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Yvon Logéat, professeur de Lettres, a reçu trois poètes dans sa classe de Seconde au Lycée Sévigné de Cesson-Sévigné (35) : Jean-Louis Aven, Jacques Josse, Erwann Rougé. La rencontre portait sur des textes de Jean Follain.
Nous le remercions de nous permettre de publier ce travail.
Texte mis en ligne le 14 mai 2003.
Autres textes dans la même série :
Jean-Pierre Abraham dans la classe.
Didier Daeninckx dans la classe.
Hélène Cixous dans la classe.
Jean-Claude Pirotte dans la classe.
© : Yvon Logéat.
« Comment susciter l'intérêt des élèves pour un genre littéraire difficile et souvent en marge de leurs expériences de lectures personnelles ? »
C'est en ces termes que Gérard Langlade[1] évoque la question de l'étude d'un recueil poétique. Nous laisserons de côté ici, le problème de l'étude analytique à proprement parler pour nous contenter d'évoquer la rencontre avec des écrivains qu'a permise la lecture en classe du recueil de Jean Follain Exister[2].
La lecture collective d'une œuvre
poétique peut être notablement enrichie par la perspective d'une rencontre avec
des poètes qui viendront eux-mêmes exprimer leurs propres sentiments sur
l'œuvre.
Une première séance pour s'initier aux textes
La démarche de cette première séance travail sur l'ouvrage de Jean Follain Exister a été la suivante : il s'agit, sans discours préalable sur le texte poétique ou la biographie de l'auteur de découvrir des textes et de se laisser porter par ses premières impressions. Les trois textes choisis sont le premier poème du recueil Exister et les deux derniers du recueil Territoires appartenant au même volume de la collection Poésie/Gallimard.
Une première lecture est faite par le professeur sans que les élèves aient le texte sous les yeux. Les textes leur sont distribués ultérieurement. Voici les consignes de travail sur les trois textes.
1) Quelle impression ressentez-vous en écoutant le texte 1, le texte 2, le texte 3. ? Traduisez-la par une évocation d'un souvenir personnel, d'un lieu, d'un instant, d'une émotion.
2) Quelle impression ressentez-vous à la relecture de chacun des trois textes ?
3) D'où vient pour vous la poésie des textes ?
4) Quelle relation faites-vous entre le titre de l'ouvrage Exister et les trois poèmes ?
Il arrive que pour soi
l'on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l'on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d'argile
tandis que chaises, table, armoire
s'embrasent d'un soleil de gloire.
Fertile et doux un champ respire
au soleil d'après-midi
lieu d'herbes hautes
de plantes naines
il y reste d'un âcre journal
un lambeau sec
un corps de femme y projette
une ombre sur les centaurées
beaucoup de bêtes y sommeillent
ayant des réveils innocents
un soldat, un prêtre, un juge
s'arrêtent à voir son étendue
sur son prix et sa luxuriance
portant des pensers différents
sous un ciel en feu.
Il est un temps où l'eau s'agite
puis elle stagne
et la guerre vient
sont exempts de tout murmure
les lichens et les pierres
mais point la prêle et la cigu‘
bercées par un vent tempéré
couper une tige
au fond d'un pré lisse au soir
devient alors
une réussite de la vie
un homme embrassant une fille
survit dans un jardin transfiguré.
Une seconde séance pour choisir des textes
Il s'agit encore de se laisser aller à ses premiers sentiments. Chacun doit choisir 5 textes dans l'ensemble de l'ouvrage et en noter les titres. (Environ 30 minutes de lecture personnelle.) Il est conseillé d'aller au fil des textes en choisissant ceux qui plaisent pour diverses raisons que, dans un premier temps, on n'a pas à expliciter.
Après cette première découverte personnelle, on échange les titres des textes avec son (sa) voisin (e) et on doit lire les textes choisis par l'autre. (15 minutes).
Puis, il faut s'accorder sur le choix d'un seul poème qu'on justifie en quelques lignes. (15 minutes).
Enfin chaque poème retenu est lu à la classe ainsi que les quelques lignes motivant le choix du texte.
Après la lecture de ces textes et
le commentaire, chacun choisit un texte qui sera présenté à des auteurs qui
seront reçus dans la classe.
Où il est montré que des élèves peuvent lire beaucoup de poèmes en peu de temps
Voilà un moyen très économique pour faire lire beaucoup de poèmes d'un même recueil. D'abord, chaque élève devant proposer cinq titres de poèmes à son (sa) voisin(e), a parcouru l'ouvrage, en une lecture cursive rapide, puis il lui a fallu fixer son choix sur cinq textes qu'il aura donc lus un peu plus précisément ; ensuite, il aura dû lire les poèmes que lui présente son (sa) voisin(e). Enfin, le choix d'un poème effectué, la classe en écoute la lecture ; si on ne compte pas les doublons, cela fait encore une dizaine de poèmes. On peut considérer que cette lecture du recueil aura permis de prendre connaissance d'une vingtaine de poèmes. C'est aussi une bonne façon de s'initier à la lecture d'un recueil poétique. Voici donc un poème choisi par un groupe et les raisons du choix.
