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Yvon Logéat, professeur de Lettres, a reçu l'écrivain Hélène Cixous dans sa classe de Seconde au Lycée Sévigné de Cesson-Sévigné.

Nous le remercions de nous permettre de publier ce travail.

Texte mis en ligne le 26 février 2003.

Autres textes dans la même série :
Jean-Claude Pirotte dans la classe.
Didier Daeninckx dans la classe.
Jean-Pierre Abraham dans la classe.

© : Yvon Logéat.


Dans la classe, l'auteur ou l'écrivain ?

La controverse pourrait s'ouvrir par la question suivante : « Est-il bien nécessaire de recevoir un écrivain dans une classe quand on peut y accueillir chaque jour l'auteur ? »

D'abord le texte et l'auteur/narrateur

 

L'auteur, nous l'avions avec nous quand nous nous sommes mis à lire le début du texte d'Hélène Cixous intitulé Voiles.

Hélène Cixous. Voiles

La myopie était sa faute, sa laisse, son voile natal imperceptible. Chose étrange, elle voyait qu'elle ne voyait pas, mais elle ne voyait pas bien. Chaque jour il y avait refus, mais qui pouvait dire d'où partait le refus : qui se refusait, était-ce le monde ou elle ? Elle était de cette race obscure subreptice qui va désemparée devant le grand tableau du monde, toute la journée en posture d'aveu : je ne vois pas le nom de la rue, je ne vois pas le visage, je ne vois pas la porte, je ne vois pas venir et c'est moi qui ne vois pas ce que je devrais voir. Elle avait des yeux et elle était aveugle.

Elle devait passer tous les jours au large du château. L'aide venait de la statue de Jeanne d'Arc. La grande femme en or brandissait sa lance flamboyante et lui montrait la direction du château. En suivant l'indication d'or elle finissait par y arriver. Jusqu'au jour où. Un matin sur la place il n'y avait rien. La statue n'était pas là. Il n'y avait pas trace de château. À la place du saint cheval une pénombre mondiale. Tout était perdu. Chaque pas augmenterait l'égarement. Elle resta pétrifiée, privée de l'aide de sa statue. Elle se vit arrêtée au sein de l'invisible. De toutes parts elle voyait ce rien pâle sans limites, c'était comme si par un faux pas elle était entrée vivante chez la mort. L'ici néant durait, et personne. Elle saisie, tombée debout dans l'étendue insondable d'un voile, et voilà tout ce qui restait de la ville et du temps. La catastrophe s'était produite en silence.

Et maintenant qui était-elle ? Seule. Un petit clou de travers dans l'intervalle.

Plus tard dans l'intervalle quelqu'un abruptement surgi du rien lui affirma que les choses n'avaient pas fui du tout. Elles étaient à leur place assurément. Ainsi c'était elle qui ne voyait pas la statue ni le château ni les rebords du monde ni l'autobus ? Une voilette de brume avait eu raison des existences à ses pauvres yeux crédules. La grande statue d'or n'avait pas résisté. Ce fut sa première apocalypse. La ville perdit de sa solidité.

 

Ce serait exagérer de dire que l'émotion est venue la première à la lecture de cet extrait mais ces lignes nous ont dérangés, cela oui ! Patiemment, après des jugements hâtifs : « Comment peut-on écrire comme cela ? Qu'est-ce que cela veut dire ? », il a fallu tenter de comprendre et d'inventer un outil d'analyse. Le plus simple était de « décrire » le texte : on parle de « myopie », on raconte une histoire, on donne une vision de l'existence. À nous maintenant de découvrir qui est ce « on » qui parle et quelle vision de l'existence « on » nous propose.

Le texte a été divisé en dix éléments qui, pour chacun d'eux forment un tout et sont confiés un à un à un groupe d'élèves.

Voici par exemple, la brève analyse d'un passage, proposée par un groupe :

 

Passage nº5

Voir est-il la jouissance suprême ? Ou bien est-ce : cesser-de-ne-pas-voir ?

Des oiseaux visibles passèrent de droite à gauche dans le ciel des flottes de nuages filèrent de gauche à droite, c'était invu ! Viens, futur, viens, toi qui ne cesse de venir, n'arrivant jamais, viens, venant !

Ça n'arrêtait pas de venir, d'apparitionner. L'apparitionnement se poursuivait. C'est ce qui la transportait : le pas de l'Apparition. La venue à Voir. Et qui vient ? moi ou toi ?

