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Pierre-Henry Frangne. L'art et la réalité du réel.

Pierre-Henry Frangne est maître de conférences en philosophie de l'art à l'université de Rennes 2 Haute Bretagne (UFR Arts, Lettres et Communication). Il a notamment fait paraître La Négation à l'œuvre. La philosophie symboliste de l'art (1860-1905), coll. Aesthetica, Presses Universitaires de Rennes, 2005 ; Alpinisme et photographie (1860-1940), (avec M. Jullien et P. Poncet), L'Amateur, 2006 ; les éditions critiques de deux utopies baroques : Charles Sorel, La Description de l'île de Portraiture (1659), L'Insulaire, 2006 ; et Francis Godwin, L'Homme dans la Lune (1638), L'Insulaire, 2007.
Dernière parution : L'Ombre de Monteverdi. La querelle de la musique moderne (1600-1638), (en collaboration avec X. Bisaro et G. Chiello), coll. Aesthetica, PUR, septembre 2008.

Cette étude est le texte d'une conférence faite le jeudi 3 mai 2007 à l'École Régionale des Beaux-Arts de Rennes lors d'un colloque organisé en collaboration avec l'Institut National de l'Audiovisuel. Ce colloque était intitulé « Plus vrai que nature. En quoi la télévision a-t-elle transformé notre rapport au réel ? »

© Pierre-Henry Frangne.

Mis en ligne le 28 octobre 2008.


L'art et la réalité du réel

Non, nous ne reconnaissons pas ce qui est, nous y coupons de toutes les manières, parfois pour des raisons parfaitement honorables, souvent par des motifs flatteurs, par les échappatoires de tous les idéalismes, et même par celles de prétendus matérialismes. Mais surtout, il y a là une sorte de distraction toute naturelle, une incapacité trop humaine à envisager les choses en tant qu'elles sont. […] Cependant la réalité, elle, ne manque jamais de se rappeler à nous. Quel étonnement !

Pierre Campion[1]

Nous savons, captifs d'une formule absolue, que, certes, n'est que ce qui est.

Stéphane Mallarmé[2]

C'est du côté du poète et du philosophe qu'on trouve la communauté d'objectif à laquelle l'artiste participe. Leur principale préoccupation, comme celle de l'artiste, est d'exprimer sous une forme concrète leurs notions de réalité.

Mark Rothko[3]

Je voudrais mobiliser dans cette étude les instruments philosophiques et esthétiques afin d'envisager en quatre moments articulés la question de la réalité (première partie), la façon qu'a la philosophie de construire et d'accueillir la réalité (seconde partie), les principales modalités du rapport de l'art à la réalité (troisième partie), enfin, la manière dont la télévision donne une forme à la fois séduisante, dangereuse et paradoxalement déréalisante à notre réalité (quatrième partie).

Par ce rapide chemin théorique, je voudrais ainsi faire l'éloge du chemin lui-même. Parce qu'il nous apprend le sens de la patience, de la médiation, du décentrement, de l'inquiétude face à l'étrange et face à l'étranger, le chemin nous donne le sens de la réalité. Car c'est en reconnaissant l'extériorité, l'opacité et la rétivité de la réalité à laquelle nous nous affrontons et par laquelle nous devons nécessairement passer que l'on échappera sans doute aux illusions du narcissisme. Si le narcissisme consiste à penser la réalité extérieure comme une réalité intérieure qui ne se sait pas comme telle, alors l'art et la philosophie (mais aussi la science et sans doute d'autres activités) seront les plus sûrs moyens de sortir de ses illusions. Mais cette sortie ne saurait jamais être définitive. Elle est un processus sans fin, c'est-à-dire un continuel effort tant la pente naturelle de notre esprit est cette « distraction » par laquelle nous fuyons la réalité en cherchant à nous y retrouver.

1) La réalité du réel

La question de la réalité est la plus simple, la plus importante de toutes, mais également et évidemment la plus difficile. a) Elle est la plus simple parce que la réalité est ce qu'il y a de plus proche et de plus immédiat. On peut même dire que la question de la réalité est la question de l'immédiateté et de la proximité mêmes ; celle de notre contact et de notre immersion qui ne demande aucune approche, aucune distance ni aucun préalable : un fait. b) Elle est la plus importante aussi parce qu'elle est la plus radicale (au sens où elle est à la racine de notre perception, de notre pensée et de notre action), la plus enveloppante et la plus fondamentale au sens où elle fait le fond de toutes les autres questions que la philosophie (mais aussi le mythe, la science, l'art, etc.) se pose : fond métaphysique et ontologique qui engage des perspectives, des normes ou des choix théoriques et existentiels qui déterminent les descriptions et les explorations de ce qu'une philosophie entend par réalité, par concept de réalité. c) En conséquence, cette question est aussi la plus difficile parce qu'elle suppose que ce qui est premier, ce que nous expérimentons tous concrètement (la réalité est le fond sur lequel se détache toute chose), ne l'est que par la décision philosophique en laquelle la réalité se distingue de ce qui n'est pas elle : un concept, une idée, un idéal, mais aussi une apparence, un phénomène, une représentation, un simulacre, une illusion, etc. Comme le dit Heidegger dans Le Principe de raison :

[…] notre relation à ce qui nous est proche est depuis toujours émoussée et sans vigueur. Car le chemin des choses proches, pour nous autres hommes, est de tout temps le plus long, et pour cette raison le plus difficile[4].

À la lumière des trois remarques préliminaires que je viens de faire, la difficulté est double : 1) la réalité est une donnée évidente et immédiate, une réalité qui n'est pas complètement donnée mais qui est en partie construite ou élaborée ; 2) la réalité dépend de ce qui n'est pas elle (ce à quoi nous l'opposons) ; mais ce qui n'est pas elle lui appartient cependant et également (la réalité n'est pas une apparence par exemple, mais l'apparence est bien quelque chose de réel même si ce quelque chose appartient à un degré moindre de réalité). On peut donc bien définir la réalité, conformément à l'étymologie (res), comme ce qui fait le fond unique, un, nécessairement et toujours identique à soi, stable et permanent, univoque ; mais ce fond ne peut apparaître lui-même et paradoxalement que sur un fond encore plus profond : celui d'une différence ou d'une coupure originaire qui est vraiment première entre la réalité et ce qui n'est pas elle mais qui lui appartient quand même. On peut tirer de là cinq conséquences :

1) Il n'y a pas de définition intrinsèque de la réalité puisque dans sa définition, il faut faire intervenir ce qui est exclu de la réalité, non pas la non-réalité intégrale, mais un autre de la réalité, une relation au sein de la réalité avec une altérité qui en permet la constitution et le jeu.

2) La question de la réalité suppose que nous n'y soyons pas complètement immergés ou noyés ; qu'il y ait entre nous et la réalité une extériorité, extériorité sans laquelle la réalité ne serait pas une question pour nous. Et cette extériorité est celle du langage, de la représentation et de la pensée. La mise à distance de la réalité est la condition de possibilité d'un étonnement philosophique face à la réalité. Cet étonnement Hegel par exemple l'explique très bien :

L'homme que rien n'étonne encore continue de végéter dans l'hébétude et l'apathie. Rien ne l'intéresse, et rien n'est pour lui puisqu'il n'est pas encore séparé et affranchi pour lui-même des objets et de leur existence singulière immédiate. Mais celui qui, d'autre part, n'est plus étonné de rien, considère la totalité de l'extériorité comme quelque chose sur quoi il s'est mis au clair, de sorte qu'il a transformé les objets et leur existence en la compréhension spirituelle consciente de soi de ceux-ci. L'étonnement en revanche apparaît seulement là où l'homme, arraché à sa connexion la plus immédiate et première avec la nature, ainsi qu'à la proche relation suivante, simplement pratique, du désir, se retire spirituellement de la nature et de sa propre existence singulière, et cherche et voit désormais dans les choses quelque chose d'universel, quelque chose qui est en soi et qui demeure. C'est alors seulement que les objets naturels frappent son attention, ils sont un autre qui doit cependant être pour lui et où il s'efforce de se retrouver lui-même, de retrouver des pensées et de la raison. Car le pressentiment de quelque chose de supérieur et la conscience de l'extériorité sont encore indissociés, et pourtant, entre les choses naturelles et l'esprit existe en même temps une contradiction dans laquelle les objets se montrent tout aussi bien attirants que repoussants, et le sentiment de cette contradiction, accompagné d'une forte tendance à la supprimer, engendre précisément l'étonnement[5].

