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Françoise Sérandour : Journal de bord d'un atelier d'écriture

Animé par Françoise Sérandour selon une méthodologie expliquée par ailleurs sur ce site, cet atelier « Écritures créatives » s'est déroulé au département des Humanités à l'INSA (Institut National des Sciences Appliquées) de Rennes, avec deux classes de deuxième année en Culture-Communication. Ces travaux ont fait l'objet d'un recueil imprimé, disponible à l'INSA de Rennes.

Un deuxième atelier a été réalisé pour et par onze étudiants étrangers en formation de spécialisation à l'étranger, à l'INSA de Rennes, pendant l'année 2012-2013, à raison de deux heures par semaine, le premier semestre universitaire. Ces élèves-ingénieurs, mexicain, colombienne, italien, brésiliens et espagnols ont réalisé des travaux d'écriture et de traduction publiés dans le recueil « Voyages d'Ici et d'Ailleurs », disponible aussi à l'INSA de Rennes.

Parmi ces productions, on trouvera ici des traductions de poèmes ainsi qu'un poème portant sur le temps.

Remerciements à Françoise Sérandour, aux auteurs des poèmes et traductions et à l'INSA de Rennes.

© Françoise Sérandour.

Mise en ligne le 17 juillet 2013.


LE TEMPS D'UN INSA

Traces Collectives

Pourquoi lire ? Pourquoi écrire ?

Et rien que pour répondre : « Non, merci bien ! » il fallait arrêter net et ramener de loin sa voix qui, en dedans des lèvres, répétait sans bruit en courant, tous les mots que les yeux avaient lus.

Marcel Proust[1]

Il s'agissait de libérer l'imaginaire. Pour cela nous avons conçu un atelier d'écriture au département des Humanités d'une école publique d'ingénieurs, l'INSA de Rennes, en douze séances de deux heures pour la fabrication d'un recueil de textes collectif. Ces séances sont ici recueillies, mais réduites néanmoins en une synthèse, à la façon d'un journal de bord d'atelier d'écriture.

Pour situer mes ateliers d'écriture, et le travail issu des « Écritures créatives » en Culture-Communication à l'INSA, je partirai du double constat de l'enjeu de l'écriture aujourd'hui en éducation et culture. D'un premier constat théorique et pratique centré sur la Parole en recherche universitaire (« De la parole à l'écriture ») et de l'expérience de nombreux ateliers d'écriture en écoles et dans divers pays (« Naissance des écritures en France, Portugal, Maroc[2] »), je voudrais établir ce deuxième constat de la nécessité et des enjeux de l'écriture pour les élèves–ingénieurs de l'INSA :

C'est mieux communiquer et échanger : écrire quand on est ingénieur est une nécessité (prenons des exemples dans le cursus de leurs études).

C'est donner du sens à sa vie par la littérature, la culture, l'écriture.

C'est mieux s'exprimer et faire l'apprentissage de l'écriture : Du plaisir de lire au désir d'écrire : qu'en est-il de « la page blanche » ?

- Lire : « plaisir », plaisir du livre ? Goût de lire, « jouissance » !, selon Roland Barthes dans Le plaisir du texte[3] ? 

- Écrire : peine, souffrance et libération ? Jubilation !, comme écrivent encore Proust ou le philosophe et poète Gaston Bachelard.

Séance 1. 17 septembre 2012. L'écriture, un enjeu pour mieux vivre

En conséquence de ce double constat établi en première séance, je propose alors, simultanément, aux 51 élèves des 2 groupes d'élèves-ingénieurs de 2e année de travailler dans un Projet commun, c'est-à-dire individuel et collectif, sur  la problématique du « temps qui passe ».

Problématique : En partant du « temps passé ».

Il s'agit de transformer « le temps qui passe » en création positive, par l'ouverture des espaces. Le thème général du « temps qui passe » est précisé dans cette problématique : en partant d'un souvenir, personnel ou issu de l'Histoire, tenter de construire et créer quelque chose en écriture (« une petite forme ») bien visible, et qui perdure (en recueil, ou lectures, ou musique). Dépasser la nostalgie et la mélancolie, ne pas effacer ou oublier, mais reconstruire, inventer, innover, produire, créer, « poïein ». Je pourrais même dire : laisser tomber « ses états d'âme » ! Pour Virginia Woolf, dans « Une chambre à soi » (A Room of One's Own, 1939, Éd. Denoël 1977, trad. Clara Malraux) il s'agit bien de « ne plus être imprégnée, habitée par sa propre indignation ou sa colère », ou par tout autre sentiment négatif ou bien trop envahissant, pour laisser venir à soi les sensations et les émotions du monde. Il s'agit de mettre une certaine distance entre soi et sa subjectivité pour laisser venir à soi une écriture concentrée, intense.

