André Hélard : De Claudel à Ponge et Bonnefoy : « réminiscences
anticipées » ou
« traces du futur » dans l'œuvre de John Ruskin.
Ce texte est issu d'une contribution au colloque international sur Ruskin tenu en juin
2009 à l'université Charles-de-Gaulle Lille 3.
Il présente quelques légères différences avec celui qui figure dans le volume publié, Postérité de John Ruskin :
l'héritage ruskinien dans les textes littéraires et les écrits esthétiques,
études réunies par Isabelle Enaud-Lechien et Joëlle Prungnaud, Classiques Garnier, 2011.
Texte mis en ligne le 4 décembre 2016.
© : André Hélard.
De Claudel à Ponge et Bonnefoy : « réminiscences
anticipées » ou
« traces du futur » dans l'œuvre de John Ruskin
– Quelle est
votre spécialité, Monsieur Mc Garrigle ?, demanda Skinner.
– Heu, j'ai fait ma recherche sur Shakespeare et
T.S. Eliot, dit Persse.
– […] C'est un sujet idéal à informatiser, dit
Dempsey. […] Vous n'auriez qu'une chose à faire : mettre les textes sur
bande, et l'ordinateur vous donnerait la liste de tous les mots, de toutes les
expressions, de toutes les expressions syntaxiques que les deux écrivains ont
en commun. Vous pourriez ainsi quantifier de manière précise l'influence de
Shakespeare sur T.S. Eliot.
– Mais ce n'est
pas le sujet de mon mémoire, dit Persse. Il porte sur l'influence de T.S. Eliot
sur Shakespeare. […] J'essaie de montrer qu'on ne peut lire Shakespeare sans
que vienne s'interposer la poésie de T.S. Eliot.
David
Lodge, Un tout petit monde
« Une note dans la
vie et l'œuvre de Proust » ! Selon Antoine Compagnon, ce n'est qu'à ce
titre que « Ruskin survit vaguement en France »…
Ce jugement lapidaire résiste-t-il vraiment à l'expérience de la lecture de
Ruskin ? Je voudrais montrer qu'il n'en est rien, en repartant justement
de Proust, — puisque, décidément, il semble que Ruskin, en France,
ne doive exister que par rapport à Proust — mais en recourant à d'autres
concepts que celui d'influence, telle qu'elle est classiquement envisagée par l'histoire
littéraire. C'est dans le Contre
Sainte-Beuve que Proust écrit :
Les écrivains que nous
admirons ne peuvent pas nous servir de guides, puisque nous possédons en nous,
comme l'aiguille aimantée ou le pigeon voyageur, le sens de notre orientation.
Mais tandis que guidés par cet instinct intérieur nous volons de l'avant et
suivons notre voie, par moments, quand nous jetons les yeux de droite et de
gauche sur l'œuvre nouvelle de Francis Jammes ou de Maeterlinck, sur une page
que nous ne connaissions pas de Joubert ou d'Emerson, les réminiscences
anticipées que nous y trouvons de la même idée, de la même sensation, du même
effort d'art que nous exprimons en ce moment, nous font plaisir comme
d'aimables poteaux indicateurs qui nous montrent que nous ne nous sommes pas
trompés, ou, tandis que nous nous reposons un instant dans un bois, nous nous
sentons confirmés dans notre route par le passage tout près de nous à
tire-d'aile de ramiers fraternels qui ne nous ont pas vus.
On le voit, la
perspective dans laquelle se situe ici Proust n'est pas du tout celle de la
postérité ou de l'héritage littéraire.
Mais l'image des « ramiers fraternels » et l'idée de
« réminiscences anticipées » suggèrent l'une et l'autre que, soit en
même temps, soit à des époques différentes, des écrivains ont pu emprunter
des chemins très voisins sans forcément le savoir. L'expression de
« réminiscences anticipées » a de quoi étonner, puisqu'elle suggère
clairement le souvenir de quelque chose qui aura lieu dans l'avenir !
Mais l'idée est suffisamment prégnante chez lui pour qu'il y revienne à
plusieurs reprises dans La Recherche,
avec, par exemple, les « fragments anticipés » de sa propre œuvre
qu'Elstir est ravi de trouver chez Chardin,
« des morceaux de Turner dans l'œuvre de Poussin,
une phrase de Flaubert dans Montesquieu »,
ou le fameux « côté Dostoïevski des Lettres de Madame de Sévigné ».
Ces réminiscences
anticipées
sont très clairement du même ordre que les « traces du futur » que
s'attache à repérer (et à analyser) Pierre Bayard, dans Le Plagiat par anticipation,
depuis Proust « retrouvé » dans un récit de Maupassant, à Jackson Pollock découvert dans un coin
d'une fresque de Fra Angelico !
Il les définit comme « les emprunts faits par les écrivains à ceux qui les
ont suivis », ou plutôt, « ce qui dans les textes semble venir non
pas du passé, mais de l'avenir ».