3) La réalité n'est pas indépendante de son élaboration langagière, théorique, et même culturelle ou historique. Elle est le posé (le terme et le fruit) d'une construction et d'un ensemble de médiations que l'homme agence. C'est dans cet aspect peut-être que, selon le texte de Hegel, la réalité possède quelque chose d'« attirant ».

4) La réalité est aussi le présupposé de ce travail qui considère qu'il ne peut pas faire autrement que de se confronter immédiatement et incessamment avec la réalité ; mais cette fois-ci avec une réalité donnée massivement dans toute sa présence, son opacité et sa rétivité, c'est-à-dire dans ce que Hegel qualifiait de « repoussant ». Cette présence, cette opacité et cette rétivité doivent forcément déborder les efforts de la pensée qui cherchent constamment à les réduire à une transparence et à une maîtrise théorique ou pratique. Ce qui veut dire que la réalité dans son immédiateté ne se laissera jamais complètement arraisonner par les médiations de la pensée et de l'action.

5) La réalité n'est pas une construction intégrale parce que, si c'était le cas, elle deviendrait une pure représentation arbitraire et donc une sorte de fiction entièrement maîtrisée et cohérente : cette fiction serait une sorte de déni de la réalité. La réalité n'est pas non plus complètement immédiate, parce que, si c'était le cas, elle serait pure présence et pure opacité interdisant le langage, la représentation et la pensée qui porteraient sur elle. La réalité se tient donc forcément à l'intersection inconfortable, de la construction ou de la médiation d'un côté, et de l'immédiateté c'est-à-dire du donné brut et brutal du monde d'un autre côté. La réalité n'est pas tant quelque chose de fixe, de stable et d'absolument pérenne comme l'indiquait l'étymologie du terme : dans la mesure où elle se trouve à une intersection, la réalité est une relation, et donc un processus : elle est le développement interminable (et non le dépassement) d'une contradiction entre deux aspects : celui de l'intériorité du langage et la pensée qui construit la réalité et son sens ; celui de l'extériorité et de l'altérité de la réalité qui ne se réduit jamais aux représentations qu'on peut en faire. Ce développement est un processus de réalisation. Ce processus suppose d'éviter deux écueils qui produiraient une déréalisation ou d'une irréalisation : a) une déréalisation par intériorisation, construction ou « fictionalisation » du monde duquel on ne reconnaît plus aucune extériorité ou altérité : le monde ne serait plus en ce sens qu'une réalité intérieure qui n'opposerait plus aucun résistance ; une illusion ou un rêve ne renvoyant à rien d'autre que lui-même, c'est-à-dire finalement un simulacre ; b) une déréalisation par extériorisation si brutale de la réalité que celle-ci n'apparaîtrait plus pensable ou abordable autrement que par un contact immédiat, vivant, massif, qui ne pourrait se dire et se penser. Ou plutôt, qui ne pourrait se dire ou se penser autrement que par un discours muet et stérile (si l'on peut s'exprimer ainsi) : le discours de la tautologie qui dit que A est A, que la réalité est réelle, que ce qui existe est ce qui existe, que ce que vous voyez est ce que vous voyez, what you see is what you see (Franck Stella), what is done is done (Macbeth de Shakespeare), n'est que ce qui est (Mallarmé, La Musique et les Lettres).

Il semblerait que la réalité soit l'entre-deux ou l'équilibre instable de ces deux mouvements croisés, inverses et symétriques. Ces deux mouvements sont à la fois deux écueils à éviter dans leur unilatéralité, mais ils sont également (et tout aussi bien) deux modes d'accès à la réalité s'ils sont pris ensemble et s'ils tentent, malgré tout, de se rejoindre. Doivent être pris ensemble a) l'acte de scission et de différenciation qui permet la construction de la réalité (l'introduction en elle de la négation, de l'altérité, de la différence, de plusieurs niveaux de réalité) ; b) l'acte d'adhésion à la réalité qui permet de s'assurer que la réalité est bien la réalité, là devant moi et que je lui appartiens.

2) Dualité métaphorique et unité tautologique

Or ces deux mouvements ont constitué l'ensemble de l'histoire de la philosophie. D'un côté, cette histoire s'est constituée par la séparation, au sein de la réalité, de niveaux de réalité qui se différencient, se hiérarchisent et se reflètent selon une logique de l'altérité et de la métaphore. D'un autre côté, elle s'est constituée selon la logique inverse de l'identité ne pouvant s'exprimer autrement que par la tautologie qui dégage un sens strictement littéral.

Du premier côté, la philosophie pense le réalité à partir de ce que Clément Rosset a appelé dans Le Réel et son double une logique de la duplication, du dédoublement ou de la réitération[6]. Cette logique permet de construire la réalité à partir de l'opposition entre deux faces de la réalité qui s'opposent et qui se réfléchissent dans cette opposition : a) la réalité empirique considérée comme sans consistance ontologique, sans signification, absurde, insignifiante, « idiote » comme dit Rosset c'est-à-dire simple et particulière ; b) la réalité réelle si l'on peut dire, c'est-à-dire la réalité essentielle et substantielle qui possède le sens du réel et qui constitue le fond onto-thélogique, originaire, archaïque (au sens de l'archè grecque qui n'est pas un commencement chronologique mais un principe logique) de la réalité. Ce fond est l'objet d'une pensée métaphysique et spéculative qui permet de comprendre qu'une chose ou qu'un événement de la réalité empirique immédiate n'acquièrent de sens que s'ils ne se réduisent pas à ce qu'ils sont mais que, au contraire, ils se débordent et se déportent par rapport à eux-mêmes vers la réalité cachée qui en est le sens et la raison. Notre réalité ici-bas n'est alors que la doublure trompeuse de la réalité (ailleurs et en haut) qui en est le modèle. Penser la réalité, c'est penser le transfert entre ces deux niveaux de réalité qui permettent, à partir d'une logique métaphorique du passage entre l'image et son modèle, de sortir de l'hébétude et de l'idiotie du réel pour rentrer dans sa construction et dans sa signification : pour entrer dans une métaphysique ou une pensée de l'autre dont le platonisme est le modèle.

Notre pensée de la réalité est donc complètement entée sur une culture de la haine ou de l'interdit de la littéralité, c'est-à-dire sur l'idée selon laquelle les images, le langage et même les choses sont des signes s'effaçant devant leur signification : images, langages, choses sont, comme dit saint Augustin, « capables de nous faire venir à l'esprit quelque chose d'autre, au-delà de l'impression que la chose par elle-même produit sur nos sens[7] ». Le fond sur lequel (et à partir duquel) nous pensons dans la perspective d'une philosophie spéculative[8] est donc celui de l'interprétation dégageant toujours derrière les allegoria in verbis comme derrière les allegoria in factis, le vrai, le profond, le caché et le substantiel sens du monde. Le préjugé fondamental à partir duquel nous pensons très volontiers est celui de l'existence d'un fond originaire dont nous sommes coupés mais auquel nous sommes reliés cependant par la relation symbolique qui procure de façon oblique l'essence derrière l'apparence, l'invisible derrière le visible, l'intelligible derrière le sensible, l'ineffable derrière le langage, l'absolu suréminent derrière la précarité et la fugacité de nos apparitions terrestres. C'est cette pensée de l'origine et de la présence qui confère à la figure et au sens figuré un privilège par leur vocation auratique, épiphanique et théologique faisant de la rose par exemple l'image ambigu‘ mais resplendissante et frappante des martyrs au milieu des épines cruelles de leurs persécuteurs ou de leurs bourreaux. Bref, le sens propre et littéral montre ; mais il doit s'effacer devant (et être remplacé par) le sens figuré et sa puissance de désignation ou de dévoilement.