Méthodologie de l'atelier d'écriture à l'INSA : « Libres, tous ces mots enfermés » :

- Le travail d'écritures collectif se fera dans la mutualisation en cours, et dans un projet collectif (un seul recueil pour les deux classes ?)

- Lectures de textes d'écrivains et philosophes : Pour appuyer et nourrir mes propos, tout au long de l'année, je me rapporterai à certains de mes auteurs préférés en Littérature et Philosophie, Marcel Proust, Roland Barthes, Paul Ricœur[4], Gaston Bachelard l'épistémologue et écrivain-poète, les poètes Baudelaire, Rimbaud, Verlaine… ainsi qu'à la découverte d'écrivains contemporains, ou pas, Madame de Sévigné, Virginia Woolf, et Colette, Annie Ernaux, Pascal Quignard (Tous les matins du monde, Les Désarçonnés, entre autres).

- Écoute de musiques également, car le texte sera poésie et musique liées dans le temps : découverte du baroque et musiques du monde : théorbe, violon, voix (XVIe, XVIIe siècle de Monteverdi, Purcell, Kasberger, Matteis, Vivaldi), etc.

Et c'est ainsi que nous fabriquons notre première séance de 2 heures ! Écoute d'extraits de lectures et de musiques déjà cités … Des « exercices » immédiats d'écriture : évocation immédiate et personnelle de mots (et phrases) qui marquent, suggèrent une sensibilité, un écho, une subjectivité. Échange et mutualisation des écritures au tableau par les élèves. Ils ont tendance à parler spontanément de leur jeunesse qui va de l'avant, d'autant plus que la surprise de cet exercice en immédiateté les y entraîne aisément.

« L'animation d'ateliers d'écriture, c'est d'abord se mettre soi-même dans la position de celui qui écrit. Puis, bien sûr, c'est venir poser les questions fondamentales du processus de création, en revisitant le texte littéraire, en découvrant des textes contemporains. C'est aussi considérer la question du groupe « d'écrivants », non pas seulement comme une somme d'individus mais comme un groupe où chacun a une place à occuper. C'est déconstruire une pratique, être dans une rupture épistémologique pour construire un nouvel objet, d'une autre place, avec un autre regard sur les mots. » (Association Atelier d'écriture « Terre d'Encre »).

Séance 2. 24 septembre 2012. Écriture de soi

« Le temps où nous chantions », de Richard Powers, 2003, (The time of Our Singing) trad. de l'américain par Nicolas Richard, 2006.

Je donne des repères pour s'engager dans de « petites formes » d'écriture (écritures brèves) ; ainsi que des références et exercices d'écriture (à partir de Georges Perec) :

- Immédiateté, subjectivité, et réflexion (distanciation)

- Analyse et critique

- Jusqu'à la liberté d'inventer et d'imaginer à l'intérieur du projet (recueil, autres idées ?).

- Lectures d'extraits d'auteurs contemporains sur le thème « Le temps qui passe ».

« Se trouver » : Je raconte la mise en scène (écriture et mise en scène contemporaine) de la pièce de théâtre de Luigi Pirandello au TNB, octobre 2012. L'actrice est Emmanuelle Béart.

Exercice d'écriture en classe et à poursuivre, seul : « Je me souviens… », Georges Perec : chercher un souvenir… un, deux, trois…

Enfin, je propose le Projet d'une sortie « ensemble » : « Ouvrir les intelligences ! », c'est le projet même de l'INSA :

- Art contemporain ? (« Les prairies»)

- Planétarium à l'Espace des Sciences aux Champs Libres de Rennes ?

- Film ? (« Camille redouble»)

Séance 3. 1er octobre 2012. L'atelier d'écriture à l'INSA

Je présente les concepts liés à notre atelier d'écriture « commun » ainsi que la méthodologie (la méthode au sens rigoureux du terme et des notions qui y sont incluses) :

- Le symbolique

- Le Temps dans un Espace collectif (non pas des individus les uns à côté des autres)

- L'imaginaire

- L'altérité, la mutualisation

Je propose des ouvertures d'écritures appliquées, très ouvertes et libres : allant de l'apologue, du conte, ou de la nouvelle, à la poésie (versification, vers libre ou prose poétique) jusqu'à la chronique. Les maximes et proverbes pourront aussi éclore avec liberté. Fragments également.