Dans cette perspective, qui aboutit à une histoire de la littérature (et plus
largement de l'art) évidemment subjective où tout repose à la fois sur
« l'intime conviction du lecteur et sur sa mémoire de lecteur, on peut dire qu'« un texte
est fait bien sûr des textes dont il vient mais aussi des textes qui viendront
après lui et qu'il sera possible de mettre en relation avec lui ».
L'œuvre de Ruskin,
qu'Antoine Compagnon enferme dans une image de penseur dépassé,
peut offrir au lecteur français plus d'une expérience et d'une rencontre de ce
type. À condition que ce lecteur veuille bien s'intéresser à ce qui est un des
aspects les plus originaux, et les plus orientés vers la modernité, de
Ruskin : le caractère si prononcé d'« optical thinker »,
de cet écrivain pour qui l'acte d'écrire est si souvent suscité par la
contemplation des paysages et des œuvres d'art, et ne se sépare vraiment jamais
d'une extraordinaire production graphique, picturale et même photographique,
comme nous le rappellent les innombrables croquis, dessins, aquarelles et
daguerréotypes qui sont souvent l'indispensable complément des textes
eux-mêmes. Ainsi tout ce qui concerne la vision, le regard, l'œil, tient-il
chez Ruskin une place prépondérante ; et c'est à propos de l'expérience
visuelle qu'il trouve quelques-unes de ses intuitions les plus remarquables, et
les plus susceptibles d'avoir une résonance jusqu'à aujourd'hui. Comme quand il
écrit que « s'il y a des gens qui ne voient que ce qui existe, il en est
d'autres qui voient ce qui n'existe pas, ou qui n'existe pas d'une manière
apparente » ;
quand il définit l'artiste comme « un télescope non seulement doté d'une
puissance extraordinaire, mais qui peut découvrir les plus belles étoiles pour
vous les donner à voir, vous les présenter dans l'ordre le plus instructif, et
qui vous donne à leur sujet une lecture muette mais, d'une manière ou d'une
autre, intelligible » ;
et quand il fait l'éloge de « l'innocence de l'œil c'est-à-dire une
perception enfantine [des choses], comme un aveugle les verrait si la vue lui
était rendue ».
On voit comment cela
peut mener à Proust, et à l'art comme affaire
« non de technique, mais de vision ».
Mais la qualité de « penseur optique » de Ruskin peut aussi, par
d'autres voies plus ou moins inattendues, nous conduire à d'autres
« écrivains de l'avenir avec lesquels il semble parfois établir un
dialogue »,
ainsi en un premier temps Claudel, puis en un second temps, et de manière bien
moins prévisible, Ponge et Bonnefoy.
Échos claudéliens,
du témoignage de la Gloire de Dieu…
Il est téméraire de
prétendre déceler quelque « fraternité » entre Ruskin et Claudel, quand
on sait que le répertoire de la bibliothèque de Claudel à Brangues ne contient
qu'un seul titre de Ruskin, La Bible
d'Amiens, en marge de laquelle Claudel écrivit : « Quelques
bonnes choses dans un océan d'absurdités et de verbiage. Le fatras domine. »
Pourtant, entre ces deux écrivains chrétiens, si imprégnés de culture biblique,
les échos ne manquent pas, non pas dans l'œuvre théâtrale ou poétique de Claudel,
mais dans quelques essais écrits dans les années 1930-1940 et rassemblés dans L'Œil écoute, en particulier Les Psaumes et la photographie, Le Chemin dans l'art et Ossements.
En écrivant, au début de Modern Painters
que « la fonction propre de l'homme, c'est d'être le témoin de la gloire
de Dieu », Ruskin affirme d'emblée (dans l'esprit de la théologie
naturelle) ce qui est la source fondamentale de sa vision du monde et de son
esthétique. Son regard sur la Nature est entièrement inspiré par l'idée que celle-ci
raconte la Gloire de Dieu. Cœli
enarrant Dei gloriam, comme le chante le Psaume 19 : Les cieux racontent la gloire de Dieu, Le firmament proclame l'ouvrage
de ses mains, Le jour au jour en prodigue le récit, La nuit en fait l'annonce à
la nuit. Cœli enarrant, c'est
aussi le titre que choisira Ruskin pour la réédition, dans les années 1880,
d'extraits de Modern Painters portant
sur le ciel et sur les nuages.
C'est ce même psaume qui inspire Claudel, dans Les Psaumes et la photographie, où il affirme que « depuis le lever
du soleil jusqu'à son coucher la nature célèbre un office ».