C'était voir-à-l'œil-nu, le miracle.

Voilà ce qui la transportait. Car elle avait déjà vu tout cela sous verre avec lunettes et sans exaltation : vision d'emprunt, vue séparée.

Mais à cette aube sans subterfuge elle avait vu avec ses propres yeux le monde, sans intermédiaire, sans les verres de non-contact. La continuité de sa chair et de la chair du monde, le toucher donc, c'était l'amour, et là était le miracle, la donation. Ah ! Elle n'avait pas su la veille que les yeux sont les mains miraculeuses, n'avait jamais joui du délicat tact de la cornée, des cils, les mains les plus puissantes, ces mains qui touchent impondérablement les icis proches et lointains. Elle n'avait pas su que les yeux sont les lèvres sur les lèvres de Dieu.

Elle venait de toucher le monde de l'œil, et elle pensa : « c'est moi qui vois. » Moi serait donc mes yeux ? Moi serait la rencontre, le point de rencontre entre mon âme voyante et toi. Violente douceur, brusque apparition, elle lève les paupières et : le monde lui est donné dans la main des yeux. Et ce qui lui fut donné en ce premier jour, ce fut le don même, la dation.

Non, la joie n'est pas « retrouver la vue », c'est faire connaissance avec voir-à-l'œil-nu. Quel est l'équivalent d'inouï ? Invu ? Il n'y avait encore jamais eu de l'invu. C'était une invention. Cela venait de commencer.

Et dire que ce miracle ne frappait que les siens, sa tribu, la myope.

Mais si l'on pouvait expulser la myopie, c'est donc qu'elle était une étrangère ? Elle l'avait toujours pressenti : sa myopie était sa propre étrangère, son étrangèreté essentielle, sa propre faiblesse nécessaire accidentelle. Son sort. Et elle était sortie d'un bond de son sort ? De sa peau. De la paupière dans laquelle son âme gisait cousue.

 

Le texte se situe après l'opération : « Mais à cette aube sans subterfuge, elle avait vu avec ses propres yeux le monde, sans intermédiaire, sans les verres de non-contact ».

Le texte comprend peu de récit. Il marque quatre étapes chronologiques, à chaque fois plus profondes. L'héroïne découvre de plus en plus le monde. Cela commence par « des oiseaux visibles…à droite », où on décrit concrètement, ensuite elle revient en arrière, commence une réflexion « elle avait déjà…lunettes », on a une marque temporelle ; puis « mais à cette aube…monde », enfin, « elle venait de toucher le monde de l'œil ».

Elle perçoit la myopie négativement. Pour elle, c'était une étrangère, un intrus, ce n'était pas vraiment elle. C'était un fardeau qui l'empêchait de voir le monde réel « elle avait déjà vu…sous verre…sans exaltation », qui l'écartait, elle et les autres myopes, de la vie, de la société, du monde. Elle en est délivrée « la Venue à voir ». L'auteur joue avec les mots, en invente « étrangèreté », puis insiste sur le fait du fardeau, avec une accumulation d'adjectifs dans un même groupe nominal « sa propre faiblesse nécessaire accidentelle », et un groupe ternaire, où les éléments sont pratiquement les mêmes « sa propre étrangère,… accidentelle. » La myopie est évoquée par des métaphores

« étrangèreté », « sort ».

Le texte est essentiellement une réflexion philosophique positive sur le fait de voir. Elle découvre un monde nouveau, qui n'est pas le même qu'avant son opération, quand elle l'observait de derrière ses verres de « non-contact », « non-contact » car ils ne lui permettent pas d'être en contact direct avec le monde. Maintenant, elle plonge dans le monde, le touche avec les yeux comme s'ils étaient des mains. « les yeux sont les miroirs de l'âme » et son âme est au bord des paupières.

Vision nouvelle et positive du monde, elle le redécouvre, elle est émerveillée par de simples choses comme « un vol d'oiseaux », c'est une renaissance.

Citation : les yeux sont les lèvres sur les lèvres de Dieu.

