RETOUR : Contributions à la théorie de la littérature
RETOUR : La littérature dans les classes

 

Corrigé d'une composition française par François-Marie Mourad.
Mis en ligne le 11 décembre 2008.
© : François-Marie Mourad.

François-Marie Mourad, professeur agrégé des Lettres, docteur en Littérature et civilisation françaises, est Professeur de Chaire Supérieure en Khâgne au Lycée Montaigne de Bordeaux.
Il est l'auteur de Zola critique littéraire (Champion, 2003), de la présentation du Roman expérimental de Zola (Flammarion GF, 2006), de la présentation du recueil des nouvelles de Zola, en deux volumes (Flammarion GF, 2008), et de nombreux articles sur le naturalisme. Il est membre de l'équipe Zola de l'ITEM/CNRS.
Autres pages de François-Marie Mourad sur le site À la littérature… :
Commentaire d'un texte d'Agrippa d'Aubigné
Commentaire d'un texte de Baudelaire : Le Spleen de Paris À Arsène Houssaye
Commentaire suivi d'un passage de Malebranche
Commentaire d'un passage de Zola dans L'Œuvre (1886)
Autre corrigé de composition française, sur la notion de génie
Mesure et démesure dans Dom Juan de Molière
Mesure et démesure dans Gorgias de Platon
Zola, critique et vérité, allocution à Médan


Composition française

Sujet : « Et si, dans la soumission de l'accueil naïf, dans l'empathie de la première écoute, je coïncide très étroitement avec la loi de l'œuvre, la conscience que je gagne de cette loi, à travers son étude objective, me met en mesure de la contempler du dehors, de la comparer à d'autres œuvres et à d'autres lois, de former sur l'œuvre en question un discours qui ne sera plus la simple explicitation du discours immanent de l'œuvre ».
Jean Starobinski, Le Sens de la critique, in L'Œil vivant II. La Relation critique, Gallimard, 1970, p. 15.

 

L'écart du liseur au critique littéraire est-il fondamental ou mesurable en terme de degrés, ontologique ou relatif, nous conduit-il du ludique au sérieux, de l'intuition à la compréhension, ou marque-t-il un divorce radical entre deux régimes d'appréhension des textes ? Lequel est authentique, lequel factice ? Cette distinction n'a peut-être pas lieu d'être et Jean Starobinski, au cœur des débats sur la critique qui ont agité l'intelligentsia dans les années 1960-1970[1], prend le parti de la conciliation en proposant une solution de continuité entre le lire et le dire : « Et si, dans la soumission de l'accueil naïf, dans l'empathie de la première écoute, je coïncide très étroitement avec la loi de l'œuvre, la conscience que je gagne de cette loi, à travers son étude objective, me met en mesure de la contempler du dehors, de la comparer à d'autres œuvres et à d'autres lois, de former sur l'œuvre en question un discours qui ne sera plus la simple explicitation du discours immanent de l'œuvre ». Le propos, très harmonieux, mimétique de l'effet à atteindre, postule une destination singulière et régulière de la réception de l'œuvre à la production du sens, et une fidélité, une confiance devrait-on dire, à faire émerger des régularités, aussi bien celles du texte soumis à mon bon vouloir que construites autour de lui, parce qu'il produit forcément son écho dans un hors-texte, celui des significations mouvantes au sein du vaste champ du savoir. C'est à un structuralisme rédimé qu'il nous est demandé d'adhérer : si les mots « discours », « loi de l'œuvre », « conscience », « étude objective » connotent l'organisation, le processus et la maîtrise, la syntaxe progressive d'une phrase toute en nuances — notamment par le jeu subtil des prépositions — oriente l'attention vers des correspondances, des « coïncidences » non mécaniques, quasi baudelairiennes. Par précaution, nous devons résister au charme de cette envoûtante formule et nous demander s'il ne s'agirait pas, in fine, d'une fiction critique. Tout d'abord nous devons reconnaître précisément les concepts que la réflexion de Jean Starobinski adjoint pour les faire servir à un même projet, ce qui revient à nous interroger sur le rapport de l'œuvre aux discours, ceux qu'elle tient comme ceux qu'elle suscite, avant d'étudier les éventuelles modalités de leur correspondance. Et, pour faire bonne mesure, nous devons avant tout établir la complexité du phénomène usuel de la lecture, pour justifier la possibilité, la nécessité,… ou la fatalité de la critique.

