RETOUR : Coups de cœur

 

Pierre Campion : lecture du livre de Lionel Bourg, L'Œuvre de chair.
Mis en ligne le 12 février 2021.

© : Pierre Campion.

Sur ce site, lire 2 recensions d'Alain Roussel sur deux recueils de Lionel Bourg :
sur Et des chansons pour les sirènes
et sur C'est là que j'ai vécu

Bourg Lionel Bourg, L'Œuvre de chair. Paul Rebeyrolle, la peinture et la vie, Fario, 2021.


Lionel Bourg et Paul Rebeyrolle
Écrire aux défis d'un peintre

Le paradoxe. Un tout petit livre, format 11.1 x 0.6 x 16 cm, dix proses brèves, pour évoquer l'œuvre de Paul Rebeyrolle, torrentielle et multiforme, énorme, démesurée.

Aucune reproduction dans ce format, c'est matériellement impossible. Ici, tout est confié à la seule force de l'écriture, de même que, dans les petits formats des Flamands, la peinture s'abandonnait à la seule et modeste virtuosité.

 

Tout, c'est-à-dire écrites comme en passant mais nettement construites : la vie de Rebeyrolle et ses écoles, sa conviction et sa morale, son esthétique et son idée motrice. Un développement allusif qui va de la naissance du peintre à Eymoutiers jusqu'à sa mort : « Nul ne lui ôtera rien maintenant. » Qu'est-ce donc cela que, de son vivant, l'on aurait voulu ou pu lui ôter ? Que lui-même pouvait perdre, par imprudence, par quelque mauvais geste, par un manquement dans la volonté… ?

Paul Rebeyrolle : une esthétique non esthétisante, qui s'oppose à l'art du paysage tout en paysageant la vie en grands formats, une solitude volontaire dans les milieux de l'art, une résolution farouche. Un effort énorme contre tout fléchissement.

Lionel Bourg : une approche par le non-paysage qui conduit à Eymoutiers et par la propre vie du peintre.

La formation de Rebeyrolle : les maîtres classiques et les initiateurs, Soutine et Rouault ; la tentation à un moment, dans le désert où il s'est retranché, de la peinture américaine, là-bas. Le désert est plein de tentations.

Le refus de l'abstraction, décisif.

Un engagement politique hors sectes, slogans et catéchismes.

Une manière, un métier.

Des séries.

Des sujets : les corps et les choses, la mort et la putréfaction, la violence reçue et infligée…

 

L'idée de Rebeyrolle : pénétrer la chair impénétrable du monde, éviscérer tout vif le vivant et le non-vivant, donner forme au vide de la vie par une saturation : « Sa vitalité fut trop riche, Sa conscience trop exigeante. Trop amoureux ses liens avec la nature et les hommes, les rochers vacillants sur l'arête des choses, les herbes, les animaux. L'artiste le plus politique de son époque […]. »

« De grands artistes fustigèrent l'horreur ou l'injustice, les massacres perpétrés çà et là par la soldatesque, un crime, une tragédie, les exactions commises dans des rizières lointaines, quelques assassinats, des boucheries, les insupportables travers d'une structure sociale par ailleurs acceptés. Ils en firent des tableaux. Des tableaux simplement. Moraux. Magnifiques. Rebeyrolle ne mange pas tout à fait le même pain. »

Les allusions, l'ironie, le retournement de la formule consacrée, cela dit mieux que des imprécations.

À tout ce trop, à tout ce plus, à tout ce plein, — heureuse surprise ! — Lionel Bourg répond par une écriture retenue, simplement tendue : il ne fait pas les pieds au mur dans les carrefours de l'intelligentsia, il ne fait pas dans la trivialité étudiée et encore moins dans la grossièreté d'époque.

L'idée du peintre, cela peut se saisir, s'écrire sous un petit format. Cette idée, apprise et constituée en peignant : la seule grâce que nous fasse la vie, quand on y regarde bien, c'est la vie elle-même, dénuée de toutes grâces.

 

Lionel Bourg défie une peinture qui défie la peinture et il tente discrètement les limites de la littérature : il ne pratique pas les vaticinations en usage.

Ce sont des phrases à sujet, verbe, compléments, à incidentes légères, ou bien sans verbe. Ce sont des espèces de poèmes en prose, des images plutôt discrètes. C'est une vision de Rebeyrolle, intériorisée : à intérioriser.

Pierre Campion

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