Robert Nédélec : Note de lecture sur le recueil de Josette Ségura Au plus près de nos pas. Robert Nédélec est l'auteur d'une œuvre abondante, marquée par les couleurs du noir. Ici il se livre
à un genre qu'il pratique peu, la note de lecture. Par métaphores et en cinq phrases, il entre dans un univers
apparemment bien différent du sien. Mise en ligne le 3 avril 2020. © : Robert Nédélec.
Au plus près de nos pasOn imagine volontiers les textes de ce recueil comme des billets qui auraient été écrits sous l'effet d'une émotion soudaine, ou du dévoilement inattendu d'un épisode ancien, d'apparence anodine, et que l'on aurait punaisés sur ses tableaux de liège ou accrochés à ses cimaises, à côté de tous ces autres, produits auparavant dans un esprit proche de celui qui s'exprime en eux, et auxquels avait été donnée également, parce qu'ils ne pouvaient exister ni durer qu'ainsi, forme de poème, à moins que l'on n'ait préféré, les y pensant à meilleure distance de soi, les coller sur les quelques feuilles de son vieil herbier d'enfance, redevenues vacantes aujourd'hui, en lieu et place d'une fleur sauvage dont on aurait oublié l'odeur et la forme, d'une fougère bordée de deuil ou de dentelle, ou d'un brin d'herbe dont aurait pâli, au point de presque disparaître aussi, l'encre violette du nom. Ils donnent à voir en tout cas la marque du temps qui se coagule, comme en gouttes de sang blanc, sur la nappe blanche des jours, et ils tentent pour cela en quelques vers, de quatre ou cinq à une vingtaine quand exceptionnellement ils choisissent, se référant plus expressément dans ce cas de figure à cette foi qui les nourrit ou les sous-tend, de se faire souffle ou d'habiter une parole qui, de toutes façons, ne peut se manifester autrement que dans l'insistante clarté d'une évidence dont on pressent qu'elle ne s'offre pourtant pas toujours au premier regard, évoquant donc aussi bien des moments banals en apparence que d'autres qui touchent d'emblée au miracle – une parole qui éclaire et s'accorde donc, selon l'intime nécessité de ce qu'elle suggère ou rapporte, au fragile équilibre d'un chant qui n'hésite plus qu'à peine et ne laisse apparaître que par exception ses possibles tâtonnements. Ce sont peut-être souvenirs qui s'efforcent d'affleurer sans visible violence et soulèvent un peu la surface de la matière au sein de laquelle la vie les avait enfouis avant qu'un courant d'air, le bruit d'un galet qui aurait roulé sur la pente sans que pourtant l'on ait marché dessus, ou la lumière d'un regard qui aurait percé les espaces confinés qu'occupaient les foules, n'en restitue l'environnement d'origine, n'en redessine le cadre ou ne les place dans un ailleurs qui, pour flou qu'il demeure malgré tout, leur convient sans doute mieux que ce terrain forcément vague dont ils sont pourtant issus, et ce sont donc, soulevant la croûte qui s'est formée sur la plaie ou le couvercle couvrant les restes, que l'on pouvait croire déjà froids, de sa joie ou de sa douleur, brèves scènes d'apparitions spontanées, nées de ces presque riens par conséquent qui justifieraient à eux seuls ses quotidiennes confidences, et grosses immédiatement de ce presque tout sur lequel ce petit livre apporte, sans y toucher ou, en tout cas, sans aucune sorte d'esbroufe, son éclairage apaisant. Ce sont ombres qui finalement accompagnent, « au plus près de (leurs) pas », celles et ceux qui marchent vers eux-mêmes ou ceux qui se sont retirés, juste pour un instant, hier et bien avant, et tous ces autres qui leur tiennent encore ou leur ont tenu la main, ce sont ombres lourdes de ce bagage de jadis et de maintenant dont elles se délestent parfois à l'étape ou dont elles déposent la charge au bord du chemin – et ce sont images, à portée d'yeux et de visage, qui ne parlent donc qu'à voix basse, et qui, se projetant en un tranquille noir et blanc, ne se sentent jamais autorisées à user du surlignage de quelque facile contraste. Ce sont ombres, naines ou géantes selon la hauteur du soleil, dont le théâtre se charge souvent, s'enrichit ou s'agrémente, de quelques touches de couleur, tatouages fleuris sur les talus et vols d'oiseaux sur les trompe-l'œil de ses décors – et ce sont cœurs, finalement, qui s'ouvrent grand à la bienveillante clarté du ciel et à celle de la terre, même si parfois ça se couvre ici-bas et que « ça compte, le temps qu'il fait, dans la vie, (comme) dans (le) poème », permettant donc qu'interviennent simultanément l'espoir d'un ailleurs et le rêve, même lorsqu'on les transporte dans de vulgaires villes ou lieux-dits figurant sur les cartes, ou que l'on invite l'un et l'autre à la table où s'est assis pour déjeuner un vieil homme maintenant réduit à ne plus causer qu'avec ses pensées – ou à ne plus rien voir ailleurs que sous la tenace buée de ses miroirs… Robert Nédélec |