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FRANÇOISE SÉRANDOUR Parler, lire, écrire Chapitre 5 : L'écriture collective : médiation et mutualisation. © Françoise Sérandour. Mis en ligne le 2004. Parler, lire, écrireL'invention des écritures en terrains français, portugais et marocainSOMMAIRE DE CE CHAPITRE
Chapitre 5L'écriture collective : médiation et mutualisationLe langage n'est pas un monde pour lui-même. Parce que nous sommes dans le monde, nous tentons de nous y orienter sur le mode de la compréhension et nous avons quelque chose à dire, une expérience à porter au langage et à partager. Paul Ricœur[1] Introduction : De la compréhension du sens au désir de l'écrit Après avoir mis l'accent sur la dimension symbolique de l'oral à travers la spécificité du mythe et du conte, et montré notamment que la structure du conte conserverait les traces du passage d'une société de tradition orale à une société de l'écrit, nous allons présenter le fondement de notre pratique d'écriture collective à travers la méthodologie qu'elle induit, ses concepts et son fonctionnement, ses finalités formatrices. Plus précisément, comment une philosophie du sujet, de l''altérité et de l'environnement culturel peut-elle fonder — en vue de l'action pédagogique — une méthodologie expérimentale ayant pour objet la facilitation des rapports à l'écrit ? Nous nous sommes appuyée sur les travaux de Paul Ricœur et de Roland Barthes, et sur des écrits d'écrivains comme Gao Xingjian, mais aussi sur les analyses de professionnels des arts de la parole tels que Jean Caune. Pour cette présentation d'une méthodologie expérimentale, il paraît pertinent de recourir aussi à un point de vue situé en quelque sorte à l'intérieur, celui des étudiants d'écriture collective dans le cadre d'un troisième cycle de spécialisation en conduite de projets d'action pédagogique (sciences de l'éducation). Sans entrer dans le débat d'une ouverture de l'école sur l'extérieur[2] et sur le monde social, nous pensons que le cas de l'école est exemplaire pour les pratiques de médiation, car celles-ci posent bel et bien « la question de l'innovation en termes d'outils pédagogiques », selon les termes utilisés par Jean Caune dans sa recherche sur les pratiques de médiation[3]. De plus, les conditions de proximité et d'altérité s'y trouvent réunies par l'essence même de son rôle éducatif[4]. En même temps, les propositions répétées du ministère de l'Éducation Nationale demandent à cet égard une réflexion sur les pratiques de l'enseignement de l'oral et de l'écrit, au primaire et au collège[5]. Ainsi, dans le sens du questionnement sur la posture de l'enseignant (et pédagogue), Jean Caune s'interroge sur l'espace institutionnel de l'école : est-elle seulement « un espace de transmission des savoirs, sans réévaluer la relation spécifique enseignant/enseigné qui resterait protégée des influences extérieures » ? Ou bien, « doit-elle s'ouvrir à des pratiques qui suscitent l'expression singulière des membres de la communauté scolaire » ? D'une part, nous avons donc cité des pratiques reconnues de médiation culturelle (notamment du côté des centres de théâtre et d'opéra et des musées nationaux), et, d'autre part, en ce qui concerne notre démarche, il s'agit bien de travailler à des analyses de pratique sur la question d'une facilitation à l'accès à l'écrit, pour tous, et sur des terrains différents, que ce soit en institution scolaire, dans des espaces institutionnels culturels, ou dans des espaces sociaux non obligatoirement institutionnels, en terrain français ou étranger (Portugal, Maroc, etc.). Ainsi notre remise en question de la parole et sa mise en scène, en faisant particulièrement appel à l'imaginaire et au symbolique en situation de médiation narrative, a permis l'instauration d'une méthodologie d'atelier d'écriture collective centrée sur une pratique de médiation et mettant en œuvre le partage de la parole et d'échanges entre des individus singuliers. Il en découle une seconde hypothèse énoncée dans une démarche anthropologique et pédagogique : la parole, mise en scène pour la transmission des savoirs, ne peut-elle faciliter non seulement l'accès au sens des textes (avec le plaisir), mais également l'accès aux pouvoirs de l'écrit, en donnant le désir de faire pour soi lectures et écritures ? Ayant utilisé avec profit le concept de médiation, nous voudrions montrer la possibilité d'une avancée dans la pratique de la médiation par la mise en œuvre du concept de mutualisation, celui-ci lié au fonctionnement du groupe : plus que de simples échanges interactifs, ce deuxième concept suppose une pratique de partage des paroles et des ressources singulières qui, se conjuguant les unes aux autres et par là s'enrichissant, produisent des effets tels qu'ils aboutissent à une construction d'écriture collective. L'atelier, tel qu'il a été conçu en termes de processus de mutualisation, n'est pas réductible à une juxtaposition ou à une série d'écritures particulières, même coordonnées. Les deux espaces de référence retenus ici se situent aussi bien dans le secteur scolaire (pour élèves et adultes enseignants) que dans le secteur social (spécialisé, professionnel, quotidien). Se rapportant ainsi à ces deux terrains, les problématiques concernent donc l'apprentissage de l'écrit et l'indépendance dans l'écriture, chez les enseignants et pour les élèves, mais aussi la formation sociale liée à l'autonomie du sujet — ainsi, dans le cas de femmes analphabètes face aux effets de l'émigration/migration au Maroc. Dans notre recherche, nous présenterons des situations prises dans le corpus de terrain, et qui ont fait l'objet de montages expérimentaux en ateliers d'écriture collective. Nous y avons choisi trois expériences particulières définies selon les quatre problématiques exposées ci-dessous parce qu'elles nous ont paru les plus significatives et les plus marquantes du processus de l'écriture collective. 1 - Le laboratoire expérimental d'action pédagogique en spécialisation professionnelle dans le secteur de l'éducation : nous montrerons la construction de récits collectifs sur quatre années consécutives, et plus particulièrement les différentes phases de l'un d'entre eux, cela en situation de formation d'adultes en « conduite de projet en éducation et en formation », en Dess de Sciences de l'éducation. 2 - La maîtrise de la langue et l'ouverture à une autre culture seront abordées à travers le cas de l'enseignement du français en tant que langue étrangère, au Portugal. Il y eut d'abord l'expérience des élèves d'un lycée expérimental (à Bragança) qui furent associés à un groupe d'étudiants adultes du Dess de Rennes, de langue française. Mais, selon l'approche d'une ouverture culturelle du projet Sabak-Conte (écoles fondamentales au Maroc), c'est l'expérience vécue entre des élèves portugais de collège (Bragança) et des élèves marocains de l'année dite 6e (Rabat), qui fera plus particulièrement l'objet de notre étude, et qui sera prolongée par des illustrations sur les pratiques innovantes au rapport à l'écrit en France, en collège et en lycée[6]. 3 - La formation sociale : nous avons choisi de présenter un cas-limite en terme de démarche expérimentale, celui de la parole des femmes au cœur du problème du développement local. Là, ce fut une création d'écriture avec des femmes d'un douar de l'Anti-Atlas, au Maroc, analphabètes, et néanmoins organisées en coopérative de production agricole[7]. 4 - La transférabilité de la méthodologie : elle se fonde sur la capacité de la transmission des compétences requises — et de leur adaptation en situation. En France, nous pourrions citer plusieurs expériences institutionnelles montées en formation professionnelle continue : par exemple, « la pédagogie de l'adaptation » avec des enseignants sourds[8], mais nous avons choisi de prolonger l'analyse du processus de l'écriture collective en donnant à voir le problème de l'altérité dans des situations actuelles d'enseignement du français au collège. Cette question de la transférabilité de la méthodologie est décisive, tant il est évident que les résultats, de situation expérimentale à situation expérimentale, peuvent différemment faire sens. Ainsi, au niveau des applications internationales, des exemples de la transférabilité de notre démarche seront mis en évidence selon un point de vue ethno-pédagogique, dans divers terrains institutionnels de formation (Maroc, Portugal)[9], et sur le terrain universitaire (Sciences de l'éducation, Université de Kyoto au Japon)[10]. 1 - La maîtrise de l'écrit : acquérir une indépendanceOn peut dire que se parler à soi-même constitue le point de départ de la littérature, communiquer au moyen du langage vient en second. Lorsque l'homme injecte ses sentiments et ses réflexions dans le langage, puis qu'il recourt à l'écriture, alors naît la littérature. C'est la littérature qui permet à l'être humain de conserver sa conscience d'homme. Gao Xingjian[11] Bien que nos sociétés soient basées sur l'écrit — et il en existe différentes formes et divers supports (le papier, l'informatique, Internet, les diverses formes de graphismes, l'image) —, nous savons que l'écriture « ne va pas de soi » et provoque bien des résistances ou des manques. D'un point de vue phénoménologique, le statut ontologique de la parole se catactérise par son immédiateté : dans un rapport corporel à l'autre, « corps à corps », le locuteur interpelle un interlocuteur et est en droit d'attendre une réponse immédiate selon « la règle d'entente ». La parole n'existe pas sans l'autre, elle est consubstantielle au fait de l'autre : elle demande un effort d'écoute à l'autre, qu'elle soit expression, séduction pour convaincre, ou dialogue dans la rencontre : « L'usage de la parole apparaît ainsi comme un élément constitutif de la rencontre[12].» Par contre, dans le statut ontologique de l'écrit, le rapport à l'écrit angoisse à cause de son approche différente du temps, de l'espace, des acteurs. L'auteur peut disparaître derrière le texte (on n'y fait pas toujours référence), et le lecteur est si lointain que l'écrivain n'en aura sans doute jamais aucune connaissance ! De fait, l'écrivain écrit dans la solitude, face à « la page blanche[13] », et avec le souci néanmoins de la compréhension du sens par ce lecteur dont il n'a pas l'idée. En même temps, si l'écrivain consacre temps et vie à la littérature, c'est parce que l'écriture donne « une indépendance » et « la liberté d'être », souligne le prix Nobel de la paix Gao Xingjian, dans son discours sur La Raison d'être de la littérature[14]. De même, toutes proportions gardées mais fondamentalement, si l'écriture paralyse tant d'élèves c'est parce qu'elle interpelle la condition existentielle de l'être, dans un face à face avec soi qui tient compte d'un autrui absent. C'est pourquoi l'acte d'écrire demeure aujourd'hui un moyen pédagogique incontesté qui, selon l'usage de sa langue, permet au jeune de se familiariser avec les mondes de l'écrit, d'acquérir une certaine maîtrise de l'écriture et d'entrer dans un rapport maîtrisé avec les autres et avec lui-même. 1. 