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Pierre Campion : Note de lecture sur L'Exécution du roi de Jean-Clément Martin.
Mise en ligne le 9 février 2021.

© Pierre Campion

 Jean-Clément Martin, L'Exécution du roi, 21 janvier 1793. La France entre République et Révolution, Perrin, 2021.


Dernières nouvelles de la Révolution française
Note sur L'Exécution du roi de Jean-Clément Martin

Les travaux d'envergure sur la Révolution française étaient devenus rares. Or, coup sur coup, en l'espace de quelques semaines, voilà que paraissent deux ouvrages ambitieux et présentant, à certains égards, des approches originales : le premier en date est celui d'Emmanuel de Waresquiel, Sept jours[1] ; le deuxième, celui de Jean-Clément Martin, L'Exécution du roi[2]. Deux périodisations argumentées, deux récits minutieux, deux perspectives absolument opposées.

Jean-Clément Martin est un universitaire chevronné, Emmanuel de Waresquiel vient des périphéries de l'Université. Il n'y a pas deux livres plus dissemblables, ni par le projet, ni par le style, ni dans l'esprit. Et cependant, pour la compréhension de la Révolution en son ensemble, l'un et l'autre déterminent des périodes courtes : une semaine chez Waresquiel (du 17 au 23 juin 1789), moins de six mois chez Martin, de la chute du roi (10 août 1792) à sa mort le 21 janvier 1793.

 

À lire le titre, on pourrait penser que le livre de Jean-Clément Martin va raconter l'une de ces « journées qui ont fait la France » et les beaux jours d'une collection connue. Il n'en est rien.

« Certainement beaucoup trop rapide » écrit-il, son avant-propos néanmoins est clair. Dans les premiers travaux de la Convention, Jaurès — il n'est pas nommé à ce propos — avait décrit un moment presque paisible où les députés nouvellement élus à la Convention collaboraient à l'Ïuvre de la Révolution : « Les rivalités de partis n'avaient pas encore abouti aux scissions et aux exclusions irréparables et, tout en se haïssant déjà, les hommes de la Gironde et de la Montagne s'aidaient les uns les autres et se suggéraient mutuellement d'audacieuses pensées[3]. » 

Ici, au contraire, Jean-Clément Martin va raconter une bataille immédiate, ouverte et féroce entre les deux factions, dont le prétexte est le sort d'un roi déjà déchu et l'enjeu véritable celui de l'hégémonie sur l'Assemblée, sur la République (née le 22 septembre 1792) et sur la Révolution elle-même, bataille qui se résoudra de manière sanglante et par rebonds : le 31 octobre 1793 avec l'exécution des Girondins, en mars et avril 1794 avec celles des Hébertistes et des Dantonistes, et en Thermidor, avec ce que Michelet appelait l'assassinat de Robespierre et voyait comme la fin de la Révolution.

En octobre 93, la Convention se bornera à faciliter la tâche du Tribunal révolutionnaire par un décret opportun ; en avril 94, proprement retournée par Robespierre, elle empêchera Danton, déjà arrêté, de paraître devant elle ; en Thermidor, elle mettra Robespierre et ses amis en état d'arrestation, ce qui était de fait les vouer à la mort. À tous ces moments, dans des débats enfiévrés, confus et complexes, l'Assemblée jouera un rôle capital dans la Révolution, au mépris des droits garantis par la République.

En 1792-93, la bataille libère bien un passage « entre République et Révolution », c'est-à-dire entre les principes de la République et ceux de la Révolution : entre deux souverainetés, entre deux légitimités déposées dans le sein de la même Assemblée nationale.

C'est le sens du mot d'exécution choisi et justifié par Martin ­— « une peine capitale appliquée après sentence d'un tribunal » (p. 7-8) — et de la décision de la Convention, soulignée par lui, de se saisir de cette prérogative, de juger le roi. Le roi ne sera pas condamné par un tribunal mais par la représentation nationale, érigée par elle-même, au mépris de la séparation des pouvoirs, en juridiction[4]. Tel est, pour Jean-Clément Martin, l'événement du 21 janvier 1793, dont le sens réside donc ailleurs qu'en lui-même, dans l'histoire de la Révolution elle-même. Et telle est la force de sa problématique.

 

Là où beaucoup d'historiens et souvent le public veulent voir la dimension mythique d'un meurtre rituel ou en tout cas un événement capital dans l'histoire de la Révolution et de la France, Jean-Clément Martin discerne une signification essentiellement politique : « [É] l'exécution a été le résultat de tractations et de conflits, de calculs et de compromis, bref, elle n'a pas été une cérémonie sacrificielle mais un acte de politique et politicien » (p. 12).