C'est cette pensée séparant et hiérarchisant le littéral et le figuré qui constitue l'horizon métaphysiquement optimiste de notre pensée de la réalité. Car nous avons, dans sa perspective, communication à l'être (ou à la réalité) et nous possédons une authentique disponibilité du sens s'étageant degré par degré jusqu'à l'absolu auquel nous sommes reliés par un lien de participation. Ainsi, la très célèbre distinction médiévale qui reçoit son expression la plus simple chez Dante, entre le sens littéral et le sens figuré, tropologique ou allégorique, contient-elle cette fonction et dimension que l'on pourrait qualifier de lumineuses. Dans l'Épître XIII, Dante en effet exprime ce qu'il répétera de manière un peu modifiée dans le Banquet (Il Convivio) : le sens n'est pas simple mais « on peut le dire polysème » ; il se sépare entre le sens littéral ou historial qui dit et enseigne les faits, et le sens mystique ou allégorique — que l'on appelle allégorique, dit Dante — en ce que ce terme est « un mot venant du grec alleon, qui se dit en latin alienus, à savoir : différent[9] ». Or ce sens allégorique est lui-même scindé en trois sens distincts : le sens allégorique au sens strict, qui dit ce que l'on doit croire, le sens moral qui dit ce qu'il convient de faire, et le sens anagogique qui dit ce à quoi il faut tendre. Derrière le sens « qui ne s'entend pas au-delà de la lettre » se cache « comme sous un manteau » une « vérité dissimulée sous un beau mensonge » qui doit permettre une édification ou une instruction sous la lumière des « souveraines choses de la gloire éternelle[10] ». C'est donc toujours ce feuilletage interprétatif qui prévaut dans la lecture du texte biblique, de toutes les œuvres poétiques et même de toutes les institutions humaines comme la société politique (cf. les deux corps du roi[11]) ; c'est toujours cette conception scalaire du sens en parfaite adéquation avec l'idée d'une échelle de l'être, d'une hiérarchie ontologique ou de sa diffusion émanatrice, qui fait de l'existence humaine une existence capable de dépasser ses propres limites ainsi que celles du langage, de manière à ressaisir l'archè ineffable dont elle est issue.

De cette archè, l'homme est issu, mais il est aussi et en conséquence irrémédiablement séparé. L'optimisme s'accompagne alors inévitablement d'un pessimisme métaphysique tout aussi ténébreux que l'optimisme était solaire. Car si le sens est échelonné, si nous devons nous élever dialectiquement de sens en sens, du plus visible au plus invisible, si nous avons besoin de toutes ces médiations, de tous ces rapports analogiques et de tous ces transferts de sens que suppose l'opération de figuration et de métaphorisation, c'est que nous sommes coupés de l'être véritable en son absolue transcendance et réalité ; c'est que notre existence est déchue, c'est que « la vie est un songe » (Calderon) et l'homme « le rêve d'une ombre » (Pindare). Déchue signifie qu'elle est vouée à l'illusion, à la déchirure, à la dissémination, à l'individuation et l'inadéquation ; et donc à un sentiment qui ne vient ni d'une humeur ni d'un caractère psychologique, parce qu'il est celui d'une condition : ce sentiment est une pure tristesse d'être ; il est une fondamentale mélancolie qui saisit notre dénéantise ; et cette mélancolie est d'autant plus triste que l'homme possède intérieurement la trace, l'empreinte, le chatoiement ou le souvenir de l'unité originaire absolument réelle. Le terme montanien de « dénéantise de l'homme » désigne parfaitement ce topos de notre culture se déployant de Plotin jusqu'à Benjamin, Heidegger et Sartre en passant par Schopenhauer et Baudelaire par exemple. Ce topos repose sur l'équivalence entre symbolisation ou figuration et aliénation, scission ou écart ; il repose sur l'idée que la double signification (littérale et figurée) est le reflet de la dualité même de l'homme s'abîmant dans les images triviales, littérales et non métaphoriques des choses et des signes tout en conservant la nostalgie d'un lien transparent (mais qui échappe toujours) avec le suprasensible et la véritable réalité. Reprise du vieux thème augustinien, la dénéantise permet de voir « les choses périssables comme périssant et déjà péries » selon l'expression pascalienne[12] ; elle voit notre misère et le fait que nous soyons comme les philosophes honnis par Baudelaire, des « fils de la pourriture ». Ce vieux thème relaye évidemment l'idée néoplatonicienne que l'on trouve par exemple chez Denys l'Aréopagite, idée selon laquelle les symboles nous révèlent la perfection et la réalité par leur imperfection même de fait comme de droit. De fait, parce que l'imperfection ou la scission est notre lieu irrémédiable ; de droit car cette imperfection doit toujours mieux mesurer et sentir sa distance infranchissable et irrémissible d'avec la parfaite réalité. L'inadéquation est à la fois un poison et un remède, une condition et ce qui permet d'en sortir en la comprenant par « des similitudes pleines d'altérité ». Le symbole est cet instrument qui nous vient de notre misère et qui doit la faire voir pour avoir une chance de nous communiquer le sens de notre grandeur. C'est dans cette perspective que Denys l'Aréopagite, à la fin du chapitre II de La Hiérarchie céleste, nous dit que les théologiens mystiques font bien d'utiliser la figure de la Lumière pour désigner les intelligibles, celle du Soleil pour parler de la Justice mais qu'ils font encore mieux de désigner par « des métaphores d'origine vulgaire » le principe divin : « La métaphore la plus indigne de toutes et qui semble plus inadéquate : n'est-ce pas en effet sous la forme d'un ver de terre que les admirables interprètes des mystères divins nous l'ont représentée [la Théarchie, le dieu qui est archè][13] ? »

Que le ver de terre soit tour à tour la métaphore de l'homme, du philosophe ou de Dieu, indique toujours que la référence à ce qui est dans l'immédiateté du vulgaire, du trivial et de l'ordinaire soit toujours l'objet d'une transfiguration interprétative. Notre fond culturel est donc bien celui d'une poéticité généralisée qui affecte la philosophie et l'art. Tous deux semblent reposer et s'unir en effet sur une conception du sens où se résorbe la différence entre le spéculatif et le poétique par identification de la métaphore à la métaphysique dont les deux transferts (transfert de sens pour la métaphore ; transfert du visible à l'invisible pour la métaphysique) « ne seraient qu'un seul et même transfert » selon l'expression de Ricœur[14] qui se réfère à l'idée heideggérienne que « le métaphorique n'existe qu'à l'intérieur du métaphysique ». Cela veut dire qu'il y a toujours une métaphoricité du discours philosophique reposant toujours sur la même présence et souveraineté du sens figuré qui amenait par exemple Schopenhauer à dire que « toute pensée originale procède par images[15] ». C'est cette métaphoricité qui irrigue l'ensemble de notre tradition onto-théologique cherchant à penser la totalité de la réalité.

