RETOUR : La littérature dans les classes
Claude Berger : Quatre poèmes français traduits en anglais L'année scolaire 1991-1992, dans la khâgne du lycée Chateaubriand de Rennes, le programme de littérature française
pour le concours de l'ENS de Fontenay (maintenant ENS Lyon) comportait, entre quatre Ïuvres, Les Contemplations de Victor Hugo et
le recueil d'Yves Bonnefoy,
Poèmes. Claude Berger (1933-2014) et ses élèves se passionnèrent pour l'exercice et il en sortit quatre traductions, de deux fragments de grands poèmes de Hugo et de deux courtes pièces de Bonnefoy. Claude Berger communiqua à André Hélard le texte de ces travaux avec ce commentaire : « Tentative bien audacieuse de traduction, chargée d'imperfections, mais qui m'a donné, néanmoins, quelques grandes joies (C.B.). » Nous le reprenons ici en hommage à celui qui fut notre collègue et notre ami, et pour saluer la valeur d'un travail réalisé dans une classe. André Hélard et Pierre Campion. Mise en ligne le 29 juin 2019.
Quatre poèmes français traduits en anglaispar Claude BergerYves Bonnefoy, Poèmes, « Une voix » (Poésie/Gallimard, p. 219) Nous vieillissions, lui le
feuillage et moi la source, Lui le peu de soleil et moi la
profondeur, Et lui la mort et moi la sagesse
de vivre. J'acceptais que le temps nous
présentât dans l'ombre Son visage de faune au rire non
moqueur, J'aimais que se levât le vent
qui porte l'ombre Et que mourir ne fût en obscure
fontaine Que troubler l'eau sans fond que
le lierre buvait. J'aimais, j'étais debout dans le
songe éternel. We both grew
old — he the foliage, I the spring He that
morsel of sunshine, and depth I, And he
was death, I the wisdom of living. Consenting that time should
in the dark show us His visage of a faun with its unmocking
laugh, Well pleased was
I that the shade–bearing wind should
rise And that
in shady well, to die should be no more Than cloud the bottomless
water that slaked the ivy. I loved,
upright I stood in the eternal dream. Yves Bonnefoy, Poèmes, « Sur un ƒros de bronze » (ibid. p. 218) Tu vieillissais dans les plis De la grisaille divine. Qui est venu, d'une lampe, Empourprer ton horizon nu ?
L'enfant sans hâte ni bruit T'a découvert une route. — Ce n'est pas que
l'antique nuit En toi ne s'angoisse plus. Le même enfant volant bas Dans la ténèbre
des voûtes A saisi ce cÏur et l'emporte Dans le feuillage inconnu. On a brass
Cupid You grew
old among the folds Of divine greyness. Who was it
came, and with a lamp Incarnadined your bare
horizon? Without haste or noise The child
has found a road for you. — Not that
the ancient night ín you no longer feels anguished. The same
child, low flying, In the gloom
of the vaults Has grasped
this heart and carries it away Amid the unexplored foliage. * * * Victor Hugo, Les Contemplations, VI, 9, « A la fenêtre pendant la nuit », vv. 85 à 108. Qui sait ? que savons-nous ? Sur notre horizon sombre, Que la création impénétrable
encombre De
ses taillis sacrés, Muraille obscure où vient battre
le flot de l'être, Peut-être allons-nous voir
brusquement apparaître Des
astres effarés ; Des astres éperdus arrivant des
abîmes, Venant des profondeurs ou
descendant des cimes, Et,
sous nos noirs arceaux, Entrant en foule, épars,
ardents, pareils au rêve, Comme dans un grand vent s'abat
sur une grève Une
troupe d'oiseaux ; Surgissant, clairs flambeaux,
feux purs, rouges fournaises, Aigrettes de rubis ou
tourbillons de braises, Sur
nos bords, sur nos monts, Et nous pétrifiant de leurs
aspects étranges ; Car dans le gouffre énorme il
est des mondes anges Et
des soleils démons ! Peut-être en ce moment, du fond des nuits funèbres, Montant vers nous, gonflant ses vagues de ténèbres, Et ses flots de rayons, Le muet Infini, sombre mer ignorŽe, Roule vers notre ciel une grande marée De constellations. « Looking out of the window at night » Who knows? What do we know? Against our dark horizon Which unfathomable creation clusters o'er With its sacred
tangles, – A sombre wall
whereon the living creature's
heave will break – Under our
eyes, perchance, will suddenly appear Affrighted stars (variante : Bewildered
stars) Distracted stars arising from the deep, Out of the abyss
or down from the heights, Under
our murky arches Streaming in a host, a straggling fiery crowd, a dreamy flood, Like a flock of birds
sweeping down on the strands
In
a great squall of wind. Bright torches, untainted flames, glowing furnaces, Ruby crests
or whirls of embers Looming up on our banks and hills, Leaving us petrified in their weird appearance For the mighty
deep does enclose in its realm Angel-worlds and Devil-suns. Perhaps in this instant, rising towards us from the nights of death
Heaving its floods of rays and billows of darkness
The voiceless Infinite, sea of gloom unexplored,
Is rolling towards our sky
A mighty surge of stars.
Victor Hugo, Les Contemplations,
VI, 16, « Horror », vv.
115 à 138 Horror Oui, le penseur en vain, dans
ses essors funèbres, Heurte son âme d'ombre au
plafond de ténèbres ; Il
tombe, il meurt ; son temps est court ; Et nous n'entendons rien, dans
la nuit qu'il nous lègue, Que ce que dit tout bas la
création bègue A
l'oreille du tombeau sourd. Nous sommes les passants, les
foules et les races. Nous sentons, frissonnants, des
souffles sur nos faces. Nous
sommes le gouffre agité ; Nous sommes ce que l'air chasse
au vent de son aile ; Nous sommes les flocons de la
neige éternelle Dans
l'éternelle obscurité. Pour qui luis-tu, Vénus ?
Où roules-tu, Saturne ? Ils vont : rien ne répond
dans l'éther taciturne. L'homme
grelotte, seul et nu. L'étendue aux flots noirs
déborde d'horreur pleine ; L'énigme a peur du mot ;
l'infini semble à peine Pouvoir
contenir l'inconnu. Toujours la nuit ! jamais l'azur ! jamais
l'aurore ! Nous marchons. Nous n'avons
point fait un pas encore ! Nous
rêvons ce qu'Adam rêva ; La création flotte et fuit, des
vents battue ; Nous distinguons dans l'ombre
une immense statue, Et
nous lui disons : Jéhovah ! Horror Vainly indeed does
the thinker in his dismal soarings Hit his
dark soul against the canopy of gloom; He
falls, he dies; swift are his sands;
And nothing
do we hear, in the night he leaves us Save the low
whisper of halting creation Stammered into the ears
if the unhearing tomb. We are the passers-by, the crowds and the races, All a-shiver
we feel breaths
on our faces We are the turbid gulf We are but what the air blows away with
his wings, Flakes
of eternal snow In
eternal darkness. For whom
do you shine, O
Venus? Where do you
go rolling, O Saturn? They move on: no answer is given and the skies are mute. Man
shivers, naked and solitary. The black-watered
reaches overflow, horror filled; The riddle
dreads the word; hardly does the Infinite seem Able
to contain the Unknown. The Night always!
Never the azured sky, never the dawn! We walk; yet have not made one step: We dream Old Adam's
dream. Creation floats and flies,
buffeted in the wind; Looming out through the gloom, a shape immense we see And
cry out its name: Jehovah! Claude Berger, traductions |
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