 

La conciliation entre lecture et commentaire, supposée acquise par Starobinski, n'est pas une évidence, elle prend plutôt les allures d'une réconciliation sur laquelle il faut s'interroger, d'autant que le postulat de l'auteur lui-même repose sur une distinction entre la lecture et l'étude. La première approche du livre est précautionneuse, délicate, patiente. Si l'on se fie au style et aux mots — « soumission de l'accueil naïf », « empathie de la première écoute », coïncidence — elle désigne une posture plus qu'un postulat : quasi effacement de l'individualité du lecteur, disponibilité, presque une disparition… Ces indications entrent dans une stratégie argumentative. Elles prétendent ne pas dissocier la critique méthodique de la lecture la plus authentique (réclamée par les écrivains), elles réduisent un écart souvent signalé au profit de l'une (la lecture) et au détriment de l'autre (la critique). La première est réputée libre, autonome, désirante, introjective et ludique, la seconde se serait complètement détachée de ce qui lui donne pourtant naissance, insoucieuse de son objet, irrespectueuse, proliférante et gratuite, voire nuisible. Le débat est ancien entre les Homères et les Artistarques, entre les poètes et leurs censeurs, « qui ont le goût difficile » (La Fontaine, Fables, II, I). Il fut toujours vivace, et dans son William Shakespeare, Hugo, profondément indigné de la médiocrité des scoliastes, dresse contre eux un réquisitoire épique et naturalise la distinction des régimes de lecture dans un chapitre intitulé « Zoïle aussi éternel qu'Homère ». Et, dans un langage forcément plus coloré et sonore que celui, plus proustien, de Starobinski, il établit de mêmes règles pour la lecture : « N'espérez donc aucune critique. J'admire Eschyle, j'admire Juvénal, j'admire Dante, en masse, en bloc, tout. Je ne chicane point ces bienfaiteurs-là. Ce que vous qualifiez défaut, je le qualifie accent. Je reçois et je remercie. Je n'hérite pas des merveilles de l'esprit humain sous bénéfice d'inventaire. À Pégase donné, je ne regarde point la bride. Un chef-d'œuvre est de l'hospitalité, j'y entre chapeau bas ; je trouve beau le visage de mon hôte ». Puisqu'il ne s'agit pas, pour nous, de parler de la lecture d'une part et de la critique de l'autre, remarquons qu'en stigmatisant cette distinction, Hugo se pose néanmoins en grand critique littéraire et son livre, écrit en réaction à la critique courante, journalistique mais surtout académique, est un chef-d'œuvre de ce que l'on appellera plus tard la critique des beautés, à laquelle Starobinski et l'école suisse (Albert Thibaudet, Albert Béguin, Marcel Raymond…) donneront carrière. Si elle est sensible à la « loi de l'œuvre », elle entend par là une sorte de donnée autotélique, un foyer de chiffrement, une puissance d'engendrement débarrassés des considérations aporétiques sur l'auteur et le monde — l'autogenèse ou la « création de soi par soi ». Se trouve ainsi évacués, par la grâce d'une expression flaubertienne et/ou mallarméenne, moderne et littérairement correcte, les écueils du biographisme et de la théorie du reflet, de la critique « externe ». La « loi de l'œuvre » désigne, par consensus, la littérarité motivée et immanente. L'expression est assez large pour réunir des projets aussi différents que ceux de Michael Riffatere (d'inspiration stylistique), de Charles Mauron (psychocritique) ou de Jean-Pierre Richard, qui détecte par exemple dans L'Univers imaginaire de Mallarmé « un schème essentiel, celui de la négation féconde, de l'anéantissement créateur ».

N'est-ce pas, paradoxalement, l'incontournable Sainte-Beuve qui, le premier, a ouvert la voie à cette critique d'identification, souple, insinuante et mimétique ? À de nombreuses occasions, le « prince des critiques » du XIXe siècle, qui fut d'abord poète, décrit une méthode de lecture effectivement osmotique : « L'esprit critique est de sa nature facile, insinuant et compréhensif. C'est une grande et limpide rivière qui serpente et se déroule autour des œuvres et des mouvements de la poésie, comme autour des rochers, des forteresses, des coteaux tapissés de vignobles, et des vallées touffues qui bordent ses rives » (1830, préface à la deuxième édition de Joseph Delorme). Cette rhétorique paysagère peut surprendre aujourd'hui, mais elle a signalé en son temps l'originalité d'une approche nouvelle du commentaire, sa vocation littéraire en quelque sorte. Débarrassée des modèles académiques, extraite du carcan de l'éloquence épidictique, séparée nettement des genres et des registres mondains du portrait, de l'éloge et du blâme, la critique, avec Sainte–Beuve, s'est inventée dans la dépendance de la lecture érudite mais toujours aimable et bienveillante, du moins dans les principes : si la subjectivité et l'étroitesse du goût menacent forcément la faculté de juger, ce désaveu n'invalide pas les fondements de la méthode : imprégnation lente, approche oblique, inspiration. La conséquence prévisible de cette phénoménologie de la perception est peut-être le redoublement de la création, sa continuation par le critique. Sainte-Beuve ne l'a pas nié : « Je pense sur la critique deux choses qui semblent contradictoires et qui ne le sont pas : 1. Le critique n'est qu'un homme qui sait lire, et qui apprend à lire aux autres. 2. La critique, telle que je l'entends et telle que je voudrais la pratiquer, est une invention, une création perpétuelle » (1852, Derniers portraits littéraires). La position a le mérite de la clarté programmatique et désigne peut-être la limite ou le péril, hâtivement repoussé, de la méthode prônée par Jean Starobinski : son impensé. Le critique contemporain, s'il revendique le postulat phénoménologique, n'accepte pas les conséquences de l'empathie du sujet lisant : la rêverie, l'inspiration propre, l'écriture sous influence pleinement littéraire. Ou bien il les écarte en refusant de les mentionner[2]. Ce peut être pour nous un sujet d'étonnement, puisqu'un mouvement naturel semble ici ignoré, freiné ou refoulé. Sainte-Beuve assumait plus franchement cette filiation. « J'aime, écrivait-il, que la critique soit une émanation des livres. » Jean-Pierre Richard, dans un commentaire célèbre de cette « méthode », précise : « Le discours critique prolongerait donc en lui la parole de l'œuvre. Il en serait — métaphore ici familière — le parfum ou le nuage. Il formerait comme une couche de littérature seconde, indéfiniment continuée à partir de la littérature première[3]. »