Mais dans la pensée de la réalité, un autre côté existe. Philosopher, c'est aussi sortir de l'équivocité pure du purement métaphorique afin de conquérir l'univocité pure du sens littéral à même la réalité empirique. Le sens littéral dit qu'une chose est ce qu'elle est dans une tautologie se trouvant (par rapport à la métaphore) sur l'autre bord opposé du langage. Le premier texte philosophique est donc bien celui où s'extirpent du poème et du symbolique (le Poème de Parménide) les deux concepts de l'être et du néant (de l'être qui est et du néant qui n'est pas). De cette manière, on comprend que l'on ne peut dire le sens littéral et le sens propre de la réalité que de façon seulement tautologique. De cette manière, la philosophie est nécessairement tautologique et littérale : il en va de l'identité du concept et de son travail de connaissance de ce qui est. Il en va de ce travail dont Hegel a répété qu'il relève de la monochromie[16] ou de la grisaille peinte dans la grisaille du réel[17] :

Pour dire encore un mot sur la prétention d'enseigner comment doit être le monde, nous remarquons qu'en tout cas, la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation. Ce que le concept enseigne, l'histoire le montre avec la même nécessité : c'est dans la maturité des êtres que l'idéal apparaît en face du réel et après avoir saisi le même monde dans sa substance, le reconstruit dans la forme d'un empires d'idées. Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut pas la rajeunir avec du gris sur du gris, mais seulement la connaître. Ce n'est qu'au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol.

La philosophie est nocturne ou occidentale, et le concept est gris par essence, car ils ne font que répéter les choses ; et ces choses sont elles-mêmes grises dans la mesure où elles ne sont que comme elles sont, sans un autre monde auxquels elles donneraient accès et dont elles seraient la copie ou la dilution.

La tautologie est nécessaire au penser afin d'échapper au là-bas, à l'ailleurs, à l'au-delà. John Locke critiquait les tautologies ou les propositions identiques parce qu'elles relèvent, selon lui, d'un jeu gratuit :

C'est juste [dit-il] comme un singe qui lancerait une huître dÔune main à l'autre et qui dirait, s'il avait des mots pour le dire : « l'huître de la main droite est sujet, l'huître de la main gauche est prédicat » ; il aurait ainsi fait une proposition évidente sur l'huître : l'huître est l'huître et pourtant ne serait pas devenu d'un iota plus sage ou plus savant[18].

Dans un chapitre des Nouveaux essais concernant l'entendement humain intitulé des « propositions frivoles » ou des « propositions triviales[19] », Leibniz lui répondait au contraire que, certes les tautologies n'ont pas de caractère démonstratif, mais elles ont au moins une utilité qui consiste à nous assurer que nous ne sommes pas dans l'absurdité du non-sens et que les choses sont bien ce qu'elles sont, qu'une huître est bien une huître, que le réel est bien le réel dans « une évidence, dans le directement visible, sans le secours et la médiation du raisonnement. Il y a un moment où cesse le domaine des preuves, où l'on bute sur la chose elle-même, qui ne peut se garantir d'autre part que de par elle-même[20] ». Clément Rosset dit que « c'est le moment où la discussion s'arrête et où s'interrompt la philosophie ». Je pense qu'il a raison si l'on comprend la philosophie uniquement sur le mode platonicien et selon la logique du dédoublement ou de la métaphore sur laquelle cette philosophie repose et qui lui permet de désigner une chose par une autre. Je pense aussi que Rosset a tort (et il le dit lui-même dans Le Démon de la tautologie[21]) parce qu'on peut dire aussi que la philosophie commence avec la tautologie, avec son univocité, son évidence, qui nous défend des arrière-mondes et de toute autre définition de la réalité comme n'étant ce que ce qui est, même si ce qui est possède intrinsèquement une puissance de diversification, d'altération et de démultiplication. La tautologie nous révèle a) l'unicité de la réalité (il n'y a qu'un seul monde), b) son immanence, sa trivialité ou sa banalité, c) son aspect inflexible qui nous sort des illusions consolantes, illusions qui sont consolantes parce qu'elles nous éloignent de ce qui est proche c'est-à-dire de la réalité comme absolue proximité.

Ce que nous apprend la philosophie au terme de cette partie, c'est qu'il n'y a de réalité que pour celui qui est capable de s'éloigner de ce qui est proche et de se rapprocher de ce qui est éloigné ; de parcourir le chemin (odos, voir Parménide, Hegel et Heidegger) paradoxalement le plus difficile parce qu'il est le chemin vers ce qui est là. Même chez Platon pour lequel le monde intelligible et divin est plus réel que le monde sensible, la philosophie doit toujours finalement redescendre vers le monde sensible afin de le connaître. Même chez lui, il y a un souci et une idée pour ce qu'il y a de plus humble : « Es-tu aussi perplexe, Socrate, au sujet de choses qui pourraient paraître ridicules, comme le poil, la boue, la saleté ou tout autre chose insignifiante et sans valeur[22] ? » Même chez Hegel qui déploie une philosophie spéculative de l'esprit et de l'Absolu, il est étonnant de noter que, dans la Phénoménologie de l'esprit par exemple, la signification c'est-à-dire l'effectuation de l'esprit est indétachable des grands événements de l'histoire humaine et de ceux (minuscules) de la vie banale : comme le travail et le service d'un valet par exemple, le désir des choses comme des autres (leur manque), la violence sociale et politique (la révolution, la guerre), le bavardage culturel (l'ironie du neveu de Rameau), la souffrance et la mort concrètes. Il y a chez Hegel une herméneutique de la vie quotidienne préoccupée des choses mêmes de ce monde et non d'un au-delà ou d'un autre côté du monde[23]. Avec lui, la pensée se pense en pensant les modalités de sa propre « incorporation concrète[24] » au sein de la vie ordinaire[25]. Ce qui se joue dans cette volonté de « séjourner dans la présence de ce monde », cÔest cette découverte moderne qui se passera aussi un siècle après Hegel et qui s'exprime naïvement, comme le rappelle aussi Pierre Macherey, dans cette page célèbre de La Force de l'âge de Simone de Beauvoir :

Raymond Aron passait l'année [nous sommes en 1930] à l'institut français de Berlin et, tout en préparant une thèse sur l'histoire, il étudiait Husserl. Quand il vint à Paris, il en parla à Sartre. Nous passâmes ensemble la soirée au Bec de Gaz, rue Montparnasse ; nous commandâmes la spécialité de la maison : des cocktails à l'abricot. Aron désigna son verre : « Tu vois, mon petit camarade, si tu es phénoménologue, tu peux parler de ce cocktail, et c'est de la philosophie ! » Sartre en pâlit d'émotion, ou presque ; c'était exactement ce qu'il souhaitait depuis des années : parler des choses, telles qu'il les touchait, et que ce fût de la philosophie […] : dépasser l'opposition de l'idéalisme et du réalisme, affirmer à la fois la souveraineté de la conscience et la présence du monde, tel qu'il se donne à nous[26].

Tu peux parler de ce cocktail, et c'est de la philosophie à une époque où tu peux montrer ce cocktail (ou un porte-bouteilles et bientôt une boîte de soupe industrielle) et c'est de l'art. Je crois que Hegel est bien celui qui, du côté d'une conception systématique de la philosophie et de l'art comme pensées de l'absolu ou de l'esprit, nous donne pourtant et paradoxalement le sens de cette contingence, de cette finitude et de cette humilité des choses ordinaires : ce que l'on pourrait appeler avec Maurice Merleau-Ponty un existentialisme[27]. Car pour lui, le sens de la réalité ne doit pas se garder pur au sein de l'illusoire jouissance autarcique d'une réalité divine émancipée de la finitude et identifiant, du haut de son éternité, contingence à absurdité. Au contraire, le sens de la réalité se joue, et dans la tautologie déployée du concept, et dans la littéralité du signe des choses, de leur prosaïsme ou de leur vulgarité. De cette littéralité et de ce prosaïsme, il n'est jamais coupé. On peut même dire qu'il s'y aliène comme à l'évanescence et à la finitude qui demeurent immaîtrisables complètement et qui font de l'homme un être foncièrement ouvert, créateur de possibles, sans essence propre, profondément inquiet et à jamais insatisfait dans une réalité qui le déborde toujours.