Chez Ruskin, la Nature,
avant d'être l'objet de la mimésis artistique, est l'œuvre de Dieu, sa
Création, conçue comme une suprême œuvre d'art où tout se répond et se fait
écho :
Les forêts, que je
n'avais jamais regardées que comme des solitudes sauvages, obéissaient dans
leur beauté […] aux mêmes lois, ces lois qui dirigeaient les nuages,
distribuaient la lumière, et balançaient la vague. "Il a fait toute chose
belle en son temps" devint dès lors pour moi l'explication du lien
mystérieux qui unit l'esprit humain à toutes les choses visibles…
Et tout y a sa
« cause finale » :
La foudre et le
torrent, et les ravages et l'épuisement des siècles innombrables, tout a sa
part dans la mise en œuvre d'un plan cohérent ; et le Bâtisseur du temple
se tient pour toujours à côté de Son œuvre, désignant la pierre qui doit
tomber, et le pilier qui doit être abaissé, et dirigeant tout l'apparent
désordre du hasard et du changement en splendeurs ordonnées et en harmonies
préétablies.
C'est la même vision
religieuse de la nature que celle que celle exprimée par Claudel dans Ossements, texte inspiré par la visite,
au Jardin des Plantes, du Musée d'Anatomie comparée qu'il qualifie de
« bureau des modèles et des dessins du Créateur » :
La nature ne procède pas par
voie d'inventions disjointes, elle travaille sur un plan unique par voie de
modifications appropriées. […] Que d'emprunts elle a faits sans façons d'un
genre à l'autre […], du règne végétal au règne animal, sans parler des
relations chimiques, minéralogiques, esthétiques et diplomatiques ! Tout
se tient du haut en bas dans le bâtiment, il y a communication entre tous les
étages.
Et lorsqu'il s'agit de
montrer que la nature n'est pas seulement « cohérente », mais aussi finaliste
ou, si l'on préfère, providentielle, Ruskin et Claudel prennent le même exemple
de la pente : « Il y a surtout cette complaisance générale et
complexe de la terre à la pente, qui donne lieu aux fleuves. Tout est fonction
du poids et du mouvement longuement médité qui finit par se réaliser »,
écrit Claudel, que Ruskin semble ici développer :
Depuis le petit ruisseau profond d'à
peine un pouce qui traverse, clair et frémissant, le sentier du village, jusqu'à
la marche massive et silencieuse de l'éternelle multitude des eaux de l'Amazone
ou du Gange, chaque source et chaque rivière doit son mouvement, sa pureté et
sa puissance aux prescriptions qui ont soulevé la terre. […] Et pourtant il est
rare, lorsque nous marchons sur les bords de nos charmants ruisseaux, que nous
pensions vraiment à la beauté et au miracle de cette prescription.
…à son expression
Mais que faire en face
de cette beauté et de tels miracles ? Prier, adorer, comme dit
Ruskin, « l'âme absorbée dans la seule contemplation de l'Infini de Dieu » ?
Il ne suffit pas que l'œuvre de Dieu soit là,
il faut encore qu'elle soit exprimée.
C'est la tâche de l'artiste, et d'abord du peintre, que Ruskin en un texte
étonnant, compare au prédicateur.
Tout comme le prédicateur,
dans ses sermons, doit exprimer et expliquer les divines vérités qui
peuvent être dispensées par Dieu dans sa révélation, de même le peintre, dans
ses compositions, doit exprimer et illustrer les leçons dispensées par
Dieu dans sa création. Tous deux sont des commentateurs de l'infini qui ont
l'un et l'autre pour devoir de dégager, à chacun de leurs discours, une vérité
essentielle.
Comme le dirait Proust, Ruskin
vole ici manifestement dans la même direction que Claudel, écrivant dans Les Psaumes et le photographie :
« Nous ne cessons d'être avec cette chose que Dieu a faite. Elle a quelque
chose à nous dire. Nous nous sentons constitués en tant que ses délégués à
l'expression. »
Et la suite de ce texte, si proche du programme de Modern Painters, en tant que réflexion sur le paysage, confirme que
« le sens de [leur] orientation » est décidément le même :
C'est le sentiment de ce
mystère à élucider, de cette parole muette à interpréter, qui est la raison de
l'intérêt de plus en plus attentif […] que le
peintre moderne
prend au paysage. […] Pour comprendre la Nature, le peintre l'imite. Il essaie
de faire la même chose qu'elle avec des lignes et des couleurs. Il ne l'imite
pas seulement, il l'interroge. Il prend position, il choisit son point de vue,
le point de composition […] où de mouvements divers et de couleurs alliées elle
aboutit à un sens.
Interpréter la nature,
ou l'exprimer, c'est pour Ruskin être partout attentif à la Beauté,
« signature de Dieu sur la matière », à tout « ce qui se révèle à l'état naissant, chaque fois que la
poussière de la terre commence à s'assembler avec ordre et beauté » ;
en d'autres termes, ceux de Claudel : « accoucher la création tout entière
[…] de son langage virtuel ».