Les mots et expressions utilisés par Starobinski — « conscience », « loi de l'œuvre », « comparer »… —, et le jeu sur les prépositions (la préférence marquée pour le « sur », comme dépassement du « de ») sont des antidotes contre cette logique ou plutôt cette rhétorique de l'émanation, contre la tentation de confondre littérature, lecture et critique littéraire. La modernité — scientisme ou structuralisme — est passée par là. La critique littéraire, prenant conscience d'elle-même au XIXe siècle, a commencé à vivre sous le règne d'un partage ou d'un dialogue un peu schizophréniques, propres à toutes les sciences humaines, entre les aspirations à une scientificité plus ou moins référée aux modèles des sciences exactes et la reconnaissance de la subjectivité humaine irréductible, autant celle qui s'incarne dans l'œuvre que celle qui l'appréhende. Wilhelm Dilthey, approfondissant les intuitions de F. Schleiermacher (Hermeneutik, 1838) et de H. G. Droysen (Grundriss der Historik, 1858), a postulé l'autonomie des « sciences de la réalité humaine, historique et sociale » et proposé une distinction épistémologique, reprise par Max Weber, entre l'explication et la compréhension. Starobinski se situe dans le sillage de cette herméneutique. Son essai sur la critique s'ouvre sur des justifications de la théorie et de la méthode et vise à clarifier les concepts de la « recherche compréhensive ». L'idée du trajet corrige ce que les métaphores géographiques de Sainte-Beuve pouvaient avoir de préscientifique. La rigueur et la continuité réflexive sont préférées à l'impressionnisme : « Certes, l'on ne saurait en rester au cas particulier d'une œuvre ou d'un auteur, pour lesquels il faut bien que la parole critique s'instruise et s'ajuste de façon à offrir, au gré des circonstances, le complément réflexif le plus adéquat. L'on ne peut réduire la méthode à un tâtonnement intuitif, variable selon les occasions, et orienté par la seule divination ; il ne suffira pas d'apporter à chaque œuvre la réponse spécifique qu'elle semble attendre. Ce serait restreindre la critique au rôle d'écho sensible, de reflet intellectualisé, docile à la séduction singulière de chaque lecture. La critique, oublieuse de l'unité finale vers laquelle elle doit tendre, s'abandonnerait ainsi aux sollicitations infinies de la multiplicité des formes qu'elle rencontre sur son chemin. » En même temps, l'oscillation intellectuelle marquée par la variation stylistique entre la « compréhension » et la « contemplation » théoriques réintroduit un doute sur la destination de la critique, un doute qui rejaillit sur la démarche elle-même, si subtile et réconciliatrice qu'elle masque des apories. Peut-on serrer de plus près la ou les spécificités de la critique littéraire ?

 

La première question à régler est celle de la relation à l'œuvre. Certains, comme on l'a pressenti, postulent une dépendance absolue et euphorique. La « soumission » du lecteur renvoie à l'autotélisme de la création artistique, dans une sorte de fusion mystique. En lisant en écrivant désignent un régime commun, invasif et dilaté de la personnalité littéraire, comme le postule Julien Gracq : « Le secret d'une œuvre réside bien moins dans l'ingéniosité de son organisation que dans la qualité de sa matière : si j'entre sans préjugé dans un roman de Stendhal ou un poème de Nerval, je suis d'abord et tout entier seulement odeur de rose, comme la statue de Condillac — sans yeux, sans oreilles, sans perceptions localisées —, et par là l'œuvre d'art me livre son caractère opératoire distinctif, qui est d'occuper immédiatement et sans différenciation aucune toute ma cavité intérieure, à la manière d'un gaz qui se dilate. Révélant ainsi sa totale élasticité, et l'immanence impartagée de sa présence vraie : non subdivisable, parce que sa vertu réside tout entière dans chaque particule. » Remarquons que beaucoup d'écrivains, à l'instar de Julien Gracq, exaltent la lecture pour mieux discréditer la critique professionnelle. Ils maintiennent, dans leur propre pratique, une sorte de distance incommensurable avec cette corporation et tracent une frontière infranchissable. Si critique il y a, elle ne peut être qu'inspirée, de même niveau que la création, ou, comme le postule Baudelaire, « partiale, passionnée, politique, c'est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d'horizon ». Dans son Salon de 1846, Baudelaire pose d'abord la question : « À quoi bon la critique ? » Il répond qu'elle est inutile au bourgeois obtus, puisqu'il « ne veut ni peindre ni rimer », et que l'Art n'en a que faire, « puisque c'est de ses entrailles que la critique est sortie ». La critique, après qu'ont été écartés le destinataire et la fonction, n'a plus qu'à devenir un genre à part entière, doté de son coefficient de littérarité : « Je crois sincèrement que la meilleure critique est celle qui est amusante et poétique ; non pas celle-ci, froide et algébrique, qui, sous prétexte de tout expliquer, n'a ni haine ni amour, et se dépouille volontairement de toute espèce de tempérament ; mais, — un beau tableau étant la nature réfléchie par un artiste, — celle qui sera ce tableau réfléchi par un esprit intelligent et sensible. Ainsi le meilleur compte rendu d'un tableau pourra être un sonnet ou une élégie. » Même si l'on resitue ce propos dans le contexte de la chronique journalistique du temps et des bien nommées Curiosités esthétiques, insolentes et provocatrices, il nous invite à nous interroger sur la critique d'auteur, manifestement exclue du propos de Starobinski.