 

3) L'art et la réalité

On peut tirer les conséquences de ces deux pôles théoriques à l'œuvre dans la philosophie et en ce qui concerne l'art. Vont se dégager alors différentes postures de l'art occidental, art foncièrement réaliste c'est-à-dire se pensant depuis les Grecs comme un moyen de connaissance du réel.

1) Première posture, conforme à la métaphoricité du réel et du symbole : celle qui consiste à considérer la beauté d'une chose par sa participation à l'Idée qui en est la raison. Pourquoi la maison est-elle belle ? demande Plotin. Il répond :

C'est parce que l'être extérieur de la maison, si l'on fait abstraction des pierres, n'est que l'idée intérieure, divisée selon la masse extérieure de la matière et manifestant dans la multiplicité son être indivisible[28].

S'abstraire de la division de la réalité empirique, voici le mouvement ascendant par lequel on se convertit à la contemplation de la beauté. À l'inverse, si l'âme ne pense « qu'à des objets mortels et bas… elle trouve son plaisir dans la laideur… elle mène une vie obscurcie par le mélange du mal, une vie mélangée en partie de mort[29] ».

C'est comme si un homme plongé dans la boue d'un bourbier ne montrait plus la beauté qu'il possédait, et comme si l'on ne voyait de lui que la boue dont il est enduit ; la laideur est survenue en lui par l'addition d'un élément étranger, et s'il doit redevenir beau, c'est un travail pour lui de se laver.

La réalité empirique et ordinaire est une vie laide, multipliée, déchue, impure, recouverte et opaque. Sortir de cette réalité, c'est conquérir l'unité par une conversion qui est une contemplation qui permet elle-même une purification. En la dépouillant de ses vêtements et en retranchant la matière comme le sculpteur fait avec le bloc de marbre, l'âme procède bien à un allégement de la vie et elle accède à l'unité, à la splendeur, au silence et à la transparence de la beauté.

Enfuyons-nous donc de notre chère patrie, voilà le vrai conseil qu'on pourrait nous donner. Mais qu'est cette fuite ? Comment remonter ? Comme Ulysse, qui échappa, dit-on, à Circé la magicienne et à Calypso, c'est-à-dire qui ne consentit pas à rester près d'elles, malgré les plaisirs des yeux et toutes les beautés sensibles qu'il y trouvait. Notre patrie est le lieu d'où nous venons, et notre père est là-bas. Que sont donc ce voyage et cette fuite ? Ce n'est pas avec nos pieds qu'il faut l'accomplir ; car nos pas nous portent d'une terre à l'autre […], mais il faut cesser de regarder et, fermant les yeux, échanger cette manière de voir pour une autre, et réveiller cette faculté que tout le monde possède […][30].

Cette faculté, c'est l'âme. Substituer à un regard charnel un regard intellectuel et intérieur, tel est donc le propre de la sagesse qui possède ici une dimension à la fois éthique et esthétique. L'art ne peut produire la beauté que s'il abandonne la réalité prosaïque qui nous apparaît sous la multitude de ses aspects et de ses figures, afin de contempler une idée sans forme au sens de sans configuration. L'art, dans son régime platonicien, nous propose donc un voyage mental et métaphysique hors du réel quotidien. Ce voyage possède deux propriétés principales : il est une traversée du sensible ; comme tel, il est un instrument de réminiscence. Par traversée du sensible, il faut entendre un passage par le sensible pour, à la fin, s'en émanciper : il faut passer par la division du sensible (double division : a) des choses distantes entre elles, et b) du sujet et de l'objet car, pour voir, il faut être à distance de ce que l'on voit, pour la résorber et obtenir une vision intellectuelle simple. Par instrument de réminiscence, il faut entendre ce par quoi notre esprit se souvient de notre origine divine et du monde intelligible : le souvenir n'est pas ici affaire de mémoire qui ne fait que retenir les instants fragmentés du temps ; le souvenir est ici une anamnèse qui nous ramène à ce qui est au delà du temps, au silence insécable de l'éternité.

On aurait tort de penser que cette conception spéculative et religieuse de l'art est seulement archaïque. Elle irrigue l'art médiéval certes (cf. le vitrail), ainsi que l'art renaissant et classique qui considéraient le tableau comme cosa mentale ou comme dessin intérieur (disegno interno, dessein). Elle irrigue aussi l'art moderne et contemporain : la poésie de Baudelaire violemment scindée entre le Spleen et l'Idéal (première section des Fleurs du mal) et cherchant à fuir « les miasmes morbides », les « ennuis et les vastes chagrins » ; la peinture de Gauguin dont le critique Aurier dira en 1891 « c'est du Platon interprété par un sauvage de génie » ; les romans de Proust dans lesquels le temps perdu et retrouvé ouvre à « l'extratemporalité » de l'œuvre d'art ; l'art surréaliste soumis à l'exigence de création de ce que Breton appelle en 1935 « le trésor d'un mythe collectif » ; la peinture iconoclaste de Malevitch significativement appelée par lui « suprêmatiste » ; la peinture de Rothko. Tous ces artistes s'appliquent à penser l'œuvre comme un espace sacré, un templum, un lieu de mémoire, mais de mémoire pensée comme manifestation s'opposant à la représentation. Tous pourraient dire comme Walter Benjamin commentant justement Baudelaire : « Dans quelque mesure que l'art vise le beau et si simplement même qu'il le “rende”, c'est du fond même des temps […] qu'il le fait surgir[31]. » C'est d'une réalité fondamentale et cachée dont l'œuvre se fait le témoin.

2) La seconde posture est celle de la représentation. Qu'est-ce que représenter ? C'est transporter ou plutôt transposer dans l'intérieur de l'espace d'un tableau par exemple, le modèle extérieur. L'Atelier de Vermeer (1675) en est la figure emblématique. Car ce tableau la met en œuvre, lui qui montre un peintre de dos mettant à l'intérieur de sa toile la pose d'un modèle féminin et lui qui fait surplomber toute la scène d'une seule représentation complète du monde extérieur, à savoir une grande carte géographique des Provinces Unies. L'acte de peindre n'est peut-être pas l'acte de cartographier ; mais la cartographie est ici ce par rapport à quoi la peinture est déterminée et pensée, le modèle théorique qui attire et appelle à lui la peinture[32]. Qu'est-ce que cartographier[33] ? Cartographier, c'est figurer l'extérieur, non pas par des images qui ont une similitude ou une ressemblance avec lui, mais par des signes qui le représentent. La carte ne montre pas ; elle n'indique pas non plus. Elle renvoie indirectement non pas à la chose même mais au signe conventionnel de cette chose. Une carte ne représente le monde avec ses frontières, ses cadres, ses lieux qu'à partir d'une dissemblance fondamentale et d'une déformation. Pour que cette dissemblance puisse représenter, il faut convenir d'un code qui règle l'arbitraire reliant le signe à ce qu'il signifie. Par là, la carte est bien une abstraction et la réduction du monde à des figures géométriques. La vision est en elle une signification et une figuration, c'est-à-dire la transposition du réel dans un univers géométrique de part en part pensable. Ce que nous dit L'Allégorie de l'art de la peinture de Vermeer, c'est que peindre c'est engendrer un espace dont l'intériorité est coupée (encadrée) de la réalité extérieure, mais qui peut communiquer avec elle par la médiation d'un système de signes. Mais pour ce faire, Vermeer a dû abandonner toute référence à la métaphysique néoplatonicienne de la lumière pour peindre à partir d'une physique de la vision. Pour Vermeer, le tableau est une machine, une machine à représentations. Il est fondamentalement un agencement au sens qu'Aristote donnait dans son analyse de la tragédie grecque. C'est l'écart, la différence, les liens qui existent entre les éléments constitutifs de la représentation (et entre la représentation et la réalité) qui produisent la signification et l'art comme instrument de connaissance de la réalité : sans autre monde qui puisse la fonder, la réalité accède à une mise en forme qui en assure l'intelligibilité. L'intelligibilité de ce qui est, telle est la tâche de l'art dans son modèle aristotélicien et dans sa finalité de transfiguration d'une réalité. Sans cette transfiguration, la réalité demeurerait inintelligible, c'est-à-dire désordonnée, contingente, fugitive, perpétuellement fuyante.