C'est dans cet esprit que celui-ci évoque, dans Le Chemin dans l'art, un tableau du peintre français
Chintreuil, L'Espace, où tout au fond d'un immense paysage
de plaine, l'on devine des montagnes. Claudel y analyse la perspective, non pas
celle qui mène l'œil de « la rampe à la toile de fond à travers toutes les
commodités du panorama », mais ce qu'il appelle
la seconde
perspective, celle qui supprime les transitions et qui laisse à l'imagination
le soin de passer de ce premier plan tangible et détaillé à cette cité là-bas,
apparentée aux nuages et à ces montagnes tout au fond glorieusement coiffées de
neiges qui gorgent notre espérance en enflammant notre courage. […] Par ce
chemin ou un autre l'esprit de degré en degré obéissant à des lignes
convergentes monte du foncé au pâle, du particulier au général, du distinct au
continu, du matériel au spirituel, du quotidien au permanent et à l'éternel.
[…] Et l'on songe à ces versets des Psaumes :
Il a disposé des ascensions dans mon
cœur. J'élèverai les yeux vers ces montagnes d'où me viendra le secours.
Pas un mot ici qui ne pourrait être de
Ruskin (y compris la référence aux Psaumes) ! Depuis l'apparition des montagnes dans «
l'extrême lointain » semblable à celle des Alpes, dans Praeterita :
Aussi loin que la vue
pouvait s'étendre, — cette terre, ses eaux, immobiles ou en
mouvement ; l'Arve, et les portes de Cluses, et ses sources les glaciers ;
le Rhône et l'infinitude de son lac de saphir, — sa paix au-dessous
des prairies de narcisses de Vevey — sa cruauté sous les promontoires de
Sierre. Et tout ce qui, de montagne et de neige, se profilait sur le ciel et
s'y fondait.
jusqu'à
la perspective finale qui nous rappelle à la fois l'appel de Modern Painters I à donner à voir
les montagnes « dans ce qu'elles ont de pur et de sacré », comme
« un lien entre le ciel et la terre »,
et le dernier chapitre de Modern Painters
IV proclamant que « la gloire de Dieu » ne se manifeste nulle
part plus fortement que dans « La Gloire de la Montagne », avec l'affirmation que
« les montagnes sont les cathédrales de la Terre ». C'est ainsi que, le peintre selon
Claudel donne donc un sens à la nature, et que le peintre selon Ruskin
l'interprète pour les autres hommes :
Au peintre mesquin,
prétentieux et affecté qui ne songe qu'à étaler sa science étroite et les trucs
misérables de sa dextérité, nous pouvons certes dire : « Retire-toi
d'entre la nature et moi. » Mais au grand peintre d'imagination — un
million de fois plus grand que nous par les facultés de son âme — nous
devons dire, au contraire : « Viens te mettre entre cette nature et
moi — cette nature qui est trop grande, trop merveilleuse pour moi ;
modère-la, interprète-la pour moi ; laisse-moi voir par tes yeux, entendre
par tes oreilles. »
Quand Ruskin s'inspire de Ponge…
C'est paradoxalement
cette idée même de la Beauté comme « signature de Dieu sur la
matière » qui amène Ruskin à s'attarder longuement, dans toute son œuvre,
sur cette matière elle-même, et qui fait apparaître de nouvelles « traces
du futur », apparemment bien éloignées de Claudel… Car en étudiant ses
diverses façons d'être, pour lui faire « exprimer » ce qu'elle « montre », Ruskin constitue ce qu'André Chevrillon appelait
« une sorte de phénoménologie de la nature » :
Ce sera, dit-il dans Modern Painters II, ma tâche d'examiner
et d'illustrer par des exemples de quelle façon ces caractères du beau où se
reflètent les qualités divines apparaissent dans chaque domaine de la création,
dans les pierres et dans les montagnes, dans les nuages, les corps organiques,
en commençant par les végétaux, puis en regardant toute la série animale du
mollusque jusqu'à l'homme. […] Je tâcherai de montrer combien digne d'amour et
d'admiration est encore cela que, généralement, on méprise.
Réhabilitation des
choses en elles-mêmes et pour elles-mêmes, attention passionnée à tout ce qui
est le sensible, au point que Ruskin s'étonne lui-même dans l'œuvre bilan
qu'est Praeterita, de cet aspect
essentiel de son attitude devant le monde : « Quel est le sentiment
humain, humain au plus haut degré, qui nous porte à aimer une pierre pour
l'amour de la pierre, un nuage pour l'amour du nuage ? »
C'est ici que Francis
Ponge, en un premier temps, puis en un second temps Yves Bonnefoy, viennent s'immiscer
dans notre lecture, en tant que survenants », ou « écrivains de
l'avenir, avec lesquels un écrivain établit un dialogue », selon la
définition de Pierre Bayard. Ponge d'abord, parce que c'est bien de
« parti pris des choses » qu'il nous faut parler, tandis que Ruskin
constitue un véritable De natura rerum,
où à propos des choses les plus simples, il fait souvent des discours infinis…
Ces derniers mots sont de Francis Ponge :
Je ne vois pas pourquoi je
ne commencerais pas […] par montrer qu'à propos des choses les plus simples il
est possible de faire des discours infinis composés de déclarations inédites,
enfin qu'à propos de n'importe quoi non seulement tout n'est pas dit, mais à
peu près tout reste à dire.