Séance 4. 8 octobre 2012. Voyage intérieur

Les genres/ registres littéraires :

Nous tentons d'appréhender « Le beau style », et ses stéréotypes, en prenant les exemples de L'OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle). Avec l'exemple de l'émission « Des papous dans la tête », le dimanche sur France Culture.

Et nous entrons dans le domaine des écritures « à contraintes » : les adjectifs, les synonymes (répétitions), la ponctuation, avec lectures et essais d'exercices immédiats en classe (mutualisation). Dans un deuxième temps, nous verrons plus particulièrement les figures de style qui concernent au plus près la poésie et la versification.

Des lectures d'auteurs contemporains pour les prix littéraires des mois d'octobre et novembre 2012 contribuent à l'atmosphère créatrice de l'atelier d'écritures diverses : romans, poésie (Jean Echenoz ; Patrick Modiano ; Pascal Quignard ; Vassilis Alexakis ; Paul Fournel).

La musique du violon par Amandine Beyer et « Les Incogniti » (Mattheis, XVIIe siècle, Vivaldi) favorise l'écoute et l'imagination, porte à la rêverie, selon Bachelard[5].

« La petite bruine porte à la rêverie/ Elle danse dans la lumière du réverbère. » (Patricia T.)

« Petite rose éclose/ aux rayons du soleil de l'automne

senteur délicate/ rose nacrée. » (Françoise S.)

Séance 5. 15 octobre 2012. Les écritures dans le Temps : Pourquoi écrire ?

Quand les étudiants dénoncent « la pensée unique » en Éducation[6].

Choix de son projet d'écriture personnel au sein du projet collectif sur le thème « Le temps qui passe » : genre ? forme ? (créativité, liberté).

Il est temps, pour chaque élève, de choisir son projet personnel avec la visée d'une possibilité d'évolution de la problématique à partir de leurs premiers exercices d'écriture : élargissement du thème à la jeunesse, l'insouciance, à l'amour, et des genres : poésie (vers libre, alexandrin, haïku), maxime, proverbe, chanson, essai, fragment, conte, etc.

Naissance de l'écrit et des écritures : je parle des dates et écritures importantes de l'Histoire ; de l'évolution des écritures et du numérique. Proposition d'exposés sur « Les écritures dans le Temps » : exemple, les manuscrits de Tombouctou (Mali).

Regard présent sur l'exposition Photos et Textes présentée dans le hall de l'INSA, par des élèves de 2ème année STPI, réalisée en juin 2012 avec leur professeur Hélène Prigent. Pendant plus de vingt minutes, avec papier et crayon en main,  le regard de chacun et ses réactions en écriture (un mot, une phrase, une idée). Mise en commun des écritures au cours suivant.

Séance 6. 12 novembre 2012. À la recherche de ses origines : Les écritures circulent.

« Les manuscrits de Tombouctou », retrouvés, en danger, publiés, conservés.

En classe, nous visionnons les vidéos du site Bibliothèque de Tombouctou. Publication de Secrets, Mythes et réalités par le journaliste Jean-Michel Djian en 2012[7].

Des Lectures liées à la Musique : J.H. Kasberger, théorbe : Lutte Works « Il Tedesco della Tiorba », Rome, 1629. Interprétation Paul O'Dette. » ; Légèreté, sensations : « Harmonie du soir », Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire (c'est l'exemple de Claude Debussy pour le choix des titres et sous-titres à ses Préludes). Rimbaud, L'Aube (Illuminations) ; Colette : extrait de Sido (« À l'aube »). Présentation d'un exemple de scénario de télévision adapté à la radio d'un texte : « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust. Présentation du texte « Mort à Venise », Thomas Mann, mise en scène par Thomas Ostermeier au TNB, le 17 novembre 2012 : Théâtre et musique : thèmes Éros et Thanatos ? Thèmes de L'Art, le désir, la Mort.

