© : Pierre Campion.
Lionel Bourg et Paul Rebeyrolle
Écrire aux défis d'un peintre
Le paradoxe. Un tout petit livre, format 11.1 x 0.6 x 16 cm, dix proses brèves,
pour évoquer l'œuvre de Paul Rebeyrolle, torrentielle et multiforme, énorme,
démesurée.
Aucune reproduction dans ce format, c'est matériellement impossible.
Ici, tout est confié à la seule force de l'écriture, de même que, dans les
petits formats des Flamands, la peinture s'abandonnait à la seule et modeste
virtuosité.
Tout, c'est-à-dire écrites comme en passant mais nettement
construites : la vie de Rebeyrolle et ses écoles, sa conviction et sa
morale, son esthétique et son idée motrice. Un développement allusif qui
va de la naissance du peintre à Eymoutiers jusqu'à sa mort : « Nul ne lui ôtera rien maintenant. »
Qu'est-ce donc cela que, de son vivant, l'on aurait voulu ou pu lui ôter ?
Que lui-même pouvait perdre, par imprudence, par quelque mauvais geste, par un manquement
dans la volonté… ?
Paul Rebeyrolle : une esthétique non esthétisante, qui
s'oppose à l'art du paysage tout en paysageant la vie en grands formats, une
solitude volontaire dans les milieux de l'art, une résolution farouche. Un effort
énorme contre tout fléchissement.
Lionel Bourg : une approche par le non-paysage qui
conduit à Eymoutiers et par la propre vie du peintre.
La formation de Rebeyrolle : les maîtres classiques et les initiateurs,
Soutine et Rouault ; la tentation à un moment, dans le désert où il s'est
retranché, de la peinture américaine, là-bas. Le désert est plein de
tentations.
Le refus de l'abstraction, décisif.
Un engagement politique hors sectes, slogans et catéchismes.
Une manière, un métier.
Des séries.
Des sujets : les corps et les choses, la mort et la
putréfaction, la violence reçue et infligée…
L'idée de Rebeyrolle : pénétrer la chair impénétrable
du monde, éviscérer tout vif le vivant et le non-vivant, donner forme au vide
de la vie par une saturation : « Sa
vitalité fut trop riche, Sa conscience trop exigeante. Trop amoureux ses liens
avec la nature et les hommes, les rochers vacillants sur l'arête des choses, les
herbes, les animaux. L'artiste le plus politique de son époque […]. »
« De grands artistes fustigèrent l'horreur ou l'injustice, les
massacres perpétrés çà et là par la soldatesque, un crime, une tragédie, les
exactions commises dans des rizières lointaines, quelques assassinats, des
boucheries, les insupportables travers d'une structure sociale par ailleurs
acceptés. Ils en firent des tableaux. Des tableaux simplement. Moraux.
Magnifiques. Rebeyrolle ne mange pas tout à fait le même pain. »
Les allusions, l'ironie, le retournement de la formule consacrée,
cela dit mieux que des imprécations.
À tout ce trop, à tout ce plus, à tout ce plein,
— heureuse surprise ! — Lionel Bourg répond par une
écriture retenue, simplement tendue : il ne fait pas les pieds au mur dans
les carrefours de l'intelligentsia, il
ne fait pas dans la trivialité étudiée et encore moins dans la
grossièreté d'époque.
L'idée du peintre, cela peut se saisir, s'écrire sous un
petit format. Cette idée, apprise et
constituée en peignant : la seule grâce que nous fasse la vie, quand on y
regarde bien, c'est la vie elle-même, dénuée de toutes grâces.
Lionel Bourg défie une peinture qui défie la peinture et il
tente discrètement les limites de la littérature : il ne pratique pas les vaticinations
en usage.
Ce sont des phrases à sujet, verbe, compléments, à
incidentes légères, ou bien sans verbe. Ce sont des
espèces de poèmes en prose, des images plutôt discrètes. C'est une vision de
Rebeyrolle, intériorisée : à intérioriser.
Pierre Campion