C'est le début de la célèbre
« Introduction au galet »,
où Ponge dit encore : « Si ridiculement prétentieux qu'il puisse
paraître, voici quel est à peu près mon dessein : je voudrais écrire une
sorte de De natura rerum. » Ce
dessein débouche sur un programme : « Eh bien, pierre, galet, poussière,
je ne te juge pas si rapidement, car je désire te juger à ta valeur.
[…] Je propose à chacun l'ouverture de trappes intérieures, un voyage dans
l'épaisseur des choses, une invasion de qualités. » Programme que Ruskin semble
avoir appliqué à la lettre dans le chapitre consacré aux Pierres dans Modern Painters IV. Pour lui,
iI n'est pas d'objet dans la
nature dont on puisse davantage apprendre que des pierres. Elles semblent avoir
été créées spécialement pour récompenser celui qui les observe avec patience.
[…] Accordez-leur ne serait-ce qu'un peu de respect et d'attention, et vous
avez là de quoi nourrir votre pensée. Car une pierre, quand on l'examine, se
révèle être une montagne en miniature. Avec la mousse pour forêt, et les grains
de cristal pour escarpement, la surface d'une pierre est, dans la majorité des
cas, plus intéressante que la surface d'un mont ordinaire.
Et quiconque s'est perdu un moment dans
ces chapitres qui s'intitulent « De la vérité des Eaux », ou des
Nuages, ou de la Terre, « Des matériaux des Montagnes », « Des
Formes résultantes », et où Ruskin « se prenant à chaque objet de la
nature, au brin d'herbe comme à l'arbre, au sillon de la goutte de pluie dans
la poussière […], aux fumées errantes de la rosée, le matin, sur la prairie
comme aux cirrus enflammés du crépuscule, nous [dit] tout de la structure, des
couleurs, des directions et de la vie de chaque chose »,
comprend en quoi peut consister ce que Ponge nomme une « invasion de
qualités ».
Ponge indique aussi pour
atteindre cet objectif des éléments de méthode où nous retrouvons
« l'innocence de l'œil » prônée par Ruskin : « Le meilleur parti
à prendre est de considérer toutes choses comme inconnues, et de se promener ou
de s'étendre sous bois ou sur l'herbe, et de tout reprendre au début »,
[et] « d'observer, de parti pris, les insidieuses modifications apportées
à leur surface par les sensationnels événements de la lumière et du vent selon
la fuite des nuages », et d'être « ému de ces grandioses quoique délicats,
de ces extraordinairement dramatiques quoiqu'ordinairement inaperçus événements
sensationnels et changements à vue. »
Ruskin ne fait-il
pas déjà du Ponge, lorsqu'il regarde la montagne comme un espace
« empli jusqu'au fond de l'horizon d'accidents du paysage et de scènes de
la vie, innombrables et toujours nouveaux » ?
N'applique-t-il pas sa méthode lorsque, le soir à l'hôtel, il consigne dans ses Journaux, spécialement ceux des deux grands séjours à Chamonix en 1844
et 1849, son extraordinaire travail quotidien d'observation des
« choses » du paysage, où s'exerce pleinement cette « sensual faculty in the pleasure of sight »
qui le caractérise en tant qu'« optical
thinker » ?
Il y a une heure [5 heures
du matin], j'ai eu le plus beau spectacle que jamais matin m'ait donné dans les
Alpes. Autour des aiguilles, les nuages s'étaient déchirés en fragments :
ils étaient brunâtres dans le ciel et transparents devant les rochers, dont ils
laissaient parfaitement deviner la forme ; les sommets des pics, chargés
d'une neige fraîche et épaisse, se détachaient, sombres, sur le pâle bleu du
matin ; chacun avait une frange de nuage que le soleil éclairait
intensément, mais celui, d'un seul tenant, qu'il y avait sur Charmoz ressemblait
à une gloire. […]. Sur le Dru, le nuage venait du nord ; la face nord
était dégagée et les brumes, semblables à une masse de fumée, s'éloignaient
vers le sud en sombres replis, mais un rayon de soleil allumait comme une
étoile sur le bord de chaque volute, et parfois, au cœur de l'une d'elle
brillait comme un feu de joie. Le Mont Blanc à peine visible, tel un fantôme à
travers un brouillard translucide ; mais l'aiguille du Gouté toute entière dans
une intense lumière, pure et sereine ; ses côtés entièrement recouverts de
neige fraîche et vierge. Le temps de voir cela, c'était déjà fini.