 

 

L'addition de toutes les analyses faites en classe par les groupes, donne un sens assez pertinent au texte. Certes nous n'en sommes pas, en seconde, à aborder la question de la représentation ou le problème posé par la phénoménologie mais l'on perçoit déjà qu'un texte ne se lit pas toujours comme une narration et que derrière les mots, par l'écriture, c'est une vision du monde qui se dévoile. Les remarques formelles sur l'écriture contribuent ici à l'explicitation de l'interprétation.

Voici rassemblées, les remarques des groupes :

 

Quelle vision du monde ce texte évoque-t-il ?

Groupe 3. La réflexion philosophique. Place importante. Opposition fondamentale (« vaincre l'invincible, fin de l'infinie, impossible sera possible »)

Elle donne une vision où le progrès repousse toutes les limites. Grâce à la science, les barrières se cassent.

 

Groupe 5. Le texte est essentiellement une réflexion philosophique positive sur le fait de voir. Elle découvre un monde nouveau, qui n'est pas le même qu'avant son opération, quand elle l'observait de derrière ses verres de « non-contact », « non-contact » car ils ne lui permettent pas d'être en contact direct avec le monde. Maintenant, elle plonge dans le monde, le touche avec les yeux comme s'ils étaient des mains. « les yeux sont les miroirs de l'âme » et son âme est au bord des paupières.

Vision nouvelle et positive du monde, elle le redécouvre, elle est émerveillée par de simples choses comme « un vol d'oiseaux », c'est une renaissance.

 

Groupe 6. La réflexion philosophique est mise en valeur par des interrogations personnelles : « Comment mesurer cet advenir lent et puissant ? ».

Syntaxe :

- phrases courtes : « Où est la vérité ? »

- parallélisme : « comme si...comme si...comme si… »

Conclusion : Suite à son opération, elle retrouve peu à peu la vue. Elle en est contente : « vite miracle » mais la peur la rattrape vite : « doucement miracle ». Elle appréhende de redécouvrir le monde sous un œil différent.

Vision du monde : crainte de la nouveauté, de la découverte.

 

Groupe 10. La dernière phrase « Peut-être n'avons-nous jamais eu d'autre vouloir que voir ? » mais aussi l'expression « la myopie-qui-passe-du-non-voir-au-voir » qui est liée car la petite fille est « entre », c'est dans la situation d'Hélène C. qui veut montrer que c'est continu en formant une espèce de groupe, un nom.

Ensuite le texte, l'auteur et l'écriture

L'intention était aussi d'aborder, à travers ce texte d'Hélène Cixous, le travail de l'écriture. Comment, en effet, rendre l'auteur plus présent qu'en travaillant à écrire « dans » et « par » son texte ? Les programmes de lycée donnent à ce propos des indications précises :

 

« L'écriture exige un ensemble de démarches et ne s'élabore pas sous l'impulsion d'une inspiration soudaine, ni par l'effet d'un don réservé à quelques-uns.

On peut étudier les questions de style, et donc la dimension spécifique des œuvres littéraires dans le processus de la réception des œuvres. Mais elles peuvent aussi être envisagées dans l'acte d'écriture, comme une série de choix par lesquels un auteur donne à ses textes leur tournure spécifique. Elles sont alors liées à la production des textes et peuvent être abordées en relation avec l'écriture d'invention où elles trouvent un lieu de réinvestissement, aussi bien qu'avec les analyses d'œuvres.

Le texte est un objet produit par un travail et donc analysable comme tel (produit d'une inspiration dictant son libellé, il serait à considérer selon la valeur ou la croyance qu'on accorde à cette inspiration, et non comme un ensemble de significations appelant l'analyse)[1]. »

 

Dans l'extrait suivant, Hélène Cixous parle d'une opération chirurgicale qui l'a débarrassée de sa myopie :

 

« Le deuil de l'œil qui devient un autre œil : « Je ne serai plus jamais myope ! » Mais le supplément de légèreté à passer dans le visible sans avoir à enfoncer la porte à chaque instant. La joie de l'œil délivré physiquement : une sensation délicieuse d'agrafes ôtées : car la myopie a de petites serres, elle tient l'œil sous un voile serré, vissements de paupières, insistances, efforts vains pour passer le voile et voir, front froncé.

La joie de l'œil débridé : on entend mieux aussi. Pour entendre il faut bien voir.

Maintenant elle entendait bien même sans lunettes. »

 

Le sujet du travail d'écriture est apparu après lecture de cet extrait comme une évidence.