3) Troisième posture[34] : celle qui propose à l'art la possibilité de production d'apparences irréelles, subjectives, fugaces, fragmentaires à même les choses prosaïques. Ces apparences sont complètement dévaluées métaphysiquement et ontologiquement, mais elles possèdent l'exigence de faire voir la réalité empirique comme le mouvement pur d'apparition et de disparition qui constitue le sensible lui-même. On aborde ici par exemple l'interprétation de l'impressionnisme tel que Mallarmé puis Bataille en fixèrent pour nous le sens. Quand Mallarmé regarde l'Olympia de Manet[35], il voit une « blême courtisane flétrie », une Vénus[36] (celle du Titien) et la représentation conventionnelle, héritée de la tradition, d'un nu féminin. Mais surtout, il voit que la référence mythologique et historique n'occulte absolument pas ce que Mallarmé appelle leur « origine ». Or cette origine ou cette nudité, est double. Elle est celle de la perception immédiate d'une « nudité » féminine en sa « vérité » présente et sensible. Elle est aussi celle de la peinture elle-même qui ne se voile pas derrière la représentation mais se montre à nu comme un art de la matière colorée. Si Manet est un grand peintre, c'est qu'il « replonge[37] » dans l'essence de son art et dans celle de la vue. L'impressionnisme est cette peinture qui donne à voir, en deçà de la représentation picturale et du tableau, le geste manuel de son propre engendrement ainsi que le mouvement par lequel nous voyons des choses. Or ce mouvement de la visibilité est une dialectique du visible et de l'invisible, l'entre-deux qui permet le passage de l'un à l'autre et qui explique que l'impressionnisme soit une peinture de l'atmosphère, de l'ambiance et de l'air. L'air y « règne en réalité absolue » parce qu'il est l'opérateur invisible de tous les échanges, de toutes les « métamorphoses », c'est-à-dire du « chatoiement » du visible avant que l'on ait quelque chose à voir. Ceci explique que l'impressionnisme ne soit pas, selon Mallarmé, un art de la composition (ou de la représentation) dans la mesure où cette palpitation doit pouvoir être vue en n'importe quelle partie du tableau sans se référer à un unique point de fuite et à un unique point de perspective imposés par les lois artificielles de la géométrie euclidienne. N'assignant pas une place au spectateur, ni une position au peintre, le tableau de Manet n'est pas une imitation au sens traditionnel mais une image en laquelle les choses, l'auteur, le spectateur s'abolissent dans un pur et impersonnel regard de voyant[38]. À l'époque où Flaubert écrit un livre sur rien, Edouard Manet peint une peinture littérale, peinture qui n'est rien d'autre que touches de couleur et d'onguent posés de telle manière qu'elle s'y donne impersonnellement et comme telle (pas de Moi, pas de narration). En parlant de l'Olympia, Bataille écrit ainsi la tautologie suivante :

Son dur réalisme qui, pour les visiteurs du salon, était sa laideur de « gorille », est pour nous le souci qu'eut le peintre de réduire ce qu'il voyait à la simplicité muette, à la simplicité béante, de ce qu'il voyait. Manet se sépare du réalisme en ceci que le réalisme de Zola situe ce qu'il décrit : le réalisme de Manet – celui du moins que l'Olympia – eut une fois le pouvoir de ne le situer nulle part, ni dans le monde sans charme que révèle le mouvement du langage prosaïque, ni dans l'ordonnance convulsive de la fiction[39].

Cela veut dire que le tableau impressionniste ne nous fait rien voir d'autre que lui-même ; que les objets ou les événements que nous avons sous les yeux dans une extrême proximité (c'était le cas de la peinture de Vermeer) ; que, plus profondément encore, le mouvement même du sensible, la « pulsation immanente » de laquelle émerge ce qu'il y a à voir et par laquelle il y a une réalité pour nous : ce que Ruskin appelait devant les aquarelles de Turner « l'innocence de l'œil. ».

4) La quatrième posture serait celle d'une complète identification de l'art et de la réalité amenant une vidange intégrale de tout contenu qui permettrait d'affirmer comme le fait Franck Stella que « ce que vous voyez est ce vous voyez », et donc qu'il n'y a rien à dire de l'œuvre, rien à interpréter au sens traditionnel de la détermination de niveaux cachés de signification. L'œuvre (ready-made, collage ou montage cubistes, performance) n'est plus une image décollée (une fiction) de la réalité. Elle ne renferme plus rien et nous émancipe de ce que l'on a appelé « le mythe de intériorité ». Elle est la réalité complètement étalée si l'on peut dire ; elle est une intervention sur la réalité parce que la réalité est en elle et qu'elle n'est plus un refuge hors d'elle. L'œuvre, à l'époque de l'art contemporain, est entrée dans l'ère de sa banalisation et de sa non métaphoricité, c'est-à-dire de sa littéralité tautologique.

4) Simulacre, narcissisme et télévision

Ce que la philosophie et l'art nous apprennent sur notre rapport à la réalité est ce que l'on pourrait traduire en termes psychologiques par un anti-narcissisme : la posture d'un moi décentré qui fait l'épreuve d'une réalité extérieure incessamment reprise dans un processus de représentation ou d'intériorisation.

Pourquoi Narcisse meurt-il en voyant l'image de lui-même ? Parce que Narcisse se voit en se prenant illusoirement pour un autre. Il ne s'identifie pas, et ce faisant, le face-à-face avec soi-même est une démence parce qu'il se croit face-à-face avec un autre. Ne pas se reconnaître, telle est la faute. Se perdre dans des reflets où l'on ne sait plus où est le modèle où est l'image, telle est l'irrémédiable perdition. Voir permet de réunir ce qui est séparé, de mettre en rapport, de penser, de découvrir le réel par le détour d'une médiation. C'est pour cela que Philostrate disait que « ne pas aimer la peinture, c'est mépriser la vérité même[40] » et qu'Alberti faisait de Narcisse l'inventeur de l'art de la peinture comme un art qui permet de s'emparer de la réalité. Mais voir permet aussi l'illusion, l'apparence c'est-à-dire la confusion entre la réalité et ce qui n'est pas elle, la réduction de l'étrangeté ou de la dureté du réel à la douce mais illusoire fluidité ou plasticité de l'image. Philostrate dans sa galerie de tableau décrit, au début de notre ère, un tableau représentant Narcisse et son reflet. Il montre les pièges des reflets :

Cette source reproduit les traits de Narcisse, comme la peinture reproduit la source, et Narcisse lui-même et l'image de Narcisse.

Un peu plus loin :

Une abeille se pose sur la fleur ; je ne saurais dire si elle est trompée par la peinture, ou si ce n'est pas nous qui nous trompons en croyant qu'elle existe réellement. Mais laissons cela.

À la fin de la description, l'illusion et le renversement sont à leur comble :

Le jeune homme se tient immobile au-dessus de l'eau qui est immobile, ou plutôt qui le contemple fixement, et comme éprise de sa beauté[41].

Narcisse est ainsi perdu deux fois : a) il aime un fantôme et est aimé d'un fantôme ; b) quand il prend conscience de son erreur, il prend conscience de sa folie consistant dans cette circularité et dans cette clôture par lesquelles il est à la fois sujet et objet, voyant et vu, se voyant voir, aimant lui-même et lui-même l'aimant. Sans aucune extériorité qui pourrait le faire sortir de son illusion c'est-à-dire le dessaisir de lui-même, le décentrer et le déposséder, Narcisse est voué à la mort. Narcisse ne désirait pas être possédé par la nymphe Écho et par les jeunes femmes qui admiraient sa beauté. Ce désir est ainsi son exacte punition dans la mesure où le malheur de Narcisse est de ne pas pouvoir se posséder lui-même parce que justement il se possède déjà intégralement lui-même. La souffrance de Narcisse, c'est de se posséder trop bien ou de ne pas pouvoir se posséder du tout (d'osciller violemment entre ces deux pôles) ; de ne pas pouvoir posséder à la fois et sa propre identité et sa propre différence. Cette souffrance fait ainsi de la mort une délivrance, i.e. le retour à l'identité à soi stable et paisible de la fleur de narcisse, de la réalité, de l'extériorité pure qui n'est que ce qu'elle est.