Mutualisation des écritures : mise en commun de réactions des élèves en écritures sur l'exposition photos et textes, dont voici la mémoire de quelques-unes d'entre elles au tableau (groupe D) :

« chemin et sentier »

« racines entremêlées qui s'efforcent de survivre pour retrouver la lumière »

« plume et oiseau »

« plume envolée oiseau allégé Liberté »

« s'allonger sur le sol, regarder les étoiles, rêver »

« un long chemin verdoyant à la lumière éphémère »

« lumière et maintenant seule l'ombre de toi subsiste »

« un bâtiment oublié qui sort doucement de son sommeil de plomb »

« un inconnu dans la lumière »

« peinture sèche, mur délabré, mystérieuses inscriptions »

Séance 7. 19 novembre 2012. « Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir » « Harmonie du soir » (Charles Baudelaire) ; référence à la musique (Debussy)

Travail d'écriture personnelle en salle Multimédia, seul ou à deux,  papier et ordinateur 

Choix établi et écriture de formes brèves

Figures de style et contraintes à suivre avec choix libre de chaque élève :

- Les comparaisons et métaphores (exemples en poésie : Baudelaire)

- Les consonances, allitérations, assonances, etc. (Verlaine)

- Travail sur les synonymes et les réductions (qui, que, quoi, et, etc.)

L'Art de la narration :

- Rappels du schéma narratif pour l'auteur : « Vous partez de là pour aller ailleurs » avec une introduction, un développement, une fin.

- La matière et le sens, le symbolique

- Style et tons (lyrique, dramatique, humoristique, ironique,…)

- Point de vue

- Personnage

Séance 8. 22 novembre et 5 décembre 2012. « Rêve et découverte »

Temps et Espace au Planétarium : « Le ciel cette nuit » : Science et Imaginaire.

Découverte d'un spectacle en rapport avec notre thème sur le Temps, préparé par un médiateur-animateur, au Planétarium du Musée des Champs Libres de Rennes.

Pour les deux groupes d'élèves, 2 séances ont été réservées (22 novembre, groupe G, 5 décembre, groupe D). C'est la sortie préparée en collaboration avec Valérie Derrien-Remeur, Directrice du Département des Humanités et le Secrétariat du STPI. « Nous remercions ici et particulièrement Jamal Benhal, Directeur du STPI, Catherine Moisan et Martine Leonetout. Et tout autant, Mohamed Drissi, Directeur de l'INSA ».

Séance 9. 26 novembre 2012. Pourquoi lire ? Images et textes.

Débat, mise en commun des réactions et écritures sur la séance « Le ciel cette nuit ».

Mise en commun des réponses aux questions posées à la séance 7 lors de la proposition d'un exercice d'écriture personnel sur le choix d'une ville, d'une rue, d'un personnage, avec descriptions de sensation du lieu et de l'atmosphère, avec un point de vue et vision d'un, ou deux personnages. Écrire une introduction, une conclusion (structure) pour comprendre d'où l'on part pour aller ailleurs ! Mémoire de quelques écritures mutualisées au tableau (groupe D) :

« un paysage rural : la nature en hiver, très froid. Arrêtée. On sent qu'elle respire. »

« nulle part, brouillard, un inconnu. Histoire floue. Gris comme les nuages. »

« la campagne, isolée, vaste, calme, silencieuse ; une personne souriante, un âge avancé. »

« chez moi, Cherbourg. L'été en Normandie. 25°C. Douceur, lumière jaune. Rural. Pas de mer. Mon chien, un basset. »

« lieu magnifique : plein de lumière, bain, sentier. Les justes. »

« Thaïlande, la capitale, Bangkok. La nuit, très mouvementée. Marché la nuit, riche en émotion. Illuminé. Beaucoup de lumière. »

« responsable ».

Lectures du livret « L'Art Pariétal »[8], à plusieurs, à voix haute, et en musique : ce travail préparé sur l'écrit, son évolution et ses mutations, a été également travaillé par trois de mes étudiants de 5e année Échange (Brésil) en cours FLE Mobilité ; (de même, il fait l'objet d'une monographie de certains étudiants de 3e année de l'INSA pour janvier 2013).

En exemple et nourriture intellectuelle : L'Épopée de Gilgamesh[9].

Séance 10. Salle média. 3 décembre 2012 : Se souvenir et construire…

Rappel du Projet d'écriture personnel et collectif : Seul ou à deux ; crayon papier et ordinateur. Apprendre à intégrer les exercices dans le projet d'écriture personnel et corriger, reprendre, raturer, effacer, copier, prendre des notes, se laisser aller, prendre de la distance, se plonger dedans, être obsédé, se noyer…

Lectures d'extraits du texte « Le voyage des oiseaux », (« Le langage des Oiseaux » du poète persan Attar, XIe siècle), Illustration : Calligraphies Hassan Massoudy[10].