Le cas de Baudelaire est intéressant, puisque cet écrivain est réputé avoir réalisé la fusion de l'activité créatrice et de la dimension critique, comme l'a évidemment remarqué un Paul Valéry très sensible à cette tradition proprement classique dans laquelle lui-même se situe : « Classique est l'écrivain qui porte un critique en soi-même, et qui l'associe intimement à ses travaux » (Situation de Baudelaire, conférence du 19 février 1924, reprise dans Variété). Le champ de la critique littéraire — mais tout aussi bien musicale, picturale, architecturale… — est alors considérablement exalté et sa valeur est rehaussée, puisqu'il peut inclure des poèmes comme Les Phares ou Une gravure fantastique, des descriptions de tableaux comme dans L'Œuvre de Zola, des pastiches (Proust), des visites guidées comme dans Le Paysan de Paris, des Fictions (Borges)… des rencontres, des dialogues, des échanges entre les artistes, autant d'interactions qui transcendent les distinctions que cherche à établir Starobinski, en se situant dans l'espace circonscrit de la critique professionnelle professorale. Même si l'on se tient ici à distance de cette prétendue critique artistique inscrite dans la création, force est de constater que la critique des créateurs met à mal la prudente et modeste objectivité prônée par Starobinski. Nous avons déjà évoqué William Shakespeare de Victor Hugo : dans son appréhension romantique du génie, inspirée des considérations de Chateaubriand sur les génies-mères, l'ouvrage, par sa lucidité comme par son exubérance inspirée, tranche brutalement avec tout ce que l'on connaît, et en particulier, à cette époque, avec la méthode historico-allégorique et l'érudition qui triomphent dans la philologie. C'est le statut du discours second sur la littérature qui est en débat. Ce que beaucoup d'écrivains ont reproché aux critiques, c'est de méconnaître, par nature, par manque, par impuissance constitutive, la « loi de l'œuvre », sa « poétique insciente » (Flaubert), et un reproche récurrent qui oblige parfois les artistes à prendre la plume pour se justifier et faire la leçon aux doctes, comme Corneille dans ses Discours, Racine dans ses préfaces ou Molière dans sa Critique de l'École des femmes. Le critique est l'artiste raté et l'artiste le critique accompli. Le paradoxe de la position adoptée par les écrivains eux-mêmes, pour pallier les incompréhensions ou les aberrations d'insuffisants lecteurs, est qu'elle témoigne à la fois d'une lecture personnelle plus authentique et d'une compréhension intellectuelle plus exacte. Zola, par exemple, qui commence sa carrière dans les lettres en 1864-1865, comme chef du service de la publicité chez Hachette puis chroniqueur dans la presse, discerne assez vite, sous le flot envahissant des publications contemporaines, les tendances essentielles de la modernité. Il propose par exemple un compte-rendu saisissant du roman des frères Goncourt, Germinie Lacerteux, aux lecteurs éberlués du Salut public de Lyon (le 24 février 1865, texte repris dans Mes Haines) : « Je dois déclarer, dès le début, que tout mon être, mes sens et mon intelligence me portent à admirer l'œuvre excessive et fiévreuse que je vais analyser. Je trouve en elle les défauts et les qualités qui me passionnent : une indomptable énergie, un mépris souverain du jugement des sots et des timides, une audace large et superbe, une vigueur extrême de coloris et de pensée, un soin et une conscience artistiques rares en ces temps de productions hâtives et mal venues. » C'est alors ainsi, sous la forme du manifeste esthétique en faveur de l'avant-garde, que l'on pratique la critique moderne, « avant-courrière ». Mais, si l'on isole de cette déclaration le mouvement réactif et offensif, et la dynamique énonciative marquée par une stylistique intensive, que remarque-t-on ? Même s'ils sont exaltés, les « sens » et l'« intelligence », c'est-à-dire une saisie de l'œuvre qui débouche sur une analyse.