Il naît un enfant
dans un grand paysage
un demi-siècle après
il n'est qu'un soldat mort
et c'était là cet homme
que l'on vit apparaître
et puis poser par terre
tout un lourd sac de pommes
dont deux ou trois roulèrent
bruit parmi ceux d'un monde
où l'oiseau chantait
sur la pierre du seuil.
C'est tout d'abord le
titre du poème qui nous a interpellés. Il en ressort une certaine futilité de
la vie, dans laquelle un sac de pommes que pose à terre peut prendre une
importance soudaine. C'est la vie d'un homme qui y est décrite en quelques
lignes, et l'anecdote citée n'est pas très représentative d'une vie.
Poèmes retenus par
les élèves pour étude et rencontre avec trois écrivains et éditeurs de poésie : Jean-Louis
Aven, Jacques Josse, Erwann Rougé (voir petite bibliographie à la fin de ce
texte).
p. 131. Vie
p. 143. La pomme rouge
p. 66. La brodeuse d'abeilles
p. 60. Apparition de la vieille
p. 36. Enfantement
Troisième séance : pour pouvoir échanger sur un texte, il est parfois bon de l'avoir analysé.
La classe est divisée en six groupes. Chaque groupe a en charge un des textes choisis à la séance précédente, texte dont il doit faire un commentaire organisé comme il l'entend.
Les consignes de travail sont les suivantes :
1) Travail personnel. Chacun relit le texte dont le groupe a la charge et note le plus de remarques possibles à propos de ce texte. (15mn). On observe, le lexique, la syntaxe, la disposition des vers, le rythme du texte, les rimes intérieures, le(s) thème(s) évoqué(s), interprétations diverses.
2) Les remarques diverses sont échangées dans le groupe et notées de façon à pouvoir être présentées oralement. (30mn)
3) On s'entraîne à la lecture du texte en respectant le rythme, on peut le retenir par cœur. (10mn)
Quatrième séance : où on lit des poèmes et où on échange sur la poésie avec des poètes.
Chacun des auteurs a reçu les éléments des travaux des séances précédentes et aura dû choisir un poème parmi les cinq retenus par la classe.
Le titre du texte choisi est annoncé par l'auteur en début de séance sans que le choix en soit motivé.
Les élèves du groupe qui avait en charge le texte retenu font part de leur lecture et de leur commentaire.
L'auteur fait part de ce qui a motivé son choix à sa manière. Un échange s'ensuit dans la classe.
L'auteur fait une lecture d'un de ses propres textes qu'il pourrait mettre en relation avec celui de Jean Follain.
Il n'est malheureusement pas resté de traces écrites collectives de cette rencontre. Les classeurs des élèves doivent bien en conserver mais l'essentiel était déjà là en germe : nous étions capables de parler devant d'autres personnes étrangères à la classe et qui plus est, écrivains, de textes poétiques que nous connaissions tous et sur lesquels allaient d'ailleurs apparaître des avis divergents. Ainsi, la classe n'avait pas retenu pour l'échange, le poème Absence qu'un écrivain, lui, avait remarqué dans la liasse qui contenait les premiers choix de la classe.
Voici ce poème et les explications motivant le choix des élèves.
Le métal fond pour se marier à l'air
et la consolation
abandonne un homme
caressant l'encolure
d'un cheval de labour
qui regarde
un horizon au froid plumage.
On voit
une feuille qui s'envole
seul l'homme est obligé de sentir la durée.
La douleur inconsolable
que ressent l'homme de l'absence éternelle d'une femme. Ce poème exprime très
bien l'absence. Disparition matérielle, mais il reste le souvenir. Le métal
peut se marier à l'air. La caresse au cheval, besoin de consolation.
Il s'est ensuivi une discussion à partir des réflexions des élèves, un des écrivains ne ressentant pas cette absence comme celle d'une femme. Point besoin de choisir, femme, être cher, ami, angoisse, absence de sens de l'existence : le poète met le doigt sur une plaie vive sur laquelle il nous est loisible de méditer.
Chacun des écrivains invités s'est aussi prêté au jeu du rapprochement et de la lecture d'un de ses textes avec celui qu'il avait choisi.
Jacques Josse, Le Veilleur de brume,
Éditions Le Castor Astral/La Rivière échappée, 1996.
Café Rousseau, Éditions la Digitale,
2001.
Jean-Louis Aven, L' Autre côté de l'eau,
Éditions Wigwam, 2001.
Le Déambulatoire des orages Éditions
Folle Avoine, 2000.
Erwann Rougé, Douve, Édition Unes.
NOTES
[1] Gérard
Langlade : L'Enseignement du français en seconde, Éd. Bertrand-Lacoste, 1997.
[2] La description précise d'une séquence d'enseignement réalisée en classe de Première avant la mise en place des nouveaux programmes est évoquée dans le numéro de la revue Lettres Ouvertes intitulé Diversifier.