1. Le goût de la langue dans l'écriture : un apprentissageIl est sans doute bien plus difficile d'atteindre la « jouissance » de l'écriture que celle de la lecture, et la langue ne peut se goûter pleinement que dans l'exigence de l'écriture. Par exemple, exploiter une idée en l'exprimant en images demande du temps et de la patience. La forme doit être travaillée, élaborée, malaxée comme de la terre pour représenter de façon claire tout le sens, pour soi-même et en même temps dans le but d'une « réception coopérante » entre le lecteur et l'auteur. Le recours à la métaphore et aux détours de la symbolique pour élargir et « transfigurer » le sens du propos importe tout autant que la matière même de ce propos[15]. L'important est la pertinence du sens, et cela au prix justement de « la torsion que les mots subissent dans l'énoncé métaphorique », explique Ricœur dans Du texte à l'action : « La métaphore est l'“effet de sens” requis pour sauver la pertinence sémantique de la phrase[16]. » Gao Xingjian, lui, parle de « capacité, de formation de longue date, du goût des exercices, de l'entraînement et du travail », mais il insiste aussi sur « la sensibilité[17] ». En effet, si la parole est instrument ou expression directe de la pensée, l'écriture peut être transcription et translittération de la parole, prolongement et précision de la parole, traces matérialisées de la mémoire, inscription du réel… Ainsi encore, Roland Barthes analyse le travail de l'écrit (« la scription ») : « [par rapport à] la parole qui est immédiateté et théâtrale, l'écrit gomme l'innocence » : En réécrivant ce que nous avons dit, nous nous protégeons, nous nous surveillons, nous censurons, nous barrons nos bêtises, nos suffisances (ou nos insuffisances), nos flottements, nos ignorances, nos complaisances, parfois même nos pannes, bref toute la mémoire de notre imaginaire, le jeu personnel de notre moi ; la parole est dangereuse parce qu'elle est immédiate et ne se reprend pas (sauf à se supplémenter d'une reprise explicite). La scription, elle, a du temps devant elle ; elle a ce temps même qui est nécessaire pour pouvoir tourner sept fois sa langue dans sa bouche[18]. En atelier d'écriture collective, l'acquisition des compétences sur le fonctionnement de l'écriture — structuration du récit, matérialité de l'écriture, utilisation des métaphores et symbolisations, travail de l'imaginaire — procure donc un outil de compréhension de l'écrit, pour les élèves et pour les adultes, mais également un outil de maîtrise de l'écriture : il y est question de réécritures, de corrections, de gomme et de crayon à mine grise, de recherche dans les dictionnaires et les livres, seul ou à plusieurs dans les petits groupes constitués, d'écritures lues et relues à voix haute afin de travailler et retravailler les matériaux jusqu'à l'écriture aboutie. C'est Élisabeth Bing qui fit reconnaître par l'Éducation nationale ses premières expériences initiales d'ateliers d'écriture en France. Ne se contentant jamais de « brouillons approximatifs » de la part des enfants dit « caractériels » dont elle avait alors la charge, elle parle d'exigence et d'« écriture accomplie » : Le travail d'écriture était une lutte à ne pas abandonner en route, effort de construction de la personne, fût-ce avec les matériaux de son propre enfer. Ce n'est pas en insufflant le joli importé d'une certaine idée de l'enfance ou de la culture qu'on aide un enfant à se faire, à s'écrire, à tenter de s'inscrire en termes authentiques dans la réalité. Ce qui personnellement m'intéresse est le travail de puissance du lien entre les forces profondes d'un être et leur expression[19]. Dans certains ateliers d'écriture actuels, il existe également cette préoccupation de l'apprentissage du fonctionnement de la langue : « Le texte littéraire n'est plus seulement ce que l'on apprend à lire, il devient ce que l'on doit aussi apprendre à écrire […][20]. » 1. 2. L'expression de soi comme individu« Travail de puissance du lien entre les forces profondes d'un être et leur expression », « expression de soi »… Comme les philosophes à qui nous faisons référence dans ce travail mais en tant qu'écrivain, Gao Xingjian rappelle que la littérature est tout d'abord « la voix d'un individu » : « Ici, je voudrais dire que la littérature ne peut être que la voix d'un individu, et qu'il en a été toujours ainsi […]. La littérature naît d'abord des sensations de celui-ci et prend forme à partir de leur expression[21]. » Si nous avons choisi de nous référer à La Raison d'être de la littérature, c'est que Gao Xingjian insiste sur plusieurs aspects de l'acte d'écriture chez l'individu. Ainsi, dès les premières pages de son discours prononcé devant l'Académie suédoise en décembre 2000 (p. 11), il énonce la valeur de l'homme reconnu dans cette activité : « En considérant mon expérience de l'écriture, je peux dire que le fondement de la littérature, c'est la reconnaissance de sa propre valeur par l'homme, le moment de l'écriture étant déjà celui de l'affirmation de l'homme. » Dans le dialogue qui suit ce discours, entre les deux écrivains Gao Xingjian et Denis Bourgeois, se pose le questionnement fondamental de l'acte d'écrire dans son rapport au réel : « Pourquoi écrire ? », « Pour se sentir vivant » et « exister tout d'abord », affirme Gao Xingjian. Pour réfléchir, de toute évidence, mais c'est « un face à face avec soi-même » dans la plus grande exigence, avouent-ils l'un et l'autre[22]. Certes, ils considèrent l'écriture comme un refuge, un lieu de réflexion face à soi-même où l'on acquiert une indépendance, une liberté, et une liberté d'imagination, mais c'est aussi pour témoigner du réel. Grâce à l'imagination qui recompose sensations, sentiments, et réflexions, l'écriture dit le réel (même s'il est dangereux de l'écrire, comme en Chine), mais elle va « au-delà du réel ». C'est alors dire sa vision du monde et ses valeurs et, tout en gardant « une observation distanciée », précise-t-il, c'est exprimer le point de vue « d'un individu » (dont celui-ci ne sait pas cependant s'il servira à quelque chose comme la réalisation de la démocratisation du monde)[23]. 1. 3. L'écriture collective : une écriture à projetDans la situation de l'atelier d'écriture collective conçue comme une situation de rencontre, l'originalité de la démarche de médiation réside dans le fait qu'elle impulse une dynamique de mutualisation qui aide à vaincre la résistance personnelle à l'écrit. La mutualisation, c'est « collecter » et mettre ensemble, rassembler ses savoirs et ses expériences, ses sentiments et ses sensations pour les partager et les confronter, en paroles tout d'abord et ensuite en écriture, non pas dans un tête-à-tête, mais avec l'accompagnement d'une médiation pédagogique. Les capacités et les différences de chacun y sont valorisées dans la mesure où elles respectent l'indépendance et la liberté de chaque individu, et la réalisation d'un projet peut s'ouvrir sur l'écriture d'un récit commun. Les pensées et l'imaginaire de chaque individu peuvent se concrétiser dans diverses écritures, et chacune à plusieurs voix ; chaque participant se sait alors auteur, et coauteur, d'une création unique. Un ministre de l'Éducation disait, il y a peu de temps : « Il faut ouvrir des ateliers dans les écoles et y communiquer la pratique artistique qui libère l'imaginaire[24] .» Or l'atelier est le lieu, l'espace collectif et symbolique où l'élève peut affronter et travailler la langue comme un écrivain et dépasser la faute. Là, le réel engendre l'imaginaire et l'imaginaire nourrit le réel : Évidemment, la littérature recourt également à l'imagination. Mais ce voyage de l'esprit ne consiste pas à dire n'importe quoi ; l'imagination coupée des sentiments réels, s'éloignant des bases de l'expérience de la vie pour aller vers la fiction, ne peut être que sans force. Une œuvre qui ne convint pas son auteur lui-même ne pourra toucher le lecteur[25]. Dans l'analyse de pratique du cas sur la maîtrise de la langue et l'ouverture à une autre culture, avec des élèves portugais et des élèves marocains rassemblés dans le même projet, il nous sera plus aisé de cerner les concepts de mutualisation et de solidarité dans le partage d'un commune expérience[26]. La différence y a été reconnue. Cela signifie que les différences culturelles et de point de vue y ont été acceptées, rassemblées, valorisées, critiquées aussi, souvent conjuguées entre elles, liées en effet à ce qui doit être une contribution de l'être humain à la capacité de vivre ensemble[27]. C'est ainsi qu'est né le projet de participer au Festival du conte d'Agadir[28], manifestation pédagogique de médiation ouverte, dans le sens où il était possible de partager notre réalisation avec des enfants et des éducateurs de plusieurs pays de la Méditerranée. D'après l'exemple reconnu du projet Sabak Conte[29] qui a abouti à des créations écrites par les enfants des écoles fondamentales du Maroc, ainsi qu'à la manifestation du Festival du conte, la démarche de l'atelier d'écriture collective permet de créer un espace d'invention de l'écriture pour le jeune comme pour l'adulte. En tant que spectateurs et auditeurs des créations du Festival d'Agadir, nous étions les témoins d'un travail qui avait conduit de la parole à l'écrit, puis de l'écrit à la parole mise en scène, de la part des enfants de nombreuses écoles du Maroc, des plus petits aux étudiants. De plus, ces mises en scène relevaient bien souvent du théâtre, par la puissance du jeu des voix et des corps dans des chorégraphies très simples. Partenaire des manifestations des trois journées du Festival, Jean-Jacques Morne relatait cette « époustouflante » fête des ateliers d'écriture dans sa Lettre d'Agadir[30] : Une fête époustouflante des ateliers d'écriture : quelque 500 élèves, petits et grands, une vingtaine de classes venues de toutes les régions du Maroc, des villes et des campagnes, pour présenter sur scène leurs créations, et sur papier leurs écritures. Des spectacles le plus souvent de qualité professionnelle, tant quelque chose de leur passion à créer collectivement les avait rendus attentifs au talent de leurs animateurs pour jouer leurs contes en véritables acteurs. Leurs histoires disent dans l'ordre de la fiction quelque chose du sens de leurs vies engagées dans un monde de scolarisation qui ne va pas toujours de soi, mais qui s'impose comme nécessité dans un environnement de confrontations et de développements entre tradition et modernité. Alors cela donne la fête, la fête pédagogique ! […] D'où cette « lettre d'Agadir » […]. Par ce genre d'expérience, on fait retour aux valeurs premières de l'école, de l'éducation, au sens des premiers apprentissages. De la parole à l'écrit, c'est la dynamique collectivement partagée qui porte les implications individuelles. Et l'imaginaire y re-trouve en quelque sorte raison : l'invention d'histoires ne détourne pas du réel, de l'état des choses, des combats de tous les jours. Elle porte au contraire les histoires de vie, singulières et communément partagées, à s'approprier les enjeux de la Cité. […] Fables, contes et histoires sont des références familières dans le cours des échanges ordinaires, évidemment dans une société complexe comme celle du Maroc, à la croisée de multiples cultures et surtout à forte tradition orale. C'est sur ce corpus des savoirs d'expérience communément présents, que Najima Thay Thay a cherché à asseoir un travail pédagogique pour intéresser et impliquer les élèves dans la maîtrise de l'expression orale et écrite, dans le rapport aux livres aussi bien, parce que ce sont là des outils de l'action, de la construction de soi et de la connaissance[31]. À l'instar du projet Sabak Conte, qui s'appuie également sur des réalisations collectives, nos expériences vécues en atelier ont permis d'avancer dans notre hypothèse selon laquelle il est possible d'imaginer une facilitation à l'indépendance dans l'écriture — et une liberté d'expression et de création — par une approche de l'oralité, la parole du patrimoine oral et de la littérature se trouvant mise en jeu par l'interaction des richesses individuelles. Mais le garant de la parole de chacun dans le groupe est celle du médiateur-animateur[32]. 2 - L'écriture en formation : expression de soi pour une communication à l'autreLe travail d'écrivain consisterait donc à reproduire ce qui reste le mystère absolu de la vie, à savoir l'insaisissable. Lorsque la loi immense de l'histoire s'exerce sur les êtres sans leur offrir de choix, l'homme doit aussi laisser la trace de sa voix. Gao Xingjian[33] En premier, la parole a ce pouvoir de dire, d'énoncer, en provoquant une expression de la pensée qui sorte la personne du silence, d'un enfermement. Mais de manière plus élaborée, l'écriture continue ce travail de libération. Il en est ainsi pour les femmes d'un douar de l'Anti-Atlas au Maroc, le douar Afrass (petit sommet), pour des étudiantes immigrées, et pour tant d'autres étudiants dont il sera question dans cette partie sur l'écrit. Pour elles, pour eux, écrire est un acte réfléchi d'expression de soi. Et il est plus facile de le dire et de l'écrire dans une fiction collective que dans une écriture individuelle, annoncent-ils dans leurs écrits. C'est ce qu'ils découvrent, et se révèlent entre eux, dans leurs relations d'écoute et d'échanges mutuels : la capacité et la possibilité (l'autorisation) de parler leurs expériences, de parler leurs savoirs personnels dans une écriture collective. Ces savoirs que l'on pourrait qualifier de « savoirs de l'intérieur », selon le terme de Patrick Boumard dans ses travaux en micro-sociologie[34], sont une manière de se réapproprier et de réincorporer la manifestation de leurs réalités existentielles (leur histoire subjective et individuelle) par l'écriture, en creusant et en cherchant derrière ce qu'il y a d'intraduisible et d'insaisissable. Ils sont les auteurs de leurs paroles et de leurs écritures, ils en sont les possesseurs, mais agissent dans une solidarité d'expressions mutuelles pour une mise en œuvre d'une communication recevable par l'autre, puis par le lecteur[35]. 