Mise en ligne le 10 novembre 2013.
© : Julie Thézé.
Laura Kasischke
Esprit d'hiver
Bourgois, 2013
C'est le matin de No‘l dans le Michigan. Après un réveillon
tardif, Holly et son mari Eric se réveillent en retard. Il
faut aller chercher la famille à l'aéroport… La neige s'en mêle, Eric et ses
parents se retrouvent bloqués, Holly est seule à la maison avec leur fille
Tatiana, adoptée quelque 13 ans plus tôt dans un orphelinat de Sibérie.
Tatiana, leur coup de foudre absolu, leur enfant chérie, aux prises avec les
premiers tourments de l'adolescence, et ce malaise qui étreint Holly depuis son
réveil, le sentiment que « quelque chose les avait suivis depuis la Russie
jusque chez eux ». Les heures s'écoulent, les invités, les uns après les
autres, font défection, bloqués par le blizzard. Holly se surprend à ne plus
reconnaître sa fille, tour à tour insolente, agressive, puis de nouveau tendre
et affectueuse. Elle se remémore les étapes de ce parcours de combattant qu'elle
et Eric ont mené, depuis le choix d'une stérilité pour contrer une maladie
héréditaire et fatale, jusqu'au retour dans le Michigan avec la petite Tatiana,
et ces treize années de bonheur passées à aimer leur enfant et la voir grandir.
Face aux réactions parfois hargneuses de son adolescente, Holly rouvre aussi
les tiroirs scellés de sa mémoire, ceux qu'elle a jugé plus sage de reléguer
dans l'oubli, et cherche, à présent, à y trouver la réponse aux reproches
cruels assenés par Tatiana. En creux, Holly égrène ses propres regrets, ses
propres tourments, sa frustration de ne pas être capable de consacrer plus de
temps et d'énergie à l'écriture, sa vocation.
Au travers de ce huis-clos qui se joue à l'intérieur des
murs douillets de cette middle class américaine dont Laura Kasischke sait à merveille disséquer les travers et révéler
les fractures, l'auteur offre, avec Esprit d'hiver un brûlot à vif sur la
maternité, les relations mère-fille, les tourments et la culpabilité inhérents
à cette relation à la fois viscérale et imparfaite. Holly, mère et épouse
« objectivement » comblée, est aussi un auteur malheureux, qui
aimerait prendre et avoir le temps de se remettre à l'écriture, quand le
quotidien prend le pas sur son inspiration.
Laura Kasischke signe ici un
thriller mental dérangeant et haletant sur la difficulté d'être mère et d'être
femme, mais aussi sur l'inconditionnalité de l'amour. Elle excelle à révéler,
par des métaphores simples et efficaces, les grains de sable qui viennent
enrayer la mécanique de l'existence et révéler la difficulté à être soi.
Julie Thézé