Si « pour entendre, il faut bien voir », l'inverse est-il vrai ? Vérifions-le en écrivant. Le texte témoignage de parents de Hugo, un enfant sourd qui a bénéficié d'un implant cochléaire, témoignage découvert sur le site internet de l'association de malentendants Cochlée Bretagne, servira de cadre à une écriture d'invention[2]. Ce n'est plus de la myopie que l'on parlera mais de l'enfant malentendant. Dans les traces de l'écriture d'Hélène Cixous, les élèves ont cherché à se mettre dans la peau du petit Hugo.

 

Voici un des exemples de transformation du texte d'Hélène Cixous.

 

La surdité était ma faute, ma laisse, mon problème. Ce qui était bizarre, c'est que j'entendais que je n'entendais pas mais je n'entendais pas bien. Chaque jour était un combat pour reconnaître au son les différents bruits fantastiques. Pas de chance, j'étais né avec un voile dans l'oreille, une de ces choses imperceptibles qui vous coupe du monde et je croyais que cela durerait à jamais. Heureusement, on m'installa un implant cochléaire et cela me permit de découvrir un monde nouveau, un monde merveilleux, un monde fantastique. Pour la première fois de ma vie, je pouvais crier : « J'entends, j'entends. » Mais qu'est-ce qu'entendre si ce n'est que pouvoir écouter émerveillé les sons ? Ah, les sons, enfin, je les entendais, même si je ne savais pas détecter à quoi correspondait chacun d'eux. Puis souvent, j'entendais une belle voix, fine et douce. On me disait : « Est-ce que tu entends ta voix ? » Je répondais : « C'est quel son, ma voix ? » Je compris au bout d'un moment que la voix douce et belle était en fait la mienne.

Guillaume

Se mettre dans les traces de l'écrivain, écrire dans son texte et prendre une perspective qu'elle a adoptée, a permis d'aborder le problème de l'écriture, d'un type d'écriture nouveau auquel cette génération d'adolescents ne serait jamais directement confrontée s'il n'y avait pas le travail de la classe. À partir de ce travail, la rencontre avec l'écrivain était très attendue et pouvait porter des fruits.

Enfin l'écrivain

Cela aurait pu être une réflexion sur la myopie et la surdité à partir du personnage fictif de Hugo que la classe avait adopté. Il en a été tout autrement. Hélène Cixous s'est vite imposée par la magie de son verbe mais la qualité de l'écoute des élèves laissait percevoir combien rien ne leur échappait, surtout pas la conscience de participer à un événement qui pouvait les transformer[3].

Voici quelques extraits de leurs réflexions qui en témoignent.

 

« Une satisfaction, la première heure, nous avons parlé de la myopie et c'est un sujet qui me concerne ; cela m'a permis de réfléchir à une possible future opération, car avant, je voulais la faire absolument pour me débarrasser de ce handicap et l'oublier à tout jamais ; mais grâce à cette rencontre et notamment à l'analyse du texte, je me suis rendu compte que cette myopie, ou plutôt ma myopie faisait partie de ma personnalité et que si je l'abandonne, je crains d'en perdre une partie et de ne plus être le même. De plus, je fais partie d'une sorte de tribu que j'ai toujours défendue et cela m'ennuierait de l'abandonner. » B.

 

L'élève montre ici que c'est à un problème particulièrement aigu qu'il s'est trouvé confronté puisque sa situation de myope est directement mise en scène par Hélène Cixous. Il a en quelque sorte accepté de se placer du point de vue de la rationalité en « désaffectivant[4] » cette situation personnelle qu'il vit de façon intense. Il attribue sa prise de conscience à la rencontre aussi bien que l'analyse du texte.

Toute différente est la réaction suivante. L'élève ici fait le tour des circonstances de la rencontre et des découvertes qu'elle a représentées pour lui :

 

« Une insatisfaction. Le manque de temps. Le temps s'est écoulé malheureusement trop vite, rythmé par des questions et par des réponses plus qu'intéressantes. Une remarque purement matérielle, mais cependant incommodante : la température… Comment réfléchir quand on a les pieds gelés ? !…[5]

Une satisfaction. Les réponses d'Hélène Cixous étaient longues, certes, mais aucunement ennuyeuses. En effet, la réponse donnée était faite puis l'auteur s'éloignait de plus en plus du sujet, en racontant des expériences personnelles, des sujets concrets…, la magie des mots…

Une question. Où vit-elle ? France/USA.