2.1. Écrire : se libérer, prendre conscience« Le fait d'écrire oblige au geste initial de la sincérité à soi-même, même si ensuite, on n'a de cesse de l'éluder, de le diluer dans les mots », écrit Denis Bourgeois en parlant de « la lucidité », cette « introspection douloureuse », que lui demande l'acte d'écrire. Et, dans La Flamme d'une chandelle, Gaston Bachelard parle « d'une descente en soi », « d'un retour sur soi » : d'une objectivation et d'une clarification. Appropriation des mots et structuration de sa langue pour rendre la progression de sa pensée intelligible à soi-même et à l'autre. Pensée en mouvement : objectiver, c'est peut-être apprendre à nommer, à traduire ses pensées en mots pour construire un discours en les analysant toujours plus profondément, à réfléchir et à prendre progressivement de la distance. C'est le sens même de son étude phénoménologique : La solitude s'accroît si, sur la table éclairée par la lampe, s'étale la solitude de la page blanche. La page blanche ! ce grand désert à traverser, jamais traversé… […] Et comme ce serait bon — généreux aussi à l'égard de soi-même — de tout recommencer, de commencer à vivre en écrivant ! Naître dans l'écriture, par l'écriture, grand idéal des grandes veillées solitaires ! Mais, pour écrire en la solitude de son être, comme si on avait la révélation d'une page blanche de la vie, il faudrait des aventures de conscience, des aventures de solitude. Oui, si seulement on pouvait écrire ! Après, peut-être pourrait-on penser. […] En somme, tout compte fait des expériences de la vie, des expériences écartelées, écartelantes, c'est bien plutôt devant mon papier blanc, devant la page blanche placée sur la table à la juste distance de ma lampe, que je suis vraiment à ma table d'existence. Oui, c'est à ma table d'existence que j'ai connu l'existence maxima, l'existence en tension — en tension vers un avant, vers un plus-avant, vers un au-dessus[36]. La mise en réflexion par l'écriture est une mise à distance de ses expériences et de ses sensations, et, dans Une chambre à soi, Virginia Woolf demande avant tout d'apprendre à se connaître : « Éclairer votre propre âme, ses profondeurs et ses bas-fonds, ses vanités et ses générosités, dire ce que signifie à vos yeux votre beauté ou votre laideur, quels sont vos rapports avec le monde mouvant[37]… », et ceci pour se laisser aller à l'imagination, mais aussi pour s'éclairer soi-même. Écrire permet par conséquent une prise de conscience de soi, de sa condition. Ainsi, par exemple, selon notre méthodologie, après avoir énoncé tout d'abord leurs paroles sur leurs histoires de vie, avec leurs mots tachelhit, les femmes berbères du douar Afrez (Afrass) accepteront alors d'écrire leur histoire, elles qui n'ont la capacité de le faire que par l'intermédiaire de la transcription de deux jeunes filles du village et d'Amina, sociologue berbère, qui connaissent l'écriture de l'arabe classique. En second lieu, elles ont donc réellement demandé d'écrire leur histoire pour qu'elle soit connue en arabe (classique). Puis en français, selon une traduction française de l'arabe classique par quatre personnes, marocaines et françaises, comme je l'explique plus précisément dans le chapitre 9 de la partie 2. (Rappelons que cette deuxième partie de la thèse fait l'objet d'une publication aux éditions de L'Harmattan[38]) Également, des étudiantes en formation de Dess
« Conduite de projets en éducation et en formation » écrivent que
« la vérité n'est pas à choisir, elle est à comprendre »
(Maryse) ; ou encore : « Il faut prendre le risque de montrer
ici sa vérité », annonce Fouzia au commencement de ses « Actes
d'écriture[39] ». De
même, l'étudiante Fatima Zedira : Écrire, c'est ouvrir une porte, et pourtant, c'est l'exercice le plus difficile pour nous. Qu'est-ce qui fait que nous avons tant résisté à nous livrer à cet exercice ? Et surtout comment écrire entre deux, voire trois langues ? La responsabilisation est pour nous de transcrire dans la langue française ce que nous avons entendu dans la langue arabe dialectale ou berbère, et de ne pas trouver l'équivalence au risque de la déformer ou de la trahir. Écrire entre ces langues suppose la coexistence de deux cultures au moins, voire plus. Ces langues : l'arabe, langue maternelle, le français, héritage du colonialisme et le berbère, langue ancestrale. L'écriture dans la langue française se fait dans des contradictions dédaléennes de ces langues[40]. À la suite de ceux de Gao Xinjian et de Bachelard, nous pouvons par conséquent citer les écrits de Fatima sur cette nécessaire distanciation. Pour elle comme pour beaucoup d'étudiants qui ont accepté le risque de se dire et de l'écrire, l'écriture se sera assimilée à un voyage intérieur : Ce qui nous a donné la force dans cette aventure de l'écriture, c'est que nous croyons à ce que nous écrivons. Nos premiers écrits étaient connotés de colère. La conscientisation de la matérialité que révèle l'écriture nous a permis de maîtriser cette colère. Au travers de nos premiers écrits transparaissaient nos émotions bloquées, nos affects que constituent la colère, l'humiliation ou la frustration. L'écrit nous a d'abord libérées du silence dans lequel nous étions enfermées, ensuite nous a permis une prise de conscience de notre identité d'immigrées. Dans notre acte « voyage identitaire », il s'est opéré à ce moment-là une transformation dans le processus de l'écriture. Nous sommes passées de l'écrit moyen de communication à l'écrit moyen d'affirmation de notre identité culturelle et de notre identité de femme. Tous ces sentiments sont communs à de nombreuses femmes algériennes immigrées. Parce qu'elles ont connu le silence dans leur pays d'origine et un deuxième silence lié à leur statut d'immigrées qui ne lui reconnaît que le droit à l'indifférence. En Algérie : la prise de conscience, celle de la réalité de l'ordre patriarcal, fondé sur la suprématie de l'homme et par conséquent sur la négation du droit à l'expression de la femme[41]. 2. 2 Écrire : sentir au plus près le réelLa réflexion de cette femme adulte et étudiante, engagée dans une écriture qui rappelle son émigration, est bien l'effet d'une acceptation d'un retour sur soi, avec une prise de conscience et l'affirmation de ses idées. À l'image d'un voyage, mais ici d'un voyage intérieur, qui permet la construction de son identité culturelle par l'éveil d'une conscientisation et l'affirmation de possibles revendications. Ainsi l'écriture donne des repères sur soi pour aller ensuite vers l'autre, pour comprendre l'altérité, comme l'écrivent Nancy Huston et Leila Sebbar dans Lettres parisiennes, un texte qui parle d'exil et d'écriture. Sous la forme d'une correspondance, elles exposent pourquoi elles écrivent par rapport à leur quotidien, un quotidien qui est « exil », un réel vécu comme un exil. Pour toutes deux, il est nécessaire de trouver les moyens de se recentrer face à l'extériorité du monde, et « renouer avec l'externe et avec l'autre en se garantissant une protection identitaire » passe par l'écriture[42]. De même Denis Bourgeois et Gao Xingjian s'entretiennent de ce besoin de décrire les sentiments et les sensations, dans les dialogues de Au plus près du réel : « Je ne peux pas me passer de cette sensation du réel. » Cependant, il n'est pas utile d'écrire uniquement pour montrer le réel ; le travail de l'écrivain qui tente de toucher « au plus près le réel » s'efforce en fait d'atteindre « l'insaisissable », car « c'est derrière le réel déjà vécu qu'il y a quelque chose d'insaisissable[43] ». Et ce travail sur soi demande de la sincérité et de la sensibilité, et pas seulement des techniques d'écritures. De toute évidence, la situation de formation fut le commencement d'un travail sur elle-même pour Fatima, tout comme le font particulièrement de nombreux écrivains dans une situation d'exil. Élisabeth Bing parle dans ce sens des textes des enfants « difficiles » qui révèlent « une authenticité de certains cris évidente », « un exorcisme des terreurs » ; comme quoi, « s'il est une vertu thérapeutique dans l'écriture, elle réside essentiellement dans le travail sur l'écriture elle-même[44]. » Ici, nous aimerions citer aussi quelques phrases du court texte Alger, Alger d'Alain Vircondelet qui, avec lyrisme et beauté, écrit « le chant de l'exil » (et nous, lecteurs, nous avons irrésistiblement le désir et le besoin de connaître la ville blanche, « l'éternel été » et la « lumière singulière, transparente mais poudrée d'or »). Néanmoins, pour décrire et écrire l'enfance heureuse puis la guerre d'Algérie et le départ forcé vers l'exil, l'écrivain insiste sur la force à mettre en œuvre dans l'écriture : pour retrouver les faits et pour maîtriser la puissance des souvenirs, mais aussi pour accepter le manque, la terrible « détresse du manque[45] » : Après l'engouffrement d'Alger dans les paquets de mer, ainsi perçus du pont du paquebot, place était donnée à l'Algérie imaginaire, aux sillages d'une enfance qui, seule, m'a permis d'écrire. J'associe l'exercice sauvage de l'écriture, cette avancée dans une nuit inconnue, à l'attachement violent de la terre de naissance. L'Algérie solaire a ses revers nocturnes, des états ambigus qui se donnent à qui sait voir, jamais dans la certitude, mais dans une autre évidence, plus opaque, moins sûre. L'écriture va de même : elle défie l'ordre convenu des syntaxes et des lexiques et s'engouffre dans des lieux étrangers. L'endroit de l'écriture, pour moi, c'est dans mes deux Algérie que je l'ai fondé. 2. 3. L'apprentissage de la dialectique de l'art et du savoir selon une pluralité des voixEn atelier d'écriture, les étudiants travailleront de même sur les traces de leur mémoire[46]. En s'autorisant à écrire, ils ont choisi d'exprimer leur rapport personnel au monde ; mais de plus, en écrivant à l'intérieur d'un groupe constitué, d'une communauté (où les personnes vivent « avec », durant de nombreuses heures), ils ont décidé d'accepter l'échange, et la confrontation, avec l'autre. Un étudiant de la formation témoigne de cette capacité à exprimer ses propres ressources à l'autre : elles demandent tout d'abord une réappropriation, c'est-à-dire un retour sur soi, une prise de conscience individuelle : La dimension collective permet de mutualiser les ressources individuelles qui sont révélées à chacun. Les acteurs sont libérés par rapport à leurs propres ressources, dissimulées dans la fiction. Il est plus facile de raconter une histoire à travers le conte que de parler à la première personne. À travers l'atelier d'écriture, il s'agit d'exprimer ce que l'on est (mythes, littérature, musique…). Il y a tout un travail de réappropriation de ses ressources (ses nourritures) pour que l'autre s'autorise à s'impliquer[47]… Cette conscience de créer des « espaces » collectifs et publics s'impose aussi de plus en plus chez ceux qui se préoccupent de l'accès à l'écrit, à la littérature et à son jugement critique, chez des enseignants, des écrivains, des médiateurs culturels (bibliothécaires, conservateurs de musées, musiciens)[48]. Si bien que dans La Langue à l'œuvre, Hervé Piekarski parle de la Maison des écrivains « qui, un beau jour, a déclaré ouvert le Temps des écrivains à l'université et dans les grandes écoles… L'expérience montre que lectures publiques, débats, ateliers d'écriture ou de lecture, commandes de textes inédits favorisent très sensiblement l'appropriation des langages par les étudiants. Quelle que soit leur discipline… Au fil des textes d'auteurs, d'universitaires et d'acteurs culturels, les enjeux se découvrent : ils sont éminemment politiques en ce qu'ils tiennent à l'éducation authentique, celle par laquelle l'individu apprend à jouer de la dialectique de l'art et du savoir[49] ». En effet, s'agissant du fait d'« apprendre à jouer de la dialectique de l'art et du savoir », les professeurs de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat au Maroc parlaient aussi dans ce sens, en posant la question : « Comment faire acquérir aux étudiants le plaisir du texte et son sens critique[50] ? » De notre côté, nous tentons de répondre à cette question par la démarche de l'atelier d'écriture collective. Par exemple, tout en respectant la liberté de chaque participant de l'atelier, les étudiants se sont sentis autorisés à émettre jugements et points de vue non seulement sur la société, mais aussi sur eux-mêmes… et sur les situations créées dans les ateliers d'écriture. Les énonciations (puis les