Héritier du moins en cela de François Furet, il demande aux historiens de la Révolution de sortir des mythes divers dans lesquels elle-même et la postérité l'ont enfermée jusqu'à nous, et d'exercer leur métier, c'est-à-dire de s'en tenir à l'établissement et à la compréhension des faits.

Par là, il est fondé à donner un sens essentiellement politique à la Révolution tout entière et même à suggérer comment, jusqu'à nos jours, elle avait devancé toutes les occasions où des assemblées ont eu à ouvrir ou à fermer le passage d'une république à une révolution. Dans les six mois de vie parlementaire que Jean-Clément Martin définit et détaille, il y a toutes les configurations que, plus tard, mettront en Ïuvre des minorités agissantes pour forcer les verrous d'un État de droit.

 

Le livre s'attachera donc non seulement aux faits dûment attestés et vérifiés mais à désamorcer en toutes occasions le fait même de la mort du roi, à le priver de son aura, par exemple lorsque se feront jour, dès son moment puis dans les commentaires de l'historiographie, la comparaison ici jugée indue entre Charles Ier d'Angleterre et Louis XVI de France.

Le caractère symbolique de la mort du roi, la solennité que revêtit son exécution, le retentissement qu'elle prit dans toute l'Europe puis dans l'histoire du pays, tout cela reste impressionnant. Jean-Clément Martin s'emploie à le relativiser en montrant notamment que les royalistes comme les républicains n'ont jamais, par la suite, agi vraiment pour réviser moralement ni réparer politiquement le procès ni l'exécution du roi.

 

Affaire de cohérence dans la vision et dans l'exécution mais aussi d'écriture, car on s'interdira alors, autant que possible, les effets de style — de personnalisation dans la narration, d'images, de lyrisme et d'éloquenceÉ —, entendons par là qu'on n'inscrira pas l'écriture de l'histoire dans la littérature. Absolument a contrario, voici l'état d'esprit de Michelet, quand, en janvier 1853, à Nantes, il enterre à même le texte de son Histoire l'année 1793 et salue celle de 1794 : « Je plonge avec mon sujet dans la nuit et dans l'hiver. Les vents acharnés de tempêtes qui battent mes vitres depuis deux mois sur ces collines de Nantes, accompagnent de leurs voix, tantôt graves, tantôt déchirantes, mon dies irae de 93. Légitimes harmonies ! je dois les remercier. Bien des choses qui me restaient incomprises, m'ont apparu claires ici dans la révélation de ces voix de l'Océan (janvier 1853)[5]. »

Évidemment, nul historien n'est tenu d'écrire comme Michelet, et ce serait même une usurpation absurde de style et de point de vue. Jean-Clément Martin ne prétend pas écouter en lui-même le génie de la Révolution française lui parler à travers les voix de la Nature.

 

Cependant, il se pourrait que, avant le passage « de la France entre République et Révolution », un autre passage se soit produit, celui que choisit Waresquiel, entre la souveraineté des rois et celle de la première Assemblée nationale, issue des États généraux par la décision du Tiers État : passer clairement des souverains d'Ancien Régime à la souveraineté de la Nation, par un acte d'assemblée accompli pourtant, lui aussi, dans la confusion de débats obscurs et politiciens.

Car chacun de ces deux historiens, à travers la construction qu'il en décide, passe de la réalité des faits à la vérité de ces faits — à une certaine vérité, qu'il assume.

Il n'y a rien là que d'évident et de légitime. C'est le travail de l'historien.

Pierre Campion



[1] Emmanuel de Waresquiel, Sept jours. 17-23 juin 1789, La France entre en révolution, Paris, Tallandier, septembre 2020.

[2] Jean-Clément Martin, L'Exécution du roi. 21 janvier 1793. La France entre République et Révolution, Paris, Perrin, janvier 2021.

[3] Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, [1904, puis Mathiez 1968-1972], réédition Albert Soboul, Paris, Les Éditions sociales, 4 volumes, 2014-2015, volume 4, p. 12.

[4] Le Tribunal révolutionnaire, demandé par Danton, sera mis en place le 10 mars 1793, près de deux mois après le jugement et la mort du roi.

[5] Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, édition publiée sous la direction de Paule Petitier, 2 tomes, 2019, tome II, p. 817.

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