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FRANÇOISE SÉRANDOUR

Parler, lire, écrire
L'invention des écritures en terrains français, portugais et marocain

Conclusion : Du plaisir de lire au désir d'écrire.

© Françoise Sérandour.

Mis en ligne le 3 janvier 2005.



Parler, lire, écrire

L'invention des écritures en terrains français, portugais et marocain


CONCLUSION de cette Partie I

Du plaisir de lire au désir d'écrire

Comme la tragédie au temps d'Aristote et des grands dramaturges grecs, la « poétique » du récit revêt une fonction de connaissance et d'enrichissement de soi en produisant, à travers les héros de la littérature, des contes et mythes, une initiation mimétique aux valeurs humaines. Dans les cas très divers que nous avons décrits, les lectures et les écritures produites dans des conditions adéquates de temps et d'espace, et en situation d'oralité, ont mis en valeur les pouvoirs de la parole et de l'écriture dans leur fonction de compréhension du sens et d'ouverture aux cultures.

Il s'agit ici d'une parole corporelle qui travaille l'expression d'un texte (les mots et le sens des mots) pour communiquer et faire comprendre au plus près les intentions de l'auteur, et pour déterminer les acteurs de ces situations à produire à leur tour des récits.

Ainsi, suivant le parti pris d'une lecture poétique, nous avons mis l'accent sur le travail de la langue : le style de l'écrivain, fait de sensibilité et de distance, laisse mettre en évidence ce que l'on peut appeler son « oralité ». En soulignant notre intérêt pour la voix associée au travail de l'interprétation et de la création, nous avons exploité la dualité de la parole : pensée et corps. Les comédiens parlent de « mise en voix » et de « l'énergie que tu te sens dans ton corps ! » Et nous avons donné à voir, dans le jeu des comédiens, des lecteurs à voix haute, et des chanteurs, des pratiques de « médiation » qui, assurant la réception « coopérante » de l'œuvre par le lecteur (ou l'auditeur), permet à celui-ci la liberté d'un travail actif de ses représentations, de son imaginaire, et de son plaisir.

La thèse que nous soutenons, d'une dialectique entre l'auteur et le conteur, celui-ci considéré dans son travail de création — le « je » de l'écrivain travaillé par le « jeu » de l'acteur —, cette thèse se fonde sur la conjugaison de l'art de la narration et de l'art de l'interprétation, dans la relation d'une nécessaire distance. Selon cette dialectique, nous avons alors formulé l'hypothèse que cette parole de réconciliation à l'écrit et à la littérature conduit aussi à l'écriture de création.

De la mise en place des ateliers d'écriture sur divers terrains, pédagogique et ethnologique, deux sortes de problématiques ressortent particulièrement, l'une que l'on pourrait appeler ontologique ou éthique, l'autre qui évoque des techniques.

Plus précisément, par l'activation du symbolique et de l'imaginaire (du symbolique par l'imaginaire), la démarche de l'écriture collective est un facteur d'indépendance et de prise de conscience du sujet, dans le domaine scolaire aussi bien que dans le domaine social. En même temps, il se constitue un ensemble de compétences et une réflexion qui permettent aux formateurs de transmettre des savoirs et d'atteindre des objectifs précis. Ainsi, l'activité de médiation fait apparaître chez le pédagogue des « savoirs professionnels[1] ». Cela sans oublier la dimension éthique.

Ce qui signifie que toutes les pratiques professionnelles de médiation que nous décrivons sur les terrains, et qui seront l'objet de la deuxième partie (et celles que nous avons vécues, ou citées, dans notre recherche), concernent autant le rapport corporel à soi que la propre relation existentielle à l'écrit et que, en outre, elles mettent en scène une pédagogie qui, s'élargissant dans une dimension interculturelle, prend conscience de l'altérité.

En abordant ainsi la fonction du pédagogue, nous reconsidérons la place et le rôle de sa parole et nous la revalorisons. Car, d'après les expériences de médiation narrative et d'écriture collective, le pédagogue nous paraît être la personne qui non seulement transmet des savoirs mais aussi pratique le partage pour une construction de son propre savoir par l'élève, et par l'adulte[2]. Cela signifie que, si l'enseignant a la fonction première de transmettre un savoir magistral — et la parole interprétative en fait partie dans son essence même —, il a également, grâce à son expérience et à ses savoir-faire, celle du partage : la parole maïeutique.

 

Ainsi la parole, dans sa relation à l'écrit et à l'écriture, retrouverait sa raison d'être comme entre-deux. Entre-deux, entre les savoirs savants — le patrimoine commun des corpus de connaissances discipliniares et de l'imaginaire (mythes, littérature) —, et les expériences individuelles, c'est-à-dire les savoirs d'expérience qui se construisent sans cesse au contact de l'autre, en mutualisation. C'est l'enjeu de la thèse dont le but est d'introduire dans l'apprentissage de l'écriture (et de la lecture) la notion de l'oralité et la dimension du groupe et, à travers elles, le contexte culturel et interculturel tout entier.

C'est cela que nous montrerons dans la deuxième partie sur des terrains différents, français, portugais et marocain, à la rencontre de voix multiples — d'enfants et de jeunes à l'école, d'étudiants déjà éducateurs, et de femmes analphabètes dans leur village. On comprendra alors que, dans ces situations éducatives diversifiées et complexes, la notion de « l'entre-deux » s'est définie aussi bien dans la perspective de la tradition et du progrès que dans celles de la parole et de la lecture ou bien de la lecture et de l'écriture, ou encore de l'écriture au plan individuel ou en groupe.

 

Comme on a pu le constater, tous ces thèmes ont déjà été abordés dans la première partie ici publiée sur le web, sous leur aspect théorique. Mais ils sont repris et approfondis, comme études de terrain, dans la deuxième partie, publiée, rappelons-le, aux éditions de L'Harmattan, dans la collection « Recherches et innovation en éducation » dirigée par Jean Guglielmi.



[1] Nous pouvons également nous référer à Marguerite Altet et à ses travaux de recherche sur les savoirs professionnels dans les actions pédagogiques : Marguerite ALTET, La Formation professionnelle des enseignants. Analyse des pratiques et situations pédagogiques, coll. « Pédagogie d'aujourd'hui », PUF, 1994.

[2] Georges MIALARET, Propos impertinents sur l'éducation actuelle, PUF, 2003.


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