Séance 11. Salle média. 10 décembre 2012. « Le laboratoire d'idées »

Apprentissage de la liberté de création avec sa propre histoire : faire (« poïein » en grec), créer, avec toutes les ressources « spirituelles » assimilées durant nos douze séances collectives, ainsi que toutes les expériences existentielles et intellectuelles de chacun.

Apprentissage des contraintes imposées à soi-même selon les contraintes, figures de style et versification vues en cours : chacun peut laisser libre cours à son Imaginaire et jouer avec la langue. Il s'agit encore d'écrire et de ré-écrire : prendre le temps, prendre « du temps », raturer, corriger, recommencer, rajuster, assimiler les notes et nourritures « spirituelles » et faire, imaginer, inventer… De ce point de vue, le « laboratoire d'idées » réuni par l'AFEF a tenté, à partir des expériences professionnelles des participants, d'appréhender la complexité des enjeux de l'enseignement-apprentissage de l'écrit. De ces échanges,  le 17 novembre 2012, ont émergé plusieurs lignes de questionnement :  

 « Des apprentissages inscrits dans une temporalité : des rythmes et temps nécessaires à l'élaboration de pratiques d'écriture. S'éprouver à l'écriture comme processus passe par une expérience nécessaire du différé, de la reprise qui n'est pas répétition du même, avec parfois une vacance laissée entre deux jets pour qu'un décentrement soit possible. Il apparait que plus les élèves sont en difficulté, moins ils ont tendance à imaginer et à supporter qu'apprendre puisse prendre du temps et emprunter des chemins qui ne soient pas dictés d'avance : « Savoir, oui ; apprendre et penser, non » ! Comment rendre alors nécessaire à leurs yeux qu'écrire, c'est réécrire? Quels dispositifs élaborer qui rendent possible et supportable ce geste de réécriture ?… » [11]

Séance 12. Salle Média. 17 et 18 décembre 2012 : « C'est la dernière séance ! »

Rédaction individuelle et collective du recueil, commune aux 2 groupes.

« L'événement complet, c'est non seulement que quelqu'un prenne la parole et s'adresse à un interlocuteur, c'est aussi qu'il ambitionne de porter au langage et de partager avec autrui une expérience nouvelle. » (Paul Ricœur[12])

« Comme dans une ruche !… »

Je suis, je me sens abeille dans une ruche ! Oui, dans un atelier d'écriture ! C'est l'effervescence dans chaque groupe ! Et l'exigence des contraintes du temps favorise ce dépassement de soi dans la jubilation. Je vais de l'un à l'autre, d'un groupe de deux ou trois élèves à l'autre et corrige, suggère, propose, sollicite, interpelle… Je lis ou fais lire à voix haute pour comprendre les sonorités et la musique des textes, pour que les mots coulent comme du miel …

Les responsables, correctrices et correcteurs coordonnent, réceptionnent les textes terminés, ajustent, rajustent, effacent des fautes, proposent encore. La page de couverture créée par Élodie et Astrid est admirée. Le titre est choisi et accepté par tous. Maïté est nommée première correctrice, et le rédacteur en chef, Vincent, vient prendre les dernières directives pour son travail de mise en forme du recueil collectif… durant les vacances de Noël ! De même, je sais que chacun terminera son texte si besoin pour la rentrée de janvier 2013 : nous correspondrons par mail, Internet a ses avantages, il faut bien le reconnaître ! Néanmoins, le livret contenant tous les textes et cet avant-propos sous forme de journal de bord sera imprimé papier !

Avec tous mes élèves-ingénieurs de l'atelier d'écriture, j'aimerais croire que, grâce à ce recueil, nous serons un jour « poussières d'étoiles » ! Les textes écrits et réécrits tant de fois dans l'exigence de perdurer quelque part à l'INSA perdureront du moins en comète, étoile filante, astre de la nuit, étoile, lumière à des années-lumière, peu importe ! Vous saurez les lire, chers lecteurs.

« …Écrire est un geste, quelque chose de physique, un acte, pas un acte mental soutenu par la pensée, non un acte soutenu par les doigts, par la main et par les mots. Ce sont les mots qui appellent les mots, les mots qui font naitre les textes, les mots et parfois aussi les silences. Amener les élèves à écrire demande d'être soi-même dans ce mouvement d'agir, dans ce travail, dans ce plaisir de se laisser surprendre par soi-même, par cette part cachée qui surgit là où on ne l'attendait pas…. »[13]

Rennes, 6 janvier 2013. INSA, Institut National des Sciences Appliquées.