Narcisse est narcissique parce qu'il aime son reflet et parce qu'il ne sait pas que, ce reflet, c'est lui qu'il l'engendre : il aime un autre qui n'est qu'un fantôme sans réalité. Le narcissique est certes celui qui s'aime lui-même. Mais plus encore, c'est celui qui s'aime lui-même au travers d'un reflet trompeur et fantasmatique de soi-même qu'il a construit lui-même sans s'en apercevoir. S'aimer soi-même par une fausse altérité dont nous sommes nous-même la cause, c'est cela le narcissisme : une relation qui ne sort jamais de soi-même tout en se donnant l'illusion du contraire sous la forme de simulacres. Narcisse est ainsi un anti-Ulysse qui s'est laissé séduire par les apparences, qui s'est détourné du vrai parce qu'il ne fait aucun voyage, aucun détour par la réalité, parce qu'il ne comprend pas qu'il n'y a de réalité (celle du monde et de soi) que par le détour et la médiation. Comme Narcisse ne sait pas que le reflet qu'il aime est son reflet et qu'il en est donc l'auteur ou la cause cachés, il ne sait pas que pour s'aimer soi-même véritablement, il faut aimer l'autre, mais le véritable autre et non une pseudo-altérité qui n'est qu'émanation de soi-même. La véritable identité à soi passe donc par la considération de ce qui est véritablement hors de moi et étranger à moi, ainsi que par la force de maintenir, à l'intérieur de soi, ce qui est étranger. Voilà pourquoi la véritable identité à soi (la véritable liberté) passe par le travail, la création, le dialogue qui sont trois formes par lesquelles le soi ne devient tel que dans la confrontation (la contradiction) avec ce qui n'est pas lui. Et c'est cette confrontation supposant des tensions qui défait les illusions du moi sur lui-même. À l'inverse, le narcissique élude la contradiction en ne se laissant capter ou attirer que par ses propres fantasmagories où l'extériorité est entièrement réduite et ramenée à une intériorité absolument souveraine c'est-à-dire illusoirement souveraine.

Ce narcissisme n'est-il pas alors le fait de notre société contemporaine occidentale, celle de l'hypertrophie des images techniques, des mass-media, de la télévision, qui engendrent un flux continu et continuel par lequel les groupes sociaux et les individus saisissent le monde dans sa totalité ? Le narcissisme n'est-il pas notre destin, à nous qui avons pris entièrement possession de la totalité de la Terre, non seulement par sa complète exploration (par notre capacité à aller partout), mais par notre aptitude (que réalise très bien la télévision) à montrer à tous les hommes tous les autres hommes et tous les endroits où ils se tiennent[42] ?

Les images télévisuelles proliférantes qui tendent à monopoliser la représentation des événements, des hommes et des choses, produisent au moins deux effets.

1) Par elles, « le lointain peut être plus proche que le plus proche, et le proche plus lointain que le lointain[43] ». Cela veut dire qu'elles bouleversent le sens de la réalité parce qu'elles bouleversent le sens de la proximité : en nous donnant les moyens de nous approcher presque instantanément de ce par rapport à quoi ou de ceux par rapport auxquels nous n'avons aucun autre contact, la télévision ouvre un espace mondialisé, sans frontières, sans coupure où « tout homme est un habitant de la terre autant que de sa patrie[44] » parce que les passages vers d'autres mondes sont nécessairement forclos[45]. Dit autrement : il n'y a plus d'ailleurs. L'exotisme semble frappé d'un certain interdit ; et l'aspect négatif que le mot possède aujourd'hui (« exotisme de pacotille ») nous le rappelle constamment. En nous faisant découvrir la totalité du monde, en nous faisant connaître le monde avant que nous nous déplacions réellement (ou même à la place de ce déplacement), on peut dire qu'elle clôt l'époque de Christophe Colomb et procède à un paradoxal repli de l'humanité sur elle-même : il n'y a plus d'ailleurs ; donc il n'y a plus d'autre dans son aspect foncièrement étrange et étranger.

Deuxième effet : les images télévisuelles qui enveloppent intégralement la réalité, s'y substituent également intégralement. Au lieu de doubler, de représenter, la réalité, elles en tiennent lieu. Cela veut dire, selon une logique que Jean Baudrillard a bien expliquée, que l'imitation ne renvoie plus au monde comme à son modèle ou à son original. Elle renvoie à elle-même ou plutôt à des reflets d'elle-même qui sont des simulacres dont les modèles sont d'autres simulacres. La conséquence est bien sûr une déréalisation ainsi produite par la répétition d'images non hiérarchisées et dont on ne sait plus où se trouve le premier modèle. Cette déréalisation est d'autant plus mystifiée et mystifiante qu'elle donne l'illusion très puissante de la réalité (c'est-à-dire qu'il existe bien quelque chose à l'extérieur) ; et qu'elle donne cette illusion à partir d'une attention flottante du fait que la télévision semble être en continuité avec le reste de nos activités. Alors que le cinéma offre un rêve délibéré en commun et comme en une cérémonie, la télévision offre individuellement à chacun et dans sa vie la plus ordinaire, comme une rêverie involontaire qui ne s'avoue pas comme telle. La télévision n'obéit donc plus à la logique contrôlée et maîtrisable de la ressemblance mais à celle (un peu folle) de la similitude.

Ressembler suppose une référence première qui prescrit et classe. Le similaire se développe en séries qui n'ont ni commencement ni fin, qu'on peut parcourir dans un sens ou dans l'autre, qui n'obéissent à aucune hiérarchie, mais se propagent de petites différences en petites différences. La ressemblance sert à la représentation, qui règne sur elle ; la similitude sert à la répétition qui court à travers elle. La ressemblance s'ordonne en modèle qu'elle est chargée de reconduite et de faire reconnaître ; la similitude fait circuler le simulacre comme rapport indéfini et réversible du similaire au similaire[46].

La ressemblance fonctionne comme un index ; elle vaut pour autre chose qu'elle et d'une certaine manière indique une extériorité, c'est-à-dire une réalité. La similitude qui est celle du simulacre ne renvoyant plus qu'à lui-même, se referme ou se reploie dans une prolifération sans réalité extérieure et résistante. En ce sens, la similitude est narcissique parce qu'il n'y a quasiment plus d'être référentiel ; ou alors le seul être référentiel, c'est le monde télévisuel lui-même comme « hyperréel » selon le mot de Baudrillard. Bref, l'image médiatique semble « la meurtrière du réel » comme dit aussi Baudrillard[47], ou un circuit fermé qui va du même au même et dans lequel l'autre disparaît en faisant disparaître la fonction ontologique et la fonction symbolique traditionnelle des images (ontologique c'est-à-dire qui renvoie au réel et nous renseigne sur lui ; symbolique c'est-à-dire qui réunit ce qui est préalablement séparé). « L'image vivante du vivant » comme dit Derrida des images télévisuelles semble « voler la vedette à la vie » (Hans Belting). En engendrant une neutralisation du réel, en organisant une indifférence par rapport à lui, en nous faisant assister à des événements dont nous n'éprouvons jamais les conséquences (la mort par exemple), l'image télévisuelle perd alors toute puissance d'étonnement au sens strict et philosophique que ce terme possède depuis Platon et Aristote et que j'ai évoqué en commençant en citant Hegel. Aussi, l'art, la science et la philosophie conservent-elles, contre cette perte, l'aptitude à s'émerveiller mais aussi à s'inquiéter (telles sont les deux significations de l'étonnement). Cette aptitude consiste à mettre en œuvre une pensée essentiellement et non occasionnellement questionnante, c'est-à-dire décentrée, ironique, critique, négative et surtout analytique au sens où elle sépare et délimite ce que la télévision dans son usage ordinaire enveloppe au sein d'un continuum sans commencement ni fin où disparaît tout critère. Alors, pour cette pensée philosophique et pour l'art d'aujourd'hui qui nous paraissent de ce fait indispensables, le monde continuera d'être quelque chose de mystérieux, de connaissable, de perpétuellement explorable.

