RETOUR : Images de la poésie

 

Laurent Albarracin : Christian Ducos, Une branche et des miettes de brume.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 7 mai 2011.
Sur ce site, voir aussi un texte de Laurent Albarracin, De l'image.
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Christian Ducos

Une branche et des miettes de brume
Éditions Le Pauvre Songe, 2011

Le troisième opuscule de Christian Ducos vient confirmer la bonne impression dont nous avons parlé ici même. Ce qui frappe encore au premier regard est son usage systématique de l'exergue qui a souvent chez lui valeur de mise en garde éthique, ou d'art poétique, ou qui constitue un véritable poème dans le poème et qui en est alors comme l'ombre portée, par cet effet de l'italique, ce penché de la lettre, ce fléchissement qui le donne comme le reflet ou la réflexion à l'intérieur du poème. Chaque poème est alors comme un haïku qui serait augmenté d'une dimension de traité. Deux genres distincts en un seul, en somme, qui enrichissent considérablement la forme poétique élue par Christian Ducos.

         Voyons la notation liminaire du recueil :

 

Il faut se rendre à l'évidence.

Nous ne savons pas y aller.

 

Le jeu des deux phrases est assez vertigineux : injonction et impossibilité viennent là se corroborer et se ruiner simultanément. Se rendre à l'évidence, c'est se ranger à son ordre qui commande la modestie. C'est donc un principe de réalisme qui préside au poème, mais un réalisme au sens fort, en tant que la démission et le renoncement à soi peuvent seuls faire qu'ont ait accès au réel. Admettre est se soumettre, et il n'y a rien à moins de cela. Pas de combat ici qui ne sera victorieux en dehors de sa défaite. Dès lors le poème devra faire allégeance à la légèreté. Tout imite en effet le mouvement de déconfiture à quoi se ramènent finalement nos conquêtes. Ainsi de la neige :

 

La neige

 

On n'entre pas dans un paysage.

Sauf à s'y perdre.

 

L'art de la neige est tout entier dans sa chute.

Elle a confié son silence à l'abîme.

Elle choit

Dans la déconvenue.

 

La chute de la neige et la chute du poème sont la même, soit une retombée de l'espérance, celle-ci déçue et atteinte malgré tout dans le fait même, pour le poète, d'épouser ce mouvement, ce moment déceptif.

Comme chez Chardin, comme chez Morandi, l'objet le plus simple suffit pour dire le monde :

 

Sur la table

 

Le froid, le plat, le morne,

le merveilleux.

 

Une cruche d'émail vert.

Reflets bleutés.

 

Pourquoi chercherait-on à dire plus d'un objet, aussi quelconque soit-il ? Il est en lui suffisamment de vibration, de vie, de moire et de superbe dignité, de calme évidence, pour imposer le respect. Le seul enjeu qui vaille à cet instant est de savoir se prendre aux rets (à la raie, pour Chardin) de sa nudité chatoyante. Le réseau des significations d'une apparence est tout entier en elle. La saisie du sens ne consiste donc pas à dévider des fils mais bien à les rembobiner, à les remettre dans l'écheveau, en quelque sorte. Composer un poème suppose de s'abstenir du moindre dérangement ou déplacement dans l'ordre et la nature des choses. La poésie de Christian Ducos est à cet égard extrêmement précautionneuse. De là aussi sa leçon : une leçon qui est précisément de refuser de tirer quelque leçon du monde que ce soit. On est, dans ce suspens, tout près des illuminations du bouddhisme zen. On est surtout en poésie, et l'accès est permis dans un retrait qui fait place au monde, dans un abandon – autre manière d'abonder.

 

Le chemin

 

Je regarde le ciel.

J'écoute la pluie.

 

Le chemin n'a rien de beau.

Il est banal.

On le suit sans seulement y penser.

Aurait-il disparu qu'on ne le remarquerait même pas.

 

La banalité du beau est son meilleur chemin, puisqu'il est d'oubli. « La beauté n'est pas carrossable » avait joliment dit Pierre-Albert Jourdan. Chez Christian Ducos, c'est tout le contraire et c'est la même idée : on franchit son seuil quand on tombe en arrêt devant lui ; on entre dans la beauté du monde lorsqu'on s'avise qu'elle est impénétrable.

Laurent Albarracin

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