écritures) y sont travaillées avec des mots, en construction d'un savoir, tout comme l'écrivain travaille et crée son langage pour construire une cohérence de sens, de discours, une œuvre. Pour illustrer cette pratique qui a produit des effets, citons le conte poétique de Nedjma et le sablier du désert, créé dans le cadre d'une formation de spécialisation interculturelle en maîtrise de Sciences de l'éducation. Les étudiants n'avaient pas fait de voyage ensemble, au préalable ; et cependant, dans cet atelier, à douze, ils ont imaginé tout au long de l'année universitaire le personnage de Nedjma aux yeux bleus (« petite étoile » en arabe) au pays du Maghreb, perdue dans une tourmente de sable dans le désert, en quête d'elle-même et de ses origines plurielles (berbère et touarègue). Pourquoi ont-ils imaginé une situation de désobéissance conduisant la jeune fille hors de son cercle de vie familière, par delà les portes du ksar ? Que cherche-t-elle dans le désert ? : « Père, qu'y a-t-il dans le désert[51] ? » Mais aussi, que cherchaient ces étudiants ? Apprendre, n'est-ce pas prendre le risque de rompre avec un état des lieux, de partir en voyage ? Au Portugal, un autre atelier d'écriture pourrait illustrer la notion de mutualisation dans le travail de construction collective d'un groupe. Il s'agissait d'une formation de quatre jours à l'École de formation des professeurs de Bragança[52]. Lors de la phase des écritures de la nouvelle en petits groupes (il s'agissait de l'histoire d'un jeune garçon à la recherche de ses deux langues, portugaise et française, paternelle et maternelle), l'un des étudiants de la formation Dess de Rennes qui suivaient cette formation témoigne dans ses « actes d'écriture ». Il relate un débat, sinon un conflit, dans l'un des groupes où était inventé le premier épisode de l'histoire : « Nous avons frôlé le psychodrame, l'un des étudiants avait failli faire de la nouvelle sa propre histoire à la recherche de sa mère, française[53]. » Dans ce cas précis, c'est bien le principe de la fiction qui a permis de dépasser le réel et de continuer « la quête de soi », le thème choisi par tous les participants de cet atelier étant celui de la recherche de l'identité culturelle et existentielle à travers une dualité de cultures et de langues (le portugais et le français). Dans le contexte de cette école portugaise, le discours était éminemment actuel, éducatif et politique, en même temps qu'existentiel. Mais par le processus de la mutualisation (le dialogue), ce membre du groupe a compris la nécessité d'une distanciation par rapport à sa propre histoire ; et par le biais de l'allégorie (celle d'un enfant en quête d'un choix entre ses deux langues d'origine), il a certainement exprimé sa propre histoire, mais par un détour. De plus, en donnant aussi la parole aux autres participants, c'est-à-dire à d'autres voix, le récit a été considérablement enrichi et complété par l'imaginaire de chacun qui parle à travers les personnages. 2. 4. La fiction ou la pertinence de sensIl faut donc laisser les personnages parler à notre place, dit l'écrivain : Si l'écrivain a aussi son propre défi à lancer à la société, c'est avec des mots ; il doit s'en remettre aux personnages et aux circonstances créés dans l'œuvre, sinon il ne pourra que nuire à la littérature. Celle-ci n'est pas un cri de colère et ne peut transformer l'indignation individuelle. Les sentiments de l'écrivain en tant qu'individu ne deviennent littérature que dilués dans l'œuvre, et peuvent ainsi passer l'épreuve du temps et perdurer[54]. Si les personnes participant aux ateliers peuvent parler et écrire leurs expériences de vie singulières, avec peurs, tabous et désirs, préoccupations et projections, c'est par le biais de personnages qui prennent en charge leur histoire, par l'imaginaire mis en jeu dans l'allégorie. Le choix de la littérature, du récit, permet de faire surgir le langage du non-dit, de l'inédit, par « l'intrigue feinte », c'est-à-dire par « une nouvelle congruence de la mise-en-intrigue ». Dans l'art de la narration, écrit Ricœur, il s'agit de « l'innovation sémantique », d'une nouvelle pertinence de sens, ce phénomène que « la métaphore vive » et le récit (« la mise-en-intrigue ») ont en commun au plan du sens : ils sont « comme deux fenêtres ouvertes sur l'énigme de la créativité[55] ». Sans détailler la logique de l'introduction « De l'interprétation » à son grand livre Du texte à l'action, nous reprenons à Paul Ricœur quelques notions très importantes de sa phénoménologie (l'imagination, la fiction) pour fonder et argumenter notre conception de l'atelier d'écriture. Selon lui, « l'imagination productrice » et le « schématisme qui en est la matrice intelligible » « sont le privilège de la métaphore et de la mise-en-intrigue ». Par celles-ci, « l'innovation se produit dans le milieu du langage et révèle quelque chose de ce que peut être une imagination qui produit selon des règles ». Ainsi, par le schématisme propre qu'elle met en œuvre, l'imagination devient puissance de synthèse et produit une espèce de conceptualisation. L'intrigue qui « nous est apparue comme un “prendre ensemble”, qui intègre des événements dans une histoire, et qui compose ensemble des facteurs aussi hétérogènes que les circonstances, les caractères avec leurs projets et leurs motifs, des interactions impliquant coopération ou hostilité, aide ou empêchement, enfin des hasards […] montre cette compétence de l'imagination », continue Ricœur. Car « l'imagination est cette compétence, cette capacité à produire de nouvelles espèces logiques par assimilation prédicative et à les produire en dépit de — et grâce à — la différence initiale entre les termes qui résistent à l'assimilation[56] ». S'appuyant sur Aristote, Ricœur démontre que l'action imitée, c'est-à-dire « feinte, forgée », que la fiction transfigure le réel, « refait » le monde, le confirme ou le dénie, par un acte de l'ordre du symbolique[57]. Elle procure un apport de sens, un surplus de sens qui permet de saisir l'intraduisible, l'intouchable, l'insaisissable, par le travail du style. C'est « le pouvoir du monde du texte » : Le monde de la fiction […] n'est que le monde du texte, une projection du texte comme monde. […] La fiction a ce pouvoir de « refaire » (fingere) la réalité, et plus précisément, dans le cadre de la fonction narrative, la réalité praxique, dans la mesure où le texte vise intentionnellement un horizon de réalité nouvelle que nous avons pu appeler un monde. C'est ce monde du texte qui intervient dans le monde de l'action pour le configurer à nouveau ou, si l'on ose dire, pour le transfigurer[58]. 2. 5. L'écriture, entre réel et imaginaireEn conclusion de ces deux parties qui ont tenté de définir le pourquoi de l'écriture par référence à des textes d'écrivains, mais aussi, en regard de ces textes, le pourquoi de l'écriture collective, nous constatons que si la parole appelle sûrement le dialogue immédiat, l'écrit évoque la pertinence, la densité et la distance du discours. Il faut acquérir une maîtrise individuelle de l'écrit (des autres) pour connaître le goût de la langue qui donne alors le désir (pour soi-même) de l'écriture, c'est-à-dire le désir de laisser une trace en un objet qui puisse désormais circuler, même incomplet. Les femmes analphabètes du douar Afrass du Souss de l'Anti-Atlas le savent bien, puisqu'elles disaient : « On ne peut pas écrire toutes les paroles telles qu'elles vous ont été dites ! » Comme les écrivains, les étudiants avouent écrire pour se libérer et se dire, dire le réel, que ce soit l'indicible de l'être ou le mouvement de sa construction. Alors, la perspective d'un projet collectif peut permettre de donner à entendre une expression proche du réel, et pourtant autre, au-delà du réel. Si l'écriture collective « entre réel et imaginaire », se réalise grâce à la fiction, elle met donc aussi en évidence des finalités propres à la prise de conscience de soi et de l'autre. 3 - Réflexion sur l'analyse d'autres pratiques de médiation : action, formation, rechercheUne autre préoccupation liée aux situations des ateliers d'écriture réside dans la spécificité d'une méthodologie propice à la transmission et à l'appropriation de « savoirs professionnels » innovants en pédagogie. C'est pourquoi, nous présenterons, comme modèle d'analyse de pratiques pour une transférabilité de formation, la proposition de travail de Roselyne Orofiamma, chercheur-enseignant dans les actions pédagogiques[59]. Il s'agit ici de faire émerger « les caractères novateurs d'une expérience singulière qui puisse faire référence […], et dans le but de la faire partager », autant par des enseignants que par des acteurs sociaux. En tant que référence à des analyses de pratique, nous voudrions reprendre les repères effectués par Roselyne Orofiamma dans son texte sur l'écriture des « expériences inédites de l'innovation ». Elle y relate et décrit la formalisation liée au « contrat d'écriture » réalisé entre chacune des équipes de terrain et le ministère de l'Éducation nationale, dans le cadre du Plan national d'innovations[60]. Pour R. Orofiamma, l'analyse de ces pratiques prend tout son sens dans le fait qu'il s'agit « pour des enseignants engagés dans des projets innovants, de mener une réflexion sur leur propre expérience, individuelle ou collective, et de la faire partager ». La formalisation est un moyen de mise en évidence de l'innovation produite et des principes de l'action engagée. Mais c'est aussi un moyen de transformation des pratiques en dégageant des processus d'action innovants et des modes de travail collectif. Roselyne Orofiamma définit cette approche de la formation et du développement professionnel par « un dispositif qui articule trois principales dimensions » : « l'action, la formation, la recherche ». Dans la dimension action et la dimension formation, il y a « productions de savoirs » ; dans la dimension recherche, il y a « productions d'hypothèses » et « formalisation des savoirs ». En synthèse, la démarche d'analyse sert à se construire de « nouvelles manières d'agir pour aborder les situations à traiter, les questionner, les conceptualiser ». Les différentes étapes de l'écriture travaillées dans ces « contrats d'écriture renvoient à des processus distincts qui accompagnent les différentes phases de l'action » : en un premier temps, une description des composantes de l'action et des choix retenus ; en un deuxième temps, une réflexion sur le fonctionnement de l'action et sur le repérage de l'évaluation des premiers résultats, avec construction collective des savoir-faire et méthodologies ; enfin, en un troisième temps, « une activité de théorisation de la pratique et de la recherche ». En ce qui concerne la caractérisation de chaque action, la description des composantes et du déroulement de nos ateliers nous a toujours permis d'expliquer et de justifier les choix retenus en rapport avec la méthodologie. Dans le deuxième temps de réflexion sur la formation, le repérage et l'évaluation des objectifs et de l'activité en groupe proprement dite ont contribué à évaluer les premiers résultats pour ajuster et adapter méthode et compétences (relationnelles, de groupe, etc.). Dans cette phase, il peut y avoir appropriation des compétences et des savoir-faire à construire dans l'expérience par les partenaires de l'atelier, « tels qu'ils peuvent être formulés par ses initiateurs »; car l'activité d'analyse contribue « à la formation des innovateurs », souligne Roselyne Orofiamma. Le troisième temps de la formalisation est celui de la recherche. Pour nous, il y a en effet analyse (avant, pendant et après la situation décrite), car c'est la condition même d'une possibilité de transmission et de multiples applications pédagogiques. Nous devons par conséquent formaliser les conditions et les concepts élaborés au cours de ces expériences expérimentales. En outre, les analyses des expériences nous ont aidée à comprendre les imprévus et à avancer sur notre pratique. Et, en fonction des résultats, il nous sera indispensable de réfléchir maintes fois aux questions soulevées et de mettre en évidence les capacités d'adaptation et de changement du formateur. Ainsi, tout en considérant, comme Roselyne Orofiamma, l'analyse immédiate des pratiques professionnelles « comme une activité réflexive conduite par les acteurs eux-mêmes sur leur propre expérience individuelle ou collective », il s'agira également pour nous (à la suite de cette réflexion) de rechercher des possibilités de prolongement sur le terrain à nos premières actions expérimentales, en y associant la capacité d'une transférabilité des concepts et des processus de l'atelier d'écriture collective dans diverses applications de terrain, selon une conception anthropologique d'intégration interculturelle. Comme dans son propos, notre objet de recherche est bien en effet celui de « nouer une parole singulière à l'expérience inédite de l'innovation[61] ». Nous verrons que cette réflexion concerne de nombreux enseignants, formateurs, et chercheurs intéressés par les questions de la transmission de l'oral et de l'apprentissage de l'écrit, en terrain scolaire et de la formation ; ainsi en France et dans de nombreux pays étrangers (Afrique, Maroc, Portugal, Italie, Japon, etc.). 