Ou encore :
De la Verte dérivait vers l'Est un nuage pourpre qui
avait la forme d'une vague, tandis qu'un autre nuage montait au-dessus de
Charmoz en projetant une bande d'ombre bleue. Le ciel derrière était d'un bleu
turquoise pur et pâle mais intense ; juste assez pour que la teinte chaude
des roches, se détache par contraste, sombre avec des ombres bleu violet. Un
effet des plus singuliers sur une partie de Charmoz, où un petit point de
neige, avec au-dessus de lui un morceau tout aussi petit de rocher, était
plongé dans une ombre dure. Cela donnait à la neige un bleu pâle très pur, à la
roche un bleu foncé ; leur isolement faisait qu'on ne les percevaient pas
comme étant dans l'ombre, et cela ressemblait exactement à une de ces fragments
bleus sur le bord de la mosaïque sur la façade de San Miniato, ou à un saphir
taillé et poli incrusté dans le flanc de la montagne. […] L'aiguille du Plan
aussi était splendide ce soir. Son pic le plus proche était d'un brun roux
profond, virant au cramoisi sur les crevasses et les arêtes ; à côté la
superbe silhouette du deuxième pic, d'un bleu gris très foncé ; et à côté
le corps principal de l'aiguille en plein embrasement. Enfin l'aiguille du
Goûté était toute d'argent sur sa face Ouest et des bandes de nuage d'un rouge
tendre, s'étalaient en flocons ici et là, au-dessus du sein rose de la montagne,
comme si celle-ci était tout entière en train de se fondre dans l'air pourpre.
…et se souvient de Bonnefoy
C'est à partir d'un autre aspect de cette
« sensual faculty in the pleasure of
sight » que l'on peut aussi lire en filigrane dans la démarche de
Ruskin une partie de l'itinéraire poétique d'Yves Bonnefoy, que l'on étudiera uniquement
ici dans Les Tombeaux de Ravenne,
texte fondateur, qui a l'avantage d'offrir comme un raccourci de la poétique de
cet écrivain.
Le rejet, par quoi tout commence chez Bonnefoy, du concept, « apostasie
sans fin de ce qui est
», comme mode d'appréhension du réel, nous ramène encore à l'œil innocent, en
tant qu'il est dépouillé de toutes les fausses vérités, ou fausses perceptions.
Cela détermine la volonté de s'immerger dans « le sensible » pour en
saisir la chair, la pulsation, l'immanence, au plus près du « réel ».
Par exemple la pierre, objet ruskinien s'il en est, et à propos de quoi
Bonnefoy écrit : « Je ne puis me pencher [sur elle] sans la
reconnaître insondable, et cet abîme de plénitude, c'est pour moi le réel
exemplairement. »
Comment ne pas voir ce même abîme de plénitude, dans cette page de Ruskin,
« une de ses plus époustouflantes » selon Simon Schama :
Si nous regardons le
rocher de plus près, nous le voyons tout ému et troublé comme une vague sous la
brise d'été. Il ondule, bien plus délicatement que la mer ou le lac, car de
ceux-ci seule la surface se ride, alors que ce roc frissonne de toutes ses
fibres, comme les cordes d'une harpes éolienne, comme l'air calme du printemps
aux échos d'une voix d'enfant. Au cœur de toutes ces grandes montagnes, à
chaque ébranlement de leurs crêtes immenses, au fond de leurs défilés
insondables, court cet étrange frémissement de leur substance.
Ou dans cette autre page, écrite à seize ans, où le jeune Ruskin, raconte comment
au col du Grand Saint-Bernard, c'est au plus prs de la mort, à la manire du Bonnefoy de Douve,
qu'il fait déjà lexpérience de la présence :
Les rochers bordant le petit lac semblaient pleins d'une vie au milieu de la mort :
sur la pierre grise et froide, à côté des couches sans vie de neige pâle qui l'enserrent à jamais en leurs
bras glacés, poussaient, belles et colorées, les fleurs sauvages qui, de leur couche aride, en leur riante
floraison, regardaient silencieusement l'air froid, illuminant l'obscurité de la terrible solitude comme le
font de plaisants rêves dans une vie de misère, ou un doux sourire sur les lèvres d'un mort
(Une Nuit l'Hospice, 1835).
Cette approche du réel
permet seule d'atteindre à la présence, « notion, dit Bonnefoy lui-même, quasi
déserte de tout sens », mais qui « séduit comme une œuvre
d'art », parce que « cela est brut comme le vent ou la terre ».
Cette accession à la présence, n'est guère éloignée de la theoretic faculty, qui est pour Ruskin appréhension instinctive et
émotionnelle, et non pas rationnelle et consciente du réel et de sa beauté :
« C'est elle, et elle seule, qui est pleine compréhension et contemplation
de ce don qu'est la beauté. »
Cette présence est
source de joie, lorsque parfois, « le monde se dresse », et que «
comme par grâce tout le vif et le pur de l'être nous est donné ». Et le
lieu où se vit cette expérience, « lieu de la présence », véritable
Terre promise, c'est le « vrai lieu ». « Je ne doute point,
écrit Bonnefoy, qu'existe, quelque part et à mon usage, cette demeure, ce seuil
de possession de l'être », qui n'est « rien d'autre qu'une patrie ».