Pierre-Henry Frangne



[1] La Réalité du réel. Essai sur les raisons de la littérature, coll. Aesthetica, PUR, 2003.

[2] La Musique et les Lettres, in Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 2003, tome 2, p. 67.

[3] La Réalité de l'artiste, trad. P.-E. Dauzat, Flammarion, 2004, p. 174.

[4] Martin Heidegger, Le Principe de raison, trad. A. Préau, Gallimard, 1962, p. 47. Cité par Clément Rosset dans Le Démon de la tautologie, Éditions de Minuit, 1997, p. 52.

[5] G.W.F. Hegel, Cours d'esthétique, trad. J.-P. Lefebvre, Aubier, 1995, tome 1, pp. 421-422.

[6] Clément Rosset, Le Réel et son double, Gallimard, 1976.

[7] Saint Augustin, De la doctrine chrétienne, II, 1, 1, cité par U. Eco, Art et beauté dans l'esthétique médiévale, Grasset, 1997, p. 109.

[8] À laquelle par exemple Aristote n'appartient pas.

[9] Dante, Épître XIII, in Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1965, p. 795.

[10] Dante, Il Convivio, II, 1, in Œuvres complètes, op. cit., p. 314.

[11] Voir Ernst Kantorowicz, Les Deux corps du roi, Gallimard, 1989.

[12] Blaise Pascal, Sur la conversion du pécheur, édition Lafuma, Le Seuil, 1963, p. 290.

[13] Denys l'Aréopagite, La Hiérarchie céleste, chap. II, 145 A, trad. M. de Gandillac, Aubier, 1943, p. 194. La référence est faite au Psaume XXII, 7.

[14] Paul Ricœur, La Métaphore vive, Le Seuil, 1975, p. 357.

[15] Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, PUF, p. 1107.

[16] G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l'esprit, Aubier, 1947, t. 1, p. 45.

[17] G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Gallimard, 1940, p. 45.

[18] John Locke, Essais sur l'entendement humain, trad. J.-M. Vienne, Librairie Jean Vrin, 2002, livre IV, p. 168 et p. 169.

[19] G. W. Leibniz, Nouveaux essais concernant l'entendement humain, GF, 1966, livre IV, chapitre 8, p. 378 et suiv.

[20] Clément Rosset, Le Réel et son double, Gallimard, 1976, p. 121.

[21] Clément Rosset, Le Démon de la tautologie, Les Éditions de Minuit, 1997.

[22] Parménide, 130 c.

[23] G.W.F. Hegel, Phénoménologie, op. cit., t. 1, p. 10.

[24] Pierre Macherey, « Quel doit être actuellement l'objet de la philosophie aujourd'hui ? », in Atala, n° 8, printemps 2005, p. 20

[25] Voir le beau livre de Bruce Bégout, La Découverte du quotidien, Éditions Allia, 2005.

[26] Simone de Beauvoir, La Force de l'âge, Folio, 1960, pp. 156-157. Cité par P. Macherey dans l'article précédemment cité.

[27] « Hegel est à l'origine de tout ce qui s'est fait de grand en philosophie depuis un siècle, — par exemple du marxisme, de Nietzsche, de la phénoménologie, de l'existentialisme allemand, de la psychanalyse — ; il inaugure une tentative pour explorer l'irrationnel […]. Il est l'inventeur de cette Raison […] qui, capable de respecter la variété et la singularité des psychismes, des civilisations, des méthodes de pensée, et la contingence de l'histoire, ne renonce pas cependant à les dominer pour les conduire à leur propre vérité. Mais il se trouve que les successeurs de Hegel ont insisté, plutôt que sur ce qu'ils lui devaient, sur ce qu'ils refusaient de son héritage » « L'existentialisme chez Hegel », in Sens et non-sens, Nagel, 1966, pp. 109-110.

[28] Ennéades, I, 6, 3.

[29] Ennéades, I, 6, 5.

[30] Ennéades, I, 6, 8.

[31] Walter Benjamin, C. Baudelaire, Payot, p. 198

[32] Voir Svetlana Alpers, L'Art de dépeindre, Gallimard, 1983.

[33] Voir Jean-Luc Solère, « Peinture et philosophie : deux exemples d'homologie entre espace pictural et structure métaphysique » in Philosophie, n° 30, printemps 1991.

[34] Je me permets de résumer (et de renvoyer le lecteur à) mes analyses de La Négation à l'œuvre. La philosophie symboliste de l'art (1860-1905), coll. Aesthetica, Presses Universitaires de Rennes, 2005.

[35] Stéphane Mallarmé, Les Impressionnistes et Edouard Manet, GF, 1998, p. 308.

[36] Sur le mythe de Vénus, voir Stéphane Mallarmé, Solennité, Œuvres complètes, op. cit., tome 2, p. 198.

[37] Stéphane Mallarmé, Les Impressionnistes et Édouard Manet, op. cit., p. 309.

[38] Voyant au sens de celui qui voit et non au sens de celui qui a des visions. On comprend dans ces rapides remarques comment Mallarmé peut être considéré comme une des sources de l'esthétique phénoménologique de Maurice Merleau-Ponty (Le Visible et l'invisible, Gallimard, 1964 ; L'Œil et l'esprit, Gallimard, 1964) et, plus tard, d'Henry Maldiney (Regard, parole, espace, L'åge d'Homme, 1973).

[39] Georges Bataille, Manet, Skira, 1983, pp. 62-63.

[40] Philostrate, La Galerie de tableaux, Les Belles Lettres, 1991, p. 9.

[41] Philostrate, La Galerie de tableaux, livre I chapitre 23, éd. cit., pp. 45-48.

[42] Je me permets de renvoyer le lecteur aux introductions de mes éditions critiques de deux utopies baroques qui traitent cette question ainsi que celle du narcissisme : Charles Sorel, La Description de l'Île de Portraiture (1659), L'Insulaire, 2006 ; Francis Godwin, L'Homme dans la Lune (1638), L'Insulaire, 2007.

[43] Jean Viard, La Société d'archipel, op. cit., p. 20.

[44] Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, trad. G. Fragier, Agora, 1983, p. 313. Elle précise dans la même page et la suivante : « Ce n'est qu'aujourd'hui que l'homme prend pleinement conscience de sa demeure mortelle et qu'il rassemble les horizons infinis, jadis ouverts, tentations et interdits, en un globe dont il connaît les contours majestueux et la surface en détail comme les lignes de sa main. Au moment précis où l'on découvrit l'immensité de l'espace disponible sur Terre, commença le fameux rétrécissement de la planète […]. Certes rien ne pouvait être plus étranger au dessein des explorateurs […] que ce processus d'horizons qui se ferment ; ils partaient pour agrandir la Terre, non pour la rétrécir et en faire une boule, et en obéissant à l'appel des rives lointaines ils n'avaient pas l'intention d'abolir la distance. »

[45] Michel Serres, Jouvences sur Jules Verne, Les Éditions de Minuit, 1974, p. 11.

[46] Michel Foucault, Ceci n'est pas une pipe, Fata Morgana, 1973, p. 61.

[47] Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, 1981, p. 16.


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