4 - La méthodologie de l'atelier d'écriture collective : parole et écrituresSi le monde du texte était sans rapport assignable avec le monde réel, alors le langage ne serait pas « dangereux », au sens où Hölderlin le disait, avant Nietzsche et Walter Benjamin. Paul Ricœur[62] Les caractéristiques de l'atelier d'écriture collective sont celles de pratiques pédagogiques d'innovation, d'action, d'implication, conçues dans la perspective d'échapper à des modes habituels d'approche de l'écrit qui génèrent des comportements d'appréhension et d'échec, ou de remédier à des manques — le droit, pour tous, d'apprendre à parler, compter, lire, écrire, participe des compétences humaines à acquérir et de la dignité de chacun. Aussi, dans la visée de productions de récits littéraires collectifs, ces pratiques se réfèrent à des courants disciplinaires divers et complémentaires — philosophique, anthropologique, herméneutique, pédagogique — en intégrant des concepts et des conditions nécessaires à une pratique de médiation centrée sur la parole et les écritures. La mise en place d'un atelier suppose l'élaboration d'une méthodologie que nous considérons comme un outil pédagogique ; outil à adapter selon les situations, et non pas « recette », qui accompagne l'élève ou l'adulte dans l'écrit ; outil qui permet au « maître » d'avancer lui-même dans ses questionnements et dans la formation grâce à une grille de lecture se rapportant à la dimension vécue des concepts attachés à cet outil. 4. 1. Identification des conditions nécessaires à l'écriture collective : l'espace et le tempsS'il est ici question d'« écriture créative[63] » et de productions littéraires collectives, travaillées selon la médiation de la parole, cela signifie qu'il y a une hétérogénéité et des singularités fédérées pour construire « une écriture à projet » — un récit fictif dont le thème est choisi en décision collective. Pour cela, il faut une réflexion sur des concepts précis de fonctionnement, ainsi que la mise en place de conditions nécessaires à un espace collectif (espace et temps), puis de différentes phases clairement identifiables, que ces actions se déroulent en terrain scolaire ou social, en éducation formelle ou non formelle : L'espace et le temps sont des conditions nécessaires au groupe ; la médiation et la mutualisation sont les notions clés de l'action ; un protocole méthodique d'organisation et de structuration impose un ordre de temps forts réglés selon l'art de la narration et de l'herméneutique ; les productions, les valorisations de savoirs et les évaluations sont les résultats qui doivent être tangibles pour tous et qui légitiment pédagogiquement la formation. L'atelier d'écriture étant une situation d'éducation en tant que séquence organisée, on doit par conséquent tenir compte du temps, de l'espace et des acteurs, en vue d'une action précise. Il est donc important de créer les conditions favorables à une implication positive des participants d'un groupe dans leur rapport à l'oral et à l'écriture : c'est-à-dire, comme nous l'avons décrit en situation d'oralité, créer un espace collectif « symbolique » dans le temps et dans un lieu délimité, et faire en sorte que chacun se l'approprie. « Le pouvoir doit donc être déposé au centre de la collectivité où existe un espace libre de paroles, libre débat et d'argumentation contradictoire, de discussion » écrit l'helléniste Jean-Pierre Vernant, à propos de la société grecque du Ve siècle[64]. Partant d'un postulat analogue, celui de l'existence d'un « espace libre » où « l'ordre social » et « le pouvoir » sont créés par le groupe, nous voulons impliquer les personnes dans un « espace collectif de liberté », selon une durée elle aussi réglée en commun. S'approprier une durée, c'est prendre le temps de la continuité et de l'exigence ; mais la durée peut signifier des séquences nombreuses, séparées, parfois dans l'espace et dans le temps, dans deux pays par exemple, et sur plusieurs mois. Cet espace de liberté, inscrit dans notre pratique, est décisif ; il existe réellement à la source de chaque projet, et ne peut être dissocié de la philosophie de la médiation telle qu'elle a été présentée. 4. 2. Présentation des conceptsEn atelier d'écriture collective, la réussite de la conduite de création de l'œuvre tient donc à une vigilance continue au regard d'un certain nombre de paramètres constitutifs de la méthode, et au souci de leur cohérence. Le rôle du maître d'atelier y est déterminant. Et, si le concept de mutualisation y tient en effet une place centrale, on retiendra particulièrement ce qui est en cause, composante par composante : la personne, le collectif, la mutualisation, la médiation, la symbolisation et la distanciation, les attributs de l'écrivain : le « je » de l'auteur dans le « jeu » des mots. Nous cherchons ici à donner à comprendre, de manière synthétique, en quoi les analyses développées dans les chapitres précédents ont permis la mise en scène de ces repères pour et dans les pratiques. 1 - La personne : expression de l'individu et hétérogénéitéPar la référence à « la personne », entendue comme entité individuelle immergée dans la collectivité constitutive de l'atelier, nous voulons signifier ici la capacité du sujet à s'exprimer oralement sur soi-même et sur ses savoirs, devant l'autre et plus d'un autre, dans et pour un groupe, cela constituant la réalité phénoménologique de l'atelier. La personne est un individu doté d'une marge de manœuvre vis-à-vis du groupe, et un sujet doté de valeurs individuelles et d'émotions propres vécues dans son corps et ses pensées : « Moi avec à sa disposition des techniques d'analyse de soi, souci de soi et travail sur soi participant d'une forme d'exercice spirituel qui constitue la personne[65]. » L'énonciation des émotions et sentiments, des peurs et joies, du « dévoilement des tabous » et des ruptures relève donc de la capacité à mettre en paroles sa vie intérieure, son histoire singulière, et de l'intention de la communiquer, en confiance. De même, la manifestation des connaissances scolaires et culturelles et des expériences relève de sa propre construction du savoir, un savoir assimilé, approprié selon son histoire et sa culture : ce sont les « savoirs d'expérience ». Mais « l'énonciation » n'est pas sans jouer un rôle, elle est effectivement une prise de risque grâce au débat. Car débattre implique argumenter, prouver, démontrer, vérifier, justifier, analyser, mais aussi déranger, interpeller, controverser, contredire, contester, critiquer, et encore considérer un point de vue, négocier, délibérer, décider, en étant en mesure de reconnaître le non-partage de son point de vue. L'énonciation préfigure et prépare le sens même de l'expérience d'écriture à venir. Elle prend sa place dans l'action d'écrire en commun. Le « souci de soi[66] » importe ici à l'autre et impose une écoute attentive. À propos de l'hétérogénéité inhérente à la pédagogie de la formation en troisième cycle sur la spécialisation de conduite de projets en éducation et en formation, Jean-Jacques Morne donne à cette écoute le nom d'écoute « décentrée » ; c'est le « défi de l'hétérogénéité ». Dans une formation qui relève d'un public hétérogène, chacun est conduit « à être particulièrement attentif à l'intention du propos de l'autre, à sa recherche et à ses efforts » : recherche des mots, efforts de maîtrise de la langue. L'énonciation orale est toujours susceptible d'être rectifiée, nuancée, parce que faisant écho à l'interlocuteur dans son immédiateté et sa proximité. Certes, elle libère et rassure, mais corollairement elle demande que l'autre se soucie alors « de faire préciser ce qui a été dit, ce qui a voulu être dit ou cherché à montrer » afin que la parole de l'un rebondisse sur celle de l'autre : « La communication en est assurément ralentie, mais sauf à prendre le parti de l'incompréhension ou du dilettantisme, il devient impératif de chercher à s'installer dans la logique de l'autre, de l'interlocuteur[67]. » 2 - Le collectif : un décentrement culturelLes personnes forment un Groupe, dans un espace collectif et symbolique, avec les liens qui s'y créent dans le temps ; liens intersubjectifs qui autorisent les paroles interdites, ou l'énonciation du corpus des mythes, l'imaginaire et l'universel, la transmission de l'histoire. Cependant, faire partie d'un groupe hétérogène ne va pas de soi : c'est que l'hétérogénéité implique un processus de changement, et apprendre le changement demande des efforts, une exigence d'écoute et d'acceptation de la différence chez l'autre et chez soi-même, comme l'explique Jean-Jacques Morne : « Se rapporter au monde autrement qu'à l'habitude ; se rapporter à un environnement en transformation ; mais aussi se rapporter à soi-même comme différent de l'image que les autres lui renvoient. » Si c'est bien cela que l'enfant doit apprendre à mesurer et à apprécier de l'école élémentaire à l'université, poursuit-il, il note alors que cette aptitude au changement, au « décentrement » est bien plus complexe pour l'adulte que pour l'enfant ou le jeune. Car se décentrer demande un abandon des repères habituels et familiers, du moins provisoirement dans la situation donnée. Or, l'adulte a déjà vécu une histoire de vie et des formations antérieures qui ont « rôdé des façons de voir, d'écouter, de penser et d'agir, tenues pour naturelles ou en tout cas universelles » : L'enjeu est alors de s'exercer à voir autrement, c'est-à-dire découvrir ce que d'autres voient mais qu'on ne voit pas ou plus habituellement. Rendre perceptible ce qui est inaperçu. Accueillir l'autre dans sa différence et son altérité. Il y a là les fondements d'une authentique pédagogie de l'interculturalité[68]. L'atelier se caractérise donc par deux points : d'un côté, la démarche d'écriture a bien trait à une expression de soi — sa propre histoire et ses pensées — ; de l'autre, les échanges — communication à l'autre — conduisent à une action collective, à la création d'un récit littéraire. Partant de soi, il s'agit donc bien de prendre le risque de s'exposer à d'autres points de vue ; néanmoins, malgré l'engagement, la part d'intimité, la part d'ombre de chacun peut être respectée dans cette lisibilité publique, par le fait même qu'elle passe par une représentation allégorique, la fable. Tout le travail des écritures est donc ordonné à une réalisation symbolique collective, la fiction par laquelle chacun aura son propre regard. Si bien qu'il est question du passage d'un auteur singulier à une collectivité d'auteurs, et non à une « série » d'auteurs : « Obligeant chacun à objectiver et à intégrer, au détriment parfois du narcissisme d'auteur », il est reconnu dans le processus de l'écriture du récit « une coopération centrée sur l'œuvre[69] ». L'originalité de notre atelier tient à ce qu'il faut chercher à énoncer, à circonscrire, à objectiver (trouver des argumentations, cerner une idée, une notion, une image) dans le sens d'une construction possible commune, « une » à points de vue multiples (cela étant faisable parce que, néanmoins, chacune des singularités de l'autre fait écho à ses propres représentations). La dimension de la collectivité oblige par conséquent à prendre en compte le point de vue de l'autre et à faire avec sa différence. Mais cette ouverture à l'autre se révéle parfois difficile et même incompréhensible en pratique, car ce n'est pas l'objet des situations d'apprentissage habituelles de l'école. 