Si Bonnefoy trouve son
vrai lieu à Ravenne (« Je reviens vers Ravenne comme à la source d'une
lumière qui vit en soi et par soi. Rien ne ternit dans Ravenne la pureté de ce grand éclat faute duquel j'ai appris qu'on ne pouvait
vivre »), le vrai lieu de Ruskin c'est Chamonix,
dont il écrit en 1842 : « Quel lieu que Chamonix ! Il n'est pas
de ciel comparable à son ciel ! […] Il n'est pas d'air comparable à son
air. […] Et pour ce qui est de sa terre il n'est pas une branche dans la
vallée, pas une pierre qui ne soit empreinte de grandeur. »
Et en 1846 : « Je rends grâce à ce lieu d'être pour moi si inépuisable et
si perpétuellement rafraîchissant — à côté, tout autre spectacle est
bien pâle à mes yeux. »
Ainsi, dans ses Journaux, passe-t-on
d'« un de ces matins célestes de Chamonix » à « un de ces jours
parfaits de Chamonix ». Et lorsque, après quinze jours à Zermatt, il
retrouve sa « chère vallée », son « vrai pays », voici ce
qu'il écrit :
Je n'ai connu nulle part ailleurs ce vert
et cet orange tels qu'ils sont ici lorsque le soleil a abandonné les
sapins et qu'il donne sur le granit. La grande cascade bondissait comme
d'habitude […], tandis que le vent m'apportait son grondement à travers les
champs — toute la tendresse de la plus pure des basses terres avec
tout le calme et toute la fraîcheur de la montagne — non pas les
escarpements farouches de Zermatt, ni l'aspect de ruine désolée de Courmayeur — mais
toute une plénitude de paix, de joie et de puissance.
On voit comme ici
l'écriture répond au « désir de posséder tout la beauté [qu'il voit], de
garder à l'esprit chaque contour et chaque couleur », et comme le regard
est tout entier pénétré de ce que Ruskin appelle « la splendeur du présent ».
Il y a ici, dans ce vrai lieu ruskinien, une forme d'être-au-monde, où, selon
les mots de Bonnefoy, « la réalité muette ou distante et mon existence se
rejoignent, s'exaltent dans la suffisance de l'être ».
C'est aussi ce qu'éprouvera, chez Ponge, le « contemplateur », tout
pénétré de « cette fraîcheur qui maintenant filtre à travers son corps et
le laisse transi et traversé d'azur », et qui se trouve « justifié
d'être au monde puisque toute la nature l'imprègne sans l'amoindrir. »
Et Claudel n'est pas bien loin, qui écrit dans Connaissance de l'Est : « Jadis, j'ai découvert avec
délice que toutes les choses existent dans un certain accord et maintenant
cette secrète parenté par qui la noirceur du pin épouse là-bas la claire
verdure de ces érables, c'est mon regard seul qui l'avère […]. Je suis
l'Inspecteur de la Création, le Vérificateur de la chose présente ; la
solidité de ce monde est la matière de ma béatitude ! »
Du côté de la photographie
Ruskin nous a donc mis,
en une étonnante série de réminiscences anticipées, sur la piste de cette famille
des « inspecteurs de la création », qui, catholique ou protestant,
matérialiste ou spiritualiste, recherchent tous la « béatitude »
en « [vérifiant] la chose présente ». Mais
les quelques textes provenant de ses Journaux
qui ont été cités plus haut, dont l'écriture aussi rapide que visuelle, et
réduite à l'essentiel est si différente de l'écriture de ses grands essais,
mais plus encore de celle, souvent très emphatique, de la plupart des voyageurs
alpestres dans ces mêmes année, nous invitent à suggérer une dernière trace du
futur. Ces textes nous rappellent, avec une sorte d'évidence, qu'ils sont
contemporains des découvertes quasi simultanées du daguerréotype, par Daguerre
(1839) et du calotype par Fox Talbot (1841). Même si plus tard il tempérera son
enthousiasme, Ruskin, enthousiasmé par cette « noble
invention », « certainement la plus merveilleuse du siècle », se
dit « absolument insatiable »
de ces « choses magnifiques [glorious
things !] » que sont les daguerréotypes ».
« I got a view », « J'ai pris
une vue », dit-il à propos des dessins et aquarelles qu'il a réalisés dans
la journée à Chamonix. Il pourra bientôt en dire autant à propos des
« dag », de la mer de Glace, des Aiguilles, du Dru, ou du Cervin,
aussi bien que des monuments de Venise ou de Florence qu'il réalise (ou plutôt
fait réaliser par son domestique !) avec la « boîte » qu'il a
acquise probablement en 1846.