N'a-t-elle jamais songé à revenir en France (si elle habite aux USA) ? Préférait-elle le monde des voyants, son monde actuel au monde des malvoyants ?

Un plaisir. Lorsque Hélène Cixous a parlé de William Wilson, de E.A. Poe, je n'ai pas réagi. Mais après, je me suis souvenu que Nouvelles histoires extraordinaires, je l'avais. C'est alors qu'avec un plaisir évident, je me suis remis à (re)lire ce livre (avec des passages intéressants et d'autres moins), avec outre William Wilson, Le chat noir…

Une surprise. Les auteurs préférés ou tout du moins les auteurs « mythiques » d'Hélène Cixous : Diderot, Baudelaire, Rousseau… Culture littéraire française… Oui mais (et) quelle culture ! » J.M.

 

On voit que les réactions de l'élève concernent d'emblée un décentrement par rapport à lui-même : admiration devant le verbe, la culture et la passion de l'interlocutrice. La présence de l'écrivain lui fait retrouver ce qu'il a déjà en lui.

Le témoignage suivant souligne aussi l'importance de la présence de l'écrivain. C'est la rencontre qui aura permis à l'élève de s'ancrer, – on peut le percevoir par la fin de son écrit –, dans une nouvelle perception de la portée des textes littéraires :

 

« C'était satisfaisant. Cela m'a permis de la comprendre, donc de mieux comprendre le texte. On sait maintenant pourquoi elle emploie la troisième personne du singulier dans son autobiographie au lieu de « je ». C'est parce qu'elle n'était pas prête, elle ne se sentait plus elle-même, depuis l'opération. Et on sait aussi que lorsqu'elle emploie le « je », c'est une sorte de confession.[6]

C'était formidable de pouvoir mettre un visage et une personnalité actuelle à une petite fille heureuse et troublée dont on ne connaît principalement que les sentiments.

C'était aussi très satisfaisant de savoir ce qu'elle est devenue : une femme qui peut enfin dire : « C'était ma myopie » et qui depuis, s'est épanouie, a mûri et est compréhensive des autres (ex : elle comprend les non-voyants et les sourds !) Cette maturité et cette expérience qui la caractérisent désormais lui permettent d'analyser sa myopie et de nous la faire comprendre. Avant de la rencontrer, je pensais qu'elle exagérait sur sa myopie, qu'elle était un peu trop négative. Mais en la voyant, j'ai compris, aux anecdotes qu'elle nous donnait, que cette myopie était vraiment un handicap pour elle. » T.

 

Admettons-le, il y a bien un risque à courir quand on reçoit un écrivain dans une classe, celui d'occulter l'essentiel, la force du texte littéraire. Mais ce risque ne met en danger que lorsqu'on se satisfait d'un questionnement artificiel coupé du travail que l'on peut faire dans un cours de français. Il ne s'agit pas pour l'enseignant de refaire « Campus » ou « Apostrophes » mais de rendre sensible par une présence, le fait que l'écrivain pratique un véritable métier, celui de donner vie aux mots.

 

Yvon Logéat.

Février 2003

 


NOTES

[1] Livret d'accompagnement des programmes de lycée.

[2] On pourra trouver une description détaillée de ce travail et les textes des élèves de cette classe de Seconde sur ce même site.

[3] On trouvera dans la revue Atala du Cercle de Réflexion Universitaire du Lycée Chateaubriand de Rennes (nº 5, 2002, pp. 221-232), l'évocation de cette expérience et les textes des élèves.

[4] Philippe Meirieu, La Pédagogie entre le dire et le faire, ESF, 1995, p. 169

[5] De la complexité de l'acte pédagogique ! Il faut aussi prévoir les conditions matérielles et éviter de faire pousser à fond la ventilation dans un amphithéâtre !

[6] Dans le passage auquel l'élève fait allusion, l'énonciation change et on peut effectivement s'interroger sur le sens du « je » : « Elle était toujours là l'invisible qui séparait à jamais la femme. Comme si elle était le génie même de la séparation. Cette femme était une autre et vous ne le saviez pas.

Moi aussi j'ai été myope. Je puis l'attester : certaines personnes gravement blessées de myopie peuvent parfaitement cacher aux yeux du public les actions et l'existence de leur très folle fatalité. »

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