3 - La médiation : une parole « maïeutique »« Une pédagogie interculturelle » est donc réalisable dans l'atelier d'écriture collective, si elle autorise et valorise la communication des ressources multiples en permettant qu'elles s'inscrivent, avec tâtonnements et expériences, dans des productions qui légitiment autant un projet d'auteur collectif (coauteur), que des compétences acquises individuellement. C'est pourquoi, en posture de médiation d'un « tiers », le rôle du maître, du passeur, est double. Tout d'abord, en conduisant les acteurs (élèves, adultes) à passer du statut d'individualisation, de séparation les uns par rapport aux autres, à une autre identité qui est celle de se reconnaître et d'être reconnu comme un individu d'un groupe solidaire. Mais il les conduit aussi, en tant que sujets, à passer d'un état de résistance ou de crainte à l'égard de l'écrit, et même de la parole en classe, à un état d'expression et de communication libre (de la crainte au plaisir). La parole du maître a donc différentes fonctions : une parole de « monstrateur » lorsqu'il lit, conte, « montre » une parole d'interprétation qui produit du sens, et procure plaisir et désir (de lire et d'écrire, ou d'écrire puis de lire) ; et une parole « maïeutique », qui est incitation à la prise de parole, ou, plus difficile, à sa régulation, ou encore une aide à la négociation et à la prise de décision collective. Cette deuxième fonction a partie liée avec les notions de médiation et de mutualisation : parole « maïeutique », parole d'incitation et régulation, parole de négociation et de structuration, elle facilite et régule l'émergence des énonciations des ressources (chaque membre du groupe a un droit de parole) ; elle aide à la structuration de l'histoire et à sa mise en cohérence de façon collective, en reformulant et en synthétisant, tout en gardant l'usage d'un discours qui crée et invente. Elle est le garant de l'écoute et du respect de la parole de l'un et de l'autre dans les échanges. De plus, la fonction d'accompagnement du maître, parce qu'il est pédagogue, est de valoriser et de rendre visible à chacun la progression de la pensée et les acquis, individuels et collectifs ; il assure et rassure l'élève ou l'adulte en lui donnant à voir des repères issus de sa propre implication. De même, sa parole préserve « la dynamique de groupe[70] » en garantissant, envers et contre toutes les difficultés de compréhension de l'autre, l'échange positif et constructif de paroles et un processus continu d'écriture du début jusqu'à la fin (disons jusqu'à l'aboutissement d'une écriture finie, lisible, et qui serait publiable), même s'il y a des coupures de séances ou de lieux dans le temps et dans l'espace. La parole « maïeutique » en atelier d'écriture collective peut être évidemment celle d'une seule personne qui assure toutes ces fonctions dans les rôles de régulation de la parole, de « reformulateur » et de « synthétiseur », ou dans celui plus difficile de négociation ou de décision[71]. Mais, également, deux ou trois, ou quatre personnes peuvent se compléter, tout en sachant que la fonction globale de médiation, dans tous les rôles concernés, revient au maître d'atelier. Dans l'étude des pratiques, nous pourrons cerner ces différentes fonctions selon les partenaires : il s'agira entre autres du partenaire qui suscite une recherche de sens approfondie[72], ou du (des) partenaire(s) intermédiaire(s) entre deux ou trois langues et attaché(s) au respect des repères linguistiques propres à chaque groupe, selon le niveau de maîtrise de la langue française des enfants ou adultes[73], ou bien encore d'une médiatrice entre la langue d'usage des participants et celle du maître d'atelier[74]. 4 - La mutualisation : l'altéritéEn atelier d'écriture collective, comme dans le temps de la médiation narrative, nous rapportons au concept d'altérité le sens de la réciprocité, du don : ainsi, ce qui est donné « en commun », dans les temps de paroles mutuelles partagées avec l'autre et en groupe ; mais aussi dans le temps des écritures, à l'intérieur même des petits groupes. Par suite de l'implication des personnes, les interactions entre les différentes subjectivités s'organisent collectivement, entre tous les participants de l'atelier, en écoute et en échanges, à condition que le maître d'atelier (et ses partenaires) construise, dans chaque situation particulière, les pratiques de médiation qui conduisent à la prise de conscience de l'individu de sa part de communauté, et aux prises de parole. La mutualisation n'est pas réductible à un simple échange de savoirs ou de compétences, ce qui relèverait alors du troc. Elle est en quelque sorte plutôt transfert des expériences de vie, ou encore leur conjugaison. La pédagogie du projet en est le principal garant[75]. Le dialogue véritable suppose écoute et échanges pour une construction de soi et d'une œuvre, écrit Gusdorf dans La Parole. Mais elle n'élimine ni les tensions ou conflits, ni les argumentations pour convaincre. Dans ces débats, les différences sont acceptées, valorisées, discutées, explicitées, parce que finalisées par le désir partagé de réussir le projet. La pluralité des jugements, des cultures et des pays se retrouve ici dans les projets de récits, cela dans des situations qui peuvent concerner tout aussi bien deux pays qu'un seul et même groupe hétérogène regroupant des membres de diverses nationalités (jusqu'à dix pays dans les expériences conduites en DESS). La situation est alors comprise par les participants comme lieu et temps de reconnaissance des identités particulières : chacun est conduit à faire reconnaître par les autres sa contribution personnelle, et pour cela à se démarquer de l'égocentrisme pour reconnaître l'apport des autres dans la création collective. Mon expérience propre peut-elle faire sens, même si je suis étranger, et l'expérience de l'autre peut-elle faire sens pour moi, en me donnant quelque chose pour me construire ? Il y a donc un point essentiel qui est celui d'une acceptation de la différence. À partir de soi, de sa culture, et de ses propres manques, apprendre à accepter la différence, c'est essayer d'entrer dans la logique de l'autre pour y trouver ce quelque chose qui aide à se construire ou à se connaître soi-même, et contraint (pousse) à changer. En effet, l'autre, c'est celui qui n'est pas identique à soi et qui montre « le manque », « la faille » qui existe en soi. S'agissant de ces enfants de « l'entre-deux » comme nous les avons appelés, de ces enfants particulièrement en difficulté, ou en échec, il s'agit alors de les aider à accepter la difficulté, le manque, l'écart, et de le combler. Notion certes à approfondir plus longuement, mais nous pouvons déjà citer les anciens Grecs pour qui la différence avait un rapport avec l'indicible, le non-visible, et la mort. D'après Jean-Pierre Vernant, dans les mythes grecs les représentations des divinités Artémis, Dionysos et la Gorgone Méduse ont toutes les trois à voir avec l'altérité, car elles portent un masque : « Cette manière de porter des masques serait une manière de vivre l'autre comme étant susceptible d'être semblable ou comparable à moi-même[76] » explique-t-il dans La Mort dans les yeux. Nous inspirant de ses observations, il nous semble que nous pouvons approcher le sens de la différence sous trois formes de regard : la peur, la frontière, le changement. L'autre peut susciter la peur. Et la peur tue avec son masque, comme le masque de la Gorgone. La divinité grecque avait le pouvoir de tuer en changeant en pierre ceux qui la regardaient. « La Gorgone qui est une divinité faite masque, représente, pour les Grecs, ce qui n'est ni dicible ni intelligible ni visible. Voir la Gorgone, c'est devenir ce qu'elle est : être mort, être changé en pierre, perdre toute humanité, toute figure, toute lumière, être voué à l'obscurité, à la nuit. » L'autre peut être la frontière où se pose l'Autre. Il impose des limites. Ainsi, la déesse chasseresse Artémis éduquait les jeunes gens grecs : « Artémis prend l'être humain dans ce qu'il a d'animal (elle préside aux accouchements), et elle l'amène à l'état adulte, progressivement, de telle sorte qu'il parvient aux frontières de la civilité, de l'état adulte, de l'identité, et devient un jeune homme. » L'autre a une autre logique, un autre regard. Il oblige à se changer soi-même pour devenir autre que l'on se devinait, ou que l'on se voulait soi-même, en découvrant et en acceptant son propre manque. Ainsi, Dionysos, dieu des Bacchantes, oblige à devenir un autre, à « ne pas se replier sur son identité, sur l'ordre, sur la tradition », à « ne pas se méfier de tout ce qui est autre ». Sinon, ce peut être la violence, représentée dans la pièce d'Euripide Les Bacchantes[77]. 5 - La symbolisation : transfiguration du réelNous l'avons vu, la symbolisation permet la distanciation d'avec soi-même : ce sont les personnages de fiction qui prennent en charge les sentiments et les pensées trop intimes. La fiction transfigure le réel, permet de dire l'indicible, l'intraduisible, l'intouchable. Elle construit et transmet une vision du monde et de valeurs. Dans ses travaux, Jean-Pierre Vernant rappelle que « c'est avec la tragédie que le fictif prend sa signification d'imitation, parvient à faire croire que ce qui ne peut pas être est là pourtant devant vous ». En fait, loin de nous détourner du présent par une mise en scène du passé, la tragédie grecque avait trouvé le moyen de questionner le présent : « Pour Aristote, la vérité de la tragédie par exemple est plus vraie que celle de l'histoire parce qu'elle a une portée plus générale, et donc finalement plus philosophique », celle d'un rapport au monde et à soi-même. De même, la vérité des contes résidait dans leur tentative de répondre — de manière visible, réelle, mais allégorique — aux problèmes d'une société, d'une communauté ou de l'homme en quête de soi. 6 - Le « jeu » des mots : le « je » de l'auteurDans le chapitre 3 qui porte sur la réception, nous avons évoqué le travail de la langue chez l'écrivain dans ses exigences et dans son souci du style pour une plus grande compréhension de sens. Plus haut, dans les fonctions de l'écrit, nous avons mis en avant celle qui permet d'acquérir une indépendance de la parole dans l'écriture. Aussi, parler, énoncer — puis écrire —, c'est oser transcrire un « je » en étant acteur et auteur de son identité dans son rapport au monde. Mais si le langage a la fonction de l'énonciation, il autorise bien évidemment l'invention, comme dans Alice au pays des merveilles[78]. Et l'écriture (l'art de raconter), qui est un travail de la langue, doit pratiquer ratures, corrections, réécritures : le « jeu » des mots peut s'aventurer dans la poétique et, par là, dans l'herméneutique du monde et du sujet. Selon notre approche de la réceptivité de la lecture d'après Umberto Eco, le « jeu » des mots qui exprime et invente le « je » de l'auteur passe par « l'oralité », ou par une oralisation, imaginaire ou réelle. C'est pourquoi, à l'exemple du comédien, les participants de l'atelier d'écriture prennent conscience du sens de leurs mots (en tant que signes et partie prenante de l'histoire) en les disant à voix haute, en les proférant face au spectateur, au groupe. Lecteurs de leur propre texte, en un moment court et précis, ils acquièrent alors le souci de la réception de leur texte en tant qu'il sera lu, le souci de faire comprendre au mieux leur intention d'auteur par le jeu momentané de l'interprétation, lequel préfigure à cet instant-là toutes les futures situations de lecture où nécessairement ils ne seront plus présents que par la seule force et présence de leur écriture. 4. 3. Caractérisation des trois temps forts de la méthodologie : ressources, histoire, écrituresC'est comme la question du style. On ne peut pas avoir toute sa vie un seul style. Il faut essayer d'avoir des styles différents, on peut varier, il n'y a rien de définitif. Ce n'est jamais la forme en elle-même qui a une signification, ce qui compte, c'est le mouvement continu de la création. Gao Xingjian[79] Dans notre analyse méthodologique, il apparaît important d'expliquer l'organisation théorique du déroulement de l'atelier (établie d'après de nombreuses expériences). Elle comporte des temps forts inséparables les uns des autres, mais qui ne peuvent se chevaucher, notamment parce qu'ils suivent la succession des moments structurants de l'intrigue, selon l'art de la composition d'une histoire (Aristote) et d'après le schéma narratif de Propp tel que nous l'avons présenté dans notre étude du conte au chapitre 4. a - La structuration de l'atelier d'écritureEn formation, nous présentons trois temps : le premier temps est celui des ressources, le second temps celui de l'histoire, le troisième temps celui des écritures. Le tableau qui accompagne alors l'exposé est présenté ci-après. Concrètement, sur le terrain, très souvent nous avons organisé le déroulement de notre travail en quatre phases agencées selon les trois temps établis et centrés sur la relation entre la parole et les écritures : paroles collectives, structuration collective de l'histoire, écritures en petits groupes, remise en ordre collective et réécritures[80]. 