Il pourrait tout aussi légitimement le dire aussi à propos de ces
« vues » qu'il fixe chaque soir par l'écriture dans son
journal : il « prend » le Mont Blanc au point du jour, ou les
Aiguilles dans la lumière du soir. Comme le dirait, et comme le ferait un photographe. Car Ruskin, qui
cherche à fixer dans son journal la « splendeur du présent » parce
que, dit-il « je suis tourmenté du vague désir de posséder toute la
beauté que j'ai vue, de conserver chaque ligne et chaque couleur en mon esprit,
et malheureux à l'idée que je puisse finir par l'oublier tout à fait »,
a vraiment ici « une attitude,
un état d'esprit de photographe ».
L'écriture du journal,
ainsi envisagée, cherche et parvient à s'approprier quelque chose de l'immédiateté
qui caractérise la photographie : arrêter le temps, posséder le moment
fugace, saisir l'éphémère, en reproduisant la réalité avec une fidélité
irréprochable et en restituant les choses dans
leur présence. Comme le font ces daguerréotypes de Venise qui lui font
l'effet d'être « presque la même chose que demporter le palais
lui-même ; chaque morceau de pierre est là, et bien sûr sans la moindre
erreur dans les proportions »,
ou ceux de Florence auxquels « il ne manque que le chant des cigales dans les
oliviers ».
Une adhésion aussi
pleine aux pouvoirs de la photographie
pourrait surprendre de la part du défenseur de Turner et du redécouvreur de
Tintoret. Mais Claudel nous fournit la clé de cet apparent paradoxe, en
explicitant parfaitement ce que Ruskin ne fait ici que pressentir : si un
de ses essais s'intitule « Les Psaumes et la Photographie », c'est
parce que, selon lui, pour « satisfaire notre religieuse curiosité »
devant la Création, « la science a mis à notre disposition un moyen plus
sûr que le pinceau, […] : c'est la photographie. »
C'est « le moyen d'arrêter le temps, de transformer le coulant, le
passager en un carré durable, portatif […], le moment capté, une pièce à
l'appui », ce qui correspond parfaitement, comme on l'a vu, au souci de
Ruskin de fixer la « splendeur du présent ». Et surtout l'image
offerte par l'objectif (qui mérite bien son nom) de l'appareil photographique
possède une sorte d'immédiateté qui en fait d'une certaine façon « l'œil
innocent » par excellence, différent de l'œil du peintre qui, dans sa
médiation entre la Création et nous, a tendance, selon Claudel, à se comporter
en « indiscret », à « imposer sa petite idée » des choses,
au point que l'on ne dit plus « c'est un bois, c'est une rivière, on
dit : c'est un Courbet, c'est un Corot, c'est un Monet, c'est un Pissarro ».
Fox Talbot soulignait
déjà cette spécificité de l'image photographique en présentant son invention
comme le « Crayon de la Nature » ;
dans le même esprit, Ruskin définit les daguerréotypes comme des sun's drawings,
des « dessins faits par le soleil ». Autrement dit, une
représentation de la Nature par elle-même. L'enthousiasme de Ruskin (fût-il
provisoire) et celui de Claudel viennent de ce que la photographie, à leurs
yeux, restitue quelque chose de la présence de Dieu au plus près de sa
Création. Comme l'écrit Claudel, qui encore une fois nous permet d'expliciter
tout cela, dans la conclusion de son essai :
Et voici justement à notre
disposition l'appareil approprié. Au moment voulu, nous avons déclenché
l'éclair ! […] Dans le fouillis du contingent, grâce à notre patiente
investigation, nous avons retrouvé la parole de Dieu. Il n'y a plus qu'à
l'écrire dessous dans le langage de David et de Salomon.
La présence de Dieu au
plus près de sa Création — mais ce pourrait être la présence purement
matérielle des choses que recherche Ponge, ou cette indéfinissable
« présence de la présence » qui obsède Bonnefoy — est ici
saisie dans une sorte d'immanence, au-delà ou en deçà de l'art.
C'est peut-être ce que pressentait Ruskin lorsque, en termes étonnamment modernes,
il justifiait ainsi son admiration pour Byron : « un homme qui ne
parlait que des choses qu'il avait vues, et qu'il connaissait ; et qui en
parlait sans exagération, sans mystère, sans animosité, et sans pitié :
“Les choses sont ainsi, tirez-en ce
que vous voulez” ! »
Ultime trace du futur, réminiscence anticipée du fameux « What you see is what you see » de
l'artiste contemporain Franck Stella…
Que toutes ces traces du
futur aient pu surgir au cours d'une lecture de Ruskin montre que celui-ci mérite
autre chose que le regard dédaigneux qui le réduit à « une note dans la
vie et l'œuvre de Proust » ; par un certain nombre de traits qui se
rattachent tous à sa qualité exceptionnelle d'optical thinker, il fait partie de ces écrivains qui, ayant parfois
« dépassé les limites étroites de leur temps »,
témoignent de « la capacité du créateur, en tâtonnant dans l'obscurité
pour échapper aux contraintes de son temps, d'ouvrir le dialogue avec les
habitants de l'avenir ».
André Hélard