Françoise Sérandour
Enseignant-chercheur, département des Humanités, INSA
Docteur en histoire, sociétés, cultures
Créatrice d'ateliers d'écritures.



[1] Marcel Proust, Sur la lecture, Actes Sud, 1988, p. 9. Dans ce court récit, antérieur à la Recherche du temps perdu, on voit un jeune garçon qui répugne à se laisser distraire de sa lecture par les sollicitations de son entourage.

[2] Françoise Sérandour, Parler, lire, écrire. L'invention des écritures en terrains français, portugais et marocain (thèse, 1ère Partie, publiée sur ce site, 2005). Et Françoise Sérandour, Les Gardiennes de la Terre. Ateliers d'écriture en France, au Portugal et au Maroc. De la Parole à l'écriture en terrains scolaire et social, préface. J.-J. Morne, Éd. L'Harmattan, coll. Recherches et Innovations, formation pour l'enseignement, dir. J. Guglielmi, 2007.

[3] Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Points-Seuil, 1982 ; « Le bruissement de la langue », Essais critiques IV, Paris, Seuil, coll. « Tel Quel », 1984 ; « L'obvie et l'obtus », Essais critiques III, Paris Seuil, coll. « Tel Quel », 1982.

[4] Paul Ricœur, Temps et récit I. L'intrigue et le récit historique, 1983, Paris, Seuil, Points-Essais.

[5] Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Paris, Quadrige PUF, 1986. (1938) ; La Poétique de la rêverie, Paris, Quadrige PUF, 1993. (1960).

[6] Revue l'Étudiant, 06.2012, direction Emmanuel Davidenkoff : « L'Écriture, un enjeu nécessaire pour vivre ». De même, voir l'article du Monde : « L'Écriture, un enjeu national », 12 juin 2012, tribune signée par Emmanuel Davidenkoff, Philippe Robinet et Serge Guérin.

[7] Secrets, Mythes et réalités, Jean-Michel Djian, Éd. Jean-Claude Lattès, 2012. Des récits ont été traduits par Georges Boas, professeur d'arabe à l'ENS de Lyon (« Le récit du Bicornu », Alexandre Le Grand !).

[8] D'après « Les origines de l'écriture », Revue Les Cahiers de Science et Vie, n° 107, oct.-nov. 2008.

[9] L'Épopée de Gilgamesh, trad. Abed Azrie. Berg International Editeurs. 2001. Éd.1979.Texte établi d'après les fragments sumériens, assyriens, hittites et hourrites, trad. de l'arabe, adapté par Abed Azrie.

[10] « Le Voyage des Oiseaux », extrait de Mantic ou Le Langage des Oiseaux, Farid Al Din Attar, trad. Garcin de Tassy, Paris, 1857. Récit initiatique Soufi du 11ème siècle. Éd. Alternatives, Coll. Grand Pollen, dir. Suzanne Bukiet, Illustration : Calligraphies Hassan Massoudy,1999.

[11] Dominique Bucheton et J.-C. Chabanne, 2001, « Aider les élèves à développer des pratiques d'écriture proprement "scolaires" », XYZep, 12 ; Rencontre-débat de l'AFEF, samedi 19 janvier 2013, Association Reille - 34 avenue Reille, 75014 PARIS : « Écrire : l'enseigner et l'apprendre ? ». Cf. « Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L'écrit et l'oral réflexifs », coll. Éducation et formation, PUF, 2002.

[12] Paul Ricœur, Temps et récit, I. L'intrigue et le récit historique, Seuil, coll. « Points », 2001 [1e éd. 1983], p. 147. In Françoise Sérandour, « De la Parole à l'écriture. Ateliers d'écritures en France, au Portugal, au Maroc ». Ch.1. Le fondement des écritures plurielles, L'Harmattan, op. cit., p. 31.

[13] Jean Louis Giovannoni : « Difficile de le reconnaître, mais c'est la mort de ma mère qui m'a fait naître à la poésie. Poussé par elle vers les mots. Comme un endroit possible dans l'irrespirable. » Mère, revue Sémaphore n° 7, association CIDELE, Angoulême, décembre 1999, in Garder le mort [1975] suivi de Mère, éd. Fissile, Collection « pire », 09310 Les Cabannes, 2009, préface de Bernard Noël. Voir aussi Terre de Femmes, revue de poésie et de critique dirigée par Angèle Paoli, janvier 2013.

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