Dans sa démarche de lecture, Zola se distingue très nettement à la fois des « plaisantins » de la critique et des professeurs. Tout au long de sa carrière de journaliste spécialisé, il a en vue la grande critique « méthodique et naturaliste » incarnée par le Sainte-Beuve classificateur et par Taine, il préconise une méthode et, quoique grand créateur, ne mélange jamais les régimes d'écriture. Il dénonce par exemple les « entortillements critiques » de la méthode introjective, sa tendance au pastiche : « Sainte-Beuve, qui dans l'étude sur Théophile Gautier a défendu ce que j'appelle l'entortillement critique, l'opinion cachée sous les guirlandes de la phrase, émet ici une autre théorie : selon lui, le critique, en jugeant un écrivain, doit prendre le ton de son modèle. Pour moi, cela enlève toute hauteur au jugement rendu » (Documents littéraires, 1879). Il faut viser à une vérité durable du jugement esthétique, discerner les tendances à l'œuvre dans ses textes, demander des comptes à l'écrivain sur ses conceptions personnelles, interroger son rapport au monde. En tant qu'homme de lettres, Zola n'est évidemment pas insensible aux choix esthétiques de ses confrères, il les perçoit même mieux que beaucoup d'autres, mais il refuse de s'en tenir là, il se place à un point de vue supérieur et global, il se met en quête de lois et pratique une critique d'inspiration sociologique. À ce titre, il dénonce des mythes, notamment ceux de la création inspirée et de l'indifférence au réel. Pour lui, même avec quelques réticences parfois, il faut donner raison à Taine qui déclare dans l'introduction à l'Histoire de la littérature anglaise qu'« on a découvert qu'une œuvre littéraire n'est pas un simple jeu d'imagination, le caprice isolé d'une tête chaude, mais une copie des mœurs environnantes et le signe d'un état d'esprit », et, dans la préface aux Essais de critique et d'histoire, que « les choses morales ont, comme les choses physiques, des dépendances et des conditions ». On lui fait d'ailleurs généralement grief de cette double spécialité — de théoricien et de romancier — pour en dénoncer les inéluctables discordances, les incompatibilités. Mais, allant peut-être plus loin que certains de ses confrères, dans les deux champs, il a compris à la fois la situation de la littérature et la fonction de la critique. Il a dénoncé le dangereux repli des écrivains sur la littérarité, le manque d'ouverture aux sciences et il a fait remarquer que toute critique obéit à des préceptes, conscients ou inconscients, en même temps que toute activité de production symbolique renvoie à son époque, même si ce n'est pas sous la forme d'une « copie », comme le dit un peu naïvement Hippolyte Taine.

 

La critique littéraire désigne une instance sociale médiatrice, elle exerce des fonctions signalétiques, normalisatrices et didactiques. Si elle oscille entre la célébration, la compréhension et le jugement, c'est parce que le rapport de la littérature au monde est crucial certes, mais surtout variable et problématique, jamais parfaitement clair, qu'il relève d'une concordia discors et nécessite d'établir un régime spécial de lisibilité. Cette incertitude constitutive est à la fois une chance et un risque. Dans les deux cas, il convient de préparer les lecteurs, de les disposer à entrer dans un rapport complexe à ce que l'on nomme une œuvre, pour dire qu'ont été enserrées dans une unité remarquable (ce que Starobinski appelle la « loi de l'œuvre ») des significations irréductibles, effectivement noyautées dans le tissu verbal. De fait, la lecture compréhensive immédiate est un mythe, comme le rappellent les préfaces, avant-propos et autres modalités de la captatio benevolentiae qui font plus qu'orner les seuils des « grandes œuvres », des textes difficiles, subversifs, écrits contre le public autant que pour lui : Gargantua, Les Essais de Montaigne, Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, Les Fleurs du Mal (instructifs projets de préface), Le Spleen de Paris (« À Arsène Houssaye » !)… Quand Starobinski parle d'« accueil naïf », il renvoie à ce « bénévolent lecteur », à ce lecteur modèle rêvé par tous les auteurs, apte à entrer correctement dans l'univers fictif, en dépit des réquisits utilitaristes de la vie courante, ce lecteur qui accepte de lui-même de suspendre un instant ses croyances les plus chères et d'entrer dans un univers mental conditionné par ce que Coleridge appelle « the willing suspension of disbelief ». Pour ne pas que cet effet se prolonge et pour éviter les identifications périlleuses stigmatisées exemplairement par les écrivains eux-mêmes — voir le chapitre VI de la première partie de Madame Bovary[4] —, la critique valorise ensuite le retour au réel, elle se lance dans une série de propositions destinées à créditer la littérature d'une puissance autre que celle de distraire. Elle montre les enjeux et les conditions, préconise un usage de la littérature, en donne des modes d'emploi. Pour ce faire, elle se situe dans un entre-deux : fidélité à l'œuvre et responsabilité. À la fiction littéraire répond, pour faire bonne mesure, la fonction critique. La méthode préconisée par Jean Starobinski précise bien la nature de cette relation qui doit unir le livre et la critique. Il faut d'abord avoir le sens de la structure, ce système original de corrélations généralement pressenti comme un vertige par le lecteur. Les écrivains apportent souvent de précieuses indications sur l'unité structurale de leur projet. Flaubert, par exemple, revient souvent, dans ses lettres à Louise Colet, sur la difficulté technique, quasi équationnelle, de son sujet : « Toute la valeur de mon livre, s'il en a une, sera d'avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire (que je veux fondre dans une analyse narrative) » (20 mars 1852). Lui–même, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, a appelé de ses vœux une authentique critique littéraire, capable, avant de se lancer dans des extrapolations, de saisir l'unité interne de l'œuvre, c'est-à-dire son style : « Je tâcherai de faire voir pourquoi la critique esthétique est restée si en retard de la critique historique et scientifique : on n'avait point de base. La connaissance qui leur manque à tous, c'est l'anatomie du style, savoir comment une phrase se membre et par où elle s'attache. On étudie sur des mannequins, sur des traductions, d'après des professeurs, des imbéciles incapables de tenir l'instrument de la science qu'ils enseignent, une plume, je veux dire, et la vie manque ! l'amour ! l'amour, ce qui ne se donne pas, le secret du bon Dieu, l'âme, sans quoi rien ne se comprend » (7 septembre 1853). Flaubert n'aurait sans doute pas été comblé par les développements récents de la stylistique[5], mais force est de reconnaître, malgré les errements d'un structuralisme parfois appliqué sans nuances, les immenses progrès de l'analyse immanente.