1 - Temps des ressources Le temps imparti à l'émergence des ressources individuelles est caractérisé par la participation orale et par l'implication de toutes les personnes qui participent (ou presque toutes). Du chaos et du désordre des mots, expressions et idées, il sort une organisation, un choix de thèmes qui doivent faire sens pour tous ; puis le choix d'un thème précis déclenche l'histoire, du moins l'indication d'une situation dans le temps et dans l'espace, avec un personnage principal, ou deux (le ou les héros auquel chacun peut s'identifier), et des personnages secondaires. Ces données peuvent être provisoires, mais leur formulation consiste à installer un climat de confiance et d'assurance pour tous, participants et animateurs, afin de commencer la construction d'une histoire qui rallie l'ensemble des participants. 2 - Temps de l'histoire Le temps consacré à la structuration de l'histoire est celui de la mise en ordre du désordre des ressources, et du développement des idées par la structuration des événements en récit, en tenant compte des différents points de vue exprimés. Le point de départ de l'histoire et le processus de « mise en intrigue » doivent alors être décidés. Déjà, doit prévaloir le souci de cohérence et de vraisemblance, à l'intérieur de la fiction. Mais justement on ne confond pas la vraisemblance qui naît de la cohérence de l'histoire et celle qui consisterait à soumettre l'histoire aux normes extérieures du réel. 3 - Temps des écritures Le temps des écritures est celui des travaux réalisés en petits groupes, des recherches, des exercices nombreux et plusieurs fois corrigés et réajustés selon les mises en ordre faites collectivement. Nous insistons sur le fait que ce temps des écritures peut se dérouler sur plusieurs séances, d'autant plus qu'il se divisera en phases d'écritures en petits groupes et en phases de travail collectif : les lectures à voix haute des textes suivies de débat (échanges en réciprocité entre tous les groupes constitués, les animateurs et la médiation du maître d'atelier) permettront alors des réajustements, en fonction de la problématique et de la cohérence et vraisemblance du récit. Pour chacun, conscient d'être auteur (un « auteur-modèle » pour un « lecteur-modèle »), le souci de la forme (de la matérialité) et du style sont de toute évidence l'une des préoccupations des corrections des écrits, du moins des dernières. b - Présentation des trois temps de la méthodologie : tableau
Conclusion : Écrire à plusieurs voix La parole et l'écoute sont les problèmes mêmes des enfants sourds, que traitent divers procédés de substitution. D'une autre façon, c'est aussi le problème, justement, de ceux que nous appelons les enfants de « l'entre-deux ». Et, de leur côté, en principe, les analphabètes et les illettrés se trouvent également empêchés de pratiquer la médiation de l'oral à l'écrit. Mais, de toute façon, « handicap » ou non, c'est bien cette médiation qui est difficile, et parfois apparemment impossible. Cependant, comme c'est le cas en bien d'autres difficultés, là où est le problème, là aussi est la ressource. Autrement dit, le passage éprouvant et parfois (presque) impossible de l'oral à l'écrit ne peut être réalisé que par une médiation, à savoir celle de la parole même. À condition que l'on fasse voir dans cette pratique de la parole la nécessité d'un retour et d'un passage à l'écrit. C'est la médiation du maître, dans son rapport au groupe, qui, sous toutes les formes et avec toutes les ressources possibles, autorise, stimule et régule les énonciations, dans l'écoute, le respect, la réciprocité, et dans la perspective sans cesse rappelée de l'écrit, tel qu'il existe notamment dans la littérature et tel qu'il est appelé à exister dans le groupe de l'atelier. Ainsi la rencontre avec l'autre, vécue dans l'écoute et le dialogue, c'est-à-dire la verbalisation collective dans son processus de mutualisation, peut aider l'individu dans le travail de l'écriture. En effet, si l'acte d'écriture est bien un acte personnel qui permet de reprendre possession de sa mémoire et du réel par l'imagination, de nombreux étudiants adultes reconnaissent aussi que le temps d'écriture d'un récit collectif a constitué pour eux un espace-temps où se forment l'indépendance et la liberté de l'individu, un espace-temps où ils ont pu se développer en tant que sujets et acteurs de leur formation. La situation et les procédures de l'atelier doivent mettre en évidence la capacité à acquérir maîtrise et indépendance dans l'écriture, et à développer des compétences à produire et à créer, avec la liberté de se former et se transformer (soi-même et son écriture). En suivant cette méthodologie, les travaux en atelier d'écriture ont très souvent abouti à la réalisation d'une œuvre commune, et publiable, comme nous le verrons dans la seconde partie de cette thèse[81]. Ainsi les productions de l'atelier objectivent pour lui et pour l'extérieur la valeur des savoirs acquis et légitiment la formation. Elles participent de la construction de soi et du savoir de chacun, elles concrétisent le plaisir de la parole et la confiance face à l'écrit. En conclusion, nous soulignons la singularité de notre méthodologie dans le renouvellement pédagogique de son rapport spécifique à la parole et dans le sens qu'elle donne à une écriture à plusieurs voix : celle-ci n'est pas seulement une création à « plusieurs mains[82] », idée qui rejoint par ailleurs certaines expériences et inventions en matière d'approche de l'écrit, en milieu scolaire et social, mais son originalité est fondée sur deux principes. Tout d'abord sur l'idée première et la mise en pratique d'une parole médiatrice : la parole maïeutique du maître d'atelier et la parole énoncée et partagée entre toutes les voix participantes de l'atelier ; et sur l'idée seconde d'une écriture collective. Cette seconde proposition intègre précisément le souci de la personne dans le groupe, mais réclame alors de sa part une posture d'altérité et de solidarité, ce qui signifie un rapport à l'autre en ce qu'il est semblable à soi et différent de soi. Alors, nous pouvons appeler cette nouvelle culture de l'écriture : celle des écritures à « plusieurs voix », ou encore des « écritures plurielles[83] ». En dernière analyse, et dans le souci d'une transférabilité pédagogique, il faut souligner que cette démarche a mis en évidence les enjeux incontournables d'un projet collectif où l'on pratique en même temps et avec (en communion) : 1) la reconnaissance de la parole, sa remise en « jeu » par le « je » du médiateur, et la prise de conscience de cette dialectique (là est une donnée première de l'expression dans les situations) 2) l'attention à l'autre et l'écoute comme concept inhérent à et indissociable de la communication en tant qu'ouverture à l'autre (ici la communication est élargie aux concepts de médiatisation et de mutualisation) 3) la nécessité d'une dimension collective, qui inscrit dans le groupe l'altérité, la solidarité et la générosité comme des valeurs universelles. ALLER à la CONCLUSION de la thèse de F. Sérandour RETOURNER au SOMMAIRE de la thèse de F. Sérandour RETOURNER à CONTRIBUTIONS à la théorie de la littérature [1] Paul RICŒUR, Temps et récit, I, Seuil, Points-Essais, 2001 [1e éd. 1983], p. 147. [2] Pierre BÉDÉCARRATS, Christian DERRIEN, Jean-Jacques MORNE (dir.), Écoles en réseaux. Télématique et Pédagogie Freinet, Universités associées pour le développement de programmes européens par satellite Olympus, Nantes, Rennes 2, Tours, éd. U Media Nantes, 1993. [3] Jean CAUNE, Pour une éthique de la médiation. Le sens des pratiques culturelles, Presses Universitaires de Grenoble, coll. « Communication, Médias et Sociétés », 1999. [4] Colloque « École rurale », Grenoble, juin 1995. Ce Colloque (dir. Bernard Collot) avait réuni principalement des maîtres de l'enseignement primaire travaillant sur les réseaux, avec de nombreuses interventions de chercheurs : ils parlaient avec enthousiasme « de rénovation des connaissances, d'invention » grâce au groupe et à son hétérogénéité : « l'hétérogénéité des âges, des cultures construit le groupe, le structure, le modifie, le transforme, le mène vers un langage commun, langage pétri de tolérance et d'ouverture. » [5] Parmi les travaux proposés auxquels nous nous référons : Propositions pour un collège unique, avril 2001 (en ce qui concerne la pratique de l'oral et de l'écrit, en primaire et au collège). Voir également Luc FERRY, Lettre à tous ceux qui aiment l'école. Pour expliquer les réformes en cours, Odile Jacob/Scéren [CNDP-CRDP], 2003. [6] Nous avions alors fondé un groupe de recherche international, le GRAPPE (Groupe de Recherche Action Pédagogique Parole-Écritures, Université de Rennes 2), avec des partenaires portugais — Bragança —, et marocains — Rabat, Kénitra et Agadir —, et avec le GRUO, Groupe de Recherche Universitaire sur l'Oralité créé par Najima Thay Thay, à l'origine du projet Sabak-conte, et Ministre à l'alphabétisation et à l'éducation non formelle (nov. 2001-avr. 2002). [7] Dans le cadre de l'Action intégrée nº 241 (Ministères des Affaires étrangères français et marocain) : « Place et rôle des émigrés/immigrés dans le développement local aux Maghreb et pays du Sahel », coord. Jean-Jacques Morne, avec le C.M.I.F.M (Comité Mixte Inter-universitaire Franco-Marocain). Cette coopération de recherche, de quatre années (2000-2003), associait l'O.R.M.E.S. (Observatoire Régional des Migrations Espaces et Sociétés), l'Université Ibn Zohr d'Agadir et le GRAPPE. [8] Laboratoire expérimental sur la prise de conscience de la formation dans le cas de la licence à l'Université de Rennes 2, 2000-2001. Mais aussi d'autres expériences, dont celle de la formation d'éducateurs spécialisés (Bretagne, Institut de formation d'éducateurs, cinq jours, avril 1999). [9] Institut français de Rabat : une expérience avec des maîtres de primaire de la région de Rabat sur l'apprentissage de l'écriture d'un conte (cinq jours, mai 2000). Également à l'Institut Polytechnique d'Éducation de Bragança, au Portugal, une expérience avec de futurs professeurs de français (quatre jours, mai 2001). [10] « Les collégiens dans le bocal aux poissons rouges », atelier d'écriture avec la médiation de Christelle Turcas, étudiante en Dess-Cogef, in Mémoire de Dess : Le Japon ou la communauté indispensable : l'atelier d'écriture comme outil d'expression de soi, Université de Rennes 2, 2001. [11] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature, 2000, suivi de Au plus près du réel, dialogues avec Denis Bourgeois, Poche, L'Aube, 1997, 2001, p. 7-29, Discours prononcé devant l'Académie suédoise le 7 décembre 2000. [12] Georges GUSDORF, La Parole, PUF, 1986 [1e éd. 1952], p. 95-96. C'est l'auteur qui souligne. [13] Gaston BACHELARD, La Flamme d'une chandelle, PUF coll. « Quadrige », 1986 [1e éd. 1961] : « La page blanche ! Ce grand désert à traverser, jamais traversé », p. 108, 109. [14] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature, op. cit, p. 11 [15] Paul RICŒUR, Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II, Seuil, « Points Essais », 1986, p. 20. [16] Paul RICŒUR, Du texte à l'action, op. cit., p. 23. [17] Xingjian GAO, suite à La Raison d'être de la littérature, p. 60. Entretiens avec Denis Bourgeois, op. cit., p. 43 et 45. [18] Roland BARTHES, « De la parole à l'écrit », in Le Grain de la voix. Entretiens 1962-1980, Paris, Points Seuil, 1981, p. 9-10. [19] Élisabeth BING, Et je nageai jusqu'à la page. Vers un atelier d'écriture, éd. des Femmes, 1976 : « L'histoire des ateliers d'écriture en France a commencé en 1969 avec l'expérience initiale relatée dans ce livre. » [20] Claudette ORIOL-BOYER, « Les Ateliers d'écriture » ; Disponible sur le site remue.net animé par François Bon http://www.remue.net/atel/actu.html, juillet 2003, ou http://www.remue.net. Voir également, Anne ROCHE, André GUIGUET, Nicole VOLTZ, L'Atelier d'écriture. Éléments pour la rédaction du texte littéraire, Lettres sup. Nathan Université, 2000. [21] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature. Introduction, op. cit., p. 7-8. [22] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature, suivi de Au plus près du réel. Dialogues avec Denis Bourgeois, op. cit., p. 53. [23] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature, op. cit., p. 