppose de s'abstenir du moindre dérangement
ou déplacement dans l'ordre et la nature des choses. La poésie de Christian
Ducos est à cet égard extrêmement précautionneuse. De là aussi sa leçon : une
leçon qui est précisément de refuser de tirer quelque leçon du monde que ce soit.
On est, dans ce suspens, tout près des illuminations du bouddhisme zen. On est
surtout en poésie, et l'accès est permis dans un retrait qui fait place au
monde, dans un abandon – autre manière d'abonder.
Le chemin
Je regarde le ciel.
J'écoute la pluie.
Le chemin n'a rien de beau.
Il est banal.
On le suit sans seulement y penser.
Aurait-il disparu qu'on ne le remarquerait même pas.
La banalité du beau est son meilleur chemin, puisqu'il
est d'oubli. « La beauté n'est pas carrossable » avait joliment dit
Pierre-Albert Jourdan. Chez Christian Ducos, c'est tout le contraire et c'est
la même idée : on franchit son seuil quand on tombe en arrêt devant lui ;
on entre dans la beauté du monde lorsqu'on s'avise qu'elle est impénétrable.
Laurent Albarracin