L'histoire littéraire, née véritablement au XIXe siècle, mais enrichie des méthodes issues des sciences humaines, qualifie ensuite l'œuvre en son temps, la situe dans son champ et l'interroge dans son actualité[6]. Comme le rappelle Starobinski dans son essai, une fois que l'on a traité « l'œuvre comme un monde, régi par sa légalité propre », on ne peut longtemps différer cette extrapolation[7] : « Je ne saurais trop longtemps méconnaître que l'œuvre est un monde dans un plus grand monde, qu'elle m'impose sa présence non seulement à côté d'autres œuvres littéraires, mais à côté d'autres réalités ou d'autres institutions qui ne sont pas, elles, d'essence littéraire. Et même si je renonce à chercher la loi de l'œuvre hors de celle-ci (dans ses ŇsourcesÓ psychologiques, dans ses antécédents culturels, etc.), il m'est impossible d'ignorer ce qui, dans l'œuvre, implicitement ou explicitement, positivement ou négativement, se rapporte à l'univers extérieur de l'œuvre. » Voilà justifiés à la fois la comparaison aux autres œuvres et le fait de rapporter la loi de l'œuvre à d'autres lois, psychologiques, économiques, sociologiques, et même scientifiques, pourquoi pas ? Les auteurs eux-mêmes nous invitent ou nous obligent à adopter les points de vue qui sont ceux de la discipline qu'ils exploitent, qu'ils illustrent, qu'ils inventent ou préfigurent : la sociologie pour De l'esprit des lois, la science politique pour Du Contrat social, l'histoire des mœurs ou l'anthropologie culturelle pour La Comédie humaine. Dans son célèbre avant-propos, Balzac ne posait-il pas un important parallèle entre sciences naturelles et sciences de l'homme : « La Société ne fait-elle pas de l'homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d'hommes différents qu'il y a de variétés en zoologie ? Les différences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un savant, un homme d'État, un commerçant, un marin, un poète, un pauvre, un prêtre, sont, quoique plus difficiles à saisir, aussi considérables que celles qui distinguent le loup, le lion, l'âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis, etc. Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques ». On sait que l'impact de cet avant-propos fut considérable sur la pensée de Taine, qui se lança, armé de théories philosophiques ambitieuses (Spinoza, Hegel, Stuart Mill) dans une « critique scientifique[8] » des œuvres qui n'aurait pas été dissociée d'un vaste ensemble destiné à rendre compte des productions culturelles des civilisations humaines. Disqualifiée par cette ambition même et par un style « à l'ancienne », enfermée dans le reproche de scientisme, mal perçue dans son détail, cette critique est pourtant singulièrement proche de la méthode prônée par Starobinski. Face aux œuvres, Taine préconise la lecture la plus attentive possible. De cette lecture, par imprégnation et disponibilité, attentive aux structures et lois internes (système des personnages, action ou intrigue, façon d'écrire), doit se dégager une « impression d'ensemble » : un lent travail de reprise et de comparaison débouche sur la conception d'une « faculté maîtresse », apte à caractériser de façon synthétique le talent particulier de l'auteur. La valeur de l'opération dépend de la « pratique » acquise par ce lecteur expert qu'est le critique scientifique. La méthode de Taine réactive une culture du goût, résultant d'une sensibilité exercée à saisir les « idées véridiques », les « justesses » d'une composition et la qualité de leurs rapports et de leurs suggestions. La multiplicité des points de vue donne le moyen de dépasser les dimensions fragmentaires et tronquées de chaque point de vue. Par ses lectures et par sa culture, le lecteur peut s'affranchir de la singularité et rejoindre le pluralisme de l'objectivité. La fréquentation assidue de l'œuvre de Tite-Live, par exemple, aboutit à prendre comme point de départ de l'analyse la formule résumée par « un historien qui s'est fait orateur », et donc à étudier la combinaison d'un rapport au passé compliqué par une rhétorique de l'éloquence.

L'ambition totalisatrice de Taine ne résistera pas à la ruine générale de l'épistémè positiviste, au bergsonisme sensible chez Proust, qui pratique une critique faisant la part belle au pastiche, et chez Thibaudet, qui, dans sa Physiologie de la critique, pose des distinctions qui figent l'histoire d'un genre restreint à une fatale oscillation entre la subjectivité et l'enseignement, entre le journalisme et le didactisme. Il est devenu aujourd'hui bien difficile de se repérer dans la multitude des protocoles à mettre en œuvre pour décrire et comprendre les œuvres : critique des sources, critique thématique, psychocritique, stylistique, sociocritique, esthétique de la réception, génétique textuelle… Certaines disciplines s'acceptent comme adjuvants de la recherche, d'autres prétendent à la suprématie et fonctionnent comme des « écoles ». Mais il paraît aujourd'hui tout aussi difficile de faire machine arrière et de se priver d'un certain nombre de savoirs sans lesquels les études littéraires seraient, si l'on peut dire, lettres mortes. Jean Starobinski parle, significativement et prudemment, de discours, en donnant à ce mot une amplitude, un degré d'élaboration conceptuelle et une ambition supérieurs à la banale « explicitation », à la paraphrase ou au commentaire scolaire. Vocabulaire d'époque sans doute (L'Ordre du discours, sa leçon inaugurale au Collège de France, est prononcée par Michel Foucault le 2 décembre 1970[9]), mais qui a le mérite, tout en introduisant la relativité et la réflexivité au sein de démarches essentiellement heuristiques, de rappeler la nécessité ou la légitimité du dire sur, du dire de, pour sortir des illusions de l'autotélisme et de la circularité où nous enferme une autre « critique » de la littérature, celle, quasi mystique, qui prône justement la disparition élocutoire de toutes les instances discursives autour d'un phénomène improbable qui aurait quand même pour nom littérature. Écoutons le chuchotement de Maurice Blanchot : « Une œuvre littéraire est, pour celui qui sait y pénétrer, un riche séjour de silence, une défense ferme et une haute muraille contre cette immensité parlante qui s'adresse à nous en nous détournant de nous. Si, dans ce Tibet originaire où ne se découvriraient plus sur personne les signes sacrés, toute littérature venait à cesser de parler, ce qui ferait défaut, c'est le silence, et c'est le défaut de silence qui révélerait peut-être la disparition de la parole littéraire » (Le Livre à venir). Si nous ne voulons pas être réduits à une parole muette[10], et si nous considérons que « la littérature est la hache qui brise la mer gelée en nous » (Kafka), nous devons assumer notre destin de produire et d'ajouter du commentaire au monde et aux œuvres et, tout en restant sensible aux propos et aux accents de ces dernières, adopter un point de vue qui soit le plus dialectique, le mieux articulé aux discours disponibles sur le marché du savoir et le plus généreux, ce qui nous renvoie à la fois à la théorie et à la publicité, au sens kantien. Qui niera donc les lectures fécondantes de la « grande » critique, ses éclairantes « découvertes » ou ses providentielles redécouvertes, celle de Balzac et de Stendhal par Taine, celle de Rabelais et de Dostoïevski par Mikhaïl Bakhtine, celle d'Edgar Poe par Bachelard, celle de Montaigne par Hugo Friedrich, celle de Racine et de Michelet par Roland Barthes. En outre, la théorie n'est plus la prétention à détenir la vérité sur une œuvre et le peine-à-jouir de la lecture, elle désigne au contraire le caractère improbable de tout système clos, elle est un « démon » qui « proteste toujours contre l'implicite » (Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie) et l'informulé, et donc tout autant une incitation à comprendre qu'à contester les propositions de telle ou telle idéologie. En prenant pour base la déclaration de Mikhaïl Bakhtine selon laquelle « il est extrêmement difficile de fonder une science dans tel ou tel domaine de la culture et de la création culturelle, tout en conservant à son objet toute sa complexité, sa plénitude et son originalité[11] », la théorie préserve au-delà du discours critique un horizon ouvert à sa succession et au discours sa fécondité. Si la théorie est convoquée dans le commentaire, si l'on accepte qu'elle puisse aussi l'enrichir voire l'étayer, sans l'instrumenter, c'est peut-être alors en faisant éclater le caractère fini du texte pour l'environner de ses compossibles et l'enrichir des virtualités qui le traversent sans le borner. On s'intéresse à la puissance d'engendrement plutôt qu'on ne s'extasie sur le produit fini.

 

« Et l'harmonie est trop exquise / Qui gouverne tout son beau corps, / Pour que l'impuissante analyse / En note les nombreux accords » (Baudelaire, Les Fleurs du Mal, XLI, « Tout entière »)…

Les réactions contre une critique aspirant à la scientificité sont nombreuses. Elles partent des écrivains eux-mêmes, on l'a vu, parce qu'ils sont souvent gagnants à laisser perdurer les mythes de la création mystérieuse, inspirée, élective, et qu'ils perçoivent, mieux que quiconque, les limites ou les travers de commentaires puisant leurs raisons d'être ailleurs que dans un système de valeurs étroitement dépendant de leur poétique, qui fait que le Beau, par exemple, puisse régir le Bien. Entre critiques, les rivalités sont celles qui interviennent, au sein de tout espace social, y compris scientifique, pour conquérir le point de vue de la vérité, gérer le capital symbolique, distribuer les dividendes liés à la domination symbolique. Entre ces deux excès, entre le monopole revendiqué par l'auteur et la critique proliférante, les lecteurs, interpellés par les uns et rappelés à l'ordre par les autres peuvent se sentir désemparés et finalement assez seuls. L'indifférence n'est guère possible, leur participation — révolte ou soumission — est requise. Leur résistance au dogmatisme s'exerce à l'encontre des critiques qui leur disputent le plaisir de l'identification naïve et de la rêverie, cette part d'inconscience réclamée comme une compensation aux obligations de la vie normée et inféodée au « dieu de l'utile » (Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « J'aime le souvenir de ces époques nues… »). Mais, surtout face aux grandes œuvres — intimidantes et monumentales — du patrimoine littéraire, ils peuvent vouloir comprendre et raffiner leurs intuitions ; il s'agit alors pour eux de pénétrer plus avant dans un ordre de difficultés réelles qui ne peuvent être levées que par un enseignement rigoureux et systématique. Si la critique littéraire universitaire présentée par Jean Starobinski a une raison d'être, c'est bien celle qui consiste à cerner la nature de son objet pour en comprendre toutes les fonctions et lui articuler une liberté. Si donc on accepte de situer la lecture entre le mythe de l'infusion et les travers d'une critique orgueilleuse, le sens d'une « relation » plus sereine avec la littérature se dégage, à peu près conforme aux indications prônées par Jean Starobinski, à ceci près qu'il convenait d'abord, nous semble-t-il, de mettre au jour les tensions que sa formulation enveloppante tendait à sublimer et de rappeler, enfin, que la (re)lecture doit triompher, rédimée ou bonifiée par une critique fondamentalement médiatrice qui ne vaut effectivement que lorsque le dépassement qu'elle a permis renvoie superlativement à ce qui la précédait.

François-Marie Mourad



[1] L'essai sur « la relation critique » d'où est extraite la citation est daté de 1967.

[2] En fait, il situe l'activité critique entre les deux écueils de l'émulation et de l'instrumentation : « Le discours critique se sait, en son essence, différent du discours des œuvres qu'il interroge et explicite. Pas plus qu'il n'est le prolongement ou l'écho des œuvres, il n'en est le substitut rationalisé. En sauvegardant la conscience de sa différence — donc de sa relation — il écarte le risque du monologue. Car, prolongeant l'œuvre, parlant comme l'œuvre, abondant dans son sens, il parlerait seul et ne renverrait qu'à lui-même ; à l'inverse, substitut de l'œuvre, parlant à la place de l'œuvre, il se fermerait sur sa propre cohérence et se bornerait à sa propre tautologie. »

[3] Jean-Pierre Richard, « Sainte-Beuve et l'expérience critique », in Les Chemins actuels de la critique, Union Générale d'Éditions, coll. 10/18, 1968, p. 174.

[4] « Ce n'étaient qu'amours, amants, amantes, dames persécutées s'évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu'on tue à tous les relais, chevaux qu'on crève à toutes les pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l'est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes. Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture. »

[5] Parmi les derniers bilans en date : De la langue au style, sous la direction de Jean-Michel Gouvard, Presses Universitaires de Lyon, 2005. Voir aussi le n° 135 de la revue Langue française (septembre 2002), édité par Bernard Combettes et Étienne Karabétian : La Stylistique entre rhétorique et linguistique. Du même auteur, voir Histoire des stylistiques, Armand Colin, coll. U Linguistique, 2000.

[6] Pour un bilan récent de l'histoire littéraire, voir, sous la direction de Luc Fraisse, L'Histoire littéraire à l'aube du XXIè siècle. Controverses et consensus, actes du colloque de Strasbourg des 12-17 mai 2003, Presses Universitaires de France, 2005.

[7] Le mot extrapoler est créé au XIXe siècle sur le modèle d'interpoler. Il signifie « appliquer une chose connue à un autre domaine pour en déduire des conséquences ».

[8] Voir Jean-Thomas Nordmann, Taine et la critique scientifique, P.U.F., 1992.

[9] Extrait : « Certes, si on se place au niveau d'une proposition, à l'intérieur d'un discours, le partage entre le vrai et le faux n'est ni arbitraire, ni modifiable, ni institutionnel, ni violent. Mais si on se place à une autre échelle, si on pose la question de savoir quelle a été, quelle est constamment, à travers nos discours, cette volonté de vérité qui a traversé tant de siècles de notre histoire, ou quel est, dans sa forme très générale, le type de partage qui régit notre volonté de savoir, alors c'est peut-être quelque chose comme un système d'exclusion (système historique, modifiable, institutionnellement contraignant) qu'on voit se dessiner ». Je recommande vivement la lecture de cette conférence (publiée chez Gallimard).

[10] Jacques Rancière, La Parole muette. Essai sur les contradictions de la littérature, Hachette, 1998.

[11] Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Gallimard, Tel. Le propos va bien au-delà de ce que laisse supposer le titre. Le savant russe propose une épistémologie de l'anthropologie culturelle.

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