13-14. Ainsi la nomme-t-il « littérature froide », p. 14-17. [24] Conférence de presse sur l'éducation artistique et culturelle, le 13 décembre 2000, du Ministre de l'Éducation nationale Jack Lang. [25] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la Littérature, op.cit., « La fiction et la littérature », p. 23. [26] Alain ANDRÉ, « Écrire à plusieurs mains », in revue Lecture Jeune, nº 93, avril 2000 : « L'écriture collective a une histoire. Écrire à plusieurs mains a été le désir de nombreux poètes et écrivains, depuis le Renga au Japon du XIIe siècle. » [27] Riccardo PETRELLA, « Cinq pièges tendus à l'éducation », Le Monde diplomatique, février 2000 : « L'école est avant tout le lieu où doit s'élaborer la démocratie de la vie. » [28] Festival du conte d'Agadir, créé en avril 1996 par le GRUO (Groupe de Recherche Universitaire sur l'Oralité), dir. Najima Thay Thay, 3e éd. internationale, avril 2002. [29] Najima Thay Thay a présenté ce projet Sabak-Conte à Rome, en 2002, en tant qu'expert de la culture immatérielle au niveau méditerranéen (U.N.I.M.E.D. Rome). Il a été reconnu premier projet sur vingt-quatre pour les pays de la Méditerranée. [30] Jean-Jacques MORNE, Lettre d'Agadir, Festival du Conte d'Agadir. Internet 17 mai 2002. Site des ateliers d'écriture animé par l'écrivain François Bon : http://www.remue.net. [31] Des explications sur les écoles participantes étaient aussi précisées : « Les unes venaient d'un “Village d'enfants SOS” : le nom dit bien de quelle situation il pouvait s'agir. D'autres venaient d'écoles situées bien loin dans les montagnes, aux confins du désert. D'autres encore des villes, aux prises avec les processus d'émigration-immigration internes au pays : Tétouan, Casablanca, Agadir, etc. » Cette « Lettre » est consultable sur le site internet de remue.net, loc. cit. [32] Voir aussi, Alain ANDRÉ, « Écrire à plusieurs mains », op. cit. : « Une nouvelle culture de l'acte d'écrire », p. 9. [33] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature, op. cit., p. 28, 64. [34] Patrick BOUMARD, Les Savants de l'intérieur. L'analyse de la société scolaire par ses acteurs, A. Colin, 1989. [35] Une étudiante en maîtrise de Sciences de l'éducation remarquait qu'auparavant, avant d'avoir écrit l'histoire de Nedjma et le sablier du désert (avec treize autres étudiants en atelier d'écriture), elle n'avait aucune conscience du statut du lecteur et de celui de l'auteur : « Par exemple, quand je lisais un ouvrage, j'ignorais le plus souvent l'écrivain, et quand moi-même j'écrivais, j'ignorais le lecteur. » [36] Gaston BACHELARD, La Flamme d'une chandelle, PUF, coll. « Quadrige », 1986 [1e éd. 1961], p. 108-111. [37] Virginia WOOLF, Une Chambre à soi, Denoël, 1927, p. 135. [38] Du point de vue ethnographique, il est intéressant de noter que, désormais, à côté de l'écriture arabe classique, le berbère peut être écrit de manière « standardisée », le tachelhit de la région du Souss étant l'un des trois dialectes de la langue berbère et la standardisation de ces écritures ayant, aujourd'hui, une « homologation au niveau international ». Il existe un Institut Royal de recherche au Maroc qui travaille depuis deux ans sur cette expérimentation, et l'on commence à enseigner le berbère dans le écoles. Ainsi, à la dernière séance de notre atelier d'écriture, Amina choisira de transcrire les mots et les phrases des femmes en cette écriture, au lieu de l'arabe classique. [39] Fouzia BEN MESHBAH se rapporte à ses sept actes d'écriture, Les Sept ballades dans le champ de la formation, dont celui de l'analyse de l'atelier d'écriture collective ayant donné lieu à la création du récit Ethel et les sept châteaux, Dess-Cogef (conduite de projets en éducation et en formation), 1999-2000, Université Rennes 2. [40] Toutes ces citations d'étudiantes et étudiants proviennent de leur Mémoire Dess, 3e cycle, et de leurs sept travaux d'accompagnement du parcours de formation, intitulés « Actes d'écriture », Sciences de l'éducation, Rennes 2, 2000. Fatima ZEDIRA a écrit ses sept actes avec le fil conducteur d'une quête existentielle à travers l'écriture pour comprendre la place des femmes immigrées dans la société qui les accueille. [41]
Fatima ZEDIRA, Actes d'écriture, op. cit. [42] Nancy HUSTON, Leila SEBBAR, Lettres parisiennes. Histoires d'exil. Autopsie de l'exil, éd. J'ai lu, 1986, Introduction, p .6 ; p. 40 ; p. 115. [43] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature, op. cit., p. 53-58. [44] Élisabeth BING, Et je nageai jusqu'à la page, op. cit., p. 158. [45] Alain VIRCONDELET, Alger Alger, Éd. du Laquet, coll. Terre d'Encre, 1998. [46] Certes ces étudiants ont l'habitude d'écrire : des notes de cours, des rapports de stage, des épreuves d'examens… Mais là il s'agit d'un retour aux sources, de l'écriture en tant qu'expression, manifestation, communication de soi-même comme sujet de sa formation, et cela sous la forme d'une fiction. [47] Michel GAUTHERON, Dess-Cogef 11, Professeur de philosophie, et d'expression et de communication en lycée agricole. Actes d'écriture : Les Ateliers d'écriture, Rennes, 2001. [48] Ainsi, sur le présent site Internet À la littérature…, qui publie des textes d'écrivains et de professeurs de littérature, ou de philosophie [49] PIEKARSKI Hervé, La Langue à l'œuvre, Ouvrage conçu et coordonné par Patrick Souchon avec Art + Université + Culture, édition Presses du réel, Maison des écrivains, p. 109. [50] Séminaire animé par Françoise SÉRANDOUR, sur « La pratique du conte : Lectures et Poétique ». Cinq jours avec des professeurs de l'université et des étudiants de 3ème cycle, et des professeurs du secondaire (lycées de Rabat) : décembre 1998. Avec la coordination de la directrice du département des Lettres, et la collaboration de l'Institut français de Rabat. [51] Jean-Jacques MORNE, Françoise SÉRANDOUR, Nedjma et le sablier du désert, « Les portes de la transgression », in Paroles d'Immigration. Pédagogie interculturelle en ateliers d'écriture collective (France-Maroc-Portugal), p. 78- 89. [52] Escola superior de Educaçao de Bragança. Portugal, mai 2000 : trois jours d'atelier d'écriture avec vingt-cinq étudiantes et étudiants, et six étudiants du Dess-Cogef dont deux anciennes étudiantes du Dess venues du Maroc pour cette formation et partenaires dans nos projets au Maroc (Rabat et Kénitra), et l'équipe pédagogique de l'École de professeurs. Coordination Cécilia Falcào. Maîtres d'atelier : Françoise Sérandour et Jean-Jacques Morne, directeur du Dess-Cogef des Sciences de l'éducation, Rennes 2. [53]
Michel GAUTHERON, Dess-Cogef 11, en formation en 2000-2001. Actes
d'écritures : « Les Ateliers d'écriture », op. cit. [54] Gao XINGJIANG, La Raison d'être de la littérature, op. cit., p. 28. [55] Paul RICŒUR, Du texte à l'action, op. cit., « De l'interprétation », p. 25. [56] Paul RICŒUR, Du texte à l'action, op. cit., p. 20. [57] Nous entendons par symbolique, la « nomination » des éléments (air, feu, eau, terre), le « fonds symbolique de l'humanité », tel que nous pouvons le comprendre à travers les travaux de Gilbert Durand (Anthropologie de l'imaginaire), le partage universel des mythes. Signalons aussi des textes auxquels nous nous référons dans nos différents travaux : Paul Ricœur, La Symbolique du mal (1960), Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie (1961), notamment dans notre mémoire de recherche en Dess, tout comme Mythes, rêves et mystères (1957) de Mircea Eliade dans notre mémoire de Maîtrise en sciences de l'éducation. [58] Paul RICŒUR, Du texte à l'action, op. cit., p. 20 et p. 27. [59] Roselyne Orofiamma, « Nouer une parole singulière à l'expérience inédite de l'innovation », in Recherche et Formation, nº 31, 1999, p. 91-99. Roselyne Orofiamma appartient au CNAM, Centre de recherche sur la formation. [60] Roselyne Orofiamma, op. cit. [61] Roselyne Orofiamma, op. cit. [62] Paul RICŒUR, Du texte à l'action, op. cit., p. 21. [63] Voir aussi François BON, « L'écriture d'invention », (en ligne sur Internet), août 2003, débat en réponse aux textes mis en ligne par le Ministère de l'Éducation nationale. Disponible sur le site http://www.remue.net. [64] Jean-Pierre VERNANT : La Volonté de comprendre. Ce que la Grèce antique nous apprend du monde, (entretiens réalisés par Antoine Spire, Tania Rizk, Julie Clarini. Staccato, 23 novembre 1998, France Culture), éd. de L'Aube, 1999, p. 45. [65] Jean-Pierre VERNANT, La Volonté de comprendre, op. cit., p. 7. [66] Michel FOUCAULT, Le Souci de soi, t. 1 de Histoire de la sexualité, Bibliothèque des Histoires, Gallimard, 1984. [67] Jean-Jacques MORNE, « Autoformation critique et critique de l'autoformation », in Études dirigées et aides à l'autoformation, Actes de l'Université d'été de Rennes, oct. 1996, dir. Ch. Leray et E. Lacabec, CRDP-CNDP, 1998, op. cit., p. 48. [68] Jean-Jacques MORNE, op. cit., p. 50. [69] Alain ANDRÉ, « Ecrire à plusieurs mains », in Les Écritures collectives, Revue Lecture Jeune. Revue de réflexion, d'information et de choix pour les 13-19 ans, avril 2000, nº 93, p. 9 : « L'atelier crée les conditions qui sont favorables à l'écriture collective — une culture commune de l'acte d'écriture. » [70] L'Oral argumentatif en philosophie, dans Les Cahiers Pédagogiques, nº 385, CRDP de Montpellier, juin 2000. Pour illustrer comment ce concept de médiation de la parole peut fonctionner dans ses différentes fonctions, l'exemple d'une expérience singulière de débat philosophique dont le pari et le défi reposent sur une problématique d'animation, est rapporté par Michel Tozzi, philosophe, dans son article « Au café philosophique ». [71] C'est le cas le plus fréquent des situations où des écritures collectives sont réalisées en classe de lycée (ou de collège), lorsqu'on est professeur et maître d'atelier à la fois. [72] Situations d'ateliers d'écriture au DESS-Cogef, l'atelier étant animé à deux. [73] Situation de l'atelier d'écriture entre les élèves du Portugal et du Maroc, au Portugal et au Maroc. Particulièrement pour les Portugais, le français était une langue seconde. [74] Situation de l'atelier d'écriture avec les femmes analphabètes de l'Anti-Atlas au Maroc. [75] Jean-Jacques MORNE, « Le défi de la mutualisation », in « Autoformation critique et critique de l'autoformation », op. cit., p. 52. [76] Jean-Pierre VERNANT, La Mort dans les yeux. Figures de l'Autre en Grèce ancienne, Hachette, coll. « Pluriel », 1998, p. 81-82 ; 86-87. [77] Dans Les Bacchantes, c'est le drame du roi de Thèbes Penthée, mis en pièces par sa mère et ses femmes qui avaient rejoint les bacchantes, car il refusait la présence de Dionysos à Thèbes (le dieu dérangeait l'ordre et la tradition). [78] M. YAGUELLO, Alice au pays du langage. Pour comprendre la linguistique, Seuil, 1981. Voir aussi les ateliers de l'Oulipo, où les membres expérimentent les contraintes langagières : Jacques BENS, Oulipo (1960-1963), éd. Christian Bourgois, 1980. Et aussi, Les Décraqués, émission quotidienne à France Culture. [79] Gao XINGJIAN, La Raison d'être de la littérature, op. cit., p. 110. [80] C'est dans le chapitre de l'expérimentation de ces ateliers au Dess-Cogef (deuxième partie de cette thèse, publiée à L'Harmattan) que les étudiants expliqueront eux-mêmes en quoi ces phases sont constructives de l'histoire et de l'altérité. [81] Bien entendu, il se pose alors plusieurs questions liées à la notion de l'auteur : ainsi, la question du style (on peut la traiter en gardant une certaine cohérence au texte, au moins celle du genre), le problème de l'engagement (à traiter par une distanciation obligée), le souci d'une bonne réception de l'œuvre par des lecteurs potentiels… [82] Alain ANDRÉ, « Écrire à plusieurs mains », in Les Écritures collectives, Revue Lecture jeune, op.cit., p. 7 à 10. Ainsi, dit-il, le principe du renga japonais : « Le renga, forme de poésie collective très réglée, connut une faveur extrême au Japon entre le VIIIe et le XVe siècle. Plusieurs personnes écrivaient à la suite. Chacune s'astreignait à lier son apport à celui de son prédécesseur, qui lui passait en somme la main et la voix. » [83] Voir Jean-Jacques MORNE et Françoise SÉRANDOUR, Écritures plurielles, I Paroles de migration. Pédagogie interculturelle en atelier d'écriture. France, Maroc, Portugal. Avec le concours du CMIFM (Comité mixte interuniversitaire franco-marocain), le GRUO (Groupe de recherche universitaire sur l'oralité, Agadir) et le GRAPPE, Rennes 2002. RETOURNER au sommaire de la thèse de F. Sérandour RETOURNER